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Macquart (l). — Fils d’un ouvrier tanneur qui lui a laissé une masure de l’impasse Saint-Mittre, dans un faubourg de Plassans. Grand, terriblement barbu, il a une face maigre où l’on ne distingue que le luisant des yeux bruns. Contrebandier doublé d’un braconnier, il disparaît pendant des semaines, puis revient, les mains dans ses poches, menant alors une existence d’ivrogne, buvant avec un entêtement farouche. On ne parle de lui qu’en disant : « Ce gueux de Macquart » [49]. En 1788, il devient l’amant d’Adélaïde Fouque, veuve de Rougon depuis un an, et dont la propriété confine à l’aire Saint-Mittre. Deux enfants surviennent, Antoine en 1789, Ursule en 1791 ; Macquart continue sa périlleuse existence jusqu’en 1810, époque où, introduisant en France toute une cargaison de montres de Genève, il est tué à la frontière par le coup de feu d’un douanier. On l’enterre dans le cimetière d’un petit village des montagnes [61]. (La Fortune des Rougon.)

(l) Macquart, déséquilibré et ivrogne, contrebandier, amant d’Adélaïde Fouque. (Arbre généalogique des Rougon-Macquart.)

Macquart (Antoine) (2). — Fils d’Adélaïde Fouque et du contrebandier Macquart. Mari de Joséphine Gavaudan. Père de Lisa, Gervaise et Jean Macquart. Né à Plassans en 1789, il est élevé en toute liberté, dans l’enclos Fouque, entre son frère Pierre Rougon et sa sœur Ursule, et grandit franchement dans le sens de ses instincts [53]. A seize ans, c’est un grand galopin ayant les traits de son père, mais adoucis, devenus fuyants et mobiles; d’Adélaïde, il n’a que les lèvres charnues. Au moral aussi, le père domine, avec son amour du vagabondage, sa tendance à l’ivrognerie, ses emportements de brute, compliqués, sous l’influence nerveuse de la mère, d’une sournoiserie pleine, d’hypocrisie et de lâcheté. En 1809, Antoine tombe au sort et, dupé par Pierre qui a manœuvré pour empêcher son remplacement [59], il devient soldat.

Rentré à Plassans en 1815, après la chute de Napoléon, il rapporte tous ses vices naturels, développés par la vie militaire. Paresseux et ivrogne, devenu le pire des garnements [136], ruiné par Pierre qui s’est emparé du patrimoine maternel, il est décidé à ne jamais travailler, se livre à des chantages contre son frère, tire de lui quelques subsides [143], s’installe dans une chambre du vieux quartier, apprend à fabriquer la vannerie, exerce mollement ce métier en s’approvisionnant la nuit dans les oseraies de la Viorne, ce qui lui vaut quelques jours de prison [145] et se répand en imprécations contre les riches, par haine des Rougon; il commence dès lors à se poser dans la ville en républicain farouche [146].

En 1829 Antoine épouse une vendeuse de la halle, Joséphine Gavaudan, robuste et courageuse commère qui habite un logement rue Civadière et chez qui il s’installe le soir même de ses noces, s’arrangeant aussitôt une existence d’oisiveté absolue [148], exploitant cyniquement le travail de sa femme, puis celui de ses enfants, Gervaise et Jean. Il vit dans un égoïsme féroce, passe sa vie au café, s’habille chez un bon tailleur de Plassans, se vante hautement de ses escapades amoureuses, pille la maison et festoie au dehors quand te buffet est vide [154].

Rongé d’envie et de haine, terriblement bavard, étrange théoricien qui voit dans la république un moyen d’emplir ses poches, il réunit facilement autour de lui tin petit groupe d’ouvriers qui prennent naïvement ses fureurs jalouses peur des indignations honnêtes et convaincues [155]. En 1848, il croit que Plassans va lui appartenir, il rêve de terribles représailles contre les Rougon, rangés du côté de la réaction, animés d’ailleurs autant que lui d’une rage d’appétits brutaux [157].

Cherchant un allié dans la famille, il a circonvenu son neveu Silvère Mouret, jeune démocrate idéaliste, l’a exaspéré contre l’oncle Pierre en exploitant la tendresse du brave enfant pour son aïeule Adélaïde Fouque [176], n’est pas parvenu à l’associer à ses projets de vengeance personnelle, mais l’a exalté au point de le jeter, tout vibrant, dans une sanglante échauffourée.

Au moment du Deux-Décembre, Macquart est aux abois. La mort de sa femme, le départ de Gervaise et de Jean l’ont réduit à une profonde misère, sa fureur contre les riches est au paroxysme. L’abstention des libéraux honorables a fait de lui un des agents les plus en vue de l’insurrection, il se voit tenant les Rougon à la gorge, commence par perquisitionner en vain chez eux [182] et s’empare de la mairie où il se laissera bientôt prendre par son frère ennemi; puis, lorsque le coup d’état triomphe, il ne songe plus qu’à sauver sa peau et à vendre les camarades. Lâchement, il maquignonne avec sa belle-sœur Félicité un guet-apens [335] où, moyennant salaire, il mènera à la mort les ouvriers républicains qui ont cru en lui. Le crime accompli, Macquart reçoit le prix du sang et quitte la France pour quelque temps avec promesse d’un bon emploi [366]. (La Fortune des Rougon.)

Après un court exil dans le Piémont, il est rentré en France, grâce à Pierre Rougon qui, depuis le forfait perpétré ensemble, ne peut rien lui refuser. Il mène alors une existence de bourgeois gras et rente, buvant de bonnes bouteilles, cachant sous son attitude ironique des menaces de chantage qui obligent son frère à l’entretenir, comme l’entretenaient jadis sa femme et ses enfants. Il a renoncé à la place promise et vit aux Tulettes, à trois lieues de Plassans; les Rougon lui ont acheté un petit domaine [56], à deux pas de l’Asile où est enfermée tante Dide, placée ainsi sous sa surveillance.

Toujours ricanant, il suit les manœuvres de Pierre et de Félicité, devenus les maîtres de la ville; il garde sournoisement contre eux une haine de loup, multipliant ses exigences quand il sent une nouvelle intrigue à expliquer. Abouché avec l’abbé Fenil qui rêve une vengeance contre Faujas, irrité d’autre part contre Pierre qui fait la sourde oreille à un nouvel appel de fonds [258], il lâche le fou François Mouret contre les conquérants de Plassans. Mais, quand la maison de la rue Balaude est en flammes, Macquart a la rancœur d’apprendre qu’en supprimant Faujas, loin de nuire aux Rougon, il a fait leur jeu [401]. (La Conquête de Plassans.)

Il vit longtemps, à l’aise dans une terrible légende de fainéant et de bandit. Avec les Rougon, il reste correct, d’une diplomatie finaude, n’ayant gardé que son rire goguenard, exécré d’ailleurs de Félicité, à cause du linge sale d’autrefois. A quatre-vingt-quatre ans, l’oncle Macquart est encore aux Tulettes, en vieil ivrogne, salure de boisson et que l’alcool semble conserver. Sa face est comme bouillie et flambée, d’un rouge ardent de brasier; il boit de tels coups d’eau-de-vie qu’il eu reste plein, la chair baignée, imbibée ainsi qu’une éponge. L’alcool suinte de sa peau [69], et, un beau jour de juillet, le vieillard, fumant sa pipe, s’allume lui-même comme un feu de la Saint-Jean et se perd en fumée, jusqu’au dernier os [233]. Cette combustion spontanée, à laquelle Félicité assiste silencieuse [228], a tout détruit et ne laisse rien à enterrer; la famille se contente de faire dire des messes pour le repos de l’âme du mort [235]. Quand on ouvre le testament, on constate que Macquart a disposé de tout ce qu’il pouvait distraire de sa petite fortune, pour se faire élever un tombeau superbe, en marbre, avec deux anges monumentaux, les ailes repliées, et qui pleureront [236]. (Le Docteur Pascal.)

(2) Antoine Macquart, né en 1789 ; soldat en 1809 ; se marie, en 1829, avec Joséphine Gavaudan, marchande à la Halle, vigoureuse, travailleuse, mais intempérante; en a trois enfants ; la perd en 1851 ; meurt en 1873, alcoolique, de combustion spontanée. [Mélangé fusion. Prédominance morale et ressemblance physique du père]. Soldat, puis vannier, puis rentier et fainéant. (Arbre généalogique des Rougon-Macquart.)

Macquart (Madame). — Voir GAVAUDIN (Joséphine).

Macquart (Gervaise) (l). — Seconde Fille d’Antoine Macquart et de Joséphine Gavaudan. Sœur de Lisa et de Jean. Mère de Claude, Jacques, Etienne Lantier et d’Anna Coupeau. Née à Plassans en 1828, conçue dans l’ivresse, Gervaise a la cuisse droite déviée et amaigrie, reproduction héréditaire des brutalités paternelles. Chétive, toute pâle, elle est mise au régime de l’anisette par sa mère, qui adore cette liqueur. Devenue grande fille, elle est restée chétive, fluette, avec une délicieuse tête de poupée, une petite face ronde et blême d’une exquise délicatesse. Son infirmité est presque une grâce, sa taille fléchit doucement à chaque pas, dans une sorte de balancement cadencé [150]. Des huit ans, elle gagnait dix sous par jour en cassant des amandes chez un négociant voisin; entrée ensuite en apprentissage chez une blanchisseuse, elle reçoit comme ouvrière deux francs par jour ; tout son argent passe dans la poche de son père, qui godaille au dehors. A quatorze ans, Gervaise a de son amant, l’ouvrier tanneur Lantier, un premier fils, Claude, puis deux autres, qui sont recueillis par leur grand’mère paternelle, sans que Macquart consente à faire une démarche qui réglerait la situation et le priverait du salaire de sa fille. Celle-ci vit ainsi, exploitée par son père, engrossée par son amant, s’habituant à boire avec sa mère des verres de liqueur qui la soûlent à petites doses. Au début de 1851, madame Lantier et Joséphine Macquart étant mortes, Lantier retire Gervaise des mains de son père et l’emmène à Paris avec deux des enfants. (La Fortune des Rougon,)

Au bout de deux mois et demi, Lantier a mangé le petit héritage maternel, il abandonne Gervaise et les enfants dans une misérable chambre de l’hôtel Boncœur, boulevard de la Chapelle. Jetée ainsi sur le pavé de Paris, Gervaise est entrée comme ouvrière chez madame Fauconnier, blanchisseuse, rue Neuve de la Goutte-d’Or. A vingt-deux ans, elle est grande, un peu mince, avec des traits fins, déjà tirés par les rudesses de sa vie [9]. Elle ne boit plus de liqueurs comme à Plassans, ayant failli en mourir un jour, ce qui l’a dégoûtée des alcools. Son seul défaut est d’être très sensible, d’aimer tout le monde, de se passionner pour des personnes qui lui font ensuite mille misères. Elle ressemble à sa mère par sa rage de s’attacher aux gens.

Son idéal est modeste : travailler, manger du pain, avoir un trou à soi, élever ses enfants, mourir dans son lit [50]. Mais elle n’a pas de volonté, se laissant aller où on la pousse, par crainte de causer de la peine à quelqu’un [57]. C’est ainsi que, sept semaines après le départ de Lantier, elle consent à épouser Coupeau, malgré des peurs irraisonnées, de noirs pressentiments, l’hostilité évidente des Lorilleux devant qui le zingueur est si petit garçon.

Mariée, Gervaise travaille avec l’ardent désir de satisfaire son idéal. Elle fait des journées de douze heures chez madame Fauconnier, le ménage se met dans ses meubles et s’installe rue Neuve de la Goutte-d’Or, sur le palier des Goujet.  La petite Anna vient au monde dès la première année, Claude est parti au collège, les autres enfants poussent, on a pu économiser six cents francs en quatre années laborieuses, Gervaise va s’établir, lorsque Coupeau se casse une jambe en travaillant et reste étendu, puis en convalescence, pendant quatre mois. Les économies sont mangées, Coupeau a perdu le goût du travail et commence une existence d’ivrogne qui le mènera peu à peu au délire alcoolique.

Gervaise, établie dans une boutique de la maison des Lorilleux, grâce à un prêt de cinq cents francs du forgeron Goujet, qui l’aime comme une sainte Vierge [194], s’est remise bravement à la besogne, éprouvant des joies d’enfant devant son rêve réalisé; mais elle s’attriste de l’inconduite de Coupeau, ne voulant pourtant pas qu’on la plaigne, excusant son mari, le déshabillant maternellement lorsqu’il rentre ivre. Cette existence l’aveulit, elle cède à tous les petits abandons de son embonpoint naissent [221]; l’oisiveté et les désordres de l’homme commencent à porter leur fruit, la gêne arrive. D’abord, Gervaise avait rendu vingt francs par mois aux Goujet, elle ne donne plus d’argent et même contracte de nouveaux emprunts, elle fait des billets. Lantier a reparu, ramené par la grande Virginie qui, fessée, autrefois en plein lavoir, a gardé contre la blanchisseuse une sourde rancune.

Et c’est alors la lente déchéance de Gervaise qui désespère d’être jamais heureuse, placée entre un mari indigne qui maintenant la dégoûte et un ancien amant qui veut la reprendre. Elle a essayé un instant de se réfugier dans le pur amour de Goujet, mais sans force pour résister à Lantier, elle finit par succomber, presque sous les yeux de la petite Anna. Et le quartier sait l’histoire, grâce aux racontars de maman Coupeau. Gervaise a perdu tout respect d’elle-même, elle vit tranquillement ou milieu de l’indignation publique [352], ses paresses l’amollissent, elle passe dans le lit de Lantier chaque fois que Coupeau rentre ivre ou qu’il ronfle trop fort, elle se désintéresse du travail, les pratiques s’en vont une à une, elle doit renvoyer sa dernière ouvrière et ne garder que l’apprentie Augustine, la saleté pénètre dans la boutique, les dettes croissent, tout va au Mont-de-Piété de la rue Polonceau. Après une courte révolte, Gervaise finit toujours par trouver sa position naturelle [369], elle n’a de colère contre personne, sauf peut-être contre madame Lorilleux qui l’a ridiculisée sous le nom de la Banban et dont elle se venge en l’appelant Queue-de-Vache. A bout de ressources, elle se décide à céder sa boutique à la grande Virginie, qui va enfin pouvoir l’écraser. Et alors, c’est l’enfer dans une petite chambre du sixième.

Gervaise s’est mise à boire; acceptée comme ouvrière par son ancienne patronne, elle gâte tellement l’ouvrage qu’on la classe au rang de simple laveuse. Lors de la fuite de Nana, elle reste grise pendant trois jours; devenue énorme, elle lave une fois par semaine le parquet chez Virginie, dont les rapports avec Lantier la laissent indifférente. On ne veut plus d’elle nulle pari; elle dort sur la paille et en arrive à chercher sa vie dans les tas d’ordures. Enfin, après la mort de Coupeau à Sainte-Anne, Gervaise succombe à son tour; elle meurt de misère et va être emportée par Bazouge, le vieux croque-mort dont elle avait si peur autrefois. (L’Assommoir.)

Sa sœur, la charcutière Lisa Quenu, n’est jamais venue à son aide ; elle n’aimait pas les gens malheureux et avait honte de Gervuise unie à un ouvrier [96]. (Le Ventre de Paris.)

Son fils Étienne lui envoyait de temps à autre une pièce de cent sous, lorsqu’il était machineur à Lille [48]. (Germinal.)

