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Rabier (Les). — Tanneurs à Beaumont, dans la ville basse, au bord du Ligneul. Le mari boit, la femme a une mauvaise conduite. Angélique Marie, fille non déclarée de Sidonie Rougon, leur a été confiée par la sœur de Rabier, Thérèse Franchomme. Injuriée, battue, souffrant le martyre, traitée d'enfant de la borne, l'enfant s'enfuit peu après et est recueillie par les Hubert [15]. (Le Rêve.)

Rachel. — Bonne de Berthe Vabre. Grande fille de vingt-cinq ans, au visage dur, au grand nez, aux cheveux très noirs. Doit être juive, mais elle le nie et dissimule ses origines. Avec son obéissance muette, son air de tout comprendre et de ni~ rien dire, ses yeux ouverts et sa bouche serrée, elle a pris possession du ménage, en servante de flair attendant l'heure fatale et prévue où madame n'aura rien à lui refuser [290]. Elle a surpris les amours de Berthe et d'Octave Mouret, et ne demanderait qu'à les favoriser ; mais comme on n'a pas eu l'adresse de la récompenser, elle dit tout au mari et provoque le renvoi de la femme, devenant alors maîtresse du logis, volant et querellant son maître avec la tranquille impudence d'une épouse [418]. Chassée après la réconciliation des époux, cette fille silencieuse, dont les autres bonnes de la maison n'avaient rien pu tirer, se venge de ses maîtres par un flot de furieuses injures, qui dépassent toutes les bornes. (Pot-Bouille.)

Rambaud (1).Frère cadet de l'abbé Jouve. Grand, carré, large figure de notaire de province, déjà tout gris à quarante-cinq ans, il garde dans ses gros yeux bleus l'air étonné, naïf et doux d'un enfant [321. Il a fondé rue de Rambuteau une spécialité d'huiles et de produits du Midi, il v gagne beaucoup d'argent. Originaire de Marseille où il a connu les Grandjean, il aide son frère à tirer d'embarras Hélène devenue subitement veuve. Fréquente chez celle-ci et se prend bientôt pour elle d'une affection profonde, presque paternelle, dont il reporte une Pelle part sur la fillette Jeanne. Partageant la haute tolérance de l'abbé, il assiste, plein d'une douleur muette, à la crise passionnelle d'Hélène Grandjean et s'offre ensuite à l'abandonnée, comme un refuge tendre etdoux. (Une Page d'Amour. )

Rambaud s'est retiré des affaires et est allé habiter Marseille avec sa femme. Son mariage a fait de lui un cousin par alliance de Lisa Quenu. A ce titre, il est nommé membre du conseil de famille de la petite Pauline [26]. Il consent par lettre à l'émancipation [117]. (La Joie de vivre.)

Rambaud mène une heureuse existence avec Hélène, qu'il idolâtre [129]. (Le Docteur Pascal.)

(1) Rambaud, se marie en 1857, avec Hélène Mouret, veuve en premières noces de Grandjean. (Arbre généalogique des Rougon-Macquart.)
 
 

Rambaud (Madame). — Voir MOURET (Hélène).

Ramond. — Élève et confrère du docteur Pascal. S'est fait une belle clientèle à Plassans. Refusé par Clotilde Rougon qui n'a pour lui qu'une très sincère affection [182], il épouse mademoiselle Lévèque [207]. Lorsque Pascal est atteint de palpitations, il l'ausculte, découvre de la sclérose [318] et le soigne avec la déférence d'un disciple [331]. Bouleversé de pitié et d'admiration, il voit mourir ce savant resté enthousiaste et passionné jusqu'à son dernier souffle [342]. (Le Docteur Pascal.)

Raimond (Madame). — Voir Lévêque (Mademoiselle).

Ranvier (Abbé). — A succédé à l'abbé Jouve comme curé de Montsou. C'est un abbé maigre, aux yeux de braise rouge [296]. Il attaque violemment la bourgeoisie, et rejette sur elle toute la responsabilité des faits de grève ; c'est la bourgeoisie qui, en dépossédant l'Église de ses libertés antiques pour en mésuser elle-même, a fait de ce monde un lieu maudit d'injustice et de souffrance [421]. Tout Montsou tremble devant ce socialiste chrétien ; ainsi que Dansaert, avec ses gendarmes, recrute des hommes pour la mine, il raccole, lui, des hommes de bonne volonté pour l'église ; son Dieu seul peut tout sauver; il exploite la grève, cette misère affreuse, cette rancune exaspérée de la faim, avec l'ardeur d'un missionnaire qui prêche des sauvages, pour la gloire de sa religion [440]. Et il a pour les faits un tel dédain, il vit si haut dans son rêve du triomphe final de l'Église, qu'il court les cornus Sans aumônes, les mains vides au milieu de cette armée mourante de besoins, en pauvre diable lui-même qui regarde la souffrance comme l'aiguillon du salut [442]. Devant les mineurs tués Par la troupe, il appelle sur les assassins la colère de Dieu, annonçant, dans une fureur de prophète, l'heure de la justice, la prochaine extermination de la bourgeoisie par le feu du ciel [489]. L'évêque finit par déplacer cet abbé compromettant [501]. (Germinal.)

Rasseneur. — Tient un cabaret entre le coron des Deux cent quarante et la fosse du Voreux, avec cette enseigne : A l'Avantage. Très bon ouvrier jadis, parlant bien, il se mettait à la tête de toutes les grèves et avait fini par être le chef des mécontents. La Compagnie l'a congédié, il a trouvé de l'argent et a planté son cabaret en face du Voreux, comme une provocation. C'est un gros homme de trente-huit ans, rasé, à la figure ronde, au sourire débonnaire. Sa maison est en pleine prospérité, il devient un centre, il s'enrichit des colères qu'il a peu à peu soufflées au cœur de ses anciens camarades [73]. Les théories socialistes lui sont étrangères; il prétend demander seulement le possible aux patrons, sans exiger, comme tant d'autres, des choses trop dures à obtenir [75].

Ce qui fait son influence sur les ouvriers des fosses, c'est la facilité de sa parole, la bonhomie avec laquelle il peut leur parier pendant des heures, sans jamais se lasser; il ne risque aucun geste, reste lourd et souriant, les noie, les étourdit, jusqu'à ce que tous crient : « Oui, oui, c'est bien vrai, tu as raison ! » Une rivalité éclate entre lui et un nouveau venu, Étienne Lantier, qui, sans respect pour sa situation acquise, apporte aux mineurs des idées nouvelles.

La jalousie de Rasseneur s'aggrave bientôt de la désertion de son débit, où les ouvriers du Voreux entrent moins boire et l'écouter [4971. Aussi eu arrive-t-il parfois à défendre la Compagnie, oubliant sa rancune d'ancien haveur congédié; il se déclare même contre la grève, uniquement parce qu'elle est préconisée par Étienne et qu'à son avis, ce dernier augmente sans doute le gâchis pour y pêcher une position [269]. Cette attitude rend très vite Rasseneur impopulaire; dans la forêt de Vandame, on le hue, on crie : « A bas le traître! » [323]. Mais, après la grève de Montsou, après l'écrasement qu'il avait prédit, l'inconstance des foules s'exerce en sa faveur; c'est lui, cette fois, qui sauve Étienne, et il retrouve sa popularité sans effort, naturellement [501]. (Germinal.)

Rasseneur (Madame). — Tenait déjà un débit, comme beaucoup de femmes de mineurs, à l'époque où Rasseneur a été congédié du Voreux; ils se sont alors déplacés et agrandis [73]. C'est une grande femme maigre et ardente, le nez long les pommettes violacées. Elle est en politique beaucoup plus radicale que son mari [75]. Son mot est qu'il faut que ça pète [158]. Dans ses violences révolutionnaires, elle se montre toujours d'une grande politesse; quand son locataire Souvarine parle de laver la terre par le sang, de la purifier par l'incendie, elle dit courtoisement : « Monsieur a bien raison » [160]. (Germinal.)

Rastoil. — Président du tribunal de Plassans. Soixante ans environ, gros homme un peu court, chauve sans barbe, la tète ronde comme une boule. Deux filles montées en graine. Un fils incapable, Séverin, qu'il rêve de caser dans la magistrature assise. La fine fleur de la légitimité se réunit chez lui; pour narguer la sous-préfecture qui est voisine, on a illuminé son jardin le soir de l'élection du marquis de Lagrifoul [417]. Peu à peu, J'abbé Faujas usera cette opposition ; il offre à Rastoil l'illusion d'un terrain neutre, et le président, habilement circonvenu par madame de Condamin, finit par lâcher Lagrifoul, devant la perspective d'un mariage pour une de ses filles et la promesse d'au emploi de substitut pour Séverin [318]. (La Conquéte de Plassans.)

