J'estime qu'un conte badin,
En hiver, par un temps de pluie,
Lorsqu'on se chauffe et qu'on s'ennuie,
Est un rem�de souverain
Pour chasser la m�lancolie.
Le corps perdu dans le duvet,
Et les deux pieds sur un chenet,
On regarde briller la flamme;
Et, par le doux conte berc�,
On entend chanter dans son �me
Quelque souvenir effac�
Ou quelque r�ve caress�.
— H�las! ch�re et tendre madame,
Puisque d'�ternelles amours
N'ont dur� que quinze grands jours;
Puisque d'hier le gai sourire
A fait place au long b�illement;
Et que votre cœur qui soupire,
Toujours tromp�, toujours trompant,
En est d�j�, pour se distraire,
A regretter quelque mis�re,
A souhaiter quelque tourment:
Approchez-vous du feu, ma mie;
Au bruit du vent et de la pluie,
�coutez ce r�cit galant;
Et, dans un sourire peut-�tre,
Nous verrons nos baisers rena�tre,
Nos amoureux baisers d'antan.
Un saint ermite de Boccace
But et mangea si bien un jour,
Qu'il en resta mort sur la place.
De tous les moines d'alentour,
Notre fr�re, d�funt Pancrace
�tait certes le plus fleuri,
Le plus rond, le plus rebondi.
Sur sa vermeille et large face,
Grosses l�vres, regards brillants,
On lisait que l'excellent p�re
Ne boudait pas contre son verre,
Moins encor contre les seins blancs
D'une mignonne de seize ans.
Las! l'honneur de la confr�rie,
L� gloire et la fleur du courent
A terre est l�, priv� de vie,
Ventre gonfl�, face bouffie,
Comme une outre pleine de vent!
Las! mai viendra dans le bocage
Fleurir de nouveau le feuillage,
Et jamais plus le jus divin
Ne fleurira le nez du sage,
Dans la tombe cuvant son vin!
Las! demain la fillette preste,
En �tat de p�ch� mortel
Et br�lant de gagner le ciel,
Devant ce spectacle funeste,
Frustr�e et rebroussant chemin,
De peur de l'�ternelle flamme,
Devra chercher la paix de l'�me
Chez son amant le plus voisin!
Or, par aventure, un vieux diable
Vint � passer par le canton,
Et vit le joyeux compagnon
A jamais roul� sous la table.
C'�tait d'ailleurs un bon d�mon,
Las du m�tier, las des chaudi�res,
Las de ses belles les sorci�res,
Las de son enfer, en un mot.
Il d�sirait changer de vie
Et troquer sa queue au plus t�t,
Ses cornes et sa peau roussie,
Contre des habits plus d�cents,
Qui ne fissent pas fuir les gens.
— H�las! dit apr�s un silence,
Le diable presque agenouill�,
Ce bon p�re est mort d'abstinence:
Droit au ciel il s'en est all�.
Rien n'est tel qu'un pauvre ermitage,
Que la bure et que les pieds nus,
Pour avoir toutes les vertus
Et tous les bonheurs en partage!
Du paradis c'est le chemin,
Et je veux tenter du moyen.
L'occasion est favorable;
Coupons nos attributs de diable
Et prenons le dur v�tement,
La face et l'aspect v�n�rable,
De ce fils du bleu firmament.
Tous prirent pour l'excellent p�re,
Tous me prendront pour le d�funt,
Et, par une vie exemplaire,
Vers le ciel, ainsi que ce fr�re,
Je monterai comme un parfum.
L'unique point qui m'embarrasse
Est une odeur de cuir roussi,
Puis, les jurons et la grimace
Qui me d�c�lent quand je passe,
Et vont me d�celer ici.
Prions. Pour lever cet obstacle,
Dieu voudra bien faire un miracle.
Rien n'est plus innocent, dit-on,
Que jeune fille et vieux d�mon.