(l) Gervaise Macquart, née en 1828; a trois garçons d’un amant, Lantier, dont l’ascendance compte des paralytiques, qui l’emmène à Paris et l’y abandonne; épouse, en 1832, un ouvrier, Coupeau, de famille alcoolique, dont elle a une fille; meurt de misère et d’ivrognerie, en 1869. [Élection du père, conçue dans l’ivresse. Boiteuse.] Blanchisseuse. (Arbre généalogique des Rougon-Macquart.)

Macquart (Jean) (l). — Troisième enfant d’Antoine Macquart et de Joséphine Gavaudan. Frère de Lisa et de Gervaise. Né à Plassans en 1831, c’est un fort gaillard, tenant de sa mère, sans avoir sa ressemblance physique. Visage aux traits réguliers, avec la froideur grasse d’une nature sérieuse et peu intelligente. Grandit avec la volonté tenace de se faire un jour une position indépendante [150]. Il apprend le métier de menuisier et, dès les premières payes, est dépouille par son père qui le traite en jeune fille et ne lui laisse pas un centime [153]. Quand on s’assomme dans le ménage, Jean se lève pour séparer son père et sa mère [155]. Lorsque celte dernière meurt, le jeune homme, las d’être exploité, quitte la maison [179]. (La Fortune des Rougon.)

Tombé au sort, il a été sept ans soldat et, en 1859, s’étant battu à Solferino et n’ayant gardé de cette journée que le souvenir d’une pluie diluvienne tombée pendant l’action [71], il est revenu d’Italie avec son congé. Un camarade, libéré comme lui, l’a emmené à Bazoches-le-Doyen; il a d’abord repris sou métier, mais les années de service l’avaient rouillé, dévoyé, dégoûté de la scie et du rabot, avaient tait de lui un autre homme, avec des habitudes de flânerie et un grand besoin de repos. Installé à la Borderie pour des réparations, il y reste comme valet de ferme, unissant par mordre à la culture, satisfaisant ainsi le tempérament de bœuf de labour qu’il tient de sa mère [91].

A vingt-neuf ans, c’est un gros garçon châtain, aux cheveux ras, à la face pleine et régulière, annonçant un mâle solide : on l’appelle Caporal, en souvenir de son métier de soldat. Il n’est pas seulement aux prises avec la terre dure qui fait payer chaque grain de blé d’une goutte de sueur, il lutte surtout avec le peuple des campagnes, que l’âpre désir, la longue et rude conquête du sol brûle du besoin sans cesse irrité de la possession. Les paysans exècrent Jean, d’abord parce qu’il a été un ouvrier, travaillant le bois au lieu de. cultiver la terre, ensuite parce qu’il s’est mis à la charrue et qu’il vient manger le pain des autres dans un pays qui n’est pas le sien. Il a fait connaissance à Rognes des sœurs Mouche, Lise et Françoise, il épouse celle-ci malgré les fureurs de Buteau et croit avoir fixé sa vie en ce coin de la Beauce. Mais jusqu’au bout, Jean reste un étranger, même pour sa femme qui ne l’aime guère et qui, assassinée par les siens, leur laisse tout, ne voulant pas qu’une moite de terre sorte de la famille et aille à l’intrus.

L’heure de la guerre va sonner. Dégoûté de la vie, n’ayant plus de courage à travailler la vieille terre de France, Jean saura du moins la défendre ; il se rengage pour aller cogner sur les Prussiens [501]. (La Terre.)

Il a été incorporé au 106e de ligne (colonel de Vineuil) et, sachant tout juste lire et écrire, n’ambitionnant même pas le grade de sergent, il fera la campagne avec les galons de caporal. Gros garçon sérieux, à la figure pleine et régulière, à la cervelle épaisse et lente, il reste calme et têtu, solide en son, espoir, devant la défaite. Les horreurs de Sedan n’ébranlent pas son optimisme : on n’est pas tous morts, après tout, il en reste, et ceux-là suffiront bien à rebâtir la maison, s’ils sont de bons bougres, travaillant dur, ne buvant pas ce qu’ils gagnent; lorsqu’on prend de la peine, on parvient toujours à se tirer d’affaire, au milieu des pires malchances; même, il n’est pas mauvais, parfois, de recevoir une bonne gifle, ça fait réfléchir et s’il y a quelque pari de la pourriture, des membres gâtés, mieux vaut les voir par terre, abattus d’un coup de hache, que d’en crever comme d’un choléra [392].

Jean a deviné en Maurice Levasseur une inimitié, une répugnance de classe et d’éducation, il voudrait échapper à ce mépris hostile [20]. Il gagne Maurice peu à peu, lui donnant d’abord une rude leçon de courage moral [33], puis le soutenant de son exemple, le soignant avec une douceur d’homme expérimenté dont les gros doigts savent être délicats à l’occasion. Le tutoiement arrive bientôt [100]. Jean s’attendrit devant la souffrance physique de Maurice, il se prive démanger pour lui et, plus tard, de même qu’il lui a sauvé la vie pendant la marche vers Sedan, Maurice le sauvez sur le champ de bataille. Puis, dans la presqu’île d’Iges, où plane la mort, Jean paye sa dette au centuple; c’est le don entier de sa personne, l’oubli total de lui-même pour l’amour de l’autre [445].

Évadé de la colonne de prisonniers, blessé dans la fuite, encore une fois sauvé par Maurice et réfugié à Remilly, où Henriette Weiss le soigne, Jean rêve un moment une femme comme elle, si tendre, si douée, si active; il se voit confusément remarié en ce pays, propriétaire d’un champ qui suffit à nourrir un ménage de braves gens sans ambition [511]. Mais comme il faut aller jusqu’au bout du désastre, la guerre civile va anéantir ce rêve.

Les cœurs de Jean et de Maurice s’étaient fondus l’un dans l’autre, pendant quelques semaines d’héroïque vie commune. Aujourd’hui, Maurice est plein de la démence qui emporte Paris, un mal venu de loin, des ferments mauvais du dernier règne; Jean, lui, est resté fort de son bon sens et de son ignorance, sain encore d’avoir poussé à part, dans la terre du travail et de l’épargne. Un arrachement sépare brusquement les deux hommes[586]. Et l’abomination s’accomplit. Maurice, le fils détraqué de la bourgeoisie, meurt sur une barricade, des mains de Jean choisi par l’inexorable destin pour accomplir l’holocauste, pour abattre ce membre gâté, dont l’amputation est devenue nécessaire. L’heureuse vie que Jean avait entrevue s’en va avec le flot de sang qui emporte le frère d’Henriette. Désormais, l’œuvre de destruction est achevée, Jean se remet en marche, retournant à la terre qui l’attend, à la grande et rade besogne de toute une France à refaire [636]. (La Débâcle.)

Licencié après la semaine sanglante, Jean est venu se fixer près de Plassans, à Valqueyras, où il a eu la chance d’épouser une forte fille, Mélanie Vial, unique enfant d’un paysan aisé, dont il fait valoir la terre [129]. Calme et raisonnable, toujours à sa charrue, il crée rapidement toute une petite famille, un enfant d’abord, puis deux autres en trois années, toute une nichée qui pousse gaillardement au soleil [385]. (Le Docteur Pascal.)

(1) Jean Macquart, né en 1831 ; épouse, en 1867, Françoise Mouche, qu’il perd en 1870, sans en avoir eu d’enfants; se remarie en 1871, avec Mélanie Vial, paysanne forte et saine, dont il a un garçon et qui est grosse de nouveau, [Innéité. Combinaison où se confondent les caractères physiques et moraux des parents, sans que rien d’eux semble se retrouver dans le nouvel être]. Paysan, soldat, puis paysan. Vit encore à Valqueyras. (Arbre généalogique des Rougon-Macquart,)
 

Macquart (Madame Jean). — Voir MOUCHE (Françoise).

Macquart (Madame Jean). — Voir VIAL (Mélanie).

Macquart (Lisa) (l). — La fille aînée d’Antoine Macquart et de Josépiline Gavaudan. Sœur de Gervaise et de Jean. Femme de Quenu. Elle est née à Plassans en 1827, un an après le mariage de ses parents ; c’est une grosse et belle enfant, très sanguine, qui ressemble beaucoup à sa mère, sera comme elle vaillante à la besogne, mais n’aura pas son dévouement de bêle de somme; elle tient de son père un besoin de bien-être très arrêté. A sept ans, Lisa a été prise en amitié par la directrice des postes; celle-ci en fait une petite bonne et, devenue veuve, l’emmène à Paris [149]. (La Fortune des Rougon,)

En 1851, c’est une belle fille bien portante, d’humeur égale, un peu sérieuse, ce qui donne un grand charme à ses rares sourires. Elle vivait rue Cuvier chez sa protectrice qui la traitait comme sa propre enfant, lorsque cette dame a été emportée par un asthme, laissant une dizaine de mille francs à Lisa. La jeune fille entre comme demoiselle de boutique chez le charcutier Gradelle, rue Pirouette, et fait très vite la conquête de la maison. Lorsque, un an après, Gradelle a été emporté par une attaque soudaine, Lisa trouve tout naturellement un mari dans le neveu Quenu, faible d’esprit mais acharné travailleur, qu’elle a dominé du premier coup en sachant découvrir le magot de l’oncle, enfoui au fond d’un saloir [59]. Bientôt ils abandonnent la médiocre boutique pour fonder une magnifique charcuterie où la belle Lisa trône comme une des reines du quartier; avec son mari et sa fille Pauline, elle forme une trinité grasse, suant la santé, luisante et superbe. Lorsque Florent revient, maigre et mourant de faim, Lisa est dans la maturité de la trentaine; c’est une belle femme, point trop grosse pourtant, forte de la gorge; ses cheveux lissés, collés et comme vernis lui descendent en petits bandeaux plats sur les tempes. Elle a un grand air d’honnêteté.

C’est une Macquart rangée, raisonnable, logique avec ses besoins de bien-être, ayant compris que la meilleure façon de s’endormir dans une tiédeur heureuse est encore de se faire soi-même un lit de béatitude [56]. Elle est d’un égoïsme tranquille et béat, écartant, toutes les causes possibles de trouble, laissant couler les journées au milieu de cet air gras, de cette prospérité alourdie [64]. L’arrivée de son beau-frère lui a laissé tout son calme; comme les mauvaises pensées la dérangeraient trop, elle parle aussitôt de partager fa succession Gradelle et, pour ramener à renoncer à cet acte désintéressé, il faut toute la résistance de Florent.

Mais celui-ci, installé chez son frère, promenant dans la boutique sa lassitude et sa tristesse, impatiente bientôt la belle madame Quenu, pleine de mépris pour les gens qui se croisent les bras. Habituée à tout régenter, Lisa sait vaincre les répugnances du républicain pour un emploi officiel; elle ne lui a, du reste, aucune reconnaissance de cette faiblesse [113]. Sa froideur de femme grasse et arrivée, son instinctive méfiance pour ce maigre inquiétant, se transforment bientôt en une hostilité active. Lisa ne pardonne pas à Florent son amitié pour la belle Normande, brouillée à mort avec elle; ce doux rêveur sera écrasé par la formidable rivalité des deux femmes. Quand il entraîne son frère chez Lebigre, aux réunions bavard, Lisa, émuepar les racontars de la Saget, commence son œuvre de défense; tout en faisant grand étalage de patience et en se gardant dédire du mal de Florent, elle ramèneQuenu aux saines idées politiques et le poussepeu à peu vers le désir d’ue rupture avec ce frère qui trouble la digestion des honnêtes gens. Après un conciliabule avec l’abbé Roustan[251], révolutionnée par la découverte d’écharpes rouges préparées pour le grand jour, indignée devant sa propre tranquillité compromise à jamais, elle se décide brusquement à dénoncer. le conspirateur en rupture de ban [318].

Florent arrêté, c’est la quiétude qui revient, une réconciliation publique se produit entre Lisa et la belle Normande, les Quenu s’embrassent, énormes, débordants, déjà convalescents de ce malaise d’une année où leur tranquille bonheur tremblait et coulait comme une graisse mal figée. Et, pendant que son maigre beau-frère retourne à Cayenne, la belle Lisa montre un grand calme repu, une tranquillité énorme que rien ne doit plus venir troubler. (Le Ventre de Paris.)

Elle meurt à Paris, en 1863, d’une décomposition du sang [25]. (La Joie de vivre.)

(1) Lisa Macquart, née en 1837; épouse, en 1852, Quenu, sain et pondéré, dont elle a une fille dans l’année ; meurt six mois avant son mari, en 1863, d’une décomposition du sang. [Élection de la mère. Ressemblance physique de la mère]. Charcutière, grande boutique aux Halles. (Arbre généalogique des Rougon-Macquart.)

Macquart (Urusule) (l). — Fille d’Adélaïde Fouque et de Macquart. Mère de François, Hélène et Silvère Mouret. Née à Plassans en 1791, des amours illégitimes d’Adélaïde Fouque et de Macquart [50], elle est élevée dans l’enclos Fouque avec ses frères Pierre Rougon et Antoine, qui la battent avec une égale rudesse. C’est une pauvre petite créature chétive et pâle, chez qui les ressemblances des parents sont comme fondues, avec une empreinte plus profonde du tempérament de sa mère. Elle est fantasque, montrant par moments des sauvageries, des tristesses, des emportements de paria, puis, le plus souvent, elle rit par éclats nerveux, elle rêve avec mollesse, en femme folle du cœur et de la tête. Ses yeux sont d’une transparence de cristal [56]. A dix-neuf ans, elle épouse Mouret, heureuse de fuir une maison où son frère aîné lui rend la vie intolérable. Les époux vont se fixer à Marseille [60]; Ursule reste chétive [141], peu à peu consumée par une phtisie lente, résultat des névroses maternelles, et elle meurt en 1840, laissant trois enfants [160]. (La Fortune des Rougon,)

Macqueron. — Épicier-cabaretier à Rognes. Conseiller municipal et adjoint au maire. Grosse face moustachue. A gagné des rentes en spéculant sur les petits vins de Montigny et est tombé à la paresse, chassant, pêchant, faisant le bourgeois. Reste très sale, vêtu de loques, pendant que sa fille porte des corsages de velours. Macqueron fermerait volontiers boutique, car il devient vaniteux, avec de sourdes ambitions, mais il laisse sa femme tenir le cabaret pour ennuyer son ennemi, le buraliste Lengaigne, qui vend aussi à boire [55]. Zélé bonapartiste, se mettant en avant pour la réparation de la cure, devenant l’agent du candidat officiel Rochefontaine, il parvient à renverser le maire Alexandre Hourdequin et à prendre sa succession [375]. Mais ce triomphe est sans lendemain, grâce à une dénonciation de Lengaigne qui révèle aux rats-de-cave une grosse fraude du nouveau maire et oblige celui-ci à donner sa démission [451]. (La Terre.)

(l) Ursule Macquart, née en 1791 ; épouse en 1810, un ouvrier chapelier, Mouret, bien portant et pondéré; en a trois enfants; meurt phtisique en 1840. [Mélange soudure. Prédominance morale et ressemblance physique de la mère]. (Arbre généalogique def Rougon-Macquart.)

Macqueron (Madame Cœlina). — Femme de l’épicier. Sèche, nerveuse et insolente, voix aigre [52]. Elle est d’une âpreté féroce au lucre [55]. (La Terre.)