Rastoil (Madame). — Femme du président du tribunal de Plassans. Quarante-cinq ans environ. C'est une petite femme grasse, à tète de brebis bêlante, très prude, pleine de dévotion, qui en a fait voir de rudes à son mari [44]. Elle a tiré autrefois l'avocat Delangre de la misère, lui envoyant jusqu'à du bois l'hiver, pour qu'il ait bien chaud [71]. Sa fille aînée est venue au monde à l'époque de cette liaison; on est d'accord pour attribuer à la jeune fille une ressemblance physique avec Delangre. (La Conquête de Plassans.)

Rastoil. (Angéline). — Fille aînée du président Rastoil. Vingt-six ans, pas belle, toute jaune, l'air maussade [43]. Elle s'attarde à des jeux de fillette, déployant des grâces pour trouver un mari. Des combinaisons politiques lui permettront d'épouser le fils du député Delangre, Lucien, presque un frère pour elle, s'il faut en croire la légende [325]. (La Conquête de Plassans.)

Rastoil (Aaurélie). — Seconde fille du président. Vingt-quatre ans environ. Un peu moins disgraciée physiquement que sa sœur, elle aurait sans doute été choisie par Lucien Delangre, mais on ne pouvait décemment marier la cadette avant l'aînée [325]. (La Conquête de Plassans.)

Rastoil (Séverin). — Fils du président du tribunal de Plassans. Grand jeune homme de vingt-cinq ans, le crâne mal fait, la cervelle obtuse [179.]. Reçu avocat grâce à la position occupée par son père, il est à peine capable de plaider. Il fait partie du Cercle de la Jeunesse, qu'il a aidé à organiser, faisant les courses, crevant d'importance [173]. Quand son père se rallie à l'Empire, on nomme Séverin substitut à Faverolles [325]. (La Conquête de Plassans.)

Ravaud. — Capitaine au 106e de ligne (colonel de Vineuil). Un jeune soldat de sa compagnie est le premier blessé amené, le matin du 11, septembre, à l'ambulance Delaherche [268]. En mars 1871, on retrouve le capitaine Ravaud à Paris, dans un régiment de formation récente, le 124e de ligne, logé à la caserne du Prince-Eugène. Jean Macquart est incorporé dans sa compagnie [584]. (La Débâcle.)

Reading (Lord). — Propriétaire d'une écurie de courses. Un de ses chevaux, Bramah, a gagné le Grand Prix de Paris [389]. (Nana.)

Rébufat. — Mari d'Eulalie Chantegreil, tante de Miette. Méger du Jas Meffren, aux portes de Plassans, avare, âpre à la besogne et au gain, il consent à recueillir Miette restée seule au monde à l'âge de neuf ans. Il la traite en valet de ferme, l'accable de besognes grossières se sert d'elle comme d'une bête de somme, surtout après la mort d'Eulalie qui protégeait l'enfant contre ses rudesses [209]. Informé par son fils Justin des sorties nocturnes de Miette, il jure de la chasser à coups de pied si elle a l'audace de revenir [192]. (La Fortune des Rougon.)

Rébufat (Madame). — Voir CHANTEGREIL (Eulalie).

Rébufat (Justin). — Fils du méger du Jas Meffren. Garçon d'une vingtaine d'années, grêle, blafard, les membres trop longs, le visage de travers; hait violemment sa cousine Miette, rêvant de se venger sur cette belle et puissante fille de sa propre laideur [192]. Il l'injurie lâchement, l'affole en lui reprochant. son père, l'espionne sans cesse, surprend son idylle avec Silvère Mouret et la dénonce au brutal Rébufat. Cet affreux galopin ne sera satisfait qu'en voyant Miette éperdue de honte [193] et Silvère assassiné [383]. (La Fortune des Rougon.)

Remanjou (Mademoiselle). — Voisine des Lorilleux, rue de la Goutte d'Or. Petite vieille qui habille des poupées à treize sous [71]. Toute fluette dans l'éternelle robe noire qu'elle semble garder même pour se coucher [85]. Elle est conviée à la noce des Coupeau et, sous le pont Royal elle raconte ses souvenirs : en 1817, elle allait dans un coin de Marne, avec un jeune homme qu'elle pleure encore [99]. (L'Assommoir.)

Renaudin. — Notaire à Paris, rue de Grammont. Jeune homme aimable. C'est lui qui dresse le contrat de mariage d'Auguste Vabre et de Berthe Josserand [175]. Il s'entend avec Duveyrier pour réaliser une vente d'immeuble au détriment des autres membres de la famille [284]. (Pot-Bouille.)

Renaudin. — Médecin à Grenelle. Joséphine Dejoie a été cuisinière chez lui [134]. (L'Argent.)

Rengade. — Gendarme à Plassans. Quand les insurgés ont envahi la caserne de la rue Canquoin, Silvère Mouret s'est attaqué à Rengade et, d'un mouvement brusque, lui a enlevé sa carabine. Dans cette courte lutte, l'arme a frappé violemment le gendarme à la face et lui a crevé l'œil droit [189]. Une semaine après, Rengade, l'œil bandé, la face sanguinolente, retrouve Silvère arrêté à Saint-Roure et ramené à Plassans; il lui casse la tête d'un coup de pistolet, assassinant avec lui un paysan de Poujols, Mourgue, à qui le jeune homme était accouplé dans la colonne de prisonniers [376]. (La Fortune des Rougon.)

Reuthlinguer (de). — Banquier à Paris, une des plus grosses fortunes de l'Europe. Blême, froid, de mœurs austères. Il fait antichambre chez Clorinde [375]. (Son Excellence Eugène Rougon.)

Rhadamante. — Surnom d'un professeur du collège de Plassans, un maître qui n'a jamais ri [37]. (L'Oeuvre.)

Richomme. — Porion au Voreux, un gros à figure de bon gendarme, barrée de moustaches grises [25]. Il s'épuise en vain à vouloir éviter une collision entre les grévistes et la troupe ; pendant que les briques pleuvent sur les soldats, il supplie d'un côté, il exhorte de l'autre, insoucieux du péril, si désespéré, que de grosses larmes lui coulent des yeux [485]. Et il est tué l'un des premiers [487]. (Germinal.)

Rivoire. — Associé de la maison Piot et Rivoire [2631. (Au Bonheur des Dames.)

Robert (Madame). — Une habituée de la table d'hôte de Laure Piédefer. C'est une femme très brune, jolie, au visage allongé, aux lèvres pincées dans un sourire discret. Elle occupe rue Mosnier un appartement sévère et bourgeois, tendu d'étoffes sombres, avec le comme il faut d'un boutiquier parisien, retiré après fortune faite. On ne lui connaît qu'un amant a la fois, pas plus, et toujours un homme respectable. C'était auparavant un chef de bureau au ministère de l'intérieur [30]. Pour le moment, elle a un ancien chocolatier, esprit grave ; quand il vient, charmé de la bonne tenue de la maison, il se fait annoncer et l'appelle « mon enfant » [276]. Madame Robert est la rivale de Nana auprès de Satin ; évincée, elle se venge en écrivant des lettres anonymes à Muffat et aux autres amants de son ennemie [359]. (Nana.)

Robin-Chagot (Vicomte de). — Agronome, ancien conseiller d'Etat, devenu vice-président du conseil d'administration de la Banque Universelle. C'est un homme doux et ladre, une excellente machine à signatures [144]. Il touche cent mille francs de primes secrètes pour tout signer sans examen, pendant les longues absences d'Hamelin, président de la Société [272]. (L'Argent.)

Robineau. — A été second du rayon de soieries, au Bonheur des Dames. La maison s'est mal conduite à son égard ; on lui avait promis depuis longtemps la situation de premier, et Bouthemont, arrivé du dehors, l'a obtenue du coup; le rayon, excité par Hutin et Favier, n'aime pas Robineau; on lui en veut surtout de ses nerfs de femme, de ses raideurs, de sa susceptibilité [195]. Renvoyé brusquement, après sept ans de service, il se décide à acheter le fonds de Vinçard, marchand de soieries rue Neuve-des-Petits-Champs ; longtemps il a hésité, les soixante mille francs dont il dispose appartiennent à sa femme et il est plein de scrupules devant cette somme, aimant mieux, dit-il, se couper tout de suite les deux poings que de la compromettre dans de mauvaises affaires [21]. Le fonds lui a coûté les deux tiers de son avoir, il ne lui reste que vingt mille francs pour marcher, mais le fabricant Gaujean, acquis aux intérêts du petit commerce, le soutiendra par de longs crédits.