Pour la na�vet�, le n�tre
Eut rendu des points � tout autre.
Il croyait, le simple gar�on
A la vertu du monast�re,
Et pr�tendait qu'un solitaire
D�nait avec une pri�re
Soupait avec une oraison.
Il prend le d�funt et l'enterre;
Passe son froc; puis, au menton,
Pour compl�ter l'illusion,
Il se colle une barbe noire;
Veille toute la nuit sans boire;
Pousse son oeuvre m�ritoire
Jusqu'� faire un saint tout de bon;
D�vore une am�re racine;
Et, de bonne foi, sur l'�chine,
Finit par se rompre un b�ton.
Comme il lisait son br�viaire,
Soudain parut, le lendemain,
Jeannette, la belle fermi�re.
C'�tait une ronde comm�re,
L�vre amoureuse, blanche main,
Jupe fort courte, jambe fine,
Et flottant fichu de satin,
Sous lequel le regard devine
Une gorge � damner un saint.
— Mon bon p�re, dit la m�tine,
D'un air et d'un ton doucereux,
J'ai besoin de votre assistance.
J'ai de gros p�ch�s, et je veux,
Par une longue p�nitence,
Fl�chir la col�re des cieux.
A l'aspect de cette coupable,
De ce morceau frais et friand,
Sous la bure, fr�re Satan
Sentit se r�veiller le diable.
Ayant fait voeu de chastet�,
Et de le rompre fort tent�,
Saintement il baissa la t�te,
Pour ne plus regarder Jeannette
�talant trop de nudit�.
Puis, ayant dit maintes pri�res
Contre le charnel aiguillon:
— Que vos fautes vous soient l�g�res!
Dit-il gravement au tendron.
Vite, � genoux, fille damn�e,
Et demandez votre pardon.
La galante, tout �tonn�e,
D'un regard sournois compara
Le doux lit et le sol de boue;
Puis, frustr�e, en faisant la moue,
A contre cœur s'agenouilla.
— Enfant, poursuivit fr�re Diable,
D'un ton de supr�me cafard,
Et voilant toujours son regard,
Enfant, qui b�tit sur le sable,
Se voit sans maison t�t ou tard.
Cette terre n'est qu'un passage,
Une mer aux flots orageux,
Et dont le ciel est le rivage.
Attendez donc d'�tre � la plage,
Ma fille; et, dans vos tristes jeux,
Ne jetez pas sur l'onde am�re,
Au vent d'impures passions,
D'inutiles fondations.
Croyez-moi, ma fille...
— Oui, mon p�re,
Soupira Jeanne tristement,
Mais...
— Mais, dit l'autre
en s'�chauffant,
Le Seigneur voit tout sur la terre.
Si vous �coutez moins souvent
L'�me que la vile mati�re,
Il vous damnera, mon enfant.
La fermi�re, mal � son aise,
Convoitait au moins une chaise.
Le discours lui parut fort long.
Et comme Satan, le bon p�re,
Tout exalt� par son sermon,
Jubilait, en voyant saint Pierre
Introduire enfin un d�mon.
D'un ton d�cid� la comm�re:
— Changeons de conversation,
Reprit-elle. La fois pass�e,
Vous m'avez certes confess�e
Suivant toute une autre fa�on,
L'affirmant la plus exauc�e
Des pri�res faites � Dieu.
Las! il faut bien souffrir un peu,
Ajouta la belle hypocrite,
Effacer le p�ch� mortel,
Et par l� m�riter le ciel.
A ce discours, le diable ermite
Pensa tout bas que le d�funt,
Homme de saintet� sans doute,
Suivait quelque nouvelle route,
Pieuse et sortant du commun.
Il fut enflamm� d'un saint z�le.
— Voyons si vous �tes fid�le
A vous rappeler nos le�ons.
Dites comment nous confessons.