Macqueron (Berthe). – Fille des Macqueron. C’est une jolie brune, avec des yeux clairs aux légers cercles bleuâtres. A été élevée en demoiselle à la pension de Cloyes et joue du piano. Très coquette, elle porte des corsages de velours et va aux champs enrobe à volants [128]. Le voisinage l’accuse d’avoir des plaisirs solitaires, appris au pensionnat et les garçons. s’amusent à lui attribuer une particularité physiologique secrète qui l’a fait surnommer N’en-a-pas [130]. Berthe tolère les prévenances du maître d’école Lequeu, qu’elle exècre, flattée pourtant de cette cour du seul homme qui ait de l’instruction [346]. Elle n’a de penchant que pour le fils d’un charron, que son père lui a défendu de voir, à cause d’une haine de famille. Tombée plus tard à une maigreur jaune, déjà ridée, de teint flétri, elle se compromet tellement avec son amoureux qu’on est obligé de les marier [451]. (La Terre.)

Madeleine. — Blonde fillette de dix ans, recueillie à l’Œuvre du Travail. Elle a des yeux savants déjà, un air de femme, la chair hâtive et malade des faubourgs parisiens. Vivait avec sa mère, une rouleuse adonnée à la boisson et changeant constamment d’homme; les amants de la mère battaient la fillette quand ils n’essayaient pas de la violer [172]. La femme misérable a gardé dans son abjection un ardent amour maternel, c’est elle-même qui a supplié qu’on lui enlevât as fille et elle enseigne à celle-ci une prière pour le bon monsieur Saccard, grâce à qui l’innocence a trouvé un refuge. A treize ans, Madeleine devient orpheline, sa mère étant morte un soir de soûlerie d’un coup dé pied dans le ventre, qu’un homme lui a allongé pour ne pas lui donner les six sous dont ils étaient convenus [420]. (L’Argent.)

Madeline (Abbé). — Nommé à Rognes, lorsque cette commune s’est décidée à avoir un curé à elle. Agé de trente ans, tout long, tout mince, avec une figure de Caroline qui n’en finit plus, l’air bien doux, l’abbé arrive du Puy-de-Dôme. Ses grands yeux gris clairs de montagnard, habitués aux horizons étroits des gorges de l’Auvergne, ont une mélancolie désespérée devant l’immensité plate et grise de la Beauce [349]. Les femmes, l’ayant senti faible, en abusent pour le tyranniser dans les choses du culte[3821. Et navré de l’indifférence de ses nouveaux paroissiens, bouleversé par l’irréligion de ce pays, l’abbé s’étiole, son cœur est noyé de tristesse, il s’évanouit en disant sa messe. Au bout de deux ans et demi, on s » décide a le remporter, mourant, dans ses montagnes [456]. (La Terre.)

Madinier. — Patron d’un atelier de cartonnages, rue de la Goutte-d’Or, dans la maison des Lorilleux. Ceux-ci prétendent qu’il mange tout, laissant ses enfants le derrière nu [71]. Au mariage de Coupeau, Madinier est l’un des témoins [80]. Il se donne une importance de patron et emmène la noce au musée du Louvre, où il prétend expliquer les tableaux [96]. (L’Assommoir.)

Maffre. — Juge de paix à Plassans. Tout blanc, face épaisse avec de gros yeux à fleur de tête, très dévot, chanoine honoraire de Saint-Saturnin.  Ou l’accuse d’avoir tué sa femme par sa durcie et son avarice [43]. Il traite ses grands fils Ambroise et Alphonse avec brutalité, les enfermant au pain et à l’eau pour punir la moindre incartade. Maffre fréquente chez Rastoil et se rallie l’un des premiers à l’abbé Faujas, qui se servira de lui pour lancer l’idée du Cercle de la Jeunesse [171]. (La Conquête de Plassans.)

Maffre (Alphonse). Second fils du juge de paix de Plassans. Dix-huit ans. Très tenus par leur père, les fils Maffre s’amusent en cachette avec Guillaume Porquier, leur ami, qui les entraîne dans des maisons suspectes[167]. (La Conquête de Plassans.)

Maffre (Ambroise). — Premier fils du juge de paix de Plassans. Vingt ans [167]. (La Conquête de Plassans.)

Maginot. — Inspecteur des forêts, à Méziéres [7]. Il a épousé Gilberte de Vineuil, qui aime le plaisir. C’est un mari commode ; sa nullité laisse la jeune femme sans remords. Il meurt après de courtes années de mariage [262]. (La Débâcle.)

Maginot (Madame). — Voir VINEUIL (Gilberte de).

Maheu (Alzire). — quatrième enfant de Toussaint Maheu et de la Maheude. Elle a neuf ans.  C’est une petite bossue toute chétive, aux yeux intelligents, une ménagère précoce qui fait le ménage, entretient le feu, balaye, range la salle, un être de dévouement et de sacrifice, qui ment déjà avec héroïsme pour laisser son pain aux autres. C’est la meilleure aide de sa mère, elle a des ruses tendres pour calmer les rages de sa petite sœur Estelle [93].Aizire meurt de froid et de faim, pendant la grève de Montsou [446]. (Germinal.)

Maheu (Catherine). — Deuxième enfant de Toussaint Maheu et de la Maheude. Hercheuse au Voreux. Fluette pour ses quinze ans, elle est rousse, elle a un visage blême, déjà gâté par les continuels lavages au savon noir, une bouche un peu grande, avec des dents superbes dans la pâleur chlorotique des gencives, de grosses lèvres d’un rosé pâle, de grands yeux d’une limpidité verdâtre d’eau de source [72]. Ses bras délicats sont d’une blancheur de lait, et ses pieds, habitués à courir dans la mine, sont bleuis, comme tatoués de charbon. Dans sa culotte de mineur, sa veste de toile et le béguin qui enserre son chignon, elle a l’air d’un petit homme, rien ne lui reste de son sexe qu’un dandinement léger des hanches [16]. Les promiscuités de la famille lui ont tout appris de l’homme et de la femme, mais elle est vierge de corps, et vierge enfant, retardée dans la maturité de son sexe par le milieu de mauvais air et de fatigue où elle vit [50]. Ses idées héréditaires de subordination et d’obéissance passive lui donnent une allure résignée et douée.

Elle trouve Étienne Lantier joli, avec son visage fin et ses moustaches noires, mais c’est Chaval qui la prend, sans qu’elle ait la volonté de résister; elle subit le mâle avant l’âge, avec cette soumission innée qui, dès l’enfance, culbute en plein vent les, filles de sa race [145]. Et désormais, elle obéit à Chaval, elle supporte ses coups; maintenant qu’elle a ce galant, elle aime encore mieux ne pas en changer [207]. Pourtant, c’est unie triste vie, Chaval n’a été bon pour elle qu’une seule fois, à la fosse Jean-Bart, Je jour où elle allait mourir, asphyxiéepar l’air mort du fond de la mine [348]. Hors ce court instant, elle n’a connu que sa jalousie brutale, ses colères mauvaises, son égoïsme de mâle qui se laisse nourrir par le gain de la femme; mais Chaval est son homme et, au jour de la bagarre, tille le défend, pardonnant les coups, oubliant la vie de misère, soulevée par l’idée qu’elle lui appartient, puisqu’il l’a prise et que c’est une honte pour elle, quand il subit des violences [381]. Son cœur va quand même vers Etienne, elle le sauve îles gendarmes [il4.], elle le sauve aussi du couteau de Chaval [408], et cependant il faut que ce dernier la chasse, la jette grelottante dans la rue, pour qu’elle se décide à partir, libérée du premier amant. Et c’est le lendemain, dans la secousse de l’abominable collision où son père a trouvé la mort, qu’elle devient femme; le flot de la puberté crève enfin, elle pourra maintenant faire des enfants que les gendarmes égorgeront [494]. Etienne la possède femme le premier, mais leurs tristes noces s’accomplissent au fond de la mine inondée, dans le désespoir de tout, dans la mort et, jusqu’au bout, la pitoyable Catherine est hantée par l’affreuse image de Chaval [573]. (Germinal.)

Maheu (Estelle). — Septième enfant de Toussaint Maheu et de la Maheude. Elle a trois mois. Ses interminables rages bouleversent la maison [18]. (Germinal.)

Maheu (Guillaume). — Bisaïeul de Toussaint Maheu. Étant un gamin de quinze ans, il a trouvé le charbon gras à Réquillart, la première fosse de la Compagnie de Montsou. La veine découverte par lui a gardé le nom de veine Guillaume. Cet ancêtre a été le grand-père de Bonnemort, qui ne l’a pas connu. Il était gros, très fort et est mort de vieillesse à soixante ans [10]. (Germinal.)

Maheu (Henri). — Sixième enfant de Toussaint Maheu et de la Maheude. Quatre ans. Tête trop grosse et comme soufflée, ébouriffée de cheveux jaunes. On le couche avec sa sœur Lénore [14]. (Germinal.)

Maheu (Jeanlin). — troisième enfant de Toussaint Maheu et de la Maheude. Onze ans. On l’emploie au Voreux comme galibot. il gagne vingt sous par jour. Il est petit, il a les membres grêles, avec des articulations énormes, grossies par les scrofules, un masque de singe blafard et crépu, avec des yeux verts et de grandes oreilles. Dans sa précocité maladive, il semble avoir l’intelligence obscure et la vive adresse d’un avorton humain qui retourne à l’animalité d’origine [210]. Depuis longtemps, il exploite Bébert Levaque et Lydie Pierron ; avec celle-ci, il essaye, dans les coins noirs, l’amour que tous deux entendent et voient chez leurs parents, derrière les cloisons, par les fentes des portes; ils savent tout, mais ils ne peuvent guère, trop jeunes, tâtonnant, jouant pendant des heures à des jeux de petits chiens vicieux; Jeanlin appelle ça « faire papa et maman » [138].

Enseveli sous un éboulement dans la mine, il conserve ses jambes, mais on les recolle si mal qu’il reste boiteux de la droite et de la gauche, filant d’un train de canard, courant aussi ton qu’autrefois, avec son adresse de bête malfaisante et voleuse [298]. Un besoin croissant de maraude le lance avec Bébert et Lydie sur 1rs chemins, il est le capitaine de ces expéditions, jetant sa troupe sur toutes les proies, ravageant les champs d’oignons, pillant les vergers, attaquant les étalages; dans le pays, on attribue ces méfaits aux mineurs en grève, on parle, d’une vaste bande organisée [301]. Et pendant que les deux autres tremblent sous son autorité, Jeanlin garde tout le butin et le transporte dans une caverne de Réquillard, où il fait bombance tout seul [306]. Cet être malfaisant martyrise pour le plaisir la grosse Pologne, une lapine familière qui vit en liberté chez les Rasseneur [310]. Toute une sourde végétation du crime se développe en son crâne de bête inconsciente: des discours violents entendus dans la forêt, des cris de dévastation et de mort hurlés au travers des fosses, il n’a retenu qu’un invincible désir, celui d’égorger un soldat, un de ces cochons de soldats qui embêtent les charbonniers chez eux; et il assassine le petit breton Jules, qui était en faction nocturne sur le territoire du Voreux; il lui a sauté sur les épaules, d’un bond énorme de chat sauvage, s’y est agrippé de ses griffes et lui a enfoncé dans la gorge son couteau grand ouvert [465]. (Germinal.)

Maheu (Lénore). — Cinquième enfant de Toussaint Maheu et de la Maheude. Six ans. La même tête que son jeune frère Henri. Ces enfants ne s’entendent guère, ils ne se prennent gentiment au cou que lorsqu’ils dorment, Dés son lever, la fille tombe sur le garçon, son cadet de deux années, qui reçoit les gifles sans les rendre [93]. (Germinal.)

Maheu (Nicolas). — Grand-père de Toussaint Maheu. On l’appelait le Rouge. C’est le fils du Maheu qui a découvert la veine Guillaume à Réquillart. A peine âge du quarante ans, il est resté dans un éboulement du Voreux, que l’on fonçait en ce temps-là: un aplatissement complet, le sang bu et les os avalés par les roches [10]. (Germinal.)

Maheu (Toussaint). — Fils du vieux Bonnemort. Mari de la Maheude. Père de Zacharie, Catherine, Jeanlin, Alzire, Lénore, Henri et Estelle. Il est haveur à la fosse du Voreux et habite le coron des Deux cent quarante, au numéro 16 du deuxième corps. Tous les enfants logent dans la même chambre, séparée par une porte vitrée du palier où couchent les parents. Petit comme son père, Maheu lui ressemble en gras, la tête forte, la face plate et livide, sous ses cheveux jaunes coupés très courts [18]. A quarante-deux ans, il a la peau blanche, d’une blancheur de fille anémique, ou les éraflures, les entailles du charbon, laissent des tatouages, des « greffes » ; il s’en montre fier, il étale ses gros bras, sa poitrine large, d’un luisant de marbre veiné de bleu [129]. Les salaires sont tellement bas qu’on doit vivre à dix avec neuf francs par jour, et ce maigre gain est disputé rudement dans l’étouffement des ténèbres, dans les crampes des attitudes forcées, dans l’eau qui ruisselle, dans l’air qu’empoisonnent la fumée des lampes, la pestilence des baleines, l’asphyxie du grisou [53], et avec cela, il faut subir l’obsession des mouchards, il faut mesurer ses paroles, comme si la houille des actionnaires, encore dans la veine, avait des oreilles [55].

Maheu est un bon ouvrier, il ne boit pas, il adore ses petits et fait gentiment la dînette avec eux [162]. C’est le meilleur travailleur de la fosse, le plus aimé, le plus respecté, celui qu’on cite pour son bon sens. Aussi a-t-il été désigné pour présenter à la direction les réclamations de ses camarades; elles prendront, dans sa bouche, un poids décisif [240]. Depuis longtemps, Etienne Lantier l’a endoctriné; Maheu commence à se demander pourquoi l’on vit parqués, les uns contre les autres, comme des bêtes, si entassés qu’on ne peut changer de chemise sans montrer son derrière au voisin, pourquoi on est condamné à un travail qui était la punition des galériens autrefois, un travail de vraies brutes, qui ne vous donne même pas de viande à manger [185] ; c’est en sa cervelle une lente germination, l’aspiration vers une société plus humaine, et ce sentiment lui donne le courage de parler au directeur Hennebeau. Il dit les choses amassées au fond de sa poitrine, leur misère à tous, le travail dur, la femme et les petits criant la faim à la maison, il cite les dernières payes désastreuses, les quinzaines dérisoires mangées par les amendes et les chômages, rapportées aux familles en larmes. Mais Hennebeau n’est qu’un simple agent d’exécution, derrière lui il y a une Régie sourde et muette, les mineurs sont acculés à la grève. Crever pour crever, ils préfèrent crever à ne rien faire; ce sera la fatigue de moins [244]. Et c’est alors la triste grève de Montsou, qui, après de longues semaines de famine, de froid, de sourdes révoltes, va être noyée dans le sang. Maheu s’est vu rendre son livret [421], la Compagnie ne veut plus de lui, elle a fait venir des Borains pour remplacer les grévistes [443] et comme ceux-ci s’enragent devant les fosses occupées militairement, des briques sont jetées aux soldats et ceux-ci répondent par une décharge qui étend devant le Voreux triomphant vingt-cinq blessés et quatorze morts, dont deux enfants et trois femmes. Toussaint Maheu est frappé en plein cœur [488]. (Germinal.)