C'est le conflit qui divise la maison de spécialités et les grands magasins; une lutte restée célèbre s'engage entre le mince Robineau et le puissant Octave Mouret, leur rivalité sur les failles de Lyon aboutit à un massacre des prix, à un écrasement du boutiquier sous les reins plus solides du Bonheur des Dames. [238]. L'ancienne maison Vinçard va mourir de sa témérité. Robineau restreint son personnel; Denise Baudu, employée chez lui, le quitte pour rentrer chez Mouret; il vit dans des brusqueries continuelles, perdant patience devant l'injustice des clientes [239]; mais surtout il s'affole en pensant à la ruine qui menace sa femme, élevée dans une paix heureuse, incapable de vivre pauvre ; le jour, il répète sans cesse : «Je t'ai volée, l'argent venait de toi »; la nuit, il rêve des soixante mille francs, se réveillant en sueur, se traitant d'incapable, apercevant sa chère femme dans la rue, en guenilles, mendiant, elle qu'il aime si fort, qu'il désire riche, heureuse [459]. Cette obsession le mène à l'idée de suicide; réduit aux expédients, menant une vie d'enfer pour éviter d'être mis en faillite, il finit par se jeter sous un omnibus, au carrefour Gaillon, devant les étalages du Bonheur des Dames triomphant [454]. (Au Bonheur des Dames.)

Robineau (Madame). — Femme du marchand de soieries. C'est la fille d'un piqueur des ponts et chaussées, absolument ignorante des choses du commerce. Élevée dans un couvent de Blois, très brune, très jolie, avec une douceur -aie qui lui donne un grand charme, elle a encore la gaucherie d'une pensionnaire. Adorant son mari et ne vivant que de cet amour, elle le console dans les heures difficiles ; puisqu'il l'aime bien, elle n'en demande pas davantage, elle lui donne tout, son cœur, sa vie [2391. L'utilité de la lutte lui échappe. Effarée, dépaysée dans ces affaires, auxquelles sa nature tendre ne mord pas, et qui tournent mal, il lui semble que ce serait plus gentil de vivre tranquille, au fond d'un petit logement, où l'on ne mangerait que du pain [457]. Madame Robineau est dans un état de grossesse avancée lorsqu'on lui rapporte son mari, une jambe brisée sous l'omnibus; cet affreux malheur la bouleverse, mais la cassure est simple, aucune complication ne doit se produire et la jeune femme se réjouit en pensant que, puisque la déclaration de faillite est définitive, son mari sera maintenant débarrassé du tracas des affaires [461]. (Au Bonheur des Dames.)

Robine. — Fait partie du groupe Gavard. Cinquante ans, air pensif et doux, avec un chapeau douteux et un grand pardessus marron. Le menton appuyé sur la pomme d'ivoire d'un gros jonc, il a la bouche tellement perdue au fond d'une forte barbe, que sa face semble muette et sans lèvres [128]. Ou ne l'a jamais vu sans chapeau sur la tête. Robine est le silencieux du groupe. Il écoute les autres jusqu'à minuit, mettant quatre heures à vider sa chope, regardant successivement ceux qui parlent comme s'il entendait avec les yeux. Gavard le considère comme un homme très fort. Il habite rue Saint-Denis, ne fait absolument rien et vit d'on ne sait quoi. Son silence perpétuel l'empêche d'être compromis dans le complot des Halles, mais il assiste à l'audience, où Florent l'aperçoit, s'en allant doucement au milieu de la foule [355]. (Le Ventre de Paris.).

Robine (Madame). — Femme de Bobine, habite avec lui, rue SaintDenis, un logement où personne ne pénètre. Gavard qui croit l'avoir vue de dos, entre deux portes, pense qu'elle est une vieille dame très comme il faut, coiffée avec des anglaises, mais il ne pourrait l'affirmer [129]. (Le Ventre de Paris.)

Robinot (Madame). — Connaissance des Deberle [25]. (Une Page d'Amour.)

Robiquet. — Fermier de la Chamade. A bout de bail. Il ne fume plus la terre, laisse le bien se détruire [100] et finit par se faire expulser, parce qu'il ne paye pas les fermages [473]. (La, Terre.)

Rochart (Monseigneur). — Évêque de Faverolles. Appuie les sœurs dans l'affaire Chevassu [55], est battu par le ministre Eugène Rougon et prend sa revanche contre lui, lors du scandale soulevé par la visite domiciliaire pratiquée chez les sœurs [402]. (Son Excellence Eugène Rougon.)

Rochas. — Lieutenant au 106, de ligne (colonel de Vineuil). Fils d'un ouvrier maçon venu du Limousin. Né à Paris et répugnant à l'état de son père, il s'est engagé à dix-huit ans; soldat de fortune, il a porté le sac, caporal en Afrique, sergent à Sébastopol, lieutenant après Solferino ; il a mis quinze ans de dure existence et d'héroïque bravoure pour conquérir ce grade, d'un manque tel d'instruction qu'il ne doit jamais passer capitaine [17]. En 1870, il a près de cinquante ans. C'est un grand diable maigre, avec une figure longue et creusée, tannée, enfumée; son nez énorme, busqué, tombe dans une large bouche violente et bonne, où se hérissent de rudes moustaches grisonnantes [15]. Pas commode, d'une grossièreté parfois à lui ficher des gifles, il est aimé de ses hommes, qui l'invitent à leurs repas de maraude quand la cantine des officiers est vide. il partage le mépris des soldais pour le capitaine Beaudoin, un freluquet sorti de Saint-Cyr [92].

Les appréhensions des gens sensés sur le sort de la campagne le font éclater d'un rire énorme; il en est à la légende, le troupier français parcourant le monde, entre sa belle et une bouteille de bon vin, la conquête de la terre faite en chantant des refrains de goguette. Tout son grand corps de chevalier errant exprime l'absolu mépris de l'ennemi, quel qu'il soit, dans son insouciance complète des temps et des lieux [18]. On reconduira les Prussiens jusqu'à Berlin à coups de pied dans le cul [20]. Lorsqu'il apprend la première défaite, une immense stupeur se peint dans ses yeux vides d'enfant [23], mais, malgré Frœschwiller et la déroute sur Châlons, il est retombé d'aplomb dans sa foi au courage invincible, les Prussiens seront aplatis comme des mouches [67]. L'effroyable désordre de la marche vers la Meuse, n'entame point son entêtée confiance -puisque les Prussiens sont là, on va les battre [128]. Quand on monte vers Villers, tournant le dos au canon de Beaumont, il mâche sourdement des gros mots, des injures contre tous et contre lui-même [146] ; près de Remilly, on est harcelé par l'artillerie prussienne, un éclat d'obus lui effleure la tête [151]; dans Sedan, il tombe foudroyé de sommeil devant la statue de Turenne [180] ; sur le plateau de Floing où, dédaigneux de tout abri, simplement enveloppé d'une couverture, il ronfle en héros sur la terre humide [202], son képi est jauni par les pluies, des boutons manquent à sa capote, toute sa maigre et dégingandée personne est dans un pitoyable état d'abandon et de misère; mais le matin de la bataille, il n'en est pas moins d'une crânerie victorieuse, les yeux étincelants, les moustaches hérissées [231].

Si, en sa cervelle étroite, l'idée de trahison, répandue dans l'armée, n'est pas loin de paraître naturelle, car elle explique les défaites survenues, il garde quand même son mépris fanfaron de l'ennemi, son ignorance absolue des conditions nouvelles de la guerre, son obstinée certitude qu'un vieux soldat d'Afrique, de Crimée et d'Italie ne peut pas être battu [232]. Après le plateau de l'Algérie et le calvaire d'Illy, dans la retraite en désordre qui refoule sa compagnie vers le bois de la Garenne, il garde sa belle confiance inébranlable [358]. Cerné vers quatre heures dans l'Ermitage, avec une poignée d'hommes, il reste gai, il va culbuter les armées allemandes d'un coup, très à l'aise.

Jusqu'au bout, il n'aura rien compris à cette fichue guerre, où l'on se rassemble dix pour en écraser un, où l'ennemi ne se montre que le soir après vous avoir mis en déroute par toute une journée de prudente canonnade. Et dans son obstination, enveloppé de toutes parts, il répète machinalement: « Courage, mes enfants, la victoire est là-bas », tandis qu'il se sent dominé, emporté par quelque chose de supérieur, auquel il ne résiste plus [375]. Sans songer une minute à fuir, il essaye d'anéantir le drapeau. Frappé au cou, à la poitrine, aux jambes, il s'affaisse parmi ces lambeaux tricolores, comme vêtu d'eux [376]. Et il meurt dans son ahurissement d'enfant, tel qu'un pauvre être borné, un insecte joyeux, écrasé sous la nécessité de l'énorme et impassible nature [376]. (La Débâcle.)