Alors, instruite � bonne �cole,
Joignant le geste � la parole,
Elle dit: — Vous vous approchez,
Et, sous votre l�vre br�lante,
Sous votre main qui me tourmente,
S'effacent les petits p�ch�s.
Mais, pour mettre le reste en fuite,
On ne peut aller aussi vite.
Lorsqu'on accuse un gros d�lit,
Dieu sait s'il faut que l'on s'agite!
Parfois s'obstine le maudit;
Et longtemps je peine, je sue,
Pour enfin le mettre � la rue.
De la gr�ce alors la douceur
M'inonde... Oh! j'ai p�ch�, mon p�re,
Et ma faute me d�sesp�re:
Venez ou je meurs de douleur!
Tartufe n'�tait pas un ange
Et notre diable moins encor.
Pour ne pas c�der � la fange,
Il fit un long et vain effort.
Docile aux le�ons de Jeannette,
Loin de pr�voir le d�nouement,
Il ex�cutait la recette,
Tout d'abord tr�s d�votement.
Sur son ordre, il l'avait press�e
A perdre baleine entre les bras,
Et m�me quelque peu pinc�e
A certain lieu qu'on ne dit pas:
Le tout, sans mauvaise pens�e.
Mais, bient�t, ces tendres appas,
Cette voluptueuse �treinte,
Firent na�tre une ardeur moins sainte
Dans l'�me de notre d�mon;
Si bien que, lorsque la galante,
D�nouant son dernier jupon,
Se pendit � lui fr�missante,
Le bon diable, la l�vre en feu,
Et ne pensant plus gu�re � Dieu,
Trouva cette fa�on plaisante
D'ou�r et d'absoudre un aveu.
Celui qui tenta notre m�re,
A son tour ainsi fut tent�;
Et, pr�s de la brune comm�re,
Satan, comme un vertueux fr�re,
Vint se damner de volupt�.
La bataille fut longue et chaude,
Entre le c�leste pardon
Et les p�ch�s de la ribaude.
Son chapelet devint si long,
Que les comm�res du canton
Ensemble eussent subi, je pense,
Une moins dure p�nitence.
Toujours dans un repli cach�
De son cœur, la grande coupable
D�couvrait, un nouveau p�ch�;
Et, g�missante, � fr�re Diable
Le pardon, vite, en demandait,
Puis, vite, un autre en confessait.
— Pardon! criait notre amoureuse,
Pardon! je suis voluptueuse,
Je suis gourmande, paresseuse!
Pardon pour mes mille d�fauts!
Avarice, envie et col�re,
Pour tous les p�ch�s capitaux,
Pardon, pardon, pardon, mon p�re!
— Peste! dit enfin le d�mon,
Jeanne, vous �tes trop coupable.
Je n'ai plus d'absolution.
Vous irez bel et bien au diable,
Car tout un clo�tre ne saurait
Absoudre en vous chaque m�fait.
Or ��, d�campez-moi, ma bonne!
Je viens, je crois, Dieu me pardonne!
De me perdre comme un soudart;
Et je commence pour ma part
A soup�onner qu'un ermitage
Est un terrible et mauvais lieu,
Moins sur que l'enfer et son feu,
Pour un diable pieux et sage.
Le d�funt ma�tre de c�ans,
Que Dieu me garde de m�dire!
M'a tout l'air d'avoir, dans son temps,
Aim� les baisers et le rire.
Dans le brasier qui le doit cuire,
Le digne homme a pu s'�gayer
De voir un vieux diable prier,
Je�ner, m�me monter en chaire.
Le tout pour se damner enfin
De la m�me fa�on qu'un saint.
Foin de l'habit de solitaire!
Et retournons � ma chaudi�re
Pour fl�chir le courroux divin.
Quant � ces pieux monast�res,
Je crois que cordes et rosaires
Y sont plus rares que jupons,
P�t�s, poulardes et flacons,
Et qu'� l'�cole des bons p�res
Il faut envoyer nos d�mons.
1859.
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