Maheu (Vincent). — Voir BONNEMORT.

Maheu (Zacharie). —Fils aîné de Toussaint et de la Maheude. Vingt et un ans. Maigre, dégingandé, il a la ligure longue, salie de quelques rares poils de barbe, avec les cheveux jaunes et la pâleur anémique de toute la famille [16]. Il est haveur et travaille à la même taille que son père, mais il se moque de la besogne, aime le plaisir et fréquente avec son ami Mouquet le café-concert du Volcan [136]. Zacharie a fait deux enfants à Philomène Levaque, on finit par le marier avec elle [181]. La grève ne l’intéresse guère, il fait de longues parties de crosse avec Mouquet. [310]. Mais soudain, lorsque sa sœur Catherine est ensevelie dans le Voreux, une violente révolution s’opère en lui, il est au premier rang de l’équipe des recherches; avant tous les autres, il entend le rappel des mineurs, battu au loin parles emmurés ; il s’acharne à l’abatage, volant le tour de ses camarades, refusant de lâcher la rivelaine; c’est une hâte fébrile, un besoin farouche, un enragement victorieux devant la houille qui résiste. Le neuvième jour, dans sa précipitation, il commet l’imprudence d’ouvrir sa lampe et une soudaine explosion de grisou le réduit en un charbon noir, calciné, méconnaissable [546]. (Germinal.)

Maheude (La). — Femme de Toussaint Maheu. Déjà déformée à trente-neuf ans, elle a une figure longue, aux grands traits, d’une beauté lourde [19]. Elle est descendue aux mines jusqu’à vingt ans, le médecin a dit qu’elle y resterait, lorsqu’elle a accouché la seconde fois, parce que ça lui dérangeait quelque chose dans les os [102]. C’est à ce moment qu’elle s’est mariée et dès lors elle est restée au coron; cinq autres enfants sont venus. Dans ce milieu, la misère héréditaire fait de chaque petit un gagne-pain pour plus tard, un fils ne doit se marier que lorsqu’il a rendu à ses parents l’argent qu’il leur a coûté. Aussi la Maheude consent-elle avec peine au mariage de son aîné Zacharie [176]; de même Catherine devenue la maîtresse de Chaval la désole, car c’est encore une brèche aux maigres ressources de la maison. Elle a un grand bon sens dans les questions de travail, elle calme son homme exaspéré par les exigences des chefs, elle déclare qu’on n’a rien à gagner à se buter contre la Compagnie [130].

Pourtant l’éternelle misère la révolte et, si elle a d’abord refusé d’entendre Etienne Lantier et son rêve d’une humanité meilleure, le charme agit lentement sur son esprit, elle entre dans le inonde merveilleux de l’espoir, l’idée de justice la passionne [189]. Son esprit de bonne ménagère l’a d’instinct rendue hostile A la grève, mais le malheur s’acharne trop, les aînés sont partis, Jeanlin a été estropié dans un éboulement, le vieux Bonnemort est perclus de rhumatismes, il faut vivre à sept sur les trois francs du père ; raisonnablement, l’heure semble venue d’obtenir justice [256]. Plus tard, l’excès du malheur fera d’elle la plus acharnée à ne pas se rendre, elle. ne voudra pas avoir pour rien crevé pendant, deux mois, vendu son ménage, vu Alzire mourir de faim et ses autres enfants mendier sur les routes. Longtemps elle est restée modérée, à présent c’est elle qui excite Maheu à jeter des briques aux soldats et, même lorsqu’elle le voit tué par une halle, même brisée dans cette terrible chute du haut de l’idéal, elle s’exaspère encore contre ceux qui parlent de retourner à la fosse [498].

Il faut d’autres malheurs, Zacharie calciné par le grisou, Catherine ensevelie dans le Voreux, pour que la mère tragique retrouve son ancien calme de femme raisonnable. On lui fait alors l’exception charitable de l’admettre à quarante ans aux travaux de la mine, on lui donne trente sous par jour pour tourner une roue pendant dix heures, sous l’enfer du Tartaret, au fond d’un boyau ardent. Et comme il faut nourrir les petits, elle vit là, les reins cassés, la chair cuite par quarante degrés de chaleur, uniquement soutenue par le sourd travail qui s’est fait en elle, la certitude que l’injustice ne peut durer davantage, et que s’il n’y a plus de bon Dieu, il en repoussera un autre, pour venger les misérables [585]. (Germinal.)

Mahoudeau. — Un sculpteur ami de Claude Lantier et de Sandoz. Fils, d’un tailleur de pierres de Plassans, il a remporté là-bas de grands succès aux concours du Musée; puis, il est venu à Paris comme lauréat de la ville, avec une pension annuelle de huit cents francs pour quatre années. A Paris, il a vécu dépaysé, sans défense, ratant l’Ecole des Beaux-Arts, mangeant sa pension à ne rien faire ; si bien que, les quatre ans finis, il s’est vu forcé, pour vivre, de se mettre aux gages d’un marchand do bons dieux, où il a gratté dix heures par jour des Saint-Joseph, des Saint-Roch, des Madeleine, tout le calendrier des paroisses.

Il est petit, maigre, la figure osseuse, déjà creusée de rides à vingt-sept ans; ses cheveux de crin noir s’embroussaillent sur un front très bas; et dans ce masque jaune, d’une laideur féroce, s’ouvrent des yeux d’enfant, clairs et vides, qui sourient avec une puérilité charmante. L’ambition l’a repris, lorsqu’il a retrouvé les camarades de Provence, connus autrefois chez tata Giraud, des gaillards dont il était l’aîné et qui sont aujourd’hui de farouches révolutionnaires. Dans cette fréquentation d’artistes passionnés, qui lui troublent la cervelle avec l’emportement de leurs théories, son ambition tourne au gigantesque [79]. En sculpture, il pose pour la force, il s’ignore et méprise la grâce invincible qui repousse quand même de ses gros doigts d’ouvrier sans éducation. La lutte entre ses tendances naturelles et l’influence de Claude produit une œuvre débordante et colossale, Bacchante d’abord, puis Vendangeuse, avec une surabondance de cuisses et de gorge, et dès attaches de membres fines et jolies.

Mahoudeau a installé son atelier rue du Cherche-Midi, à quelques pas du boulevard Montparnasse, dans la boutique d’une fruitière tombée en faillite; il couche là, en compagnie de son camarade Chaîne, partageant avec lui les lionnes grâces de l’herboriste voisine, Mathilde Jabouille. Ce sont des années de dure misère, les bons dieux traversent une crise, l’herboristerie périclite, Mahoudeau en est réduit à faire des bustes de bourgeois, notamment celui d’un avocat, à la figure longue, allongée encore par des favoris, monstrueuse de prétention et d’infinie bêtise. On n’a pas toujours du pain, les deux artistes se brouillent un soir que Mahoudeau, le ventre vide, a surpris Chaîne mangeant un pot de confitures avec Mathilde ; la rancune persiste, sans une détente, sans une explication; ils réduisent les rapports strictement nécessaires à de courtes phrases, charbonnées le long des murs, et Mahoudeau se loue de cette combinaison, il trouve que, quand on crève de faim, ce n’est pas désagréable de ne jamais s’adresser la parole, on s’abrutit dans le silence, c’est un empâtement qui calme un peu les maux d’estomac [223].

Après la rupture définitive avec Chaîne et l’envolement de Mathilde, le sculpteur, expulsé de sa boutique, s’installe dans un petit atelier de la rue des Tilleuls ; il vit seul, dans un redoublement de misère, mangeant lorsqu’il a des ornements de façade à gratter ou quelque figure d’un confrère plus heureux à mettre au point ; la Vendangeuse, exposée jadis au Salon, trop grande pour l’atelier, se pourrit dehors, pareille à un tas de gravats déchargés d’un tombereau, rongée, lamentable [293].

Et Mahoudeau limite peu à peu son rêve. Depuis longtemps, il a l’idée d’une Baigneuse debout, tâtant l’eau de son pied ; la maquette contenait déjà des concessions, un épanouissement du joli sous l’exagération persistante des formes, une envie naturelle de plaire, sans trop lâcher encore le parti-pris du colossal [222] ; lorsqu’il réalise l’œuvre, c’est une Baigneuse toute de charme, à la gorge enfantine, aux cuisses allongées; la nature vraie du sculpteur perce sous le dégonflement de l’ambition. Puis un malheur survient : faute d’argent, Mahoudeau a fait une armature avec des manches à balai ; sous l’action du dégel, la terre rompt le bois trop faible, et la statue s’écroule comme une femme qui se jette, écrasant presque l’artiste, qui sanglote devant ce cadavre mutilé [298]. Plus tard, gagnant quelque argent, grâce à un fabricant de bronzes d’art qui lui fait retoucher ses modèles, il finit par exposer sa Baigneuse, mais rapetissée encore, à peine grande comme une fillette de dix ans, et d’une élégance charmante, les cuisses fines, la gorge toute petite, une hésitation exquise de bouton naissant [410]. Et la vie devient meilleure, son fabricant lance de lui des statuettes charmantes, que l’on commence à voir sur les cheminées et les consoles bourgeoises [440]. Mais la longue misère de Mahoudeau l’a aigri, il donne avec Gagnière des coups de dent aux amis d’autrefois et accuse formellement Claude de l’avoir paralysé et exploité [449], comme si lui seul n’avait pas gâté son propre talent, en prétendant le hausser à un idéal supérieur. (L’Œuvre.)

Maigrat. — Le principal débitant de Montsou. Ancien surveillant du Voreux, il avait débuté par une étroite cantine; puis, grâce à la protection des chefs, son commerce s’est élargi, tuant peu à peu le détail. Il centralise les marchandises, la clientèle considérable des corons lui permet de vendre moins cher et de faire des crédits plus grands. D’ailleurs, il est resté dans la main de la Compagnie, qui lui a bâti sa petite maison et son magasin, séparés par un simple mur de l’hôtel du directeur Hennebeau. Maigrat possède là un entrepôt, un long bâtiment qui s’ouvre sur la route, en une boutique sans devanture ; il y tient de tout, de l’épicerie, de la charcuterie, de la fruiterie, y vend du pain, de la bière, des casseroles.

Gros, froid et poli, autoritaire et rapace, il accorde difficilement une prolongation de crédit, mais comme il a du goût pour les hercheuses, un mineur qui veut l’attendrir n’a qu’à lui envoyer sa femme ou sa fille, laides ou belles, pourvu qu’elles soient complaisantes [98]. Pendant la grève, il a mis les femmes en fureur par sa grossièreté et son entêtement à refuser toute fourniture sans argent comptant; s’il affame l’ouvrier, c’est pour répondre au désir des chefs, pressés d’en finir, mais il a ainsi attiré sur sa maison bondée de vivres la colère des ventres creux et c’est là, devant la porte close, que s’acharnent les grévistes en criant : « Du pain ! II y a du pain là-dedans! Foutons la baraque à Maigrat par terre!» L’assiégé pourrait fuir, il revient, au contraire, car en lui l’avarice est plus forte que la lâcheté ; il veut défendre son bien et va gagner son magasin par le toit, lorsque, tremblant de peur, il glisse le long des tuiles et vient s’écraser le crâne à l’angle d’une borne.

Alors, les femmes, prises de l’ivresse du sang, entourent le cadavre encore chaud, elles l’insultent avec des rires, hurlait à la face du mort la longue rancune de leur vie sans pain ; la Maheude lui emplit la bouche de deux poignées de terre, il ne mangera plus autre chose maintenant ; lu Brûlé le coupe comme un matou, vengeant toutes celles qui ont souffert de sa bestialité. Et l’abominable trophée, le paquet de chair velue et sanglante, est planté au bout d’un bâton et promené dans Montsou, ainsi qu’un drapeau [415]. (Germinal.)

Maigrat (Madame). — Femme du débitant. Créature chétive, battue, trahie à chaque heure et qui passe les journées sur un registre, sans même oser lever la tête [90]. Le jour de l’émeute, debout derrière sa fenêtre, elle a vu toute la scène, les grévistes envahissant Montsou, se ruant sur sa maison, Maigrat tombant du toit et mutilé par les femmes. Elle ne bouge pas, mais les défauts brouillés des vitres déforment sa face blanche, qui semble rire [415]. (Germinal.)

Malgras (Le Père). — Marchand de tableaux. Un gros homme, envelonpé dans une vieille redingote verte, très sale, qui lui donne l’air d’un cocher de fiacre mal tenu, avec ses cheveux blancs coupés en brosse et sa face rouge, plaquée de violet ; carrément planté sur ses fortes jambes, il examine les tableaux, de ses veux tachés de sang. Le père Malgras, sous l’épaisse couche de sa crasse, est un bonhomme très fin, qui a le goût et le flair de la bonne peinture; Claude Lantier reçoit souvent sa visite; jamais il ne s’égare chez les barbouilleurs médiocres, il va droit, par instinct, aux artistes personnels, encore contestés, dont son nez flamboyant d’ivrogne sent de loin le grand avenir. Avec cela, il a le marchandage féroce, il se montre d’une ruse de sauvage pour acheter à bas prix la toile qu’il convoite. Ensuite, il se contente d’un bénéfice de brave homme, vingt pour cent, trente pour cent au plus, ayant basé son affaire sur le renouvellement rapide de son petit capital, n’achetant jamais le malin sans savoir auquel de ses amateurs il vendra le soir, mentant d’ailleurs superbement [61].

Plein de ressources, il commande aux peintres besogneux des natures mortes et fournit le modèle, gigot, barbue ou homard, qu’il leur laisse pour lu peine [63]; il prête une cousine de sa femme, quand on veut bien lui en faire une académie [107]. Les millions peu solides de Naudet, le marchand à la mode, lui inspirent le plus profond dédain cl il se retire, en homme prudent, avec une très modeste fortune, une rente d’une dizaine de mille francs, qu’il s’est décidé à manger dans une petite maison du Bois-Colombes [278]. (L’Œuvre.)

Malignon. — Ami des Deberle. Grand jeune homme mis très correctement, fort riche, au courant de tout. On l’appelle le beau Malignon. C’est un connaisseur qui trouve de loin eu loin une page bien écrite dans Balzac et estime que le réalisme dégrade l’art [24]. Jugeant amusant de devenir amoureux de Juliette Deberle, il esquisse avec elle une aventure dans l’oisiveté estivale de Trouville et, revenu à Paris, obtient de cette jeune écervelée un rendez-vous dans un petit appartement qu’il a meublé d’une façon ridicule. L’adultère n’aboutit point, grâce à l’intervention inattendue d’Hélène Grannjean. Malignon, resté ami des Deberle, trouve un mari pour Pauline Letellier, sœur de Juliette. (Une Page d’Amour.)

Maliverne (Rose). — Femme du père Fouan. Elle a travaillé plus qu’un homme, levée avant les autres, faisant la soupe, balayant, récurant, les reins cassés par mille soins, les vaches, la cochon, le pétrin, toujours couchée la dernière, et sa seule récompense est d’avoir vécu [79]. Stupide, réduite à un rôle de bête docile et laborieuse, elle a toujours tremblé devant l’autorité despotique de son mari. Elle a élevé ses enfants sans tendresse, dans une froideur de ménagère qui reproche aux petits de trop manger de ce qu’elle épargne; sa préférence a été pour l’aîné, Jésus-Christ ; ce chenapan n’a rien d’elle ni de son mari et pourtant il sera jusqu’au bout le chéri de son cœur [133]. Devenue vieille, Rosé semble être restée grasse, le ventre gros d’un commencement d’hydropisie, le visage couleur d’avoine, troué d’yeux ronds, d’une bouche ronde, qu’une infinité de rides serrent ainsi que des bourses d’avare [17]. Elle survivra peu à la démission de biens du père Fouan. Ses faiblesses pour Jésus-Christ excitent la fureur de son autre fils, Buteau, qui la traite de vieille coquine, la jette violemment à terre et casse cette pauvre tête grise, usée et lasse. La mère Fouan meurt après trente-six heures d’agonie [213]. (La Terre.)

