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Sabatani. — Un habitué de la Bourse. Grand jeune homme à la face longue et brune, aux yeux noirs magnifiques, à la bouche mauvaise, inquiétante. Il a une grâce caressante d'Oriental mâtiné d'Italien. C'est un gaillard mystérieux, aimé des femmes ; la légende lui attribue un prodige physique, une exception géante dont rêvent les filles du monde de la Bourse, tourmentées de curiosité [123]. Associé secret de l'escroc Schlosser, Sabatani a peu à peu conquis la confiance de la corbeille et de la coulisse par beaucoup de correction et une bonne grâce infatigable [10]. Il est client de la charge Mazaud, où il n'a déposé qu'une légère couverture, donnant des preuves de sagesse, n'augmentant que graduellement l'importance de ses ordres, en attendant le jour où il culbutera dans une grosse liquidation [90]. Gai, d'apparence riche, avec cette tenue élégante qui est indispensable, comme l'uniforme même du vol à la Bourse, il devient très volontiers le prête-nom d'Aristide Saccard ; il est le complaisant au compte de qui figurent fictivement les titres non vendus de l'Universelle [123]. Et, au jour de la débâcle, il disparaît ; il va écumer la Bourse de quelque capitale étrangère. Plus tard, oublié à Paris, il y reviendra, de nouveau salué, prêt à recommencer son coup, au milieu de la tolérance générale [393]. (L'Argent.)

Sabot. Vigneron de Brinqueville. Un farceur renommé, qui vente à faire tourner les moulins, mais qui est battu à ce jeu par Jésus-Christ [332]. (La Terre.)

Saccard (Aristide) (1). — Troisième fils de Pierre Rougon et de Félicité Puech. Frère d'Eugène, Pascal, Sidonie et Marthe Rougon. Père de Maxime, Clotilde et Victor Rougon, dits Saccard. Petit, la mine chafouine, il a le visage de sa mère, avec des avidités, un caractère sournois, apte aux intrigues vulgaires, où les instincts de son père dominent [74]. En lui s'épanouissent tous les besoins de jouissance matérielle; son appétit se rue à l'argent, à la femme, au luxe. Envoyé à Paris pour faire son droit, il mène pendant deux ans une vie paresseuse et débraillée, ne passe pas un seul examen et, rentré à Plassans, se laisse vivre longtemps sans voir clair dans ses ambitions. .Marié en 1836 à Angèle Sicardot, qui lui apporte une dot de dix mille francs, il place habilement ce petit capital dans la maison paternelle et se fait entretenir avec sa femme jusqu'au moment lointain où son père peut enfin lui restituer sa commandite. Le ménage s'établit alors place Saint-Louis; un fils vient, Maxime, dont la grand'mère Félicité paye, par bonheur, la pension; Aristide mène une belle existence de fainéantise, jouant au cercle, cultivant sa paresse avec amour, jusqu'à l'heure où, toutes ressources épuisées, la pauvre Angèle mourant de faim, il consent à chercher une place et réussit à entrer à la sous-préfecture de Plassans.

C'est, pendant dix ans, la médiocre existence de l'employé à dix-huit cents francs, encore gênée par la naissance d'un nouvel enfant. Sevré des joies dont il a une continuelle envie, Aristide devient haineux ; le fiel s'amasse en lui et, l'oreille au guet, il voit arriver la révolution de 1818, il flaire avec joie une catastrophe, prêt à sauter sur la première proie venue [78]. Trompé d'abord, par les apparences, il affiche le plus vif enthousiasme pour la République; plein de mépris pour l'impuissance bourgeoise, manquant de renseignements sur ce qui se prépare, il croit au triomphe de la démocratie, se fait journaliste, livre aux réactionnaires une guerre sans merci, se compromet à plaisir, jusqu'au jour où, ayant surpris une édifiante conversation politique entre sa mère et le marquis de Carnavant [125], il prend une attitude expectante, cherchant le vent, prêt à se vendre le plus cher possible.

Pendant les journées de Décembre, il feint une soudaine maladie qui lui permet de louvoyer ; il esquisse une conversion au bonapartisme, revient prudemment aux ouvriers, et c'est seulement lorsqu'il a palpé, sur la place de la Mairie, les cadavres républicains [351], qu'il voit enfin la lumière et publie à grand fracas un superbe article d'adhésion au coup d'État. Pour attester son loyalisme, il laisse assassiner sous ses veux son malheureux cousin Silvère Mouret [374]; puis, réconcilié avec son beau-père, le commandant Sicardot, il en obtient cinq cents francs qui lui permettront de quitter Plassans. (La Fortune des Rougon.)

A Paris, après un très court séjour rue de la Harpe, où, sous le nom de Sicardot, il a séduit Rosalie Chavaille, il s'installe pauvrement rue Saint-Jacques et, par son frère Eugène Rougon, devient commissaire-voyer adjoint, emploi bien inférieur à ses prétentions, mais qui le mettra en situation de surprendre le vaste projet de la transformation de Paris [631.. Pour ne pas gêner son aîné, devenu une puissance politique, il a troqué le nom paternel contre celui de Saccard, un nom, a dit Eugène, à aller au bagne ou à gagner des millions [59]. Écœuré de la mesquine existence qui lui est imposée, entre sa femme, la molle Angèle, et sa fillette Clotilde, il a rôdé pendant deux ans dans les couloirs de l'Hôtel de Ville ; il a senti venir le flot montant de la spéculation à outrance, il a flairé les beaux coups à faire, mais, faute des premiers fonds, il resterait frappé d'impuissance, si la mort fortuite d'Angèle ne le rendait subitement libre et ne lui permettait d'atteindre la fortune, grâce à un honteux mariage maquignonné par sa sœur, l'intrigante Sidonie Rougon.

Ce petit homme chafouin, devenu le mari de Renée Béraud Du Châtel, occupe maintenant un superbe appartement de la rue de Rivoli et va devenir un des brasseurs d'affaires les plus en vue de l'époque. Il commence par s'enrichir en dépouillant sa femme (affaire de la rue de la Pépinière), gagne habilement la protection des Gouraud et des Toutin-Laroche, se fait le prête-nom de la Ville dans d'importantes opérations immobilières, s'associe avec les gros entrepreneurs Mignon et Charrier pour éventrer Paris, et met le comble à sa gloire en fondant le Crédit Viticole, entreprise toute puissante grâce à laquelle il tiendra l'administration préfectorale à la gorge [125]. Il bâtit alors, sur un terrain volé à la Ville, son magnifique hôtel du pare Monceau, et là c'est un étalage, une profusion, un écrasement de richesses [18]. La fortune de Saccard est à son apogée.

Il se lance dans des opérations de plus en plus hardies, se plaisant aux complications folles, à l'entassement des impossibilités [260] ; ses affaires sont tellement enchevêtrées qu'il ne dort plus que trois heures par nuit; c'est le jeu continu, un tour de force quotidien, une succession d'aventures où les millions s'entassent et s'engloutissent aussitôt, où tout n'est que façade dorée. Le faste inouï où se complaît Aristide, les étourdissantes prodigalités où il pousse sa femme, l'affectation qu'il met à feindre d'entretenir des maîtresses coûteuses, toute cette poudre aux yeux lui est indispensable pour maintenir son crédit. De mauvaises spéculations, dues à son génie trop inventif, ont séparé de lui Mignon et Charrier; il a essuyé de grosses pertes ; un mauvais vent souffle sur ses affaires lorsqu'il se décide à tout réparer par une œuvre de scélératesse exquise, une duperie colossale dont la Ville, l'État, sa femme et jusqu'à son homme de paille, Larsonneau, doivent être les victimes [1851. Il va gagner trois millions en s'emparant des terrains de Charonne, que Renée possède et qui seront absorbés par le percement du boulevard du. Prince-Eugène.

Mais une terrible complication se dresse tout à coup. Son fils Maxime est devenu l'amant de Renée. Il l'apprend au moment même où la signature de celle-ci lui est nécessaire pour parachever l'œuvre entreprise. Comme il ne veut pas se condamner à la ruine en chassant l'épouse incestueuse, il feint de ne pas comprendre, s'empare de J'acte par surprise et marie le jeune Maxime à une riche héritière, Louise de Mareuil, dont il convoitait depuis longtemps le million de dot pour ses spéculations futures. En 1860, Saccard a été décoré à la suite d'un service mystérieux rendu au préfet de la Seine [149]. (La Curée.)

Cousin de Lisa Macquart, il a été désigné comme subrogétuteur de la petite Pauline Quenu [26]. Il écrit aux Chanteau diverses lettres réclamant des comptes [103] et consent à l'émancipation de la jeune fille après trois visites de madame Chanteau, qui a flatté son goût des grandes affaires en lui apportant une idée superbe: l'accaparement des beurres du Cotentin [117]. (La Joie de vivre.)

En octobre 1861, une suite d'affaires désastreuses l'ont obligé à liquider sa situation, à vendre l'hôtel du pare Monceau. Toujours affamé, inassouvi toujours, il se retrouve sur le pavé de Paris, en relations avec la princesse d'Orviedo qui, pendant quelque temps, a fait de lui le préfet de ses charités, l'a transformé en une sorte de petit manteau bleu, adoré et béni, et a consenti à lui louer un rez-de-chaussée dans son hôtel de la rue Saint-Lazare. Saccard a cinquante ans, mais l'âge n'ayant pas mordu sur sa petite personne, il n'en parait guère que trente-huit ; il garde une maigreur, une vivacité de jeune homme; même, avec les années, son visage noir et creusé de marionnette, au nez pointu, aux minces yeux luisants, s'est comme arrangé, a pris le charme de cette jeunesse si persistante, si souple, si active, les cheveux touffus encore, sans un fil blanc [6].

De nouveau, il cherche la chance, il rêve non plus la richesse menteuse de la façade, mais l'édifice solide de la fortune, la vraie royauté de l'or trônant sur des sacs pleins [7]. Son effréné besoin de revanche lui inspire un désir chimérique : abattre Gundermann, le banquier-roi, ce juif contre lequel il a l'antique rancune de race, au point que lui, le terrible brasseur d'affaires, le bourreau d'argent aux mains louches, perd la conscience de lui-même dès qu'il s'agit d'un juif, en parle avec âpreté, avec des indignations vengeresses d'honnête homme, vivant du travail de ses bras, pur de tout négoce usuraire [92]. Irrésistiblement attiré vers la Bourse, il va y entrer bientôt en triomphateur.

