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Quandieu. — Le doyen des porions de Montsou, un vieux tout blanc de peau et de poils, qui va sur ses soixante-dix ans, un vrai miracle de belle santé dans les mines. Le père Quandieu s'est raidi dans son entêtement du devoir militaire, le crâne étroit, l'œil éteint par la tristesse noire d'un demi-siècle de fond. Pendant la grève, son attitude énergique sauve la fosse de Mirou [371]. (Germinal.)

Quenu, née GRADELLE. — Sœur de Gradelle, charcutier rue Pirouette. Mariée à un Provençal qui l'a aimée à en mourir, et mère du jeune Florent qu'elle a mis au collège, elle épouse en secondes noces un Normand, le sieur Quenu, d'Yvetot, amené dans le Midi et oublié par un sous-préfet.  Ce second mari, emporté par une indigestion, la laisse veuve au bout de trois ans, avec un gros garçon. Concentrant toutes ses ambitions sur le fils du premier li, elle fait de terribles sacrifices, s'immolant et immolant le petit Quenu pour que Florent devienne avocat et soit bien posé dans la ville du Vigan, qu'elle habite. Elle meurt à la peine, avec le désespoir immense de n'avoir pu achever sa tâche [46]. (Le Ventre de Paris.)

Quenu (l). — Frère de Florent, que sa mère eut d'un premier lit. Mari de Lisa Macquart et père de Pauline. Né au Vigan. Son père est mort lorsqu'il avait deux ans, le laissant pour tout héritage à sa mère. Madame Quenu avait mis toutes ses espérances en Florent, intelligent et doux, et elle a négligé ce second fils trop gras, trop satisfait. Le petit Quenu galopine avec des culottes percées; sa mère meurt lorsqu'il a douze ans. Florent qui ne soupçonnait rien retrouve son frère dans une misère d'enfant perdu. Il se prend pour lui d'une tendresse paternelle, l'emmène à Paris et, dévoué jusqu'au sacrifice, abandonne ses études, courant le cachet, élevant ce jeune frère au logis comme un enfant gale [48].

Quenu est alors un petit bonhomme tout rond, un peu bêta, mais d'une bonne humeur inaltérable. Incapable de travaux plus compliqués, il fait le ménage et la popote, arrive ainsi à dix-huit ans, toujours traité comme une demoiselle, décide qu'il devra gagner sa vie et, après quelques essais infructueux, trouve enfin sa voie en apprenant la cuisine chez le rôtisseur Gavard. De cérébralité nulle, Quenu ignore les hautes pensées de son frère; il engraisse dans la joie. L'aventure du coup d'État, Florent jeté dans une casemate de Bicêtre et transporté à Cayenne, cette tragique secousse donne à Quenu, alors âgé de vingt-deux ans, une fièvre qui le laisse hébété pendant trois semaines; puis la bonne humeur l'emporté. Quenu est entré chez son oncle Gradelle, rue Pirouette, pour apprendre la charcuterie, cette existence l'enchante et, sevré d'argent, brutalisé parfois, il est parfaitement satisfait [35].

Bientôt Gradelle prend une fille de boutique, Lisa Macquart, qui produit une profonde impression sur Quenu. L'amour va être chez eux une bonne amitié dans une paix heureuse, ils s'épousent raisonnablement après la mort subite du vieux Gradelle, unissant les fonds de l'héritage aux dix mille francs de Lisa et ils quittent bientôt la rue Pirouette pour fonder, rue Rambuteau, une belle charcuterie, toute brillante de glaces. Cinq ans après, ils ont déjà quatre-vingt mille francs placés en bonnes renies. Une fille leur est née, Pauline, grosse et belle enfant qui leur fait honneur dans le quartier. Jusqu'en 1856, de loin en loin, Quenu a reçu des lettres de Florent, puis les lettres ont cessé et, comme un journal annonce que trois évadés de l'île du Diable se sont noyés avant d'atteindre la côte, il en a conclu que son frère était mort et il l'a pleuré [65].

Lorsque Florent revient, Quenu a trente ans. Il est gras, il déborde dans sa chemise, dans son tablier, dans ses linges blancs qui l'emmaillotent comme un énorme poupon. Sa face rasée s'est allongée, elle a pris à la longue une lointaine ressemblance avec le groin de ses cochons. Il accueille avec joie ce revenant dont il n'a pas oublié la tendresse de jadis, il l'abrite sous son toit et resterait placidement heureux si Lisa ne soulevait la question de l'héritage à partager. Son avarice, rassurée par le désintéressement de Florent, le jette plus tard dans un trouble profond ; lorsque son frère demande quelques acomptes, il s'affole devant ces billets de mille francs volatilisés, il perd sa belle humeur, sa graisse jaunit et, ayant une peur atroce de compromettre sa santé, il donne blanc seing à Lisa pour être délivré de ce Florent qui le rend malade. Un gros chagrin l'agite lorsqu'on arrête son frère, il se reproche de l'avoir livré, mais c'est une courte crise [353], vite apaisée dans la plénitude du bonheur reconquis. (Le Ventre de Paris.)