Malivoire. — Loueur de voitures à Arromanches. Il a l’entreprise de l’omnibus d’Arromanches à Bayeux [2]. (La Joie de vivre.)

Maloir (Madame). — Dame âgée, l’air respectable, ayant des manières. Elle sert de vieille amie et de secrétaire à Nana, lui tient société, l’accompagne et écrit pour elle des lettres pleines de cœur. Madame Maloir reçoit les secrets des autres sans jamais rien lâcher sur elle-même. On dit qu’elle vit d’une pension mystérieuse, dans une chambre où personne ne pénètre ; le certain est qu’elle n’a jamais sur elle que les six sous d’un omnibus [53]. Sa manie est de refaire tous ses chapeaux; seule, elle sait ce qui lui va, et elle transforme en casquette la plus élégante coiffure [46]. (Nana.)

Manguelin (Madame). — Protégée de madame Deberle. Allure discrète et effacée. Vient en visite pour remercier madame Deberle d’un service [21]. (Une Page d’Amour.)

Manoury. — Facteur aux Halles. Patron du crieur Logre et de la tablettière Clémence [139]. (Le Ventre de Paris.)

Marcel. — Marchand de fruits en gros aux Halles [16]. (Le Ventre de Paris.)

Mardienne frères. — Fabricants d’ornements d’église, rue Saint-Sulpice. Mademoiselle Menu a travaillé dans leurs ateliers [163]. (Pot-Bouille.)

Maréchal. — Bookmaker véreux, ancien cocher du comte de Vandeuvres. Enorme, les épaules d’un bœuf, la face haute en couleur. Il a tenté la fortune aux courses avec des fonds d’origine louche et le comte le charge de ses paris secrets, le traitant toujours en domestique dont on ne se cache pas [403]. Par suite d’une fausse manœuvre. Maréchal est nettoyé de cent mille francs sur la pouliche Nana; ruiné, sentant tout crouler sous ses pas, il fait publiquement une scène affreuse, racontant l’histoire avec des mots atroces, entraînant par ce scandale la disqualification du comte de Vandeuvres [419]. (Nana.)

Marescot. — Propriétaire de la maison de la rue de la Goutte-d’Or, où habitent les Lorilleux et les Coupeau. C’est un grand coutelier de la rue de la Paix, un homme de cinquante-cinq ans, fort, osseux, décoré, étalant ses mains immenses d’ancien ouvrier. Il a jadis tourné la meule, le long des trottoirs, et maintenant on le dit riche à plusieurs millions. Un de ses bonheurs, lorsqu’il visite ses locataires, est d’emporter les couteaux et les ciseaux, pour les aiguiser lui-même, par plaisir [161]. Mais, quand on lui demande des réparations, il a des crampes d’avare [163], réclame ses termes avec insolence [384] et, dès qu’on est retard, a immédiatement le mot d’expulsion à la bouche [415]. (L’Assommoir.)

Mareuil (de). — Père de Louise. C’est un ancien raffineur du Havre, dont le nom réel est Bonnet, et qui a pris le nom de sa femme [143]. Grand bel homme, sérieux, à cervelle incroyablement vide. Au physique, une ressemblance frappante avec le valet de chambre Baptiste [23]. Très riche et plein d’ambition, M. de Mareuil aspire au Corps législatif; longtemps candidat malheureux [29], il dépense trois cent mille francs pour se faire élire et voit son élection cassée, à cause de scandales par trop vifs [243]. Tout à l’idée fixe d’être un personnage politique, il maquignonne le mariage de sa fille et de Maxime Saccard, dont il apprécie vivement l’étroite parenté avec le ministre de l’intérieur Eugène Rougon [244]. Resté candidat officiel, il a le bonheur d’être définitivement élu député [344]. (La Curée.)

Mareuil (Madame Hélène de). — De famille noble, fort riche, elle a voulu épouser un imbécile de grande mine et s’est mariée avec l’ancien raffineur Bonnet, qui a pu devenir ainsi M. de Mareuil. Cette femme, grande et forte, de mœurs extrêmement libertines, a mis au monde une enfant rabougrie, Louise, a vécu dans les débordements les plus honteux et est morte rongée par les plaisirs comme par un ulcère [144]. (La Curée.)

Mareuil (Louise de) (l). — C’est une enfant de dix-sept ans, chétive, légèrement bossue, d’une grâce maladive [4]. Fille d’un colosse sain et d’une mère bien bâtie, sa difformité, ses allures de bohémienne millionnaire, sa laideur effrontée et charmante s’expliquent par la nymphomanie maternelle [144]. Avec sa poitrine plate, sa petite tête laide et futée de gamin, elle ressemble à un garçon déguisé en fille, elle a des plaisanteries de pensionnaire émancipée [197], un sourire vague de sphinx vicieux [324], des instincts mauvais. C’est d’un air tranquillement amical qu’elle a surpris l’inceste de Maxime Saccard et de Renée. Déjà très malade à la veille de son mariage avec Maxime, elle meurt pendant le voyage de noces et est enterrée dans une petite ville de Lombardie [337]. (La Curée )

(1) Louise de Mareuil, mariée, en 1863, à Maxime Rougon, dit Saccard ; meurt la même année sans enfant. (Arbre généalogique des Rougon-Macquart.)

Mareuil (Comtesse de). — Prenait dans son château la petite Clara Prunaire pour les raccommodages [62]. (Au Bonheur des Dames.)

Margaillan. — Un gros entrepreneur de maçonnerie, plusieurs fois millionnaire, et qui fait sa fortune dans les grands travaux de Paris, bâtissant à lui seul des boulevards entiers. Gras et court, il a la face cuite d’un sang trop chaud. Lui, sa femme et sa fille ont sur la face, au dire de Claude Lantier, tous les crimes de la bourgeoisie ; ils suent la scrofule et la bêtise [157]. Margaillan possède, au-dessus de Bennecourt, en remontant du côté de La Roche-Guyon, une vaste propriété, la Richaudière, qu’il a payée quinze cent mille francs et où il a fait des embellissements pour plus d’un million, par une vanité d’ancien gâcheur de plâtre. C’est un fier homme dans sa partie, il a une activité du diable, un sens étonnant de la bonne administration, un flair merveilleux des rues à construire et des matériaux à acheter [204].

Pendant trente ans, il a acquis des terrains, bâti, revendu, en établissant d’un coup d’œil les devis des maisons de rapport; mais, comme tous les parvenus, il a rêvé de trouver un gendre qui lui apportât, dans sa partie, des diplômes authentiques et d’élégantes redingotes. Enthousiasmé par la médaille de Dubuche, par ce jeune élève de l’Ecole des Beaux-Arts, dont les noies sont excellentes, si appliqué, si recommandé par ses maîtres, il lui donne sa fille, il prend cet associé qui décuplera les millions en caisse, puisqu’il sait ce qu’il est nécessaire de savoir pour bâtir [215]. Mais Dubuche montre une incapacité déplorable, il a des inventions coûteuses, se trompe sur la chaux, la brique, la meulière, met du chêne où le sapin doit suffire, et nu se résigne pas à couper un étage, comme un pain bénit, en autant de petits carrés qu’il le faut. Margaillan, dont les millions périclitent, finit par se révolter contre l’art et il jette son gendre à la porte de ses bureaux, eu lui défendant d’y remettre les pieds [422]. (L’Œuvre.)

Margaillan (Madame). — Femme de l’entrepreneur. Celui-ci a eu l’ambition d’épouser une fille de bourgeois et, comme il avait le sang gâté par des générations d’ivrognes, comme elle était épuisée, la chair mangée de tous les vices des races finissantes, ils ont mis au monde Régine, un malheureux petit chat écorché [215]. Madame Margaillan, très maigre, couleur de cire, mangée d’anémie, finit par mourir phtisique [422]. (L’Œuvre.)

Margaillan (Régine). — Fille de l’entrepreneur. Si chétive à dix-huit ans qu’elle a encore la pauvreté grêle de la première enfance [157]. Toujours triste, d’une santé chancelante, elle épouse Dubuche, un mari bien portant, et lui donne deux enfants, Gaston et Alice, des fœtus à peine viables. C’est à ces avortons, produits d’une dégénérescence dernière, qu’iront les millions du père Margaillan. Régine souffre de la phtisie maternelle, elle tousse depuis son mariage et fait des cures au Mont-Doré, pendant que ses enfants, trop débiles pour supporter un air si vif, sont soignés à la Richaudière. La famille ne s’accroîtra plus : Régine a failli mourir à ses secondes couches, elle s’évanouit au moindre contact trop vif; Dubuche considère comme un devoir de cesser tous rapports conjugaux avec elle [423]. (L’Œuvre.)

Maria. — Figurante des Variétés. Est traitée de chameau par Bordenave [146]. (Nana.)

Marjolin. — Orphelin, a été trouvé sous les légumes au marché des Innocents, vers l’âge de trois ans, blond, gras, très heureux de vivre, mais si peu précoce qu’il bredouillait à peine quelques mots. Devient l’enfant des Halles, accroché aux jupes de l’une et de l’autre. Une belle fille rousse, qui vend des plantes officinales, l’a baptisé Marjolin. Lorsque la mère Chantemesse adopte Cadine, Marjolin se fait accepter aussi et les deux enfants grandissent ensemble. Il a deux ans de plus que la fillette, mais reste enfant très tard, n’ayant pas plus d’idée qu’un chou, ne sachant même pas faire une commission. L’industrieuse Cadine ne peut rien tirer du petit bonhomme, qui n’est bon qu’à crier: « Mouron pour les p’tits oiseaux». Il porte un grand gilet rouge qui lui descend jusqu’aux genoux, le gilet du défunt père Chantemesse, ancien cocher de fiacre [202].

Cadine et Marjolin s’épanouissent dans les Halles, grandissent et s’aiment librement comme de jeunes bêtes livrées à l’instinct. Après avoir tenté tous les menus métiers des Halles, Marjolin est recueilli par Gavard [75]. C’est maintenant un grand garçon d’une épaisseur et d’une douceur flamandes, fort comme un cheval, d’intelligence nulle, vivant par les sens. Il voue à Lisa Quenu une adoration silencieuse, arrive à la désirer follement et tente un jour de la violenter. Rudement repoussé, il tombe sur la tête et cette fracture du crâne fait de lui une brute complète. On l’occupe désormais à gaver et à tuer les pigeons dans le sous-sol du pavillon de la volaille, il est toujours chéri de sa fidèle Cadine qui le mange de petites caresses. (Le Ventre de Paris.)

Marsoullier. — Tenancier de l’hôtel Boncœur, où Gervaise Macquart et Lantier sont descendus [3]. (L’Assommoir.)

Martin. — Ancien matelot opéré autrefois par le chirurgien de marine Cazenove et resté ensuite à son service. Un vieil homme à jambe de bois [8]. (La Joie de vivre.)

Martine. — Vieille servante de Pascal Rougon, devenue la vraie maîtresse de la maison, depuis près de trente ans qu’elle est au service du docteur. A soixante ans passés, elle garde un air jeune, elle est active et silencieuse, dans son éternelle robe noire et sa coiffe blanche qui la font ressembler à une religieuse, avec sa petite figure blême et reposée, où semblent s’être éteints ses yeux couleur de cendre [6] C’est elle qui a élevé Clotilde Rougon, dont la tendre affection pour le docteur excitera plus tard sa jalousie. Brûlée d’une flamme dévote, Martine, qui adore son maître, voudrait le forcer à faire sa paix avec Dieu, mais Clotilde, d’abord sa complice, a échappé aux influences religieuses pour se donner entièrement à Pascal, et Martine, béante devant ce qu’elle voit, n’a plus que la ressource de prier, pour tenter d’arracher le maître à l’enfer. Son avarice est sordide; pourtant, lorsque Clotilde a quitté la maison et que Martine reste seule en présence du docteur Pascal ruiné, la vieille servante trouve, dans son amour de chien docile, l’héroïsme extraordinaire de sortir son propre argent, heureuse de nourrir le savant sans qu’il se doute que sa vie vient d’elle [310]. N’aimant que lui pour le bonheur de l’aimer, d’être avec lui et de le servir [330], Martine est affolée par sa mort soudaine et, pour le sauver de la damnation, pour lui gagner le paradis, elle aide madame Félicité à anéantir l’œuvre diabolique. Puis, comme rien ne la retient plus à la maison, comme elle ne veut servir personne après monsieur, pas même l’enfant que l’on attend et qui vient de lui, elle va vivre à Sainte-Marthe, dans un trou perdu, reprise de sa fureur d’avarice [371]. (Le Docteur Pascal.)

Martineau. — Frère de madame Mélanie Correur. Notaire à Coulonges, dans les Deux-Sèvres, où les Martineau sont notaires de père en fils, depuis sept générations [58]. C’est un grand vieillard de soixante-trois ans, à la figure froide, à l’air grave, aux yeux énergiques. Sa sœur Mélanie, qui s’était enfuie jadis avec un garçon boucher et qu’il n’a pas consenti à revoir, imagine, pour hériter plus vite, de le dénoncer au ministre Rougon comme républicain dangereux [307]. On l’arrête en vertu de la loi, de Sûreté générale, Gilquin est chargé de l’opération et l’accomplit avec une telle brutalité que Martineau, déjà frappé d’une attaque de paralysie, agonise en route, est refusé par le directeur de la prison et va mourir le soir même dans un hôtel de Niort, en face des fenêtres de la préfecture, où la bande Rougon donne une soirée magnifique [337]. (Son Excellence Eugène Rougon.)

Martineau (Madame). — Femme du notaire de Coulonges. Petite et grasse, face calme. Elle reçoit avec une parfaite dignité les gendarmes chargés d’arrêter son mari. C’est une femme forte qui ne compte pas sur ses larmes [330]. Elle suit le cortège qui emporte le paralytique et, quand on se décide à le lui rendre, elle le fait transporter à l’hôtel de Paris, où elle défend les dernières minutes du moribond contre l’affreuse madame Correur [336]. (Son Excellence Eugène Rougon.)

Marsy (de). — Président du Corps législatif. A vingt-huit ans, il était colonel ; plus tard, on le trouve à la tête d’une grande usine ; puis, il s’est occupé successivement d’agriculture, de finance, de commerce ; enfin, il a fait des portraits et écrit des romans [84]. Un mystère plane sur sa naissance; on assure qu’il est né sur les marches d’un trône. De gros potins circulent sur lui : avant l’empire, il était entretenu par sa maîtresse, une baronne dont il a mangé les diamants en trois mois ; pas une affaire véreuse ne se traite sans lui sur la place de Paris. Sa tête pâle est fine et méchante, il a une haute mine d’aventurier élégant [44]. Comme homme politique, il a de la poigne, une main de fer, hardie, résolue, très déliée pourtant [84], une fine main gantée qui étrangle et que l’empereur fait alterner avec le poing de Rougon, un poing velu qui assomme [433]. Marié avec une princesse valaque, il renoue six mois après avec madame de Llorentz, une ancienne maîtresse qui possède une arme contre lui. Son antagoniste Rougon parvient à le remplacer au ministère de l’intérieur [263] et il devient alors président de la Chambre, apportant le sang-froid le plus parfait à la direction des débats, tenant tête aux Cinq avec une autorité mordante [452]. (Son Excellence Eugène Rougon.)