Un hasard de voisinage l'a mis en relations avec l'ingénieur Hamelin, à qui un long séjour en Orient a inspiré une série de projets, la conquête de la Méditerranée, la mise en valeur de la Palestine, la libération des Lieux-Saints, idées grandioses d'où sortira, grâce à l'ardente imagination de Saccard, la Banque Universelle, destinée d'abord à féconder l'œuvre d'Hamelin, mais surtout à exterminer la banque juive [59]. L'adhésion du capitaliste Daigremont assure les concours indispensables ; le marquis de Bohain, Sédille, Huret, Kolb entrent dans le syndicat; Sabatani est le prête-nom nécessaire au jeu des actions; on achète une feuille catholique, l'Espérance, où Jantrou fera des articles politiques favorables et hostiles tour à tour au ministre Rougon, et où de savantes annonces subjugueront les souscripteurs pieux; on achète aussi la Cote financières, qui séduira les rentiers crédules. Une immense publicité s'organise. On aura les gros capitaux et les économies ramassées sou à sou, les Beauvilliers, les Maugendre et les Dejoie.

Saccard sait combattre les scrupules des Hamelin, l'ingénieur et sa sœur Caroline, trop honnêtes pour goûter pleinement la saveur de ses conceptions hardies. il célèbre les vertus de la spéculation; c'est l'appât, même de la vie, c'est l'éternel désir qui force à lutter et à vivre ; elle décuple les énergies; sans elle, J'existence serait un désert d'une extrême platitude; par elle, on accomplit des choses vivantes, grandes et belles. Et elle est nécessaire, malgré ses hontes, qui ne sont au fond que l'excès indispensable, de même qu'il faut l'appât de la luxure pour créer beaucoup d'enfants [143].

Les commencements de l'Universelle sont honorables et corrects, dans l'hostilité de la haute banque ; puis, on double le capital; Saccard fait un magnifique coup de Bourse après Sadowa; c'est l'heure d'une de ces poussées folles de la finance qui, toutes les dix ou quinze années, obstruent et empoisonnent Paris, ne laissant après elles que des ruines et du sang ; on double encore le capital ; les illégalités s'accumulent; Saccard est sans lien ni barrières, allant à ses besoins avec l'instinct, déchaîné de l'homme qui ne connaît d'autre borne que son impuissance ; il jette à la fonte les choses et les êtres pour en tirer de l'argent ; ce bandit du trottoir financier est aimé d'une adorable femme, madame Caroline, parce qu'elle le voit actif et brave, créant un monde à travers tant de folies ; de l'hôtel d'Orviedo, où s'était d'abord installée l'Universelle, Saccard a transféré la banque dans un hôtel monumental, rue de Londres; et les clients sont foudroyés d'admiration et de respect.

La fièvre augmente; plein d'une forfanterie batailleuse, Saccard se voit le maître ; il déclare la guerre à son frère, le ministre; il va enfin se poser en rival de Gundermann, en roi voisin, d'une puissance égale ; c'est une fringale de jouissances; depuis longtemps, il possédait les bonnes grâces de la baronne Sandorff; maintenant, il achète deux cent mille francs la gloire de coucher avec madame de Jeumont et de l'afficher dans un bal officiel, sous l'œil amusé du comte de Bismarck; autour de lui, un concert de bénédictions monte de la foule heureuse des petits et des grands, les filles enfin dotées, les pauvres brusquement enrichis, assurés d'une retraite ; les riches, brûlant de l'insatiable joie d'être plus riches encore [287]. Le capital social atteint cent cinquante millions, d'énormes dividendes ont été distribués, les actions dépassent le cours de trois mille francs.

Mais l'excès même de cette prospérité doit causer la ruine de l'Universelle ; en une grande journée dont on parle encore, comme on parle d'Austerlitz et de Marengo [345], Gundermann qui, depuis longtemps, guettait l'heure propice, détruira d'un coup cette banque catholique, minée si profondément par les imprudences de Saccard. Et celui-ci fait une belle défense; jusqu'au bout, il inspire confiance à ses victimes. Définitivement lâché par le ministre Rougon, dénoncé par Busch, livré aux vengeances de Delcambre, il est traduit en correctionnelle, conserve une héroïque attitude devant le tribunal et se voit condamné à cinq ans de prison et trois mille francs d'amende, toujours plein, d'ailleurs, de croyance en lui-même. Son inconscience en arrive à une véritable grandeur.

Pendant les délais d'appel, il quitte la France et va en Hollande ; il s'y consacre à une affaire colossale : le desséchement d'immenses marais, tout un petit royaume conquis sur la mer, grâce à un système compliqué de canaux [445]. (L'Argent.)

Après la chute de l'Empire, il a osé rentrer en France, malgré sa condamnation ; des influences nouvelles, toute une intrigue extraordinaire l'ont remis sur pied [15]. En 1872, on le retrouve, lancé dans le grand journalisme, brassant des affaires considérables, devenu directeur de l'Époque, le journal républicain à gros succès où l'on publie les papiers des Tuileries [3]. Empressé auprès de Maxime, dont il a toujours convoité la fortune, il hâte la fin de l'ataxique en lui envoyant de belles filles, notamment la petite Rose, qui l'achèvent [315], et il finit par mettre dans sa poche l'argent et l'hôtel de son fils [384]. Revenu à son républicanisme originel, Aristide va, par un retour ironique des choses, protéger son frère Eugène Bougon, qu'il avait compromis si souvent lorsque le simple député d'aujourd'hui était vice-empereur [15]. (Le Docteur Pascal.)

Saccard (Madame Aristide). — Voir BÉRAUD DU CHATEL (Renée).

Saccard (Madame Aristide). — Voir SICARDOT (Angèle).

Saccard (Charles) (1). — Fils de Maxime Rougon, dit Saccard, et de Justine Mégot. Sa mère, femme de chambre de Renée, a été séduite par le jeune Maxime, alors âgé de dix-sept ans. L'enfant et la mère sont envoyés à la campagne, avec une petite rente de douze cents francs [119]. (La Curée.)

A quinze ans, il vit à Plassans, chez sa mère, mariée à un bourrelier du faubourg, Anselme Thomas. Charles est un dégénéré qui reproduit, à trois générations de distance, sa trisaïeule, la vieille Adélaïde Fouque enfermée aux Tulettes. Il paraît à peine douze ans et il en est resté à l'intelligence balbutiante d'un enfant de cinq ans. Ses grands yeux clairs sont vides, sa beauté inquiétante a une odeur de mort, ce n'est qu'un petit chien vicieux qui se frotte aux gens, pour se caresser, et qu'on a dù renvoyer du collège dès les premiers mois, sous J'accusation de vices inavouables [63]. Il y a en lui un relâchement des tissus dû à la dégénérescence; le moindre froissement détermine une hémorragie.

Sa mère adore ce bel enfant à la royale chevelure blonde, mais il est détesté du mari et vit le plus souvent chez les Rougon, habillé par son arrière-grand'mère Félicité qui souffre devant ce rejeton épuisé de sa race, le comble de bijoux et le vêt de velours noir soutaché d'une ganse d'or, tel qu'un jeune seigneur d'autrefois [229]. Il se plait en la compagnie de la vieille Adélaïde Fouque, avec qui il a une ressemblance physique extraordinaire. Et c'est là, dans l'Asile des Tulettes, sous les yeux fixes de l'ancêtre, que cet enfant, pris d'un dernier saignement de nez, meurt sans une secousse, épuisé comme une source dont l'eau s'est écoulée, pareil à mi de ces petits dauphins exsangues qui n'ont pu porter l'exécrable héritage de leur race [249.]. (Le Docteur Pascal.)

(1) Charles Rougon, dit Saccard, né en 1857, meurt d'une hémorragie nasale, en 1873. [Hérédité en retour sautant trois générations. Ressemblance physique et morale d'Adélaïde Fouque. Dernière expression de l'épuisement d'une race]. (Arbre généalogique des Rougon-Macquart.)

Saccard (Clotilde) (1). — Fille d'Aristide Rougon, dit Saccard, et d'Angèle Sicardot. Née à Plassans en 1847, elle avait quatre ans, lorsque ses parents l'ont emmenée à Paris, Angèle ayant refusé de se séparer de cette enfant [52]. En 1854, la petite Clotilde assiste à la mort de sa mère et, trois jours après, on la confie à une vieille dame qui se rend dans le Midi et qui la ramène à son oncle Pascal [76]. (La Curée.)

Chez le docteur Pascal, elle a vécu librement. A l'âge ingrat, de douze à dix-huit ans, elle a paru trop grande, dégingandée, montant aux arbres comme un garçon, puis en elle s'est dégagée une fine créature de charme et d'amour, élancée, la taille mince, la gorge menue, le corps souple. Elle a des cheveux blonds et coupés court, un exquis et sérieux profil, le front droit, l'œil bleu ciel, le nez fin, le menton ferme; sa nuque est d'une fraîcheur de lait sous l'or des frisures folles. A vingt-cinq ans, elle reste enfantine et en parait à peine dix-huit [2].

Elle n'a appris qu'à lire et à écrire; elle se fait ensuite une instruction assez vaste, en aidant son oncle qui l'emploie volontiers comme secrétaire et pour qui elle dessine des planches destinées à illustrer ses ouvrages [5]. En cette jeune fille, on retrouve l'influence maternelle par ses qualités féminines, comme par sa préoccupation du mystère et son inquiétude de l'inconnu ; mais la principale empreinte héréditaire lui vient de son grand-père, le commandant Sicardot, homme de droiture et d'énergie. Il lui a donné le meilleur de son être, le courage de la lutte, la fierté et la franchise [134].

En Clotilde, les instincts mystiques se sont développés sous l'action de la servante Martine qui l'a beaucoup menée à l'église, lui communiquant un peu de sa flamme dévote, sans que Pascal, d'esprit large et tolérant, ait rienfait pour combattre ce besoin de croire. L'aveugle foi religieuse accomplit ses ravages : Clotilde, qui a pourtant, suivant le mot de son oncle, une bonne petite caboche ronde, nette et solide, ne peut pas vivre sans illusion et sans mensonge, le mystère la réclame et l'inquiète. Elle voudrait convertir Pascal, elle rêve de détruire la pensée de son maître, d'anéantir des œuvres qui blessent sa foi catholique, elle va se faire la complice inconsciente des lâches desseins de sa grand'mère Félicité Rougon, lorsque, par le docteur au moment où elle pillait les manuscrits, elle est domptée sous son autorité virile et jetée brusquement en présence des faits, de la vérité nue, de l'exécrable réalité qui révolutionnera son être et lui donnera une terrible leçon de vie [l14].