Rochefontaine. — Propriétaire des ateliers de construction de Châteaudun. Grand garçon intelligent et actif, très riche, trente-huit ans à peine, les cheveux ras, la barbe taillée carrément, mise correcte sans recherche, froideur brusque, voix brève, autoritaire. Tout en lui dit l'habitude du commandement, l'obéissance dans laquelle il tient les douze cents ouvriers de son usine. C'est un libre-échangiste enragé, il veut que le pain coûte bon marché pour n'avoir pas à augmenter les salaires de son personnel. Tout prêt à servir l’Empire, mais blessé de n'avoir pu obtenir l'appui du préfet aux élections, il s'est obstiné à se poser en candidat indépendant, mais ce titre lui a enlevé toute chance, les habitants des campagnes l'ont traité en ennemi publie, du moment qu'il n'était pas du côté du manche [143]. Plus tard, par suite de la disgrâce de M. de Chédeville, il devient candidat officiel, ses rudesses en imposent aux paysans qui marchent plus que jamais avec l'autorité et, du moment où il a été désigné par l'empereur, son libre-échangisme, pourtant funeste à la terre, ne l'empêche pas d'être élu [364]. (La Terre.)

Rodriguez. — Parent éloigné de l'impératrice. Réclame au gouvernement français une somme de deux millions, depuis 1808. Cette revendication, portée devant le Conseil d'État, est combattue par le président Eugène Rougon, qui mécontente ainsi l'impératrice [8] et est bientôt obligé de se retirer pour « des raisons de santé ». (Son Excellence Eugène Rougon.)

Rognes-Bouqueval (Les). — Vieille famille noble de l'ancien Danois, dont le domaine seigneurial, déjà entamé pour subvenir à des besoins d'argent, a été déclaré bien national en 1793, et racheté, pièce à pièce, par Isidore Hourdequin [31]. (La Terre.)

Roiville (Les de). — Mondains parisiens, chez qui la baronne Sandorff a rencontré quelquefois Gundermann [292]. (L'Argent.)

Rosalie. — Rempailleuse à Rognes. Pauvre femme vivant toute seule, malade et sans un sou. L'abbé Godard lui vient en aide [512]. (La Terre.)

Rose. — Fille de comptoir chez Lebigre. Petite femme blonde très douce, très soumise, poussant la soumission fort loin avec le patron. C'est elle qui sert les clients du cabinet vitré, les membres du groupe Gavard. Elle entre, elle sort, de son air humble et heureux, au milieu des plus orageuses discussions politiques. Lorsque Lebigre recherche la main de la belle Normande, c'est par Rose qu'il envoie tous les dimanches aux Méhudin une bouteille de liqueur. Et Rose se trouve chaque fois chargée pour la Normande d'un compliment qu'elle répète d'un air soumis, pas du tout ennuyé [286]. (Le Ventre de Paris.)

Rose. — Vieille servante des Mouret, à Plassans. Rougon et dévote, elle admire l'abbé Faujas et applaudit à l'évolution de Marthe, livrée à des pratiques religieuses qui lui feront peu à peu déserter le logis. Rose devient maîtresse de la maison [144], s'entend à merveille avec la mère de l'abbé, puis avec Olympe Faujas et, de libre allure, elle morigène François Mouret [ 184], allant bientôt jusqu'à le bousculer et contribuant pour une bonne part à la déchéance mentale de ce malheureux, (La Conquête de Plassans.)

Rose. — Petite paysanne des Artaud, sœur cadette de Lisa. Elle se moque des timidités de l'abbé Mouret, qui n'ose rien lui dire à confesse [286]. (La Faute de l'abbé Mouret.)

Rose. — Femme de chambre de madame Hennebeau [382]. L'émeute de Montsou la laisse très gaie, elle est du pays, elle connaît les mineurs, elle assure qu'ils ne sont pas méchants [403]. (Germinal.)

Rose. — Fille du concierge de la sous-préfecture, à Sedan. Petite blonde, à l'air délicat et joli. Travaille à la fabrique Delaherche. Le 31 août et le 1er septembre 1870, pendant que l'armée succombe sous le fer, elle assiste aux va-et-vient des officiers de l'état-major général. Son impression est qu'ils ont tous l'air d'être fous, toujours du inonde qui arrive, et les portes qui battent, et des gens qui se fâchent, et d'autres qui pleurent, et un vrai pillage dans la maison, les chefs buvant aux bouteilles, couchant dans les lits avec leurs bottes. Le maréchal de Mac-Mahon a bien dormi, tandis que l'empereur, souffrant de son affreuse maladie, gémissait toute la nuit, criant à vous faire dresser les cheveux sur la tète ; de tout ce inonde, d'ailleurs, c'est encore lui le plus gentil et qui tient le moins de place, dans le coin où A se cache pour crier [256]. Le matin du 1er, avant de partir vers les avant-postes, il s'est fait peindre la figure, pour ne pas promener, parmi son armée, l'effroi de son masque blême, décomposé par la souffrance, au nez aminci, aux yeux troubles [220]. Dans l'après-midi, Rose l'a vu sortir encore et aller sous les obus, jusqu'au pont de Meuse, puis lentement revenir, en fataliste résigné qui comprend que son destin lui refuse la mort d'un soldat. Et lorsque Napoléon III, sous le coup du sort qui brise et emporte sa fortune, réclame un armistice pour mettre fin à l'égorgement, c'est la jeune fille qui fournit une nappe à l'officier chargé de hisser le drapeau blanc.

Dans le trouble général, Rose est restée d'une fraîcheur gaie, avec ses cheveux fins, ses yeux clairs d'enfant qui s'agite, au milieu de ces abominations, sans trop les comprendre [329]. Elle voit le tumulte causé par l'annonce de la capitulation, des officiers arrachant leurs épaulettes et pleurant comme des enfants, un vieux sergent frappé de folie subite et traitant les chefs de lâches, des cuirassiers jetant leur sabre à l'eau, des artilleurs précipitant le mécanisme de leurs mitrailleuses au fond des égouts, certains enterrant ou brûlant des drapeaux, beaucoup semblant hébétés, d'autres, le plus grand nombre ayant des yeux qui rient d'aise, un allégement ravi de toute leur personne, devant le bout de leur misère, après tant de jours où ils ont souffert de trop marcher et de ne pas mange [399]. (La Débâcle.)

Rose. — Nièce du coiffeur d'Aristide Saccard. Petite jeune fille de dix-huit ans, très blonde, l'air candide. Saccard l'a placée auprès de son fils malade, Maxime, avec mission de lui donner des soins, mais, en réalité, pour enlever à l'ataxique le reste de ses mœlles [315]. Quand elle aura réussi, Aristide la payera d'un tant pour cent généreux [384]. (Le Docteur Pascal).

Roubaud. — Sous-chef de gare au Havre. Mari de Sèverine Aubry. Il est né dans le Midi, à Plassans, d'un père charretier. Sorti du service avec les galons de sergent-major, longtemps facteur mixte à la gare de Mantes, passé facteur-chef à celle de Barentin, il a connu là Séverine, filleule du président Grandmorin, et l'a longtemps désirée de loin, avec la passion d'un ouvrier dégrossi, pour un objet délicat qu'il juge précieux. Le roman de son existence a été d'obtenir cette jeune fille, de quinze ans moins âgée que lui, et qui lui semblait d'une essence supérieure; pour comble de fortune, le président a doté l'épouse et accordé sa protection au mari : c'est le lendemain de la cérémonie que Roubaud est passé Sous-chef.

Il est de taille moyenne, mais d'une extraordinaire vigueur la quarantaine approche, sans que le roux ardent de ses cheveux frisés ait pâli; sa barbe, qu'il porte entière, reste drue, elle aussi, d'un blond de soleil. Il a la tête un peu plate, un front bas marqué de la bosse des jaloux, une nuque épaisse; sa face ronde et sanguine est éclairée de deux gros yeux vifs [5]. Ses notes d'employé sont très bonnes, il est solide à son poste, ponctuel, honnête, d'un esprit borné, mais très droit, toutes sortes de qualités excellentes [6]. Ou le soupçonne seulement d'être républicain; à un petit crevé de sous-préfet qui s'entêtait à monter en première classe avec un chien, il s'est oublié à dire : « Vous ne serez pas toujours les maîtres! » Cc serait une disgrâce inévitable, sans le tout-puissant appui du précieux Grandmorin. Mais au moment même où Roubaud s'émerveille des bienfaits que lui vaut l'amitié d'un si haut personnage, il apprend brusquement la vérité : Séverine qu’il aime, qui est sa femme depuis trois ans, a été toute jeune débauchée par cet homme, elle a subi ses impuissantes caresses de vieux.