Il perd sa femme en 1863 et meurt six mois après, d'une attaque d'apoplexie, laissant sa fille Pauline sous la tutelle du cousin Chanteau, maire de Bonneville [3]. (La Joie de vivre.)

(l) Quenu, sain et pondéré, marié à Lisa Macquart en 1853. (Arbre généalogique des Rougon-Macquart.)

Quenu (Madame). — Voir MACQUART (Lisa).

Quenu (Pauline) (l). — Fille de Lisa Macquart et de Quenu, née en 1853 [64]. A cinq ans, c'est une superbe enfant, ayant une grosse figure ronde. Pauline est la fidèle amie du chien Mouton. Elle écoute avec bonheur les terribles histoires de son oncle Florent [260]. (Le Ventre de Paris.)

Elle est orpheline à dix ans. Son père a choisi le cousin Chauteau comme tuteur. Madame Chanteau vient la chercher à Paris et l'emmène à Bonneville. On a désigné, pour être subrogé-tuteur, un parent de Lisa, Aristide Saccard. La fortune s'élève à cent cinquante mille francs.

Pauline, très forte pour ses dix ans, a les lèvres grosses, la figure pleine et blanche, de cette blancheur des fillettes élevées dans les arrière-boutiques de Paris [9], grands yeux, cheveux châtains [25]. Elle a une grâce de petite Parisienne [10]. Vaillante et douée, elle fait aussitôt la conquête de la maison, du chien Mathieu, de la chatte Minouche, de tout le monde, sauf de la servante Véronique, restée glacée et jalouse. Image physique de son père et de sa mère, parfaitement équilibrée, Pauline est bonne, d'une bonté infinie, avec un perpétuel besoin de dévouement. Elle a pourtant des colères soudaines, des violences jalouses venues de quelque aïeul maternel [54] et un fond d'avarice héréditaire, le respect de l'argent, la peur d'en manquer [73]. Ces traits rendent plus douloureux et plus méritoires les perpétuels sacrifices de Pauline, qui luttera contre ses instincts, coupera les liens de son égoïsme [310], souffrira et se dépouillera victorieusement pour les autres.

Elle fait sa première communion à douze ans et demi [59]. La grande simplicité du curé l'a charmée et elle a communié d'un air très sérieux [60]. Plus tard, rebutée par les questions et les commentaires lourdauds de l'abbé Horteur, elle cesse d'aller au confessionnal et ne retourne à la messe que pour ne pas chagriner sa tante [87]. Aucune religiosité dans ses instincts de charité active.

Formée avant quatorze ans [64], curieuse de la révolution qui s'opère en elle, n'obtenant de madame Chanteau aucune explication intelligible, elle se plonge dans la lecture d'ouvrages de médecine trouvés au fond d'une armoire et apprend, comme dans un devoir, ce que l'on cache aux vierges jusqu'à la nuit des noces [66]. Elle est sauvée des idées charnelles par son amour de la santé. Après l'Anatomie descriptive et le Traité de physiologie, elle a trouvé un Manuel de pathologie et elle sort de cette étude, pourtant rudimentaire, brisée de pitié, faisant le rêve de tout connaître afin de tout guérir [67].

En moins d'une année, elle est devenue une jeune fille déjà robuste, les hanches solides, la poitrine large [69]. Elle va avoir seize ans, lorsque commencent les manœuvres de madame Chanteau sur sa fortune. C'est d'abord trente mille francs pour la création de l'usine rêvée par Lazare [73], puis dix mille francs pour la marche de l'affaire [95], d'autres sommes [97], des prélèvements continus pour les besoins du ménage, tombé dans la gêne [98]. Lorsque Pauline a dix-sept ans, on lui a déjà mangé près de cent mille francs [101]. Ce gaspillage a été facilité par l'amour de la jeune fille pour Lazare, par son ardent désir de le jeter dans l'action. Pour couvrir leur responsabilité, les Chanteau font émanciper leur pupille à dix-huit ans [117] et l'argent continue à couler.