Pascal a reconquis Clotilde; la révoltée, l'ennemie d'hier est redevenue l'élève soumise d'autrefois, elle a cessé d'aller à l'église et bientôt la mystique est définitivement vaincue par l'amour connu et satisfait. Les belles idylles de la Bible, le roi David et Abisaïg, Abraham et Agar, Ruth et Booz vont renaître entre le vieux maître et sa blonde servante. Mais les scrupules de Pascal mettent fin à cette joie délicieuse, il ne veut pas sacrifier l'adorable jeunesse de Clotilde à sa stérilité de vieillard et, par une fatalité lamentable, il meurt seul, loin d'elle, à l'heure même où elle accourt, portant en son sein l'enfant qui va naître. (Le Docteur Pascal.)

(1) Clotilde Rougon, dite Saccard, née en 1847 ; a, en 1874, de son oncle Pascal, un fils. [Élection de la mère. Hérédité en retour, avec prédominance morale et physique de son grand-père maternel, le commandant Sicardot]. Vit encore à Plassans. (Arbre généalogique des Rougon-Macquart.)
 

Saccard (Maxime) (1). — Fils d'Aristide Bougon, dit Saccard, et d'Angèle Sicardot. Père de Charles. Il est né en 18140 à Plassans. Enfance terne, dans la médiocrité du ménage paternel. Semble avoir été assez mal élevé, car son grand-oncle, Antoine Macquart, se plaint que le mioche lui tire la langue chaque fois qu'il le rencontre [176]. Sa grand'mère Félicité Rougon le fait entrer au collège et paye secrètement sa pension [78]. (La Fortune des Rougon.)

Il reste à Plassans jusqu'en 1855 et, sa cinquième achevée, va rejoindre à Paris son père, alors remarié à Renée Béraud Du Châtel. A quinze ans, c'est un grand galopin fluet, à figure de fille, l'air délicat et effronté, d'un blond très doux [107]. Il termine ses études au lycée Bonaparte et vit dans l'intimité de sa belle-mère, jeune femme à la mode, qui joue avec lui à la petite maman. Il a vite fait de s'émanciper, adorant se perdre dans les jupes, dans la poudre de riz, se glissant autour des belles mondaines, amusées par son air de fille [118].

A dix-sept ans, c'est un jeune homme mince et joli, aux cheveux bouclés, en qui la race des Rougon est devenue délicate et vicieuse. Né d'une mère trop jeune, molle et abandonnée, et d'un père aux furieux appétits, il est un produit défectueux, sans personnalité, mais avide de jouissance, uniquement apte à dévorer les fortunes édifiées par d'autres. Joli et lâche, il aime le plaisir sans fatigue, avec une passivité de fille [134].

Pour son début, Maxime a séduit la femme de chambre de Renée, Justine Mégot, et lui a fait un enfant ; il fréquente l'entresol de sa tante, la complaisante Sidonie Rougon, fait la noce à côté de son père dans les restaurants de nuit, s'offre le luxe d'une maîtresse, la petite actrice Sylvia, et continue à vivre dans la plus entière familiarité avec sa jeune belle-mère, l'amusant par des détails infimes sur les demoiselles haut cotées, traitant en camarade et en complice cette inassouvie qui cherche un frisson nouveau. Un beau soir, il accepte l'inceste, sans l'avoir voulu ni prévu, uniquement parce que Renée le lui a imposé [205]. Il sort d'ailleurs avec la plus parfaite aisance de ce drame où sa veulerie n'a vu qu'un moyen de se faire entretenir [319] et il se laisse marier par son père à une petite bossue, Louise de Mareuil, qui lui apporte la jolie dot d'un million. Bientôt veuf, il va vivre en garçon dans un bel hôtel de l'avenue de l'Impératrice et il fait courir [337]. (La Curée.)

Il a organisé sa vie avec un sage et féroce égoïsme, mangeant la fortune de la morte, sans une faute, en garçon de faible santé que le vice a précocement mûri [45]. Il a abandonné depuis longtemps son idée d'entrer au Conseil d'État, il ne fait même plus courir, les chevaux l'ayant rassasié comme les filles. Avec son aplomb d'homme d'expérience, il a gardé son ancien rire perlé de demoiselle, mais il a déjà des rhumatismes [130]. Son petit hôtel de l'avenue de l'Impératrice est installé avec un raffinement exquis de luxe et de bien-être; c'est joli, tendre et discret. Et Maxime vit seul, oisif, parfaitement heureux, d'une férocité de beau fils pervers et entretenu, devenu sérieux [164]. Après la débâcle de l'Universelle, il va s'installer à Naples pour fuir l'ennui de voir son père passer en correctionnelle [418]. (L'Argent.)

Après la guerre, on le trouve réinstallé dans son hôtel de l'avenue du Bois-de-Boulogne, où il mange la fortune que lui a laissée sa femme; il est devenu prudent, d'une sagesse d'homme atteint dans ses mœlles, rusant avec la paralysie menaçante [15]. A trente-trois ans, la face s'est creusée, les cheveux s'éclaircissent, semés de fils blancs; il garde sa tète jolie et fine, d'une grâce inquiétante de fill jusque dans décrépitude précoce [65]. Se voyant infirme, cloué dans un fauteuil, ayant peur de la solitude, rêvant d'être aimé, choyé, défendu, il a obtenu que sa sœur Clotilde quitte Plassans et vienne le rejoindre à Paris; mais, dans sa continuelle inquiétude d'être exploité et dévalisé, il commence bientôt à la prendre en méfiance, comme toutes les personnes qui e servent; il la torture par ses exigences d'enfant gâté et de malade. Son père, qui voudrait hâter l'héritage, lui envoie une jolie fille, la jeune Rose, qui achève bientôt ce vicieux, resté friand de petites femmes. Maxime finit par mourir ataxique, à trente-trois ans [341]. (Le Docteur Pascal.)

(1) Maxime Rougon, dit Saccard, né en 1840; a un fils, d'une servante, Justine Mégot, chlorotique, fille d'alcooliques; épouse, en 1863, Louise de Mareuil, qu'il perd la même année et dont il n'a pas d'enfants; meurt ataxique en 1873. [Mélange dissémination. Prédominance morale du père et ressemblance physique de la mère]. Oisif, mangeur de fortunes faites. (Arbre généalogique des Rougon-Macquart.)
 
 

Saccard (Madame Maxime). — Voir MAREUIL (Louise de).

Saccard (Victor) (1). — Fils naturel d'Aristide Rougon, dit Saccard, et de Rosalie Chavaille. Né en 1853. A été élevé dans la cité de Naples, chez la Méchain, petite-cousine de sa mère. Celle-ci se prostituait en sa présence avec des hommes, il vivait sur les fortifications et faisait avec les petites filles ce qu'il voyait faire chez lui.

A douze ans, sa ressemblance avec Aristide Saccard est extraordinaire ; il paraît prodigieusement développé pour son âge, pas très grand, trapu, entièrement formé, déjà poilu, ainsi qu'une bête précoce ; les yeux hardis, dévorants, la bouche sensuelle, sont d'un homme. Il a toute une moitié de la face plus grosse que l'autre, le nez tordu à droite, la tête comme écrasée sur la marche où sa mère, violentée, l'a conçu. Il ne sait pas écrire, à peine lire. De sa face d'enfant mûri trop vite, ne sortent que les instincts exaspérés de sa race, une hâte, une violence à jouir , aggravées par le terreau de misère et d'exemples abominables, dans lequel il a grandi [169].

Ce gamin de douze ans, ce petit monstre couche avec la mère Eulalie, une femme de quarante ans, ravagée et malade, qu'il appelle sa femme [162]. Un chantage organisé contre Aristide Saccard par Busch et la Méchain aboutit au placement de Victor à l'Œuvre du Travail. Dans une cruelle réminiscence de l'acte de son père, prenant la misérable Rosalie sur une marche et lui démettant l'épaule au moment de la conception [407], Victor Saccard se jette comme un jeune fauve sur Alice de Beauvilliers, la viole et s'enfuit de l'Asile. On perd sa trace. (L'Argent.)

En 1873, il n'a point reparu, rôdant dans l'ombre du crime, puisqu'il n'est pas au bagne, lâché par le monde, à l'avenir, à l'inconnu de l'échafaud [128]. (Le Docteur Pascal.)

(1) Victor Rougon, dit Saccard, né en 1853. [Mélange soudure. Ressemblance physique du père]. Disparu. (Arbre généalogique des Rougon-Macquart.)
 
 

Saffré (de). — Secrétaire du ministre Eugène Rougon, charmant jeune homme, le sceptique et le viveur le plus aimable du monde. Devenu amoureux de Renée Saccard, qu'il avait rencontrée sans la reconnaître au bal masqué de Blanche Müller [167], il subit ses refus, s'en console avec la petite madame Michelin [192] et plus tard s'enflamme pour la comtesse Vanska [344]. (La Curée.)

Saget (Mademoiselle). — Petite vieille habitant, depuis quarante ans, rue Pirouette, la même maison que les Méhudin. A dit un jour qu'elle est née à Cherbourg, on ignore tout le reste. C'est une mauvaise langue extraordinaire, redoutée de tout le quartier. Elle s'est logé dans la tète l'histoire complète des maisons, des étages, des gens. Longtemps, Florent reste pour elle un mystère qui la mine, car il y a là une intolérable lacune dans sa connaissance des faits et gestes de tous. Elle se livre aux machinations les plus savantes, brouillant et réconciliant les gens, se répandant en potins venimeux qui se colportent à tous les coins dés Halles. Pour obtenir quelques aliments gratis, elle flatte les colères et les passions des marchandes et voue une — violente haine à Gavard, parce qu'il l'a vue achetant des rogatons et qu'il a colporté partout cette humiliante nouvelle. Un mot soutiré à la petite Pauline Quenu lui apprend enfin le passé de Florent, elle tient alors sa vengeance contre l'insolent Gavard et contre ce forçat qui avait osé l'intriguer si longtemps. Mademoiselle Saget devient la cheville ouvrière de la dénonciation, surexcitant Lisa, madame Lecœur et les autres, écrivant elle-même à la préfecture et assistant, dans une triomphante joie, à l'arrestation des deux conspirateurs. La Sarriette qu'elle a suivie chez Gavard la récompense de son zèle par un don de cinquante francs [347]. (Le Ventre de Paris.)

Saint-Firmin (Oscar de). — Personnage de la Petite Duchesse, pièce de Fauchery, jouée aux Variétés. Cousin de la duchesse Hélène, c'est lui qui l'a introduite chez la blonde Géraldine, espérant la débaucher [312]. Le rôle est confié à Prullière. (Nana.)