Mordu alors d'une jalousie atroce, il éprouve une faim de vengeance qui lui tord le corps et ne lui laissera plus aucun repos, tant qu'il ne l'aura pas satisfaite [26]. De ses poings d'ancien homme d'équipe, redevenant parfois la brute inconsciente de sa force, il a contraint sa femme à lui dire toute la vérité; comme malgré tout il l'aime encore, il va mettre quelque chose de solide entre eux en la rendant complice de l'assassinat qu'il médite. C'est dans l'express du Havre que le président Grandmorin est égorgé par le mari, pendant que la femme pèse sur ses jambes pour empêcher toute résistance [255].

L'alibi des Roubaud a été assez habilement établi ; ils ont su faire croire à un vol, en emportant l'argent et la montre du mort; le juge Denizet, après les avoir soupçonnés un instant, s'est égaré sur la piste du malheureux Cabuche et il a même plaidé leur innocence devant les Lachesnaye, fille et gendre du président, enragés de voir Séverine hériter de la maison de la Croix-de-Maufras ; pourtant, une complication a failli tout perdre : dans les papiers du défunt, M. Camy-Lamotte a trouvé la lettre par laquelle les Roubaud avaient attiré Grandmorin dans l'express; c'était leur perte, si la politique n'était intervenue et si l'on ne s'était, en haut lieu, décidé à étouffer l'affaire, pour ne pas mettre au jour des débauches trop compromettantes. Ils semblent donc sauvés.

Jamais Roubaud ne s'est montré un employé si exact, si consciencieux. Il vit sans remords. Mais le crime a introduit en lui une désorganisation progressive, il s'est assombri de plus en plus, n'étant vraiment gai qu'avec son nouvel ami, le mécanicien Jacques Lantier, originaire de Plassans comme lui, et qu'un hasard a placé devant le train, juste au moment où Grandmorin tombait assassiné. Jacques est le seul témoin que Roubaud redoute, il a voulu le conquérir, se l'attacher par des liens de fraternité étroite, l'empêcher ainsi de parler, et il a même chargé sa femme de circonvenir le camarade. Peu à peu, tout lien s'est rompu entre les époux, la présence de Jacques n'a plus suffi à retenir Roubaud à son foyer. Épaissi, vieilli, devenu plus sombre, il s'est mis à fréquenter un petit café du cours Napoléon, où il retrouvait Cauche, le commissaire de surveillance administrative.

Des pertes de jeu l'amènent à puiser dans la cachette où est enfoui le portefeuille de Grandmorin; la pensée de cet argent le brûlait, dans les premiers temps, il avait juré de n'y porter jamais la main. Mais ses scrupules partent un peu chaque jour. C'est une gangrène morale, à marche envahissante, qui désorganise la conscience entière Il a tué, maintenant il vole et il va être un mari complaisant; c'est avec indifférence qu'il surprend le flagrant délit de sa femme et de Jacques Lantier [282]. Il se porte fort bien, d'ailleurs, en dehors de la fatigue des nuits blanches; il engraisse même, d'une graisse lourde, les paupières pesantes sur ses yeux troubles. Et dans cette bouffissure, tout s'en va, même ses anciennes opinions politiques [306]. 

L'assassinat inexpliqué de Séverine, la trouvaille de la montre du président chez Cabuche, provoquent une nouvelle instruction du juge Denizet; celui-ci imagine un système fort logiquement déduit, d'où il résulte que Cabuche a été, dans les deux crimes, l'instrument de Roubaud et c'est en vain que celui-ci se décide à avouer la vérité pure et simple, l'unique meurtre, le meurtre passionnel qu'il a accompli en un jour de fureur. Cette version authentique n'est pas assez ingénieuse pour renverser l'échafaudage du juge d'instruction et les prétendus complices sont condamnés aux travaux forcés à perpétuité [405]. (La Bête humaine.)

Roubaud (Madame). -Voir AUBRY (Séverine).

Roudier. — Ancien bonnetier parisien, retiré à Plassans, riche propriétaire, fait partie du groupe réactionnaire qui se réunit chez les Rougon [93]. Visage grassouillet et insinuant. Roudier, autrefois garde national a Paris et fournisseur de la cour, possesseur d'une belle fortune, a beaucoup de prestige parmi les bourgeois de Plassans. A l'heure du coup d'État, il sauve l'ordre en compagnie de Pierre Rougon et de Granoux. Son passé lui vaut alors le commandement de la garde nationale réorganisée [286], poste d'honneur où Rougon le laissera à l'écart, voulant accaparer toute la gloire du massacre, se méfiant aussi de l'humanité de ce bourgeois parisien égaré en province [343]. (La Fortune des Rougon.)

Rouge d'Auneau (Le). — Lieutenant du Beau-François, chef de la bande d'Orgères. A composé une complainte en prison [68]. (La Terre.)

Rougette. — Vache achetée par les sœurs Mouche, au marché de Cloyes. C'est une cotentine blanche et noire, tête sèche, aux cornes fines et aux grands yeux bleuâtres, le ventre un peu fort sillonné de grosses veines, les membres plutôt grêles, la queue mince plantée très haut [169]. (La Terre.)

Rougon (1). — Mari d'Adélaïde Fouque. Père de Pierre Rougon. Paysan mal dégrossi, épais et commun, venu des Basses-Alpes et entré chez les Fouque comme garçon jardinier, Rougon a la chance d'être là quand la détraquée Adélaïde devient orpheline. Elle l'épouse six mois après, en 1786, et a de lui un fils, au bout d'une année. Rougon meurt presque subitement, en 1787, d'un coup de soleil reçu en sarclant un plant de carottes [49]. (La Fortune des Rougon.)

(1) Rougon, lourd et placide jardinier, marié en 1786 à Adélaïde Fouque. (Arbre généalogique des Rougon-Macquart.)

Rougon (Angélique). — Voir ANGÉLIQUE MARIE.

Rougon (Aristide). — Voir SACCARD (Aristide).

Rougon (Madame Aristide) née BÉRAUD DU CHATEL. — Voir BÉRAUD DU CHATEL (Renée).

Rougon (Madame Aristide) née SICARDOT.-Voir SICARDOT (Angèle).

Rougon (Charles). — Voir SACCARD (Charles).

Rougon (Clotilde). — Voir SACCARD (Clotilde).

Rougon (Eugène) (2). — Premier fils de Pierre Rougon et de Félicité Puech. Frère de Pascal, Aristide, Sidonie et Marthe. Il a le visage de son père, une tête de structure massive et carrée, aux traits larges. De taille moyenne, il est, à quarante ans, légèrement chauve et tourne déjà à l'obésité. Dans ces chairs épaisses, héritées du père, sont enfouies des qualités morales et intellectuelles,, des ambitions hautes, des instincts autoritaires, un mépris singulier pour les petits moyens et les petites fortunes, où l'on retrouve, amplifiés, les traits du caractère maternel. Les appétits de jouissance extraordinairement développés dans cette famille sont, ici, épurés; Eugène Rougon jouira par les voluptés de l'esprit, en satisfaisant ses besoins de domination [73].

Il a fait son droit à Paris, est rentré à Plassans, s'est fait inscrire au tableau des avocats, plaidant de temps à autre, gagnant maigrement sa vie, végétant ainsi pendant quinze ans, paraissant destiné à s'alourdir dans une honnête médiocrité. Mais, dans ce garçon endormi, il y a une force qui se cherche. Un mois avant les journées de Février, Eugène secoué d'un pressentiment se rend à Paris, n'ayant pas cinq cents francs en poche [74], et lorsqu'il revient passer quinze jours à Plassans, en avril 1849, il a lié partie avec le prince-président, dont il est l'un des agents secrets les plus actifs.

Son voyage a pour but de tâter le terrain [96]. Il trouve le salon maternel devenu le centre réactionnaire de la ville ; il décide de convertir à l'idée napoléonienne ces bourgeois attardés dans les anciens partis, confie secrètement la besogne à son père qui recevra de lui des instructions minutieuses et fréquentes, réussit sans difficulté à créer dans la petite ville cléricale un courant très nettement bonapartiste et, plus tard, au jour du triomphe, il obtient pour son père, décoré par ses soins, le poste de receveur particulier de Plassans [361]. (La Fortune des Rougon.)

