Hier, enfant, tu m'as dit d'une voix inqui�te,
Souriant et boudant, te penchant dans mes bras:
� Toi qui chantes pour tous, infid�le
po�te,
� Sur nos jeunes amours ne chanteras-tu pas?
� Tu fais m�tier d'�crire et s�mes
ta parole.
� Dis? que ne m'offres-tu ces bouquets que ta
main
� Effeuille sur la route, insouciante et folle.
� Je veux glaner les fleurs que tu perds en
chemin.
� Je me f�che, je veux que mon regard t'inspire,
� Que tu chantes mon cœur qui bat pour toi.
Je veux
� Que tu dises � tous le miel de mon
sourire,
� Et me lises tes vers en baisant mes cheveux.
� Va rimer nos amours, dans le silence et l'ombre.
� Je te donne un pensum et te mets en prison.
� Va chercher sur tes doigts la c�sure
et le nombre,
� Et reviens, m'apportant aux l�vres
ma chanson. �
Tu le vois, j'ob�is, et pench� sur ma
table,
P�le, pressant mon front, ayant de l'encre aux
mains,
Mon enfant, je me donne un mal �pouvantable,
J'accouche avec labeur de ces quelques quatrains.
J'ai froid. Tu n'es plus l� pour me dire: Je
t'aime.
Ce papier blanc est b�te et me rend soucieux.
Lorsque de nos amours j'�crirai le po�me,
Je pr�f�re l'�crire en baisers
sur les yeux.
Eh bien! non, mon enfant, je t'aime et je refuse.
Je sais trop ce que vaut l'once de ce parfum,
Je n'invoquerai pas cette fille de Muse
Qui vend au carrefour de l'encens pour chacun.
Je ne t'appellerai ni Manon ni Musette,
Et j'aurai le respect sacr� de notre amour.
La Laure de P�trarque est un r�ve, et
Ninette
Est l'id�ale enfant du caprice d'un jour.
Je n'imiterai pas les faiseurs d'acrostiches,
Et, tout au fond de moi, je garderai ton nom.
Jamais je ne voudrai joindre deux h�mistiches,
Pour enrouler mon cœur autour d'un mirliton.
Il est de ces amours, banales et vulgaires,
Qu'un po�te menteur drape d'un manteau d'or.
Il est, dans le ciel bleu, des amours mensong�res,
Que riment � seize ans les coeurs vides encor.
Mais il est des amours profondes, des tendresses
Qui forcent les amants � se parler tout bas,
Emplissant les baisers de leurs �pres ivresses:
Ces amours, on les vit, on ne les rime pas.
Nos po�mes � nous, c'est, notre douce
vie,
C'est l'heure, chaque soir, pass�e �
ton c�t�,
Ce sont nos nuits de mai, mon rire et ta folie,
Nos puissantes amours dans leur r�alit�.
Toujours nous augmentons l'adorable po�me.
La page, plaise � Dieu, jamais ne s'emplira.
J'y vais chaque matin �crire: Mon cœur t'aime,
Et je mets au-dessous: Demain, il t'aimera.
Voici tes vers, enfant. Je veux, en r�compense,
Que tu me laisses faire un chant � ma fa�on.
Je te prends doucement dans mes bras, en silence:
Mes baisers deux � deux vont rimer leur chanson.
�coute-les chanter sur ton front, sur tes l�vres.
Ils ont le rythme, d'or des amoureux concerts.
Ils bavardent entre eux, contant leurs dou�es
fi�vres...
J'ai toujours des baisers, je n'aurai plus de vers.
1. Cette pi�ce est la derni�re
que le po�te ait �crite. [D�but]
FIN.
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