Saint-Germain (Mademoiselle de). — Possédait rue Saint-Lazare un hôtel princier qui, après sa mort, est devenu l'hôtel d'Orviedo [46]. (L'Argent.)

Saints-Anges (La Mère des). — Supérieure du couvent de la Visitation, à Clermont. A sauvé du cloître Christine Hallegrain, qui n'avait pas la vocation religieuse, et l'a placée à Paris, comme lectrice, chez madame de Vanzade [121]. (L'Œuvre.)

Salmon. — Habitué de la Bourse. C'est un très bel homme, lattant contre la cinquantaine, étalant une barbe superbe, d'un noir d'encre. Il passe pour un gaillard extraordinairement fort. Jamais il ne parle, il ne répond que par des sourires ; on ne peut savoir dans quel sens il joue, ni même s'il joue [3]. (L'Argent.)

Salneuve (de). — Homme considérable du second Empire; a été gagné par Clorinde à la cause d'Eugène Bougon [291]. (Son Excellence Eugène Rougon).

Sambuc (Guillaume). — Terrible chenapan, digne fils d'une famille de bûcherons qui a mal tourné, le père ivrogne, trouvé un soir la gorge coupée, au coin d'un bois, la mère et la fille mendiantes et voleuses, tombées à quelque maison de tolérance; lui braconne et fait la contrebande ; son frère Prosper est le seul petit de cette portée de loups qui ait grandi honnête. Pendant la guerre de 1870, Guillaume appartient à une de ces compagnies franches qui devaient faire la guerre d'embuscade, tuer les sentinelles de l'ennemi, tenir les bois d'où pas un Prussien ne sortirait, et qui devinrent vite la terreur des paysans, qu'elles défendirent mal et dont elles ravagèrent les champs. Il est le sergent d'un groupe de francs-tireurs dissimulés dans les bois de Dieulet. Grand et maigre, avec une épaisse barbe en broussaille, il porte une blouse grise, serrée à la taille par une ceinture rouge [l39].

C'est lui qui, dans la soirée du 29 août, fournit inutilement au général Bourgain-Desfeuilles de précieux renseignements sur la marche de l'ennemi à travers les bois, mouvement qui va entraîner la surprise de Beaumont. Plus tard, pendant l'occupation, Guillaume et ses hommes rôdent la nuit par les routes, tuent et dévalisent les Prussiens qu'ils peuvent surprendre, se rabattent sur les fermes et les rançonnent quand le gibier ennemi vient à manquer. Parcourant le pays en tous sens, ils sont devenus les pourvoyeurs du père Fouchard, dont ils reçoivent des fournées de pain, en échange des bêtes crevées qu'ils lui procurent pour l'approvisionnement des troupes allemande [521]. Comme les francs-tireurs ont une haine particulière contre Goliath Steinberg, qui leur fait une chasse dangereuse, Guillaume, sur l'indication de Silvine Morange, organise un guet-apens contre l'espion, s'empare de lui avec l'aide de Cabasse et de Ducat, l'étend ligotté sur une table et lui ouvre la gorge en faisant lentement couler le sang dans un haquet [538]. Le corps jeté dans la Meuse est retrouvé par les Prussiens, et, à partir de ce moment, les francs-tireurs, traqués comme des fauves, ne reparaissent plus [565]. (La Débâcle.)

Sambuc (Prosper). — Frère de Guillaume. De nature laborieuse et docile, il a, par haine de la forêt, voulu être garçon de ferme. Puis, tombé au sort, incorporé aux chasseurs d'Afrique, il est devenu ordonnance d'officier. Prosper a une longue face sèche, des membres souples et forts, d'une adresse extraordinaire. Il aime la vie d'Afrique, cette existence d'imprévu et d'aventures, cette guerre d'escarmouches, si propre à l'éclat de la bravoure personnelle, amusante comme la conquête d'une île sauvage, égayée par les razzias, les petits vols des chapardeurs, dont les bons tours légendaires font rire jusqu'aux généraux [70]. 11 était là-bas depuis trois ans lorsque éclate la guerre de 1870.

Envoyé en France, il a entrevu les batailles sous Metz et, à Gravelotte, au moment d'entrer en ligne, son corps a été désigné pour former l'escorte de l'empereur, qui filait sur Verdun en calèche. On a fait quarante-deux kilomètres au galop, avec la peur, à chaque instant, d'être coupé par les Prussiens [70]. Sous Metz, Prosper n'a vu que quatre uhlans, derrière une haie [98] — dans la marche vers Montmédy, il n'aperçoit (lue deux uhlans encore, des bougres qui apparaissent et disparaissent, sans qu'on sache d'où ils sortent ni où ils rentrent, formant un mouvant rideau derrière lequel l'infanterie dissimule ses mouvements et marche en toute sécurité, alors que les Français ne savent pas utiliser leurs chasseurs et leurs hussards, systématiquement laissés hors du contact de l'ennemi [99]. Son régiment appartient à une division de la cavalerie de réserve, commandée par le général Margueritte, dont Prosper ne parle qu'avec une tendresse enthousiaste [70].

A Sedan, le chasseur d'Afrique pleure devant son cheval épuisé par la faim [178], ce vieux Zéphir qu'il aime plus que tout au monde. Dans les marches et contremarches, de vallons en vallons, autour du plateau d'Illy, où errent les escadrons, précieux et inutiles, Prosper tombe de sommeil ; c'est la grande souffrance, les nuits mauvaises, la fatigue amassée, une somnolence invincible au bercement du cheval; pendant des minutes, malgré l'effroyable fracas de la bataille, il s'endort réellement sur sa selle, il n'est plus qu'une chose en marche, emportée au hasard du trot [318]. Puis, voici l'heure héroïque. Le général Margueritte est blessé à mort en allant reconnaître le terrain, ses cinq régiments vont s'élancer furieusement pour le venger [320]. Prosper se trouve au premier rang, presque à l'extrémité de l'aile droite. Après plusieurs charges, il tombe sous son cheval, sa hanche droite est comme écrasée, il perd connaissance.

Revenu à lui vers la fin du jour, il réussit à se dégager, gagne les bois, atteint péniblement la frontière belge, puis, ayant troqué son uniforme contre des vêtements de paysan, bien déterminé à ne plus combattre, puisque la cavalerie ne sert absolument à rien et que son pauvre Zéphir est mort, il décide de se remettre à la terre et rentre à Remilly où le père Fouchard l'accepte comme garçon de ferme [411]. (La Débâcle.)

Sandorff (Baron). — Conseiller à l'ambassade d'Autriche. A épousé mademoiselle de Ladricourt, qui a trente-cinq ans de moins que lui et qui l'a positivement rendu fou, avec ses regards de feu [22]. Il est très ladre [24]. (L'Argent.)

Sandorff (Baronne). — Fille du comte de Ladricourt. Celui-ci étant mort ruiné, elle a dû se résoudre à épouser le vieux baron Sandorff. La baronne a une tète brune très étrange, des yeux noirs brûlants sous des paupières meurtries, un visage de passion à la bouche saignante et que gâte seulement un nez trop long. Elle semble fort jolie, d'une maturité précoce pour ses vingt-cinq ans, avec son air de bacchante habillée par les grands couturiers. Elle joue à la Bourse, c'est une joueuse âpre, enragée. Aux jours de crise, on la voit, dans sa voiture, guettant les cours, prenant fiévreusement des notes sur son carnet, donnant des ordres [22]. Apre au jeu, elle soulève toutes sortes de chicanes lorsqu'elle vient payer ses différences à la charge Mazaud [89].

L'avarice de son mari l'a amenée à prendre un amant, le procureur général Delcambre; cette liaison est pour elle une corvée abominable. Son indifférence sensuelle, le mépris secret où elle tient l'homme, se montrent parfois en une lassitude blême, sur son visage de fausse passionnée, que l'espoir du gain enflamme seul [128]. Et cette fille de sang noble, cette femme de diplomate, saluée très bas par la colonie étrangère de Paris, se promène en solliciteuse louche chez tous les gens de finance. Il y a, dans la passion du jeu, un tel ferment désorganisateur que cette créature de belle race deviendra une loque humaine, un déchet balayé au ruisseau. Elle cède à Saccard, ainsi qu'une fille, voulant pour salaire des renseignements de Bourse; elle lui donne des caresses dépravées, le traitant comme un fétiche, un objet qu'on baise, même malpropre, pour la chance qu'il vous porte [229] ; elle va ensuite s'offrir au vieux Gundermann et, roulant toujours de plus en plus bas, par les lois mêmes de la chute, elle tombe jusqu'à Jantrou, cet ancien laquais, perdu d'alcool et de vices, sur qui elle compte pour rattraper son argent perdu dans l'Universelle, et qui la bat avec une brutalité de cocher [390]. (L'Argent.)

Sandoz père. — Un Espagnol réfugié en France à la suite d'une bagarre politique. A installé près de Plassans une papeterie où fonctionnaient des engins de son invention. Est mort, abreuvé d'amertume, traqué par la méchanceté locale, en laissant à sa veuve une situation si compliquée, toute une série de procès si obscurs, que la fortune entière a coulé dans le désastre [35]. (L'Œuvre.)

Sandoz mère (Madame). — Une Bourguignonne. Cédant à sa rancune contre les Provençaux qui ont fait mourir son mari, souffrant d'une paralysie lente dont elle les accuse aussi d'être la cause, elle s'est réfugiée à Paris avec Pierre, son fils, qui la fait vivre, grâce à un maigre emploi [35]. Rue d'Enfer, clouée par la souffrance, elle habite une chambre sur le même palier que lui, et se cloître là en une solitude chagrine et volontaire [75], entourée de tendres soins. Plus tard, Pierre Sandoz, marié, gagnant plus largement sa vie, s'est installé dans un petit pavillon de la rue Nollet et c'est là, dans la douce intimité d'une existence à trois, que madame Sandoz a vécu ses dernières années [415]. (L'0Euvre.)

Sandoz (Pierre). — Un grand romancier, dont la jeunesse s'est écoulée à Plassans. Au collège, Claude Lantier, Dubuche et lui étaient les trois inséparables; ils ont usé ensemble, en huitième, leur première culotte. Hors du collège, Dubuche, qui était pensionnaire, ne se joignait aux deux autres que les jours de vacances. Claude et Pierre, eux, ont été sauvés de l'engourdissement du milieu par leur amour des grandes marches à des lieues de Plassans, par la fringale de lecture qui les a entraînés vers la passion et les larmes de Musset après le décor énorme d'Hugo, par leur dédain des joies provinciales, de la partie de dominos sans cesse recommencée, de la même promenade à la même heure sur la même avenue; ils ont même banni la femme, érigeant leurs timidités en une austérité de gamins supérieurs [42]. A Paris, Sandoz, employé à la mairie du cinquième arrondissement, bureau des naissances, gagne cent cinquante francs par mois; il est cloué là par la nécessité de nourrir sa mère, qu'il aime tendrement.