Marty. — Professeur de cinquième an lycée Bonaparte. Profil pauvre, redingote étriquée et propre, visage blêmi par le professorat [93]. Il gagne six mille francs par an et doit doubler ses appointements en courant le cachet, pour suffire au budget sans cesse croissant du ménage [74]. Devant les achats désordonnés de sa femme, il a l’angoisse résignée d’un pauvre homme, qui assiste à la débâcle de son argent, si chèrement gagné. Chaque nouveau bout de ruban est pour lui un désastre, d’amères journées d’enseignement englouties, des courses au cachet dévorées, l’effort continu de sa vie aboutissant à une gêne secrète, à l’enfer d’un ménage nécessiteux [99]. A la suite de violentes scènes d’intérieur, il est frappé du délire des grandeurs et enfermé dans une maison de fous [477]. (Au Bonheur des Dames.)

Marty (Madame). — Femme du professeur. Maigre, laide, ravagée de petite vérole, mise avec une élégance compliquée, elle est sans âge ; ses trente-cinq ans en valent quarante ou trente, selon la fièvre qui l’anime [74]. Fille d’un petit employé, elle ruine son mari par des achats désordonnés dans les grands magasins. On la connaît pour sa rage de dépense, sans force devant la tentation, d’une honnêteté stricte, incapable de céder à un amant, mais tout de suite lâche et la chair vaincue, devant le moindre bout de chiffon [74]. Elle prend tout au Bonheur des Dames, sans choix, au hasard des étalages. La névrose des grands bazars l’a complètement détraquée [322]. Quand son mari devient fou, elle continue sa course à travers les comptoirs, mangeant un vieux bonhomme d’oncle qui, après son veuvage, s’est retiré chez elle [477]. (au Bonheur des Dames.)

Marty (Valentine). — Fille de Marty. Une grande demoiselle de quatorze ans, maigre et hardie, une des coquetteries les plus chères de sa mère, qui l’habille comme elle, de toutes les nouveautés de la mode [74]. Valentine jette déjà sur les marchandises des regards coupables de femme [124]. (Au Bonheur des Dames.)

Mascart (Le Père). — aveugle paralytique. Habite rue Basse, à Beaumont. Angélique Marie lui fait manger elle-même l’assiettée de soupe qu’elle lui apporte [119]. (Le Rêve.)

Massacre. — L’un des chiens du berger Soûlas. Partage l’exécration de son maître pour la Cognette [100]. (La Terre.)

Massias. — Remisier. Fils d’un magistrat de Lyon, frappé d’indignité. Est devenu employé à la Bourse, n’ayant pas voulu continuer ses études de droit, après la disparition de son père. C’est un gros garçon rougeaud, aux jambes courtes, aux yeux bleus d’une limpidité enfantine. Longtemps malchanceux, avec son air inquiet de bon chien battu [94], il a pris une importance énorme depuis qu’il est au service de la Banque Universelle, il réalise des gains superbes et ne dit plus, comme autrefois, qu’il faut être juif pour réussir. Mais s’il a violé la chance, sur les talons de Saccard, il sort de son rêve les reins cassés. Au jour de la catastrophe, il doit soixante-dix mille francs et, alors qu’il pourrait, comme tant d’autres, invoquer l’exception de jeu, il fait celte bêtise sublime et inutile de payer, il emprunte à des amis, s’engageant pour la vie entière, sans que personne lui en sache gré, car on hausse même un peu les épaules derrière lui [394]. (L’Argent.)

Massicot. — Bourgeois de Plassans, enrôlé et armé par Pierre Rougon pour délivrer la mairie occupée par les républicains [272]; est pris d’émotion et tire en l’air, dans la mairie, sans savoir [289]. (La Fortune des Rougon.)

Masson (Colonel). — Adirigé avec le préfet des Bouches-du-Rhône, en 1851, la terrible répression des troubles qui suivirent le coup d’État. Au retour, il s’arrête à Plassans, ayant soin de faire passer hors de la ville ses soldats, las et muets, encore saignants de la tuerie de Saint-Roure [360]. (La Fortune des Rougon.)

Mathias. — Vieux bossu travaillant à la ferme de la Borderie. Il a possédé la Cognette lorsqu’elle avait quatorze ans [288]. (La Terre.)

Mathieu. — Une des bêtes préférées de Désirée Mouret. Un cochon qu’elle engraisse amoureusement et qu’elle a baptisé du nom de Mathieu, parce qu’il ressemble au gros homme qui apporte les lettres [294]. (La Faute de l’abbé Mouret.)

Mathieu. — Gros chien de montagne, croisé de terre-neuve, appartenant aux Chanteau [8]. Robe blanche aux longs poils frisés, une seule tache noire à l’œil gauche [18]. Cette bête affectueuse, au regard presque humain, remplit la maison, se faufilant partout, partageant les joies et les peines de tous. Dès le premier jour, il a deviné en Pauline une amie des bêtes et des gens. Mathieu a quatorze ans à la mort de sa maîtresse, madame Chanteau. Encore très vif, il passe des nuits à chasser les souris [229]. Vieillesse pénible ; son arrière-train se paralyse, des hémorragies continuelles l’épuisent peu à peu. Il meurt doucement dans les bras de son maître Lazare [286]. (La Joie de vivre.)

Mathilde. — Actrice des Variétés. Un petit torchon d’ingénue [172]. (Nana.)

Matignon. — Drapier me Croix-des-Petits-Champs, concurrent de Baudu. Il lui enlève un excellent courtier [265]. (Au Bonheur des Dames.)

Mauduit (Abbé). — Vicaire à Saint-Roch. Visage gras et fin, caractère affable d’homme du monde. L’abbé confesse ces dames et ces demoiselles de la bourgeoisie, les connaît toutes dans leur chair et, pénétré de son impuissance à les moraliser, finit par ne plus veiller qu’aux apparences, en maître des cérémonies jetant sur cette société gâtée le manteau de la religion [122]. Il fréquente chez ses pénitentes, offrant les conseils de son expérience pour mettre fin aux scandales des familles, se heurtant parfois à des impossibilités, subissant des avanies, sanctionnant quand il le faut certains désordres et se consolant d’une aussi lamentable besogne par l’édification à Saint-Roch d’un magnifique calvaire, où il va réaliser de beaux effets de théâtre. (Pot-Bouille.)

Maugendre. — Beau-père de Jordan. Avait à la Villette une manufacture de bâches où il a gagné quinze mille francs de rente. Gros homme calme et chauve, à favoris blancs. S’est retiré avec sa femme en un petit hôtel, avec un beau jardin, rue Legendre. Les deux époux vivent trop grassement, s’ennuyant à ne plus rien faire. C’est à contre-cœur qu’ils ont vu leur fille Marcelle épouser Jordan, jeune écrivain dont le père est mort ruiné. Ils se méfient d’un poète, croient avoir beaucoup fait en consentant au mariage et n’ont rien donné, sous le prétexte que Marcelle, après eux, aura leur fortune intacte, engraissée d’économies [19].

Dans sa vie désœuvrée, l’ancien fabricant, qui tonnait autrefois contre les agioteurs, s’est intéressé à la cote de la Bourse, lue chaque soir dans le journal. Une somme importante lui rentre un jour, il a l’idée de l’employer en reports, un simple placement, pas encore de la spéculation ; puis la fièvre commence à le brûler, devant la danse des millions, dans cet air empoisonné du jeu. Un gain de six mille francs achève de le détraquer, il se met à opérer, d’abord au comptant, puis à ternie, petitement pour commencer, s’enhardissant chaque fois davantage, malgré les premières résistances de sa femme et le blâme formel de son beau-frère Chave [202]. Le coup de Sadowa lui a fait perdre cinquante mille francs [215]. Il croit réparer le mal en achetant cinquante actions de l’Universelle au cours de douze cents francs; il les voit progressivement monter et en achète encore; on dépasse le cours de trois mille francs; une première baisse laisse intacte la foi de Maugendre dans le génie de Saccard ; pour se rattraper, il joue à découvert, achetant toujours, et à l’heure définitive de l’effondrement, c’est un désastre irréparable, d’énormes différences à payer, plus de deux cent mille francs, qui achèveront d’emporter la fortune gagnée si rudement par trente années de travail [386]. (L’Argent.)

Maugendre (Madame). — originaire de Marseille, sœur du capitaine Chave. Sèche, active, elle a travaillé comme son mari et gagné sa part de la fortune. Elle voit avec inquiétude Maugendre se lancer dans les spéculations de Bourse, car elle a toujours professé contre le jeu une haine de bonne ménagère. Mais, si des angoisses l’agitent, elle a les yeux enflammés au moindre gain [203]. Un jour, elle devient plus enfiévrée, plus âpre que son mari, c’est elle qui le gourmande de sa timidité; acharnée aux grands coups de hasard, elle s’exalte sur les renseignements de la Cote financière, une vieille feuille honnête qui inspire confiance à tous les rentiers, mais qui a été achetée par Saccard [301]. Et madame Maugendre, si prudente autrefois, si économe, la terreur de ses bonnes, toujours sur leurs talons, à éplucher leurs comptes, ne parle plus que par centaines de mille francs [386]. Après la ruine, elle et son mari sont secourus par le gendre qu’ils avaient méprisé, et qui les installe à Clichy, dans un rez-de-chaussée, avec jardin pas cher [388]. (L’Argent.)

Maugendre (Marcelle). — Amie d’enfance de Paul Jordan et fiancée à lui au temps où il était riche, elle s’est entêtée à vouloir quand même l’épouser lorsqu’il est devenu pauvre [18]. Marcelle est une petite personne grasse et brune, elle a un clair visage aux yeux rieurs, à la bouche saine, et qui exprime le bonheur, même aux heures difficiles [191]. Elle a une bravoure souriante, l’air décidé, très pratique dans son désir de rendre heureux son cher mari, son poète, qui travaille tant. Le rêve de sa vie est de le rendre riche un jour, d’être, comme en un conte de fées, la bonne magicienne qui met des trésors aux pieds du prince ruiné, pour l’aider à conquérir le monde. En attendant, c’est la grande gêne ; les quatre meubles d’acajou dont Marcelle est fière, dans ses deux étroites pièces, si ensoleillées, de l’avenue de Clichy, sont menacés par l’usurier Busch [299], et ce n’est pas Jordan qui sauvera la situation, car ces questions d’argent le paralysent. Alors, pleine de vaillance, la jeune femme va essuyer les rebuffades de ses parents, ces Maugendre qui, autrefois, auraient tout dépensé pour lui faire des cadeaux et, aujourd’hui, ne se soucient plus de rien, hors des opérations de Bourse. Energique et adroite, elle lutte bravement avec les huissiers, elle sait se tirer d’affaire, elle ose, devant son mari, intéresser le grand patron Saccard aux malheurs du jeune ménage, et tout est sauvé [310]. Mais le conte de fées ne se réalisera pas. Le trésor des Maugendre a été englouti dans le gouffre de l’Universelle et il semble à Marcelle qu’elle ne sera plus, avec sa famille, qu’un obstacle pour son Paul. Elle lui a apporté sa jeunesse, sa tendresse, sa belle humeur, pas une princesse au monde ne pourrait donner davantage, un enfant viendra bientôt, et, gentiment, elle croit que son mari ne lui doit rien [388]. (L’Argent.)

Mauriac (Baron De). — Starter aux courses deLongchamp [409]. (Nana.)

Maurin. — Maître chapelier à Plassans, bonhomme très aimé des ouvriers. Il est le candidat des républicains aux élections législatives [310] et, grâce aux manœuvres de l’abbé Faujas, n’obtient que les quinze cents voix irréconciliables du faubourg [324]. (La Conquête de Plassans.)

Maurin. — Notaire des Tulettes et maire de la commune. Veuf depuis une dizaine d’années, il vit en compagnie de sa fille, également veuve et sans enfants. C’est lui qui dresse l’acte do décès d’Antoine Macquart, mort de combustion spontanée [235]. (Le Docteur Pascal.)

Mazaud. — Un des plus jeunes agents de change, comblé par le sort, ayant eu la chance de la mort de son oncle, qui l’a rendu titulaire d’une des plus fortes charges de Paris à trente-deux ans, à un âge où l’on apprend encore les affaires. De petite taille, il est de ligure agréable, avec de minces moustaches brunes, des yeux noirs perçants. Il a fait un mariage d’amour qui lui apportait plus d’un million [86], deux enfants sont venus, et, après quatre ans de mariage, on ne lui prête qu’une courte curiosité pour une chanteuse de l’Opéra-Comique. Il vit dans une bonne odeur de chance, de félicité sans nuage, Mazaud montre une grande activité, l’intelligence très alerte elle aussi, beaucoup de flair, une intuition remarquable. Il a une voix aiguë qui, autour de la corbeille, fait contraste avec la voix mugissante de son collègue Jacoby; à l’opposé de celui-ci, il a la réputation de ne pas encore trop jouer pour son compte. La Banque Universelle va lui être funeste.Très engagé avec Saccard, qu’il reporte pour des sommes considérables, il a cru à l’appui décisif du syndicat Daigremont, il s’est laissé conquérir au point d’accepter encore, le matin même de la débâcle, dos ordres d’achat sans couverture pour plusieurs millions [360]. Et il est ruiné par la catastrophe; il se suicide chez lui d’un coup de revolver et son sang tombe goutte à goutte, dans le luxe et le parfum des rosés, éclaboussant sa femme et ses petits [401]. (L’Argent.)

Mazaud. (Madame). — Épousée par amour, elle a apporté à son mari une dot de douze cent mille francs. C’est une jeune femme charmante, qui devient mère de deux enfants, une fillette et un garçon. Comme eux, elle est blonde, d’une blancheur de lait, elle a l’air aussi délicat et ingénu que ces petits êtres [87]. Devant Mazaud étendu, la tête fracassée, elle forme avec eux un groupe lamentable, hurlant de douleur [400]. (L’Argent.)

Mazel. — Un maître de l’École, un peintre fameux, le dernier représentant de la convention élégante et beurrée. Fagerolles raconte qu’un jour, comme il dessinait d’après la petite Flore Beauchamp, Mazel s’est approché et lui a dit: « Les deux cuisses ne sont pas d’aplomb » ; et comme il répondait : « Voyez, monsieur, elle les a comme ça », Mazel s’est écrié, furieux: « Si elle les a comme ça, elle a tort. » La première année où le jury du Salon est élu par les artistes, c’est Mazel qu’on nomme président. Il a de fâcheuses distractions, faisant refuser étourdiment un hors concours, ou se laissant aller à dire: « Quel est donc le cochon...? » au moment même où il va reconnaître la signature d’un ami, rempart comme lui de la saine doctrine [372]. (L’Œuvre.)

Méchain. — Propriétaire d’une écurie de courses. Hasard, un de ses chevaux, court dans le Grand Prix de Paris [388]. (Nana.)