C'est maintenant l'exploitation réglée par petites sommes, Pauline consent à tout, le chiffre de sa pension est augmenté [132], puis c'est douze mille francs pour l'estacade [136], dix mille francs pour réparer la maison qui tombe en ruine. L'héritière des Quenu a depuis longtemps vaincu ses instincts d'avarice; elle répand des aumônes dans le village, parmi tout un petit monde de souffrants qui hurlent leur douleur; elle s'ingénie à rendre la maison heureuse [262]. Pitoyable dès l'origine, elle a été pour Chanteau une précieuse garde-malade, ne se rebutant de rien, soignant le vieux bougon jour et nuit. A madame Chanteau qui, jusque dans l'agonie, l'injuriait et l'accusait de l'empoisonner, elle a doucement fermé les yeux. Elle sacrifie tout à Lazare, sourde aux remontrances du clairvoyant Cazenove, et, par un admirable oubli de soi, lorsqu'elle pense que son cousin aime Louise Thibaudier, elle dissimule son propre amour et, malgré la révolte de sa puberté féconde, accomplit le suprême sacrifice de donner l'un à l'autre les deux amoureux. La servante Véronique, dont elle a fait enfin la conquête, l'a définie très justement : « Misère l a-t-elle dit, il y en a qui sont nés pour être mangés par les autres » [196].

Ace moment, la fortune de la jeune fille est réduite à quarante mille francs. Fidèle à tous, trompée par tous [207], Pauline s'est décidée à quitter Bonneville, mais les souffrances ambiantes l'y retiennent. Toujours saine et toujours pondérée à travers une existence de douleurs, elle reste là, son invincible bonté de vierge qui sait et qui accepte la vie la cloue à cette maison où elle a gaiement sacrifié sa fortune, son cœur, sa jeunesse. Elle achève de se dépouiller en employant les deux tiers de ce qui lui reste à une assurance de cent mille francs sur son filleul, l'enfant de Lazare, elle n'a plus que cinq cents francs de rente, elle consacre vaillamment son existence à cet enfant qu'on a laissé pour mort lorsqu'il est né et qui est bien devenu sien, car il ne respirait pas, le médecin l'avait abandonné, et elle l'a fait renaître en insufflant la vie dans ses poumons inertes. (La Joie de vivre.)

Après la mort de Chanteau, elle reste à Bonneville, en face du vaste océan, toujours gaie dans son coin de morne solitude, résolue à ne pas se marier, à se donner toute au petit Paul [129]. (Le Docteur Pascal.)

(1) Pauline Quenu, née en 1853, ne s'est pas mariée. [Mélange équilibre. Ressemblance physique et morale du père et de la mère. État d'honnêteté]. Vit encore à Bonneville. (Arbre généalogique des Rougon-Macquart.)

Quinette. — Gantier de la rue Saint-Augustin, miné par la concurrence du Bonheur des Dames [263]. Tombé en faillite, il reprend du travail chez les autres, du côté de la Bastille [443]. (Au Bonheur des Dames.)

Quittard (Auguste). — Fils de Françoise. Un pauvre gamin de dix ans, si malade d'une fièvre typhoïde qu'il n'est pas transportable. Resté à Bazeilles, il est dans un lit très blanc, sa face est empourprée de fièvre et, pendant les affres de la bataille, il regarde fixement sa mère de ses yeux de flamme [215]. Lorsqu'elle est morte, tuée par un obus, et que des mouches déjà volent et se posent sur sa tête, le petit Auguste, pris du délire, appelle, demande à boire, d'une voix basse et suppliante: « Mère, réveille-toi, réveille-toi... J'ai soif, j'ai bien soif. » [223]. Il meurt brûlé dans son lit, quand les Bavarois, pris de folie furieuse, descendus à une guerre de sauvages, enragés par la longueur de la lutte, allument le village avec des torches et font de Bazeilles un brasier pour venger leurs morts, leur tas de morts sur lesquels ils marchent [293]. (La Débacle.)

Quittard (Françoise). — Veuve d'un maçon, gardienne de la teinturerie Delaherche, à Bazeilles. Avant la bataille, tous les ouvriers ont fui à travers bois, gagnant la Belgique. Françoise est restée seule, tremblante, éperdue, retenue là par son garçon, le petit Auguste, atteint de fièvre typhoïde [206]. Aux premières heures de la lutte, un éclat d'obus l'a jetée en travers de la façade éventrée, morte, les reins cassés, la tête broyée; ce n'est plus qu'une loque humaine, toute rouge, affreuse [216]. (La Débâcle.)