A vingt-deux ans, il est très brun, il a la tète ronde et volontaire, le nez carré, les yeux doux, dans un masque énergique encadré d'un collier de barbe naissante [31]. Hanté de gloire littéraire, il publie un premier livre, suite d'esquisses aimables, rapportées de Plassans, parmi lesquelles, ça et là, quelques notes plus rudes indiquent le révolté, le passionné de vérité et de puissance. Il habite, rue d'Enfer, un petit logement du quatrième, dont les fenêtres donnent sur le vaste jardin des Sourds-Muets, dominé par la tète arrondie d'un grand arbre et le clocher carré de Saint-Jacques-du-Haut-Pas. C'est là qu'il reçoit chaque jeudi ses condisciples de Plassans, Claude, Dubuche et avec eux Fagerolles, Mahoudeau, Jory, Gagnière, retrouvés à Paris, tous animés de la même passion de l'art; le grand peintre Bongrand vient parfois se réchauffer à cette jeunesse. Même aux heures de misère, Sandoz a toujours un pot-au-feu à partager avec les camarades; ce sont des dîners simples, de longues soirées, arrosées de thé ; cela l'enchante d'être en bande, tous amis, tous vivant de la même idée. Bien qu'il soit de leur âge, une paternité l'épanouit, une bonhomie heureuse, quand il les voit chez lui, autour de lui, la main dans la main, ivres d'espoir [99]. À cette heure de leur Nie, la sève fermente en eux — ils débordent de dévouement, ils recommencent l'éternel rêve de s'enrégimenter pour la conquête de la terre, chacun donnant son effort, celui-ci poussant celui-là, la bande arrivant d'un bloc, sur le même rang; c'est la belle folie des vingt ans, le dédain du monde entier, la seule passion de l'œuvre, dégagée des infirmités humaines [108].

Ayant soif de besognes géantes, Sandoz conçoit le projet d'une genèse de l'univers, en trois phases, dont la dernière, l'avenir, le refroidit par ses hypothèses hasardeuses. Il cherche un cadre plus resserré, plus humain, où il fera tenir pourtant sa vaste ambition; né au confluent d'Hugo et de Balzac, s'efforçant d'échapper à l'influence romantique, il rêve d'étudier l'homme tel qu'il est, l'homme physiologique déterminé par le milieu, agissant sous le jeu de tous ses organes; les métaphysiciens le révoltent, il n'admet pas qu'on se cantonne dans J'étude continue et exclusive de la fonction du cerveau, sous le prétexte que le cerveau est l'organe noble, comme si la pensée n'était pas le produit du corps entier; puisque le mécanisme de l'homme aboutit à la somme totale de ses fonctions, puisque la physiologie et la psychologie se sont pénétrées, ces idées nouvelles aboutissent nécessairement à un nouvel art, à une littérature neuve qui doit germer dans le prochain siècle de science et de démocratie. Et Sandoz trouve le coin cherché : il prend une famille, il en étudie les membres, un à un, d'où ils viennent, où ils vont, comment ils réagissent les uns sur les autres; enfin une humanité en petit, la façon dont l'humanité pousse et se comporte ; d'autre part, il met ses bonshommes dans une période historique déterminée, ce qui lui donne le milieu et les circonstances, un morceau d'histoire;, ce sera une série de bouquins, quinze, vingt bouquins, des épisodes qui se tiendront, tout en avant chacun un cadre à part, une suite de romans à se bâtir une maison pour ses vieux jours, s'ils ne l'écrasent pas. Et la force première de son œuvre, le moyen et le but, ce sera la terre, mère commune, unique source de la vie, 'l'éternelle terre où circule l'âme du monde, où toutes les choses s'animent du souffle de tous les êtres [211].

Il a donné sa démission d'employé, il se lance dans le journalisme et organise bourgeoisement sa vie. Pour lui, le mariage est la condition même du bon travail, de la besogne réglée et solide, pour les grands producteurs modernes; tout dépend du choix, et il a trouvé dans Henriette celle qu'il cherchait. Il veut l'existence à trois, entre sa femme et sa mère, il se sent les reins assez forts pour nourrir tout son monde. Le ménage s'est installé rue Nollet, au fond des Batignolles, dans un petit pavillon en contre-bas, au delà de trois cours, une petite maison de travail et d'espoir, égayée déjà d'un commencement de bien-être et de luxe. Le premier roman de la série a paru, il a été accueilli par un hurlement de la critique; et Sandoz s'étonne seulement de la profonde inintelligence de ces gaillards, dont les articles bâclés sur des coins de bureau le couvrent de boue, sans paraître soupçonner la moindre de ses intentions; au lieu de comprendre ses audaces, on lui prête des saletés imbéciles, tout se trouve jeté dans le baquet aux injures : son étude nouvelle de l'homme physiologique, le rôle tout-puissant rendu aux milieux, la vaste nature éternellement en création, la vie enfin, la vie totale, universelle, qui va d'un bout de J'animalité à l'autre, sans haut ni bas, sans beauté ni laideur; et les audaces de langage, la conviction que tout doit se dire, qu'il v a des mots abominables nécessaires comme des fers rouges, qu'une langue sort enrichie de ces bains de force; et surtout l'acte sexuel, l'origine et l'achèvement continu du monde, tiré de la honte où on le cache, remis dans sa gloire, sous le soleil. Dans cette meute aboyante, il y a plus de niais que de méchants; leur meilleure invention est d'accuser Sandoz d'orgueil, alors qu'il écrit dans le tourment, que l'imperfection de son œuvre le poursuit jusque dans le sommeil et qu'il ne relit jamais ses pages de la veille, craignant de les trouver trop exécrables pour trouver ensuite la force de travailler [250].

Il a gardé ses jeudis, qui datent de la sortie du collège, au temps des premières pipes; Henriette est un camarade de plus; si les humbles menus de la rue d'Enfer ont fait place à de la bonne cuisine, ce sont bien toujours les mêmes amis, autour de la table. Mais on les sent transformés, Mahoudeau aigri de misère, Jory enfoncé dans sa jouissance, Gagnière plus lointain qu'autrefois, détaché ailleurs, Fagerolles dégageant du froid malgré sa cordialité, Dubuche plein de sa nouvelle importance, Claude enfin, le chef accepté du début, ravagé aujourd'hui d'incertitude. Des vides paraissent se faire entre eux, la bataille commence, chaque affamé donne son coup de dent. Et Sandoz seul n'a pas bougé, aussi entêté dans ses habitudes de cœur que dans ses habitudes de travail, immobilisé par un rêve d'éternelle amitié, des jeudis pareils se succédant à l'infini, jusqu'aux derniers lointains de l'âge tous éternellement ensemble, tous partis à la même heure et arrivés à la même victoire [254].

Dans la lente rupture qui s'aggrave entre Claude et ses amis, Sandoz reste fidèle au peintre, tombé dans la misère et la désespérance; il vient rue Tourlaque pour le petit Jacques-Louis, son filleul, pour la triste Christine aussi, dont le visage de passion le remue profondément, comme une de ces visions de grandes amoureuses qu'il voudrait faire passer dans ses livres; et surtout, sa fraternité d'artiste augmente, depuis qu'il voit Claude perdre pied, sombrer au fond de la folie héroïque de l'art [343]. Lui connaît la lutte, il supporte gaillardement les attaques et ignore le besoin peu fier de se créer des sympathies; l'insulte lui paraît saine, c'est une mâle école que l'impopularité, rien ne vaut, pour vous entretenir en souplesse et en force, la buée des imbéciles. Il suffit de se dire qu'on a donné sa vie à une œuvre, qu'on n'attend ni justice immédiate, ni même examen sérieux, qu'on travaille enfin sans espoir d'aucune sorte, uniquement parce que le travail bat sous votre peau comme le cœur, en dehors de la volonté, et l'on arrive très bien à en mourir, avec l'illusion consolante qu'on sera aimé un jour [352].

Un brusque succès se déclare dans la vente jusque-là pénible de ses livres; le ménage, comblé de cette richesse s'installe dans un vaste appartement de la rue de Londres, où le romancier contente d'anciens désirs de jeunesse, des ambitions romantiques, nées jadis de ses premières lectures, si bien que cet écrivain, si farouchement moderne se loge dans un moyen age vermoulu [436]. Sa mère est morte, toute son existence a été bouleversée, seules les réunions d'autrefois continuent, moins régulières, toujours fermées les Sandoz ne racolant pas de clients littéraires et ne muselant pas la presse à coups d'invitations. Ce sont maintenant des dîners fins, agrémentés de curiosités gastronomiques. Mais les vieilles amitiés de la bande n'en sont plus à la fissure, à la fente à peine sensible que Sandoz n'apercevait pas, dans ses jeudis de la rue Nollet; ce n'est plus l'ennui vague, la satiété somnolente qui attristait parfois les anciennes soirées; c'est maintenant la férocité dans la lutte, un besoin de détruire. Maboudeau et Gagnière dévorent Fagerolles, celui-ci a depuis longtemps tiré un égoïste profit de la haine qu inspire la bande, le lamentable Dubuche a raté sa vie, Jory arrivé ne donne jamais un coup de main aux camarades, et ils ne sont tous d'accord que contre Claude, contre ce grand enfant d'artiste qu'ils accusent de les avoir exploités. C'est le sauve-qui-peut, les derniers liens qui se rompent, dans la stupeur de se voir tout d'un coup étrangers et ennemis, après une longue jeunesse de fraternité. La vie les a débandés en chemin, les profondes dissemblances apparaissent, il ne leur reste à la gorge que J'amertume de leur ancien rêve enthousiaste, cet espoir de bataille et do, victoire côte à côte, qui maintenant aggrave leur rancune [449].

Et Sandoz voit fuir sa chimère d'éternelle amitié [451]. C'est la fin de la longue illusion qui lui a fait mettre le bonheur dans quelques amitiés choisies dès l'enfance, puis goûtées jusqu'à l'extrême vieillesse. Et devant l'inconsistance des hommes, des doutes lui viennent sur l'enquête des siècles à venir; on se console d'être injurié, nié, on compte sur la justice de la postérité, on est comme le fidèle qui supporte l'abomination de celte terre, dans la ferme croyance à une autre vie, où chacun sera traité selon ses mérites; mais peut-être n'y aura-t-il pas plus de paradis pour l'artiste que pour le catholique, les générations futures se tromperont comme la nôtre, continuant le malentendu, préférant aux œuvres puissantes les petites bêtises aimables [432].
 