Méchain (Madame). — Petite-cousine de Rosalie Chavaille, dont elle a recueilli le fils, Victor Saccard. Une femme énorme, bien connue des habitués de la Bourse. Son visage de pleine lune, bouffi et rouge, aux minces yeux bleus, au petit nez perdu, à la petite bouche d’où sort une voix flûtée d’enfant, semble déborder d’un vieux chapeau mauve, noué de travers par des brides grenat. La gorge géante et le ventre hydropique crèvent la robe de popeline verte, mangée de boue, tournée au jaune. Se dit veuve, mais personne n’a connu son mari. Elle vient on ne sait d’où et paraît avoir eu toujours cinquante ans.

La Méchain est une de ces enragées et misérables joueuses, dont les mains grasses tripotent dans toutes sortes de louches besognes. Elle ne quitte jamais un antique sac de cuir, immense, aussi profond qu’une valise, où vont tomber les titres déclassés, les actions des sociétés mises en faillite, marchandise scélérate qu’on cède avec bénéfice aux banqueroutiers désireux de gonfler leur actif. Dans les batailles meurtrières de la finance, c’est le corbeau qui suit les armées en marche [16]. Elle possède, derrière la butte Montmartre, toute une cité, la cité de Naples, un vaste terrain planté de huttes branlantes, dont elle touche les loyers avec âpreté, jetant les familles à la rue dès qu’on ne lui donne pas à l’avance ses deux francs, faisant elle-même sa police, si redoutée que les mendiants sans asile n’oseraient dormir pour rien contre un de ses murs [159]. Affiliée à Busch, elle organise avec lui un chantage contre Aristide Saccard et parvient à soutirer deux mille francs de madame Caroline, navrée devant la déchéance du petit Victor [163]. Mal rassasiée par ce maigre résultat, la Méchain aura plus tard la satisfaction d’engloutir dans son sac les actions de la Banque Universelle [436]. (L’Argent.)

Mégot (Justine) (l). — Jeune femme de chambre de Renée Saccard. Séduite par Maxime et devenue enceinte, elle accouche en 1857 d’un fils, Charles Rougon, obtient une petite rente de douze cents francs et est renvoyée dans son pays avec l’enfant [119]. (La Curée.)

A l’époque de la séduction, c’était une fillette blonde de dix-sept ans, docile et douée. Originaire des environs de Plassans et installée dans cette ville, elle a épousé, trois ans plus tard, un bourrelier du faubourg, Anselme Thomas. Devenue d’une conduite exemplaire, engraissée, guérie d’une toux qui avait fait craindre une hérédité fâcheuse, due à toute une ascendance alcoolique, Justine a deux nouveaux enfants qui grandissent admirablement, tandis que le fils de Maxime Saccard, le petit Charles, est atteint de dégénérescence [62]. (Le Docteur Pascal.)

(l) Justine Mégot, tenante chlorotique, fille d’alcooliques, maîtresse de Maxime Rougon, dit Saccard. (Arbre généalogique des Rougon-Macquart.)

Méhudin (La Mère). — Vieille poissonnière aux Halles. Tassée, avachie, énorme de vie sédentaire, la taille débordante, elle a conservé la robe à ramages, le fichu jaune, la marmotte des harengères classiques. Pratique d’une voix enrouée l’engueulade du catéchisme poissard. Doit avoir amassé une belle fortune, révélée seulement par les bijoux en or massif dont elle se charge dans les grands jours. Originaire de Rouen, arrivée à Paris avec des anguilles dans un panier, elle n’a plus quitté la poissonnerie et a épousé un employé de l’octroi, qui est mort en lui laissant deux enfants, Louise et Claire [136]. Elle a cédé plus tard son banc à l’aînée. Habite rue Pirouette en compagnie de ses filles. La mère Méhudin hait le maigre Florent et voudrait le jeter à la porte [164]. Elle pousse Louise vers Lebigre et, comme la résistance de sa fille l’a rendue furibonde, elle dénonce Florent par une lettre à la préfecture, quatre pages presque indéchiffrables, d’un style ordurier [319]. (Le Ventre de Paris.)

Méhudin (Claire). — Marchande à la poissonnerie d’eau douce. Seconde fille de la mère Méhudin, sœur de la belle Normande. Blonde paresseuse. Est à vingt-deux ans un Murillo, suivant le mot de Claude Lantier, un Murillo décoiffé souvent, avec de gros souliers, des robes taillées à coups de hache qui l’habillent comme une planche [21]. Pas coquette, pleine de mépris pour les élégances de sa sœur, Claire est une créature fantasque, très douce et en continuelle querelle, d’une droiture absolue un jour, d’une injustice révoltante le lendemain. A déclaré qu’elle ne serait jamais la bonne de sa sœur, habite avec elle rue Pirouette, mais vexée de voir que Louise s’est attribué la plus belle chambre, refuse la pièce voisine et adopte, de l’autre côté du palier, un galetas qu’elle ne fait même pas blanchir à la chaux. A l’égard de Florent, son caprice est aussitôt de contrecarrer sa sœur. Quand Louise ameutait le pavillon contre lui, elle était seule à le défendre [142]. Mais, dès que la belle Normande change de tactique, Claire se fâche avec Florent, s’enfermant dans un mutisme jaloux, parlant d’aller le dénoncer et de se jeter ensuite à l’eau ; elle s’exalte au point de faire brûler des cierges à l’église [253] et, quand Florent va être arrêté, elle veut le sauver et se bat avec sa sœur qu’elle accuse de l’avoir vendu; affolée, échevelée, elle arrive trop tard, derrière le fiacre qui emporte le conspirateur au dépôt [336]. Après cette crise, Claire revient plus molle, plus paresseuse que jamais, à ses poissons d’eau douée. (Le Ventre de Paris.)

Méhudin (Louise). — Surnommée la belle Normande. Poissonnière superbe, d’une beauté hardie, très blanche et délicate de peau, d’œil effronté et de poitrine vivante [88]. Fille aînée de la mère Méhudin, deviendra plus tard madame Lebigre. Les Méhudin habitent rue Pirouette, dans l’ancienne maison des Quenu, an second. Elles sont une puissance à la poissonnerie, où elles dirigent les cabales et font trembler le personnel. La belle Normande a dû se marier avec un employé de la Halle au blé, mais celui-ci s’est cassé les reins dans une chute. Sept mois plus tard, elle a accouché d’un garçon, le gros Muche, et, dans l’entourage, on la considère comme veuve [138].

Très coquette, toujours parée, étalant des nœuds de rubans, une chaîne d’or qui sonne sur son tablier, ses cheveux nus peignés à la mode, elle est une des reines des Halles et, ancienne voisine de la belle Lisa Quenu, reste son amie intime, avec une pointe de rivalité. Elles ont affecté de s’aimer beaucoup, jusqu’au jour où une banale querelle en a fait deux ennemies acharnées. C’est alors un gros conflit dont les Halles vont être spectatrices, une formidable guerre entre grasses marchandes, où le maigre Florent recevra tous les coups. Louise Méhudin l’a d’abord persécuté dans ses nouvelles fonctions d’inspecteur de la marée, puis, gagnée par l’affection de Florent pour le petit Muche qu’il cherche à instruire [151], elle s’applique à le détacher de Lisa dont elle le croit l’amant. Elle manœuvre pour le séduire, refuse à son profit les avances de Lebigre, se compromet à tous les yeux, et soutient de terribles altercations avec sa sœur et sa mère. Mais Florent, plein de son idée fixe, reste insensible; et lorsque la découverte du complot provoque une perquisition chez la belle Normande, celle-ci, humiliée dans son orgueil, tourne sa rage contre le grand innocent qui n’a satisfait ni ses vanités ni ses rancunes; elle livre aux policiers les cahiers de Muche contenant des modèles d’écriture subversifs [334], se réconcilie publiquement avec la charcutière et achève de se relever aux yeux du quartier en épousent Lebigre, dont elle tiendra superbement le comptoir [357]. (Le Ventre de Paris.)

Meinhold (Madame de). — Mondaine du second Empire, belle femme à double menton, faisant payer son luxe par ses amants et allant beaucoup chez madame de Lauwerens [239]. Amie des Saccard. (La Curée.)

Mélanie. — Cuisinière des Grégoire. Vieille femme maigre, qui les sert depuis trente ans [80]. Folle de peur devant un carreau cassé à la Piolaine par les grévistes, elle transforme l’unique pierre lancée par Jeanlin Maheu en une canonnade en règle, dont les murs restent fendus [[410].] (Germinal.)

Mélanie. — La bonne du juge d’instruction Denizet. Ce dernier voudrait de l’avancement pour qu’elle soit mieux nourrie et moins acariâtre [150]. (La Bête humaine.)

Mélie. — Nièce des Faucheur. Une fille du village de Bennecourt, qui est entrée au service de Claude Lantier et de Christine. Sa stupidité les enchante. Après la mort des Faucheur, l’auberge, tombée à ses mains, devient répugnante de saleté et de grossièreté [4.28]. (L’Œuvre.)

Menu (Mademoiselle). — Tante de Fanny. Originaire de Villeneuve, près de Lille. A été pendant trente ans brodeuse chez Mardienne frères. Ayant hérité d’une maison au pays, elle a eu la chance de la louer en viager, mille francs par an, à des gens qui croyaient l’enterrer le lendemain. A soixante-quinze ans, elle habite avec sa nièce, rue Saint-Marc, au troisième étage, et reste en une inaction d’ancienne ouvrière qui a juré de ne plus toucher une aiguille [163]. Mademoiselle Menu a vécu dans un célibat et une chasteté qui ne lui ont rien coûté ; elle a des dents de jeune fille, un visage blanc et reposé de sœur tourière. Pour assurer l’avenir de Fanny, elle lui a cherché un vieil entreteneur et elle vit entre sa nièce et Narcisse Bachelard, dans une heureuse bonhomie. (Pot-Bouille.)

Menu (Fanny), dite FIFI.Fille du capitaine Menu, mort sans lui laisser un sou. Elle est tombée sur les bras de sa tante, qui l’a retirée de la pension, en a fait une brodeuse et lui a trouvé un bienfaiteur dans la personne du vieux Bachelard. C’est une grande jeune fille blonde, jolie, à l’air simple. Bachelard l’appelle Fifi, la baise au front et lui donne des pièces de quatre sous qu’elle doit conserver comme des .médailles. Mais l’innocente Fifi s’est laissé surprendre au lit avec Gueulin, tout en gardant, à travers tout, ses yeux ingénus, son odeur de chasteté, la naïveté d’une petite fille incapable encore de distinguer un monsieur d’une dame [387] ; l’oncle Bachelard marie les deux amants en leur donnant les cinquante mille francs de dot qu’il a obstinément refusés à sa nièce Berthe. (Pot-Bouille.)

Merle. — Protégé de madame Correur. Homme superbe qui .a servi dans la cavalerie. Rougon, président du Conseil d’État, l’a accepté comme huissier [29]. Renvoyé pour inconduite après la chute du grand homme [260], il suit la fortune de son protecteur et redevient huissier lorsque Rougon redevient ministre [265]. (Son Excellence Eugène Rougon.)

Mes-Bottes. — Camarade de Coupeau, toujours chez le marchand de vin ou à l’assommoir, célèbre pour son formidable appétit. On l’a invité comme boute-en-train au mariage de Coupeau et de Gervaise, il fait la profonde admiration de toute la noce, dévorant comme un ogre et buvant comme un trou [105]. Mes-Bottes se range en épousant une femme galante de la rue des Martyrs, très décatie, mais à son aise, et il vit en souteneur bourgeois, les mains dans ses poches, bien vêtu, bien nourri [523]. (L’Assommoir.)

Meyer. — Patron de la boulangerie viennoise du faubourg Poissonnière. Les Coupeau prennent le pain chez lui pour faire plaisir à Lantier [316]. (L’Assommoir.)

Michelin. — Chef du bureau de la voirie à la préfecture de la Seine, sons le second Empire [29]. La tête la plus nulle et lapins vide qu’on puisse imaginer [95]. Il a toute une jolie collection de sourires qui le dispensent presque toujours de se servir de la parole [33]. Magistralement poussé par sa femme, il a su faire le jeu d’Aristide Saccard dans ses opérations immobilières [94] et, mari plein de complaisance, il se laisse pousser aux honneurs, à la décoration [277] et à la fortune, toujours nul et toujours souriant. (La Curée.)

Michelin (Madame). — Femme du chef de bureau, jolie brune toute potelée [29]. De mœurs aimables, elle a su agir pour l’avancement de son mari, visitant ses chefs et obtenant chaque fois un avantage pour Michelin, dont elle a consolidé la fortune en le poussant vers Aristide Saccard [95]. Elle va tranquillement dans la vie, utilisant Sidonie Rougon pour trouver des amants généreux, se faisant donner dix mille francs par M. de Maffré [192], une propriété à Louveciennes par le vieux baron Gouraud [284], un coupé par M. Hupel de La Noue et espérant obtenir bientôt une voiture découverte [344]. (La Curée.)

Miette. — Marie Chantegreil, dite Miette, née en 1838, fille du braconnier Chantegreil, nièce d’Eulalie Rébufat, la femme du méger du Jas Meffren. A perdu sa mère dès le berceau et vit entre son père et son grand-père à Chavanoz, village des bords de la Seille. Quand elle a neuf ans, son père est envoyé au bagne pour avoir tué un gendarme, son grand-père meurt de chagrin, elle est recueillie parles Rébufat, rudoyée par le mari, soutenue en cachette par la femme, persécutée par le fils, son cousin Justin, honnie de tout le faubourg qui accable d’outrages cette innocente, dont le père est forçat. Elle a onze ans quand sa tante meurt et c’est alors pour Miette une vie de pénible travail, de durs affronts qui l’aigriraient à jamais et la rendraient mauvaise si, dans son idylle avec Silvère Mouret, elle ne retrouvait les tendresses de sa nature aimante [212]. A treize ans, elle est nubile, la femme s’épanouit rapidement en elle ; avec un front très bas, des yeux à fleur de tête, un liez court et des lèvres trop rouges, qui examinés à part seraient autant de laideurs, son visage, couronné de superbes cheveux noirs, est d’une étrange et ravissante beauté [16]. Depuis deux ans, Miette et Silvère s’aiment en enfants innocents, se retrouvant chaque soir au fond de l’aire Saint-Mittre, goûtant des bonheurs innocents et profonds. Cet amour sauve Miette de ses désespoirs, elle adore ce doux et pensif Silvère qui la libère de son existence de paria et qui, plein d’idées hautes, chasse en elle les mauvais instincts, la rend meilleure. Aussi, lorsqu’au coup d’Etat, Silvère s’enrôle parmi les insurgea, veut-elle le suivre et partager ses périls. L’enthousiasme communicatif de Silvère, le pressentiment d’une mort prochaine, les suprêmes injures du haineux Justin, jettent Miette dans une exaltation qui la fait défiler à la tête de la troupe insurrectionnelle, échevelée, mante au vent, brandissant le drapeau rouge. C’est pendant un repos de cette longue marche qui les mène à la mort que Miette et Silvère échangent leur premier baiser d’amour, encore plein d’ignorance [206]. Miette meurt quatre jours après, tuée dans la fusillade de Saint-Roure [263]. (La Fortune des Rougon.)

Miette. — Une belle fille du village des Artaud, mariée par l’abbé Caffin [288]. (La Faute de l’abbé Mouret.)

Mignon. — Gros entrepreneur, associé de Charrier [126]. (La Curée.)