Au début de 1852, il habite, rue de Penthièvre, deux grandes pièces froides à peine meublées. C'est déjà une puissance occulte, l'embryon d'un grand homme politique, plein de dédain pour le naïf appât de l'argent, animé d'ambitions vers la puissance pure [57]. Sollicité par Aristide venu de Plassans pour conquérir Paris, et comprenant à merveille que les grosses faims aiguisées par le coup d'État devront être satisfaites, il le case rapidement dans un modeste emploi où l'on n'a qu'à regarder et à écouter pour trouver la fortune. Mais, soucieux des intérêts du régime et des siens propres, il conseille à son frère de changer de nom et le prévient qu'au premier scandale trop bruyant, il n'hésitera pas à le supprimer [58]. Député de l'arrondissement de Plassans [59], puis ministre de l'intérieur, il suit de loin les progrès d'Aristide Rougon devenu Aristide Saccard ; quand cela devient nécessaire, il lui rend le service de paraître l'aimer beaucoup [290]. (La Curée.)

A son arrivée à Paris, avant les journées de Février, il avait crevé de faim avec Du Poizat et Gilquin, chez madame Mélanie Correur. La première maison qui l'ait accueilli a été celle de Bouchard, chef de bureau à l'intérieur. Devenu député des Deux-Sèvres à la Législative, où il a connu Delestang, il a pressenti l'extraordinaire fortune du prince Louis Napoléon, a été un instant ministre des travaux publics sous la Présidence et a coopéré activement au coup d'État; c'est lui qui s'est emparé du Palais-Bourbon, à la tète d'un régiment de ligne [41] « Plus tard, l'empereur l'a chargé d'une mission en Angleterre, puis il est entré an Conseil d'État et au Sénat. Chevalier de la Légion d'honneur après le Dix-Décembre, officier en janvier 1852, commandeur le 15 août 1854, grand officier en 1856, parvenu à la présidence du Conseil d'Etat, il est l'un des dignitaires impériaux les plus en vue. Il habite rue Marbeuf un hôtel dont l'empereur lui a fait cadeau [129]. A quarante-six ans, ses épaules se sont encore élargies, il a une grosse chevelure grisonnante plantée sur son front carré; son grand nez, ses lèvres taillées en pleine chair, ses joues longues, sans une ride, ont une vulgarité rude, que transfigure par éclairs la beauté de la force [15]. Au repos, il a une altitude de taureau assoupi [24].

L'erreur de Rougon, qui est un chaste, est de ne pas croire à la toute puissance de la femme. Sa rencontre avec Clorinde, une aventurière de haut vol qui a rêvé de se faire épouser par lui, et dans laquelle il n'a su entrevoir qu'une maîtresse excitante, va lui prouver son erreur; Clorinde se vengera en lui faisant retirer le pouvoir, qu'il mettra trois ans à reconquérir. Une autre faiblesse de Rougon est dans sa bande; il souffre du même mal que l'empereur lui-même : les faméliques qui l'entourent et dont il a besoin ne lui restent fidèles qu'à la condition d'être constamment gorgés; pour s'appuyer sur eux, il doit les combler de faveurs compromettantes, reculer à leur profit les limites de l'arbitraire, prêter ainsi le flanc à ses ennemis, tout en se grisant avec bonheur de l'orgueil de ses propres abus. Entouré de cette bande aux dents aiguës, il n'éprouve, lui, qu'un amour du pouvoir pour le pouvoir, dégagé des besoins de vanité, de richesses, d'honneurs. Il est certainement le plus grand des Rougon [155]. Son rêve, pendant qu'il paraît s'absorber faire des réussites compliquées [231], est de devenir très puissant, afin de satisfaire ceux qui l'entourent, au delà du naturel et du possible [245].

Politiquement, il est l'homme des situations graves, l'homme aux grosses pattes, suivant le mot de Marsy [158]. Son nom signifie répression à outrance, refus de toutes les libertés, gouvernement absolu [267]. Il est de ceux qui ont fondé l’Empire dans la boue et dans le sang. Au lendemain de J'attentat de la rue Le Peletier, attentat que Gilquin lui a révélé quelques heures à l'avance et qu'il a froidement laissé s'accomplir, parce qu'il espérait bien ramasser le pouvoir dans les décombres, l'empereur le rappelle au ministère et c'est alors un coup de balai parmi les dix mille suspects oubliés au Deux-Décembre [266], il répartit à sa guise les arrestations par départements, ne se souciant que des chiffres et laissant le choix d'es noms à ses sous-ordres [297], il censure tout, même les feuilletons [300], il patauge en plein arbitraire.

Mais au fond, il a plutôt des besoins que des opinions, il estime le pouvoir trop nécessaire à sa fureur de domination pour ne pas l'accepter sous quelque condition qu'il se présente. Et quand la cervelle fumeuse de Napoléon III trouve l'idée de l'Empire libéral, c'est Rougon qui, donnant un démenti à sa vie entière, se charge d'appliquer la nouvelle politique. Cet homme, pour qui le parlementarisme n'était que le fumier des médiocrités, et qui se vantait de mâter les évêques, célébrera de sa grosse voix brutale le rétablissement de la tribune et s'agenouillera devant le pape. Il a reconquis le' pouvoir, en marche vers sa royauté triomphale de vice-empereur. (Son Excellence Eugène Rougon.)

En 1864, toujours au pouvoir, il a vu son frère Saccard s'enliser dans les affaires. Il voudrait se défaire de lui, l'envoyer dans une colonie comme gouverneur, mais Aristide ne s'est pas laissé convaincre, il a fondé la Banque Universelle, et ses allures de casse-cou batailleur, enragé contre la banque juive, ont causé les plus graves ennuis au ministre. Rougon, prisonnier de sa politique romaine, tiraillé entre l'opposition libérale et les ultramontains, est furieux des manigances du député Huret et de la dernière déconfiture de Saccard; il prend l'énergique parti d'en finir avec ce membre gangrené de sa famille, qui, depuis des années, le gêne, dans d'éternelles terreurs d'accidents malpropres. Il le force à s'expatrier, en lui facilitant la fuite, après une bonne condamnation [376]. (L'Argent.)

L'appétit souverain du pouvoir se satisfait en lui pendant douze années consécutives de ministère. Puis, après la chute de l'Empire, redevenu simple député, réduit à l'état de majesté déchue, il est à la Chambre le témoin, le défenseur impassible de l'ancien monde emporté par la débâcle [128]. (Le Docteur Pascal.)

(2) Eugène Rougon, né en 1811 ; épouse, en 1857, Véronique Beulin d'Orchères, dont il n'a pas d'enfants. [Mélange fusion. Prédominance morale, ambition de la mère. Ressemblance physique du père]. Homme politique, ministre. Vit encore à Paris, député. (Arbre généalogique des Rougon-Macquart.)
 
 

Rougon (Madame Eugène). -- Voir BEULIN D'ORCHÈRES (Véronique).

Rougon (Marthe) (1). — Fille de Pierre Rougon et de Félicité Puech. Sœur de Pierre, Pascal, Aristide et Sidonie. Mère d'Octave, Serge et Désirée Mouret. Née à Plassans en 1820, cinquième enfant des Rougon, tard venue, a été mal accueillie par ses parents [70]. Elle a vingt ans, son père qui ne possède point de dot pour elle ne sait comment s'en défaire; à ce moment, François Mouret, fils d'Ursule Macquart et cousin germain de Marthe, devient commis dans la maison. Entre les jeunes gens naît rapidement une tendresse déterminée sans doute par leur ressemblance physique. Comme François, Marthe est le portrait même de l'aïeule Adélaïde Fouque, mais tandis que François est un gros garçon laborieux, Marthe atout l'effarement, tout le détraquement intérieur de la grand'mère [81]. Pierre Rougon les marie en 1840. Ils ont trois enfants et quittent avec eux Plassans en 1845, pour aller s'établir à Marseille [161]. (La Fortune des Rougon.)