Ce qui le réconforte, c'est de croire que nous marchons à la raison et à la solidité de la science. On ne s'est jamais tant querellé, on n'y a jamais vu moins net, et c'était fatal ; ce siècle qui a fait déjà tant de clarté, devait s'achever sous la menace d'un nouveau flot de ténèbres, cet excès d'activité et d'orgueil devait nous rejeter au doute; on a trop promis, on a trop espéré, on a attendu la conquête et l'explication de tout, et l'impatience gronde, le pessimisme lord les entrailles, le mysticisme embrume les cervelles; c'est une faillite du siècle, une convulsion dernière du vieil effarement religieux, l'impuissante révolte du surnaturel sous les grands coups de lumière de l'analyse, une courte halte de fatigue et d'angoisse. Et devant la tombe de Claude Lantier, creusée dans la froide banlieue de Saint-Ouen, en ce plat cimetière de Cayenne où pas une tombe ne parle d'orgueil ni d'éternité, Pierre Sandoz, encore aveuglé par les larmes, secoue son désespoir, et, n'attendant ni bonne foi ni justice, retourne au travail, unique source d'énergie et de joie. (L'Œuvre.)

Sandoz (Madame Pierre). — Une orpheline, la simple fille de petits commerçants sans un sou, mais belle, intelligente [208]. Porte le prénom d'Henriette. Grands, le visage calme et gai, avec de beaux cheveux bruns. S'occupe de la cuisine, est fière de certains de ses plats [249]. C'est elle qui, maintenant, les soirs de réception, va faire sans bruit des visites discrètes et souriantes à la mère du romancier [260]. Lorsque, plus tard, le ménage s'installe dans un vaste appartement delà rue de Londres, Henriette a tout un petit personnel à diriger, et, si elle ne fait plus les plats elle-même, elle continue à tenir la maison sur un pied de chère très délicate, par tendresse pour son mari, dont la gourmandise est le seul vice [435]. (L'Œuvre.)

Sanquirino (Duchesse). — Dame de l'aristocratie italienne, installée à Pans. Elle a fourni au ministre Rougonles plus déplorables renseignements sur la comtesse Balbi et sa fille Clorinde [63]. (Son Excellence Eugène Rougon.)

Sans-Pouce. — L'un des chauffeurs de la bande du Beau-François [67]. (La Terre.)

Sapin. — Sergent au 106e; de ligne (compagnie Beaudoin). Homme menu et pincé, aux grands yeux vagues, à la voix grêle. Fils de petits épiciers de Lyon. Gâté par sa mère qu'il a perdue, n'ayant pu s'entendre avec son père, il est resté au régiment, dégoûté de tout, sans vouloir se laisser racheter. Puis, pendant un congé, il s'est mis d'accord avec une de ses cousines, se reprenant à l'existence, faisant l'heureux projet de tenir un commerce, grâce aux quelques sous que la demoiselle doit apporter. Il a de l'instruction, l'écriture, l'orthographe, le calcul; depuis un an, il ne vit plus que pour la joie de cet avenir. Mais, dès l'arrivée à Sedan, il a lu son malheur à l'horizon de cette ville inconnue [179], il est sûr d'être tué le lendemain. Et le 1er septembre, sur le plateau de l'Algérie, plein de son idée fixe, répétant d'un air calme qu'il va être tué, le sergent Sapin a le ventre ouvert par un obus qu'il a vu venir trop tard, pour l'éviter; il dit simplement : « Ah voilà ! » et sa petite figure, aux grands yeux bleus, n'est que profondément triste, sans terreur [248]. (La Débâcle.)

Sapin (La). — Vieille sorcière de Magnolles. Pratique l'avortement et enseigne des moyens magiques pour supprimer les grossesses [442]. (La Terre.)

Sarriet (Madame). — Sœur de madame Lecœur et de madame Gavard. Mère de la Sarriette. Elle a envoyé un jour sa fille à madame Lecœur, sans plus s'en occuper [76]. (Le Ventre de Paris.)

Sarriette (La). — Nièce de madame Lecœur et de feue madame Gavard. Marchande de fruits aux Halles. Adorable petite femme brune, à voix douée et lente, riant toujours, montrant ses dents; elle a un fichu rouge mal attaché qui laisse voir une ligne blanche de sa gorge au milieu [16]. Envoyée de la campagne par sa mère, madame Sarriet, elle a grandi près de sa tante Lecœur, au milieu des Halles [76].  Populacière, avec son visage pâle de vierge brune, elle a dédaigné les messieurs qui venaient acheter des fromages uniquement pour la voir, et elle a choisi le beau Jules, un porteur des Halles, qui, avant ainsi la chance de posséder une petite femme qui travaille pour deux, se livre aux douceurs de l'oisiveté. Us habitent ensemble rue Vauvilliers. Les aventures de Gavard font cesser une brouille survenue entre la nièce et, la tante, mais pendant que celle-ci prend la vie au tragique, l'amie de Jules reste amusée de tout, ravie devant les affolants potins de la Saget [280]. Pris dans une souricière de police, sous les yeux de sa nièce qui pourrait le sauver d'un mot, Gavard lui a remis une clé de son appartement, l'autorisant à prendre l'or si elle brûle les papiers politiques. L'insouciante Sarriette, dominée par sa tante, partage avec elle les dix mille francs de l'armoire et néglige de faire disparaître les pamphlets et caricatures, qui vont être contre Gavard une charge écrasante [345]. (Le Ventre de Paris.)

Sarteur. — Ouvrier chapelier à Plassans. Petit, très brun, le front fuyant, la face en bec d'oiseau, avec un grand nez et un menton très court, la joue gauche sensiblement plus grosse que la droite. C'est un impulsif, enfermé à l'Asile d'aliénés des Tulettes, où lui-même était venu supplier qu'on l'internât pour lui éviter un crime [78]. Soigné par !e docteur Pascal, qui lui fait îles piqûres de substance nerveuse, Sarteur sort guéri de l'Asile, il est maintenant d'une raison et d'une douceur parfaites [214]. Mais quelques mois après, repris par un accès et gardant assez de lucidité pour lutter encore contre la folie homicide, Sarteur se pend, changeant ainsi son besoin de meurtre en suicide [320]. (Le Docteur Pascal.)

Satin. — Une amie d'enfance de Nana; allait avec elle à la pension de mademoiselle Josse, rue Polonceau. A dix-huit ans, c'est une rouleuse de boulevard. Sous les frisures naturelles de ses beaux cheveux cendrés, elle a une figure de vierge, aux yeux de velours, doux et candides [30]. Satin a débuté au quartier latin et habite maintenant rue La Rochefoucauld. Elle est si voyou qu'on s'amuse à la faire causer. L'argent la laisse indifférente; quand elle a un béguin, elle s'en fait crever [273]. Les gens chics la dégoûtent; aux avances du marquis de Chouard, elle répond en allant rejoindre un ancien à elle, un pâtissier, qui lui a déjà donné toute une semaine d'amour et de gifles [177]. Longtemps, elle a couché avec un inspecteur des mœurs pour que la police la laissât tranquille; à deux reprises, il avait empêché qu'on ne la mit eu carte. Elle Finit par se laisser surprendre dans un petit hôtel meublé de la rue de Laval et Nana, qui était avec elle, réussit à se sauver [303]. Satin fréquente la table d'hôte de LaurePiédefer; c'est elle qui initie Nana aux plaisirs des habituées et dés lors, Nana y prend goût, Satin devient son vice. s'installant chez elle, lâchant en sa faveur madame Robert et peu à peu régentant toute la maison. Disparue dans une foucade, elle va mourir à Lariboisière [500]. (Nana.)

Saucisse (Le Père). — Vieux paysan de Rognes. On dit que c'est un des anciens amoureux do la Grande [391]. Il ne possède qu'un arpent de terre et a su se faire une rente viagère de quinze sous par jour en vendant son bien au père Fouan. Pour duper le vieux, il a feint d'être très malade [336]. Plus tard, terrorisé par Buteau, il consent à rompre l'engagement et rembourse même la moitié des sommes acquises. Et il se tait, par une vanité de gueux, qui ne veut pas avoir été roulé à son tour [426]. (La Terre.)

Sauvagnat. — Un ami de Pluchart. Habite Marchiennes [273]. (Germinal. )

Sauvagnat. — Chef de dépôt à la gare du Havre. Occupe près du dépôt des machines une petite maison que sa sœur tient fort salement. Auvergnat, têtu, très sévère sur la discipline, très estimé de ses chefs, il a eu les plus gros ennuis au sujet de Philomène, jusqu'au point d'être menacé de renvoi. Si, maintenant, on la tolère à cause de lui, il ne s'obstine lui-même à la garder que par esprit de famille, ce qui ne l'empêche pas, lorsqu'il la surprend avec un homme, de la rouer de coups, si rudement qu'il la laisse sur le carreau [81]. (La Bête humaine.)

Sauvagnat (Philomène). — Sœur du chef de dépôt. C'est une grande femme sèche, encore jeune pour ses trente-deux ans, anguleuse, la poitrine plaie, la chair brûlée de continuels désirs: elle a la tête longue, aux yeux flambants, d'une cavale maigre et hennissante. On l'accuse de boire. Tous les hommes de la gare ont défilé chez elle. Puis, il y a eu entre Philomène et le chauffeur Pecqueux une vraie rencontre : elle, assouvie enfin, au bras de ce grand diable rigoleur; lui, changé de sa femme trop grasse [81]. Longtemps, elle a été en mauvais termes avec Séverine Roubaud, contre qui elle soutenait lus prétentions de madame Lebleu. Mais Pecqueux, pour être agréable à son mécanicien, a fait cesser la brouille; Philomène, mêlée à l'amour de Séverine et de Jacques Lantier, s'est éprise de celui-ci, elle s'est frottée à lui comme une maigre chatte amoureuse et a fini par l'avoir [379], excitant en Pecqueux une jalousie sanguinaire [413]. (La Bête humaine.)

Sauveur (Madame). — grande couturière qui habille madame Desforges. Elle guette les occasions du Bonheur des Dames, fait des provisions considérables à chaque exposition, et les écoule en doublant et en triplant les prix [96]. (Au Bonheur des Dames.)

Sauvigny (de). — Juge au Grand Prix de Paris [409]. (Nana.)

Schlosser. — Spéculateur affiché a la Bourse. Etait secrètement associé avec Sabatani, tous deux jouant le jeu connu, l'un a la hausse, l'autre à la baisse sur une même valeur, celui qui perd en étant quille pour disparaître après avoir reçu sa part du bénéfice de l'autre [10]. (L'Argent.)

Sédille. — Fabricant de soieries, rue des Jeûneurs. A des ateliers à Lyon. Face grasse, gros favoris blonds. Vient enfin de faire de son commerce de soies un des plus connus et des plus solides de Paris, lorsqu'à la suite d'un incident de hasard, la passion du jeu se déclare et se propage en lui, avec la violence destructive d'un incendie. Il regrette d'avoir donné trente ans de sa vie pour gagner un pauvre million, lorsque, en une heure, par une simple opération do Bourse, on peut conquérir la fortune. Il s'est peu à peu désintéressé de sa maison qui marche par la force acquise, il ne vit plus que dans l'espoir d'un coup d'agio triomphant. Puis, lorsqu'après deux gains considérables, la déveine est venue, persistante, il engloutit là tous les bénéfices de son commerce. C'est, un joueur sans flegme, sans philosophie, vivant dans le remords, toujours espérant, toujours abattu, malade d'incertitude, et cela parce qu'il reste honnête au fond [108]. Daigremont le met dans la Banque Universelle, il fait partie du conseil d'administration, son sort est bientôt lié à celui de Saccard et, au jour de la catastrophe, Sédille foudroyé, déchu, incapable et indigne de reprendre les affaires, est déclaré en faillite.[394]. (L'Argent.)

Sédille (Gustave). — Fils du fabricant. Grand garçon élégant, très lancé, pourvu d'argent. Il a été placé chez l'agent de change Mazaud, pour étudier le mécanisme des affaires financières, et il prend à l'aise son emploi, en simple amateur qu'on ne paye pas, résigné à passer là un an ou deux pour faire plaisir à son père [84.]. Distingué par la petite madame Conin [1121, amant de Germaine Cœur qui lui coûte cher [346], Gustave Sédille est une âme de joie et de fête, apportant, les dents blanches des Fils de parvenus, bonnes seulement à croquer les fortunes faites [108]. A la débâcle paternelle, il se trouve compromis dans une vilaine histoire de billets ; la misère fera peut-être de lui un escroc [394]. (L'Argent.)

Sicardot. — Père d'Angèle Sicardot, beau-père d'Aristide Rougon. C'est un vieux capitaine retraité, qu'on appelle le commandant Sicardot. Taillé en hercule, le visage rouge brique, couturé, planté de bouquets gris, il compte parmi les plus glorieuses ganaches de la grande armée [93]. Il s'est retiré à Plassans et a marié, en 1836, sa fille Angèle avec Aristide Rougon, en lui donnant une dot de dix mille francs, toutes ses économies [76], Ce vieux soldat de Napoléon, plein de droiture et d'énergie, toujours prêt à foncer sur les perturbateurs, est l'un des familiers du salon de Pierre Rougon ; il y représente l'élément bonapartiste. Devenu chef de la Garde nationale, il se charge de maintenir l'ordre [120]. Mais au coup d'Etat, chef sans troupe, il est pris par les insurgés et emmené avec les autres autorités de la ville [187] ; quand il revient à Plassans, il trouve Pierre en pleine apothéose. D'abord ennuyé de n'être plus le seul homme décoré de la bande, il s'échauffe sur le courage déployé par Rougon, le décore de ses mains loyales et, réconcilié du même coup avec son gendre Aristide, il fournit à cet ancien démagogue les fonds nécessaires pour aller chercher fortune à Paris [372]. (La Fortune des Rougon.)

Sicardot. — A son arrivée à Paris, en 1851, Aristide Rougon a pris d'abord ce nom, qui est celui de sa femme. Il a habité une huitaine de jours, rue de la Harpe, dans une chambre que sous-louait une dame, et ce n'est qu'après ce court séjour qu'il est allé rue Saint-Jacques. Aristide a signé du nom de Sicardot les six cents francs de billets souscrits à la mère de Rosalie Chavaille [31]. (L'Argent.)

Sicardot (Angèle) (l). — Femme d'Aristide Rougon, dit Saccard. Mère de Maxime et de Clotilde. Mariée en 1836, c'est une blonde molle et placide, avec un goût prononcé pour les toilettes voyantes; elle a un appétit formidable, très curieux chez une créature aussi frêle [76]. Elle adore les romans, raffole des histoires de nourrice, se fait faire les caries et consulte volontiers les somnambules. Dominée par son mari, Angèle vil très effacée et meurt presque de faim pendant quelque temps [78]. Après le coup d'état, Aristide l'emmène à Paris [372]. (La Fortune des Rougon.)

Son mari l'installe dans un étroit logement de la rue Saint-Jacques. comme un meuble gênant dont il a hâte de se débarrasser. Elle vit là, entre sa chère fillette Clotilde et son mari, acceptant la misère avec la mollesse d'une femme chlorotique [59]. Au moment où elle va devenir une gêne insurmontable pour Aristide, elle est emportée par un chaud et froid. Pendant qu'elle râle, Sidonie Rougon, pressée d'agir, maquignonne déjà avec Aristide un second mariage; leur honteuse négociation, surprise par Angèle, emplit d'épouvanté cette nature inoffensive, qui entrevoit à la dernière heure les infamies de ce monde et n'a d'ailleurs que des pensées de pardon [75]. (La Curée)

Simon (La Mère). — Vieille femme de ménage des Roubaud (173). (La Bête humaine.)

Simonnot. — Epicier à Raucourt. Après la bataille de Beaumont, les Bavarois, en marche vers le nord, traversent Raucourt où il ne reste rien à manger, depuis quarante-huit heures que passent les troupes de Mac-Mahon. Et comme les envahisseurs crèvent de faim, les yeux hors de la tête, à moitié fous, ils enfoncent les portes et les fenêtres, s'acharnent à tout démolir, parce qu'ils croient qu'on leur refuse la nourriture. Chez Simonnot, ils puisent avec leur casque dans un tonneau de mélasse, d'autres mordent dans des morceaux de lard cru, d'autres mâchent de la farine [167]. (La Débâcle.)

Simpson. — Attaché à l'ambassade américaine. A remplacé le duc de Rozan comme amant de Renée Saccard, a failli battre celle-ci et doit à cela d'être resté plus d'un an avec elle [130]. C'est un froid humoriste, plein d'imaginations fantasques et malicieuses [303]. (La Curée.) (l) Angèle Sicardot, calme et rêveuse, fille d'un commandant, mariée en 1836 à Aristide Rougon, dit Saccard. (Arbre généalogique des Rougon-Macquart.)

Sivry (Blanche de). — De son vrai nom Jacqueline Baudu. Originaire d'un village près d'Amiens. C'est une grosse fille blonde dont le joli visage s'empâte [9], une magnifique personne, bête et menteuse, qui se dit petite-fille d'un général et n'avoue pas ses trente-deux ans. Elle est très goûtée des Russes, A cause de son embonpoint [111]. Blanche de Sivry est indignée au moment de la guerre, parce qu'on a expulsé son petit Prussien, un garçon 1res riche, très doux, incapable de faire du mal à personne. Elle crie à la ruine. Si on l'embête, elle ira le retrouver en Allemagne [519]. (Nana.)

Smelten. — Boulanger à Montsou. Fait crédit pendant quelque temps aux grévistes, pour tâcher de reconquérir la clientèle attirée par Maigrat [284]. (Germinal.)

Smithson (Mademoiselle). — Gouvernante anglaise chez les Deberle [26]. (Une Page d'Amour.)

Sonneville. — Usinier à Marchiennes. Forte crise pendant la grève des mineurs de Montsou [425]. (Germinal.)

Sophie. — Ouvrière fleuriste chez Titreville. Petite personne grasse [463]. (L'Assommoir.)

Sophie. — Ancienne femme de chambre de la duchesse de Combeville. A élevé la princesse d'Orviedo et est restée seule avec elle, lorsque la princesse a quitté le monde [48]. Se retire plus tard dans son pays, du côté d'Angoulême, avec une rente de deux mille francs [4.05]. (L'Argent.)

Sophie. — Fille de Guiraude. Prédestinée à la phtisie par hérédité, elle est sauvée, grâce au docteur Pascal, qui l'envoie chez une tante à la campagne, la faisant pousser en plein soleil [51]. Pendant que son frère Valentin s'étiole et meurt dans le logis maternel, à Plassans, Sophie, loin de la contagion du milieu, a pris de la chair; elle est d'aplomb sur ses jambes, elle a les joues remplies, les cheveux abondants [53]. A dix-sept ans, on la marie avec un garçon meunier des environs [213]. (Le Docteur Pascal.)

Sophie Tourne de l'œil. — La dernière bonne amie des pochards [548]. (L'Assommoir.)

Soulas. — Le vieux berger de la Borderie, où il sert depuis un demi-siècle. Très grand, très maigre, visage long coupé de plis, comme taillé à la serpe dans un nœud de chêne [96], sous l'emmêlement de ses cheveux déteints, couleur île terre [285]. A soixante-cinq ans, il n'a rien amassé, mangé par sa femme, ivrognesse et catin, qu'il vient enfin d'avoir la joie de porter en terre. Toujours droit, résistant et noueux ainsi qu'un bâton d'épine, n'ayant que deux camarades, ses chiens Empereur et Massacre, il s'est tait une ennemie de Jacqueline Cornet, qu'il exècre, d'une haine d'ancien serviteur jaloux, révolté par la rapide fortune de cette dernière venue. Il évite tout conflit, et se tait dans la peur d'être jeté dehors comme une vieille bête infirme [287]. Mais la Cognette, lasse de le voir toujours entre elle et ses amants, finit par le faire congédier et alors il dit tout au maître Alexandre Hourdequin [483]. (La Terre.)

Sourdeau. — Un rebouteur de Bazoches-le-Doyen, bon étalement pour les blessures. Il dît des paroles et referme les plaies, rien qu'en soufflant dessus [455]. (La Terre.)