A quarante ans, madame Mouret est parfaitement heureuse entre ses enfants et son mari, la fortune est venue, les Mouret se sont retirés à Plassans. Une vie réglée, les soucis quotidiens du commerce, ont assoupi en Marthe l'antagonisme de nature qui la séparait de François. Sa nature nerveuse a subi un amollissement qui serait sans doute définitif, si l'entrée de l'ardent abbé Faujas dans cette existence douce et comme résignée ne réveillait brusquement la névrose endormie. Le prêtre, qui a besoin de Marthe pour s'imposer au inonde féminin de Plassans, a vite fait de s'emparer de son faible esprit. Comme elle n'est pas dévote, ne fréquentant même pas l'église, Faujas la prend par des idées de charité, elle se laisse entraîner à une fondation pieuse et devient présidente de l'Œuvre de la Vierge [112]. Amusée d'abord par les détails matériels de l'organisation, elle s'habitue à l'église [118], se désintéresse des siens et s'abandonne à une vague extase qui met dans sa vie un intérêt inconnu; puis le détraquement s'aggrave, elle arrive aux pratiques religieuses, glisse à la dévotion, s'abîme en des confessions interminables, goûtant des joies naïves de communiante, se détachant de tout, laissant sa maison à vauleau, regardant d'un œil sec le départ successif de ses enfants qu'elle avait adorés, éprouvant enfin une véritable haine pour ce mari silencieux, qui rôde sans cesse autour d'elle, pareil à un remords [236].

C'est un affolement de l'être entier, la terrible crise de la quarantaine, où Marthe, toute brûlante d'ardeurs, confond dans un même culte la religion et son ministre, Dieu et l'abbé Faujas, se prenant peu à peu pour celui-ci d'une adoration charnelle. L'indifférence, la brutalité de Faujas, qui dans cette détraquée ne voit qu'un obstacle à briser, déterminent des crises nerveuses de plus en plus graves, des attaques de catalepsie qui anéantissent Marthe et lui donnent l'apparence d'une femme rouée de coups. C'est alors que s'établit la légende des brutalités de Mouret, soigneusement répandue par les Trouche et confirmée par les silences approbateurs de Marthe. La crise finale a lieu après une affreuse explication avec Faujas, où l'hystérique, écrasée sous les duretés du prêtre, violemment chassée par lui du paradis entrevu, court à l'Asile des Tulettes pour délivrer son mari, le trouve en état de folie complète et, frappée de terreur, se sauve chez sa mère, où elle meurt le même soir, dans la rouge clarté de l'incendie allumé par le fou [402]. (La Conquête de Plassans.)

(1) Marthe Rougon, née en 1820 ; épouse, en 1840, son cousin François Mouret, dont elle a trois enfants ; meurt, en 1864, dans une crise nerveuse. [Hérédité en retour sautant une génération. Hystérique. Ressemblance morale et physique d'Adélaïde Fouque. Marthe et François, les deux époux, se ressemblent. (Arbre généalogique des Rougon-Macquart.)

Rougon (Maxime).Voir SACCARD (Maxime).

Rougon (Madame Maxime).Voir MAREUIL (Louise de).

Rougon (Pascal). — Voir PASCAL (Le Docteur).

Rougon (Pierre) (1). — Fils d'Adélaïde Fouque et du jardinier Rougon. Père d'Eugène, Pascal, Aristide, Sidonie et Marthe. Né en 1787, Pierre n'a point connu son père, mort après quinze mois de mariage. Il est élevé dans l'enclos Fouque en compagnie d'Antoine et d'Ursule, les enfants nés des amours de sa mère avec le contrebandier Macquart, ceux que le faubourg de Plassans appelle les louveteaux. De taille moyenne, de face longue et blafarde, un peu grosse, il a les traits de Rougon, avec certaines finesses du visage maternel. Il est un paysan comme son père, mais un paysan à la peau moins rude, au masque moins épais, à l'intelligence plus large et plus souple. Ce mélange équilibré se retrouve au moral. Pierre Rougon a une ambition sournoise et rusée, un besoin insatiable d'assouvissement, un cœur sec, un fond de sagesse raisonnée, où se sont mêlés les traits du caractère de ses parents [56].

A dix-sept ans, l'égoïsme s'éveille en lui, il juge froidement la situation, constate le gaspillage qui va tout emporter et, jugeant que, seul fils légitime, il a droit à la fortune entière, il décide d'évincer tout le monde et de rester seul maître. En peu d'années, servi par les circonstances, doué d'une invincible ténacité, il s'est débarrassé des louveteaux, il a réduit sa mère à une complète soumission, réalisé la fortune et mis dans sa poche, par un véritable vol légal, les cinquante mille francs qui formaient tout le patrimoine de famille [64].

Comme il a un invincible besoin de jouissances régulières et qu'il rêve d'appartenir au inonde du commerce, il épouse Félicité Puech, en 1810, s'associe avec son beau-père dans la vente des huiles et devient dès lors un petit bourgeois, très supérieur déjà à son père, le rustre venu des Basses-Alpes pour travailler chez les Fouque. Après quelques bonnes années, une série de malchances atteint le ménage Rougon, où l'ambition terre à terre du mari, facilement désemparée, est soutenue, ranimée, entraînée par la femme. Cinq enfants surviennent, de 1811 à1820, dont trois garçons, que Rougon, désabusé, laisserait croupir dans l'ignorance, si l'intelligente Félicité n'y mettait bon ordre, reconstituant déjà sur leur tète l'édifice de sa fortune. Ce sont alors de longues années de lutte pénible, de travail incessant, de mesquineries misérables, au bout desquelles les Rougon doivent s'avouer vaincus, avant amassé en tout une maigre rente de deux mille francs qui les réduit à l'état de petits rentiers et ne leur donne même pas accès dans le quartier neuf, objet de leurs convoitises [81].

On est à la veille de la révolution de 1818. A cette époque, Pierre Rougon a pris du ventre, l'insuccès semble l'avoir rendu plus épais et plus mou, il a toute l'allure d'un respectable bourgeois, un air nul et solennel, mais il lui manque de grosses rentes pour être tout à fait digne. Sous la placidité naturelle de ses traits, il cache des sentiments haineux, il est sourdement exaspéré par sa mauvaise chance et, comme Félicité, comme son frère Macquart, comme ses fils Eugène et Aristide, il est prêt à tout pour assouvir enfin son -âpre désir de fortune. Conseillés par le marquis de Carnavant, qui a besoin de leur intermédiaire pour parvenir jusqu'aux bourgeois de Plassans, les Rougon réussissent à centraliser chez eux le mouvement réactionnaire. Un peu méprisé des riches qui l'entourent, mais n'hésitant pas à se compromettre parce qu'il a tout à gagner et rien à perdre, poussé ardemment par sa femme, Pierre semble bientôt être le chef actif du parti conservateur. D'abord royaliste, il s'est rallié au bonapartisme dès que son fils aîné l'a mis dans la confidence des événements et lui a promis, après réussite, un poste dans les finances.

Au coup d'État, Rougon, soigneusement stylé par Eugène, guidé par Félicité qui lui laisse l'illusion de tout conduire, devient dans Plassans l'homme nécessaire. Il se cache au moment opportun, réparait pour délivrer la mairie, s'empare de la poignée d'émeutiers dirigés par Antoine Macquart, organise un simulacre de bataille pour se donner les apparences de l'héroïsme, puis s'institue président de la commission municipale. Craignant de n'être pas pris au sérieux dans son rôle de sauveur, il organise, avec la complicité du lâche Antoine, un abominable guet-apens qui glace de terreur la population de la ville et fait du mari de Félicité un terrible monsieur dont personne n'osera plus rire [353]. Encore rouge du sang versé, Rougon reçoit la croix de la Légion d'honneur, en attendant le poste rémunérateur qui va payer ses honteux services [361]. (La Fortune des Rougon.)

Les Rougon sont les maîtres de Plassans. Eugène, devenu ministre de l'empereur, a fondé leur fortune. Le receveur particulier Pierre Rougon est, à soixante-dix ans, un gros homme blême, il a une belle tète, une tète blanche et muette de personnage politique, une mine solennelle de millionnaire [68]. L'âge et la prospérité ont annihilé sa cervelle, ses besoins tout physiques sont largement satisfaits, il orne d'un bel effet décoratif le salon où trône sa femme. (La Conquête de Plassans.)

Devenu si gros qu'il ne remuait plus, Pierre Rougon succombe, étouffé par une indigestion, le 3 septembre 1870, après avoir appris la catastrophe de Sedan. L'écroulement du régime dont il se flattait d'être l'un des fondateurs, semble l'avoir foudroyé [11]. (Le Docteur Pascal.)

(1) Pierre Rougon, né en 1787; se marie, en 1810, à Félicité Puech, intelligente, active, bien portante; en a cinq enfants; meurt en 1870, au lendemain de Sedan, d'une congestion cérébrale déterminée par une indigestion. [Mélange équilibre. Moyenne morale et ressemblance physique du père et de la mère]. Marchand d'huile, puis receveur particulier. (Arbre généalogique des Rougon-Macquart.)

Rougon (Madame Pierre). — Voir PUECH (Félicité).