Souvarine. — Machineur à la fosse du Voreux, logé chez Rasseneur. Il est Russe. C'est le dernier-né d'une famille noble du gouvernement de Toula. A Saint-Pétersbourg, où il faisait sa médecine, la passion socialiste l'a décidé à apprendre un métier manuel, celui de mécanicien, pour se mêler au peuple, le connaître et l'aider en frère. C'est de ce métier qu'il vit maintenant, après s'être enfui à la suite d'un attentat contre la vie de l'empereur ; pendant un mois, il a vécu dans la cave d'un fruitier, creusant une mine au travers de la rue, chargeant des bombes sons la continuelle menace de sauter avec la maison [156]. Une fois déjà, il avait failli être pris dans une autre affaire, une explosion sous la voie ferrée; plusieurs conjurés et sa maîtresse Annouchka avaient été pendus sous ses yeux [509]. Renié par sa famille, sans argent, mis comme étranger à l'index des ateliers Français qui voient en lui un espion, il allait mourir de faim lorsque la Compagnie de Montsou l'a embauché, dans une heure de presse. Depuis un an, il travaille là en bon ouvrier, sobre, silencieux, faisant une semaine le service de jour et une semaine le service de nuit, si exact que les chefs le citent en exemple [156].

Agé d'une trentaine d'années, il est élancé, blond, avec une figure fine encadrée de grands cheveux et d'une barbe légère; ses dents blanches et pointues, sa bouche et son nez minces, le rose de son teint, lui donnent un air de fille, un air de douceur entêtée, que le reflet gris de ses yeux d'acier ensauvage par éclairs. Dans sa chambre d'ouvrier pauvre, il n'y a qu'une caisse de papiers et de livres. Pour lui, la femme est un garçon, un camarade, quand elle a la fraternité et le courage d'un homme; autrement, à quoi bon se mettre au cœur une lâcheté possible? Ni femme, ni ami, il ne veut aucun lien, il est libre de son sang et du sang des autres. Il ne boit jamais, il fume d'éternelles cigarettes, il vit dans l'estaminet de Rasseneur, aimant avoir sur ses genoux un lapin familier, grosse mère toujours pleine, qu'il appelle Pologne; et chaque jour, sans se lasser, d'un geste inconscient, il caresse celte bête, il passe la main sur la soie grise de son poil, l'air calmé par la douceur tiède et vivante qui s'en dégage.

La théorie politique et sociale de Souvarine est celle de la destruction, le feu aux quatre coins des villes, les nations fauchées, ce monde anéanti pour qu'il en repousse un meilleur; il faut qu'une série d'effroyables attentats épouvante les puissants et réveille le peuple [272] ; tous les raisonnements sur l'avenir sont criminels, parce qu'ils empêchent la destruction pure et entravent la marche de la révolution [273]. C'est avec un air de ferveur religieuse qu'il parle de Bakounine l'exterminateur, qui va prendre en main l'Internationale et, avant trois ans, écrasera le vieux monde. En attendant, il hausse les épaules devant les palliatifs du socialisme : bêtise la croyance en l'amélioration possible des salaires, bêtises les sociétés coopératives, bêtises les grèves [198], bêtise aussi l'action des masses se jetant vers les puits pour arrêter le travail; deux gaillards résolus font plus de besogne qu'une foule [357]. Il a le mépris des beaux parleurs, des gaillards qui entrent dans la politique comme on entre au barreau, pour y gagner des rentes, à coups de phrases; il s'irrite contre ces ouvriers dont la haine des bourgeois vient uniquement du besoin enragé d'être des bourgeois à leur place; il voudrait anéantir celle race de poltrons et de jouisseurs [453].

Et quand le troupeau vaincu reprend le chemin de la fosse, ce Souvarine qui avait eu de grosses larmes devant sa lapine Pologne mise en ragoût, décide froidement de supprimer le Voreux et tout ce qu'il contient, choses, bêtes et hommes, en y précipitant les eaux d'une mer souterraine. Il accomplit cette œuvre de témérité folle, dans une fureur de destruction où il risque vingt fois sa vie. Et lorsque le torrent envahit la mine, lorsque tout s'effondre sur la poignée de misérables agonisant au fond, Souvarine jette sa dernière cigarette et s'éloigne sans un regard en arrière, allant, de son air tranquille, à l'extermination, vers l'inconnu [536]. (Germinal.)

Spirit. — Cheval anglais, monté par Burne. Court dans le Grand Prix de Paris. C'est un grand bai brun superbe, dont les couleurs dures, citron et noir, ont une tristesse britannique [409]. Pendant la course, quand Spirit tient la tête, un sentiment d'angoisse patriotique semble étrangler tout ce inonde entassé; une ardeur de vœu extraordinaire, presque religieuse, monte pour le favori français [442]. (Nana.)

Spontini. — Un maître répétiteur du collège de Plassans. Un pion, originaire de Corse. Montre son couteau rouillé du sang de trois cousins [37]. (L'Œuvre.)

Squelette-Externe (Le). — Voir MIMI-LA-MORT.

Staderino. — Réfugié politique vénitien. Fréquente avec Brambilla et Viscardi chez la comtesse Balbi [66]. (Son Excellence Eugène Rougon.)

Steinberg (Goliath). — Engagé en 1867, comme garçon de ferme, chez le père Fouchard, à Remilly. C'est un grand bon enfant, aux petits cheveux blonds, à la large face rose toujours souriante. Il est le camarade d'Honoré Fouchard. Quand celui-ci, désespéré de ne pouvoir épouser Silvine Morange, s'engage et part pour l'Afrique, Goliath devient l'amant de Silvine, sans la forcer d'ailleurs, mettant seulement à profit une minute d'inconscience. Silvine enceinte, il a promis le mariage, reculant la formalité jusqu'à la naissance du petit, puis, brusquement, au septième mois de la grossesse, il a disparu, un raconte qu'il est allé servir dans d'autres fermes, du côté de Beaumont et de Baucourt. C'est un de ces espions dont l'Allemagne a peuplé nos provinces de l'Est [96].

Au début de la campagne, rôdant autour du 7e corps, près de Mulhouse, il est simplement expulsé du camp, ses papiers se trouvant sans doute en règle [7]. Pendant la marche vers Montmédy, se disant Alsacien emporté dans la débâcle de Frœschwilter, il est entré au service d'un fermier, à Contreuve, et il écoute les imprudents commentaires du général Bourgain-Desfeuilles[89]; Goliath est un des émissaires qui liront connaître au grand état-major allemand la marche exacte de l'armée de Châlons et suggérèrent ainsi le changement de front de la IIIe armée [98] ; quelques jours plus tard, dans les bois de Dieulet, il guide les Bavarois qui vont surprendre le 5e corps [522]. Enfin, pendant l'occupation, il possède, à la commandature de Sedan, une situation indéterminée, parcourant de nouveau 1es villages, comme chargé de dénoncer les uns, de taxer les autres, de veiller an bon fonctionnement des réquisitions dont on écrase les habitants [517].

Grand, large, le visage toujours gai, avec ses gros yeux bleus qui luisent d'un éclat de faïence, l'ancien garçon de ferme est velu d'une sorte de capote en gros drap bleu, coiffé d'une casquette de même étoffe, l'air cossu et coulent de lui; il parle sans accent, avec la lourdeur empâtée des gens du pays [523]. Très raisonnable, très conciliant, il s'étonne de la haine sourde, du mépris épouvanté qu'on lui témoigne a Remilly; il trouve tout simple que chacun serve sa pairie comme il l'entend. Et comme Goliath aime toujours Silvine et veut la posséder encore, il croit vaincre sa résistance en la menaçant d'emmener le petit Chariot en Allemagne; il parle de représailles [528]. Cette imprudence le livre aux francs-tireurs, à Guillaume Sambuc, Cabasse et Ducat; les trois hommes le prennent au piège et, après un simulacre de jugement, sous l'œil terrifié de Silvine complice, le saignent comme un porc, dans la ferme du père Fouchard [538]. (La Débâcle.)

Steiner. — Banquier à Paris. Un terrible juif allemand, un brasseur d'affaires dont les mains fondent des millions. Tout petit, le ventre déjà fort, la face ronde et encadrée d'un collier de barbe grisonnante [7], les oreilles velues. Steiner devient imbécile quand il se toque d'une femme, les voulant toutes, ne pouvant en voir une paraître au théâtre sans l'acheter, si chère qu'elle soit. A deux reprises, ce furieux appétit l'a ruiné; les filles vengent la morale en nettoyant sa caisse [116]. Rose Mignon et Nana se sont succédé pour manger ses bénéfices sur les Salines des Landes. Tombé dans le gâchis, mis aussitôt dehors par Nana, il s'est refait avec un projet de tunnel sous le Bosphore, et alors Nana le nettoie définitivement [483]. (Nana.)

Sternich (Duchesse de). — Célèbre mondaine du second Empire, dominant toutes ses galantes amies par la gloire d'avoir passé une nuit dans le lit impérial. Laide, vieillie, lassée, elle garde l'auréole du vice officiel [240]. Elle a enlevé un amant à Renée Saccard, le comte de Chibray [115]. (La Curée.)

Stewart (Lucy). — Une femme galante, la plus chic de toutes ces dames; elle a eu trois princes et un duc [110]. C'est la fille d'un graisseur d'origine anglaise, employé à la gare du Nord. A trente-neuf ans, Lucy est une petite femme maigre, mais si vive, si gracieuse, qu'elle a un grand charme [8]. Le cou trop long, la face maigre, tirée, avec une bouche épaisse, elle est phtisique et. ne meurt jamais. Très méchante langue, Lucy est parfois d'un esprit féroce [116J. Laure Piédefer la compte au nombre de ses clientes [281]. Lucy a un fils, Ollivier, et se fait passer à ses yeux pour une actrice; quand ils sont ensemble, elle prend des airs de distinction [386]. Gomme elle a couché avec un prince du sang, elle défend l'Empire au moment de la guerre ; c'est comme une affaire de famille, quoique le prince ait été d'un rat extraordinaire : le soir, en se couchant, il cachait ses louis dans ses bottes [520]. (Nana.)

Stewart (Ollivier). — Fils de Lucy. Aspirant de marine. Il est très gentil en uniforme et ne se doute pas du métier de sa mère; elle lui trouvera une héritière en province [387]. (Nana.)

Surin (Abbé). — Secrétaire de monseigneur Rousselot, archevêque de Plassans. Grand, jeune, élégant, fort aimable [42], longs cheveux blonds. L'abbé fréquente chez les Rastoil, empressé auprès des dames, se plaisant aux futilités, organisant avec les demoiselles des parties de « torchon brûlé » et se distinguant surtout à la raquette par un jeu raffiné, par une façon superbe de renvoyer le volant [207]. Monseigneur l'aime comme un fils et se fait lire par lui les odes d'Horace. (La Conquête de Plassans.)

Sylvia. — Petite actrice très appréciée des hommes du monde. Fille d'un honnête papetier, horriblement bourgeoise au fond; c'est un cœur d'usurier [145]. Elle est la maîtresse de Maxime Saccard, et celui-ci se fait aider par Renée pour payer le bijoutier de l'actrice [235]. (La Curée.)