Rougon (Sidonie) (1). — Fille de Pierre Rougon et de Félicité Puech. Sœur d'Eugène, Pascal, Aristide et Marthe. Mère d'Angélique Marie. Elle est née en 1818 à Plassans. A vingt ans, elle a épousé un clerc d'avoué de Plassans et est allée se fixer avec lui à Paris [81]. (La Fortune des Rougon.)

Elle s'est établie rue Saint-Honoré, où elle a tenté avec son mari, un sieur Touche, le commerce des fruits du Midi. Mais les affaires n'ont pas été heureuses et, en 1850, on la retrouve veuve, pratiquant des métiers interlopes, dans une boutique avec entresol et entrée sur deux rues, faubourg Poissonnière et rue Papillon.

Petite, maigre, blafarde, doucereuse, sans âge certain [231], elle tient bien aux Rougon par cet appétit de l'argent, ce besoin de l'intrigue qui caractérisent la famille. Les influences de son milieu en ont fait une sorte de femme neutre, homme d'affaires et entremetteuse à la fois [69]. La fêlure de cet esprit délié est de croire elle-même à une fantastique histoire de milliards que l'Angleterre doit rembourser, appât magique dont elle sait se servir avec habileté pour griser ses clientes. Son frère aîné Eugène Rougon, qui estime fort son intelligence, l'emploie à des besognes mystérieuses ; elle a puissamment aidé aux débuts de son frère cadet Aristide, en combinant son mariage avec Renée Béraud Du Châtel et elle continue ses bons offices au ménage, servant les intérêts du mari auprès des puissants [98], offrant des amants à la femme, dont elle abrite les passades [131], mettant son entresol à la disposition du jeune Maxime Saccard [133]. Elle juge les femmes d'un coup d'œil, comme les amateurs jugent les chevaux [132] et s'emploie, moyennant finances, à protéger toutes les turpitudes et àétouffer tous les scandales. Mielleuse et aimant l'église, Sidonie est au fond très vindicative. Pleine de colère contre Renée, qui s'est révoltée devant la grossièreté d'un de ses marchés d'amour [235], elle se charge de l'espionner et dénonce à Aristide ses amours avec Maxime [310]. Cette dernière infamie lui rapporte dix mille francs [336], qu'elle va manger à Londres, à la recherche des milliards fabuleux. (La Curée.)

Son mari mort et enterré, elle a eu une fille quinze mois après, en janvier 1851, sans savoir au juste où elle l'a prise. L'enfant, déposée sans état civil, par la sage-femme Foucart, à, l'Assistance publique, a reçu les prénoms d'Angélique Marie. Jamais le souvenir de cette enfant, née d'un hasard, n'a échauffé le cœur de la mère [50]. (Le Rêve.)

Sidonie vient à l'enterrement de son cousin le peintre Claude Lantier. Elle a toujours sa tournure louche de brocanteuse. Arrivée rue Tourlaque, elle monte, fait le tour de l'atelier, flaire cette Misère Due et redescend, la bouche dure, irritée d'une corvée inutile [477]. (L'Œuvre.)

Beaucoup plus tard, lasse de métiers louches, elle se retire, désormais d'une austérité monacale, à l'ombre d'une sorte de maison religieuse; elle est trésorière de l'Œuvre du Sacrement, pour aider au mariage des filles-mères [l29]. (Le Docteur Pascal.)

(1) Sidonie Rougon, née en 1818; épouse, en 1838, un clerc d'avoué de Plassans, qu'elle perd à Paris, en 1850 ; a d'un inconnu, en 1851, une fille qu'elle met aux Enfants Assistés. [Élection du père. Ressemblance physique avec la mère]. Courtière, entremetteuse, tous les métiers, puis austère. Vit encore à Paris, trésorière de l'Œuvre du Sacrement. (Arbre généalogique des Rougon-Macquart.)

Rougon (Victor). — Voir SACCARD (Victor).

Rougon (X ... ) (1). — Fils de Clotilde Rougon, dite Saccard, et de son oncle Pascal Rougon. Sa mère était enceinte de deux mois lorsque Pascal est mort, emporté par une angine de poitrine [34-2]. Il vient au monde dans les derniers jours de mai 1874. Et Clotilde, allaitant l'enfant né de son amour, tâche de lui trouver des ressemblances. De Pascal, il a le front et les yeux, quelque chose de haut et de solide dans la carrure de la tête. Elle-même se reconnaît en lui, avec sa bouche fine et son menton délicat. Mais elle a de sourdes inquiétudes en pensant aux terribles ascendants inscrits sur l'arbre généalogique, confiante pourtant, rassurée devant les yeux limpides qui s'ouvrent ravis, désireux de la lumière [390]. (Le Docteur Pascal.)

(1) Enfant inconnu, à naître en 1874. Que sera-t-il ? (Arbre généalogique des Rougon-Macquart.)

Rousse (La). — Jeune paysanne des Artaud. Fille superbe, cheveux et peau de cuivre [283]. (La Faute de l'abbé Mouret.)

Rousse (La). — Une vache des Hamelin, cultivateurs à Soulanges (Nièvre). Angélique Marie la conduisait aux champs [14]. (Le Rêve.)

Rousseau. — Commissaire-censeur de la Banque Universelle. Partage cette fonction avec Lavignière, à qui il est complètement inféodé [139]. (L'Argent.)

Rousselot (Monseigneur). — Archevêque de Plassans. Soixante ans. Vit frileusement dans son cabinet, en douairière retirée du monde, ayant horreur du bruit, se déchargeant sur le vicaire général Fenil du soin de son diocèse. Il adore les littératures anciennes et traduit Horace en secret [151]. Cet indolent prélat, à l'amabilité enjouée, aux manières exquises, tremble devant son vicaire général, qui le mène par le bout du nez, jusqu'au jour où Faujas, venu de Paris pour arracher Plassans aux influences ultramontaines, engage la lutte avec Fenil et s'empare à son tour de l'archevêque. Au fond, celui-ci est un aimable sceptique ; il se moque de tout le monde, ne se passionnant que pour les petits vers de l'Anthologie grecque et se bornant à souhaiter que les loups qui l'entourent se mangent entre eux. (La Conquête de Plassans.)

Roussie (La). — Une hercheuse d'autrefois. Vivait au temps du vieux Bonnemort et du père Mouque [141]. (Germinal.)

Roustan (Abbé). — Vicaire à Saint-Eustache. Bel homme, d'une quarantaine d'années, l'air souriant et bon. Discret et sage, l'abbé est consulté par Lisa Quenu dans les cas difficiles, sans que jamais il soit question de religion entre eux [254]. C'est à lui qu'elle demande conseil sur la conduite que l'honnêteté l'autorise à tenir vis-à-vis de son beau-frère ; elle est décidée à se débarrasser de Florent, et l'abbé Roustan met une habileté essentiellement ecclésiastique à lui faire comprendre que tous les moyens sont bons. (Le Ventre de Paris.)

Rouvet. — Vieux paysan beauceron, du village de Zéphyrin Lacour et de Rosalie Pichon. Une de leurs joies consiste à se rappeler les raves du père Rouvet [338]. (Une Page d'amour.)

Rozan (Duc de). — A été le premier amant de Renée Saccard, grâce à l'obligeant intermédiaire de madame de Lauwerens [133]. Remarqué pour sa douceur et sa tenue, il a été trouvé, en tête-à-tête, nul, déteint, assommant [ 130]. A trente-cinq ans, las d'ennuyer les femmes de son monde, il aspire aux faveurs exclusives de Laure d'Aurigny ; mais, tenu en laisse par la duchesse sa mère, il se met entre les mains de l'usurier Larsonneau, qui lui fait des prêts à cinquante pour cent [254] Devenu maître de son patrimoine, il laisse cinq cent mille francs aux mains de Laure et mange son second demi-million avec Blanche Müller [313]. (La Curée.)

Rozan (Duchesse de). — Mère du jeune due, qu'elle tient en charte privée jusqu'à l'âge de trente-cinq ans, au point de ne pas lui donner plus d'une dizaine de louis à la fois [254.]. Cette mère, trop rigide, meurt de saisissement devant les cent cinquante mille francs de billets souscrits par son fils à l'usurier Larsonneau [343]. (La Curée.)

Rusconi (Chevalier). — Légat d'Italie. Beau brun, diplomate grave à ses heures. Il traite les affaires politiques chez la comtesse Balbi, tourne autour de Clorinde avec sa galanterie langoureuse de bel Italien [185] et seconde activement les vues de Cavour en vue d'une alliance contre l'Autriche [370]. (Son Excellence Eugène Rougon.)