Mignon. — Mari de l’actrice des Variétés. Gaillard très grand, très large, avec une tête carrée d’hercule de foire. Il porte un gros diamant au doigt [7]. Quand Rose l’a épousé, Mignon était chef d’orchestre dans le café-concert où elle chantait. Aujourd’hui, ils restent bons amis. C’est réglé entre eux : elle travaille le plus qu’elle peut de tout son talent et de toute sa beauté, lui a lâché son violon pour mieux veiller sur ses succès d’artiste et de femme. On ne trouverait pas un ménage plus bourgeois, plus uni. Quand Mignon parle de ses enfants, il sourit complaisamment, il a les yeux humides de tendresse paternelle; il adore les petits; une seule préoccupation le tient, grossir leur fortune en administrant avec une rigidité d’intendant fidèle l’argent que gagne Rose au théâtre ou ailleurs [109].

Mignon est toujours l’inséparable de l’amant de Rose; au besoin, il l’aide à la tromper; puis, la fantaisie passée, il le ramène, repentant et fidèle. Complaisant aux banquiers comme Steiner, il a vu d’un mauvais œil Rose perdre son temps avec le journaliste Fauchery qui n’apporte au ménage qu’une publicité discutable. Il a imaginé de se venger de Fauchery en le comblant de marques d’amitié et en le bourrant de coups, comme emporté par un excès de tendresse. D’ailleurs, tout s’arrange entre eux par l’accoutumance. Le principe de Mignon est qu’il ne faut se fâcher avec personne [146]. Expérimenté et supérieur, il n’entre pas dans les querelles de femmes ; les ressentiments de Rose ne l’empêchent pas d’admirer Nana. Il éprouve, devant l’énormité du travail de cette fille, devant l’entassement de ses richesses, cette sensation de respect éprouvée par lui un soir de fête, dans le château qu’un raffineur s’était fait construire, un palais dont une matière unique, le sucre, avait payé la splendeur royale. Elle, c’est avec autre chose, une petite bêtise dont on rit, un peu de sa nudité délicate, c’est avec ce rien honteux et si puissant, dont la force soulève le monde, que toute seule, sans ouvriers, sans machines inventées par des ingénieurs, elle a su ébranler Paris et bâtir une fortune où dorment des cadavres. Et dans son ravissement, avec un retour de gratitude personnelle, il laisse échapper ce mot : — « Ah! nom de Dieu! quel outil! » [500]. (Nana.)

Mignon (Charles). — Fils cadet des Mignon [214]. (Nana.)

Mignon (Henri). — Fils aîné des Mignon; À neuf ans, c’est un gaillard. On l’élève avec son frère dans un pensionnat [214]. (Nana)

Mignon (Rose). — Étoile des Variétés, fine comédienne et adorable chanteuse [6]. Maigre et noire, elle est d’une laideur charmante de gamin parisien [15]. L’argent qu’elle gagne au théâtre et à la ville est sévèrement administré par son mari, esprit pondéré qui sait calmer, au besoin, ses ressentiments de femme et d’actrice. Un peu aigrie par la rivalité de Nana, une actrice de trottoir qui lui enlève ses rôles et ses amants, elle a, en un jour de colère, dénoncé au comte Muffat les amours de la comtesse avec Fauchery [439]. Mais au fond, Rose n’est pas méchante; c’est elle qui, prise de pitié devant Nana atteinte de la petite vérole, prend l’initiative de la faire transporter au Grand Hôtel; elle l’y soigne avec dévouement [507]. (Nana).

Mignot. — Commis du rayon de ganterie, au Bonheur des Dames. Un des rares Parisiens de la maison, le joli Mignot, comme on l’appelle. Bâtard d’une maîtresse de harpe [54]. Il affecte de coqueter avec les clientes et vit sur la légende d’une femme de commissaire de police, tombée amoureuse de lui [120]. C’est un ami d’Albert Lhomme ; il avantage les maîtresses que celui-ci lui adresse, des filles en cheveux qui fouillent pendant des heures dans les cartons [166]. Quant à lui, il joue aux courses, toujours serré d’argent, empruntant aux camarades [335]. Mignot finit par se faire chasser pour une série de vols de marchandises, accomplis avec le concours d’Albert Lhomme [416]. Plus tard, devenu courtier, il reparaît effrontément au magasin [496]. (Au Bonheur des Dames.)

Mimi-la-Mort. – Un élève du collège de Plassans, qu’on nomme aussi le Squelette-Externe. C’est un maigre garçon qui apporte en contrebande le tabac à priser de toute la classe. On fait un jour la bonne blague de brûler ses souliers dans le poêle [37]. (L’Œuvre.)

Minouche. — Petite chatte blanche, appartenant aux Chanteau [8]. D’une propreté minutieuse, froidement égoïste, elle traverse les événements avec le continuel souci de ne pas se salir. C’est la parfaite indifférence, opposée aux débordantes démonstrations du chien Mathieu. Quatre fois par an, elle tire des bordées terribles, disparaissant des deux et trois jours. Elle rentre abominable, si sale qu’elle se lèche pendant une semaine; puis elle reprend son air dégoûté de princesse. Ses portées sont jetées à l’eau sans qu’elle s’en inquiète, pensant que la maternité finit là [68]. A seize ans, elle perd un peu la vue [431]. (La Joie de vivre.)

Misard. — Stationnaire de la Compagnie de l’Ouest, à la Croix-de-Maufras, entre Malaunay et Barentin. Un petit homme malingre, les cheveux et la barbe rares, décolorés, la figure creusée et pauvre. Sa femme, une cousine de Jacques Lantier qui l’appelle tante Phasie, garde la barrière du passage à niveau. Misard est un ancien poseur de la voie, il gagne maintenant douze cents francs à une besogne toujours la même pendant douze heures : sonner de la trompe à chaque tintement électrique annonçant un train, puis le train passé, la voie fermée, pousser un bouton pour le signaler au poste suivant et un autre bouton pour rendre la voie libre au poste précédent ; il vit là, mange là, sans lire trois lignes d’un journal, sans paraître même avoir une pensée, sous son crâne oblique.

Silencieux, effacé, sans colère, d’une politesse obséquieuse devant les chefs, cet humble, ce chétif, qui tousse d’une petite toux mauvaise, empoisonne lentement sa femme, mêlant d’abord une poudre au sel qu’elle absorbe, puis lorsqu’elle s’en est aperçue, jetant de la mort-aux-rats dans ses lavements. Ce crime patient et sournois, commis dans la continuelle trépidation des trains, en un désert où nul ne s’arrête, a pour cause la convoitise d’une somme de mille francs qui a été léguée à tante Phasie par son père et qu’elle a refusé de remettre à Misard. Durant des mois et des mois, celui-ci ne songe qu’à l’argent, fouillant partout, supposant en vain mille cachettes.

Pour s’emparer du trésor, il a fini par tuer sa femme, une grande et belle femme, une gaillarde, peu à peu mangée par lui comme le chêne est mangé par l’insecte. Elle est maintenant sur le dos, réduite à rien, et lui dure encore [309]. Mais tante Phasie triomphe quand même, Misard reste battu, retournant la maison, creusant le jardin, cherchant éperdument le jour et la nuit, sous l’affolement de l’idée fixe, et ne trouvant décidément rien. Une vieille femme du voisinage, la Ducloux, qu’il a prise pour tenir la barrière, exploite sa manie, elle se fait épouser [408] et, désormais, tous deux cherchent avec la même fièvre, tous deux chercheront éternellement, sans que l’assassinée consente à livrer son secret. (La Bête humaine.)

Misard (Madame). — Voir PHASIE (Tante).

Morange (Charlot). — Fils de Silvine Morange et de Goliath Steinberg. Rose et blond, très fort, il a une tignasse pâle frisée et de gros yeux bleus, il ressemble extraordinairement à son père, il est bien de race germanique, dans sa belle santé d’enfance, souriante et fraîche. C’est le Prussien, comme les farceurs de Remilly le nomment [168]. Il a trois ans au moment de l’occupation allemande. Ou lui a appris une injure : « Cochons, les Prussiens ! » qu’il répète avec obstination [518]. Caché derrière Silvine, sans qu’elle s’en doute, l’enfant assiste à la mort de son père, égorgé comme un porc par les francs-tireurs des bois de Dieulet. A présent, on ne dira plus que Charlot est un Prussien, il sera élevé dans l’exécration de sa famille paternelle et ira peut-être un jour exterminer les siens [540]. (La Débâcle.)

Morange (Silvine). — Servante de ferme à Remilly. Elle a perdu toute jeune sa mère, ouvrière séduite, qui travaillait dans une usine de Raucourt. Son parrain d’occasion, le docteur Dalichamp, l’a placée comme petite servante chez le père Fouchard. A seize ans, elle a été aimée du fils du maître et devant l’opposition du vieux, le jeune homme s’est engagé. Alors, dans une minute d’inconscience, malade de chagrin, affaiblie encore par les larmes de la séparation, la malheureuse fille s’est donnée à un valet de ferme, Goliath Steinberg, elle est devenue enceinte, puis l’homme a disparu, le petit Charlot est né. Mais elle n’a jamais cessé d’aimer Honoré Fouchard, elle ose le lui écrire trois ans après, à l’heure de la guerre ; elle ne veut pas qu’il meure sans savoir qu’elle n’a jamais aimé que lui ; c’est un adieu plein d’une infinie tendresse.

Très brune, Silvine a d’épais cheveux noirs et de grands beaux yeux qui suffisent à sa beauté, dans son visage ovale, d’une tranquillité forte de soumission [165]. Elle est toute saignante de l’invasion ; à Raucourt, elle a vu les Bavarois ivres de fureur ; près de Villers, elle a rencontré une femme de Beaumont, qui fuyait devant eux et qui, sur la grande route du village, a assisté au terrible passage de l’artillerie ennemie, menée d’un train d’enfer, se hâtant dans la diabolique poursuite des troupes françaises [170]. Silvine adore son enfant, elle étreint sur son cœur le fils du Steinberg qui, à cette heure même, guide les colonnes prussiennes à travers les bois. Une félicité survient : Honoré a pardonné sa faute, il est de non-veau à elle, lui qu’elle avait perdu; maintenant, elle mourra plutôt que de se le laisser reprendre [173]. Et quand, le lendemain de Sedan, elle apprend qu’il a été tué, c’est un écroulement, un besoin fou de le revoir.

Avec Prosper Sambac, elle va chercher Je corps au calvaire d’Illy; elle traverse la Meuse où des cadavres passent au fil de l’eau ; elle parcourt Bazeilles effondré [416] ; devant Montivilliers, elle rencontre des tombereaux débordants de morts [118] ; elle voit à l’Ermitage les petits soldats français, tués la veille et rangés par les Prussiens dans des poses ridicules, en dérision de la vieille gaieté française [419] ; elle traverse le bois de la Garenne, la forêt bombardée, où tarit d’hommes sont tombés fraternellement avec les arbres [421] ; et elle aboutit enfin au vrai champ de bataille, au plateau d’Ely, plein d’horreur, où d’immondes rôdeurs détroussent les morts, où des chevaux errants, libres et affamés, les naseaux couverts d’écume, se livrent à des charges furieuses, au travers de la campagne vide et muette [424]. Elle retrouve le cher mort, cet homme’ si bon qui lui a pardonné et qui, entre ses doigts crispés, tient encore la lettre où elle lui disait son amour [430]. Elle ramène le corps à Remilly, en passant par Sedan, la ville devenue immonde, le cloaque où, depuis trois jours, s’entassent les déjections et les excréments de cent mille hommes [432].

Et Silvine, très belle dans sa pâleur, avec les grands yeux superbes qui éclairent tout son visage, pleure le seul homme qu’elle ait aimé; ses lourds cheveux noirs la coiffent comme d’un casque de deuil éternel [526]. Aussi repousse-t-elle farouchement les avances de Goliath, revenu avec les armées allemandes; les menaces du Prussien l’affolent, elle le livre aux francs-tireurs [531], et, la face rigide, absente d’elle-même, en proie à l’idée fixe qui la pousse, elle assiste à l’affreuse mort de l’espion [537]. Après cette scène tragique, elle redevient la fille courageuse et soumise de jadis, dirigeant la ferme en l’absence du maître, pendant que Charlot saute et rit autour d’elle [542]. (La Débâcle.)

Morizot. — Amateur courant les salons, où il fait des tours de physique. Il est amené par Malignon au bal d’enfants des Deberle [130]. (Une Page d’Amour.)

Moser.Un habitué de la Bourse. Taille courte, le teint jaune, ravagé par une maladie de foie. Se lamente sans cesse, en proie à de continuelles craintes de cataclysme, qu’il exprime de sa voix aigre et très aiguë [7]. Même quand les liquidations sont bonnes, il empoche ses gains d’un air navré [91]. (L’Argent.)

Mouche (Le Père). — De son vrai nom Michel Fouan. C’est le troisième enfant de Joseph-Casimir. Frère de la Grande, du père Fouan et de Laure Badeuil. Père de Lise et de Françoise Mouche. Possédant sept arpents de terre, il s’est embarrassé d’une amoureuse qui ne devait avoir en héritage que deux arpents de vigne. Dans le partage des biens paternels, on a attribué à Michel l’antique maison patriarcale, bâtie par un ancêtre, il y a trois siècles, et que la famille honore d’une sorte de culte. Veuf jeune, le père Mouche vit dans une aigreur de malchanceux, encore humilié de son mariage pauvre, accusant son frère et la Grande, après quarante ans, de l’avoir volé lors du tirage des lots; et, à la vérité, il est devenu si raisonneur et si mou au travail que sa part, entre ses mains, a perdu de moitié [33]. A soixante ans, gros, court, il meurt d’une attaque d’apoplexie, pendant une tempête de grêle dévastatrice qui affole les paysans et les jette en pleine nuit dans leurs champs, avec des lanternes, pour constater le désastre [109]. (La Terre.)

Mouche (Françoise) (1). — Fille cadette de Michel Fouan, dit Mouche. Orpheline à quinze ans. Elle a une petite gorge dure quise foime, une face allongée aux yeux noirs très profonds, aux lèvres épaisses, d’une chair fraîche et rose de fruit mûrissant. La peau est très brune, hâlée et dorée du soleil [5]. Le grand air et les durs travaux n’ont pas eu le temps de l’enlaidir. Françoise a le renom d’une fameuse tête, l’injustice l’exaspère; quand elle a dit : ça c’est à moi, ça c’est à toi, elle n’en démordrait pas sous le couteau. Raisonnable, très sage, sans vilaines pensées, seulement tourmentée par nu sang hâtif, elle a été élevée par Lise, leur mère étant morte, et c’est une adoration entre les deux sœurs, on les rencontre toujours ensemble.

Lorsque Buteau a abandonné Lise, dont il était l’amant, Françoise a éprouvé une grande antipathie pour lui, elle a été soulevée par une de ses révoltes d’honnêteté, comme si elle avait à venger un dommage personnel [118]. Puis, lorsque Buteau a réparé sa faute par un mariage, il a semblé à Françoise qu’on lui prenait sa sœur ; puisque celle-ci est maintenant à un autre, elle la lui laisse. Au fond, elle désire Buteau sans le savoir; sa colère n’est que de la jalousie inconsciente ; mais uniquement préoccupée du tien et du mien, elle mourrait plutôt que de partager. Le désaccord s’est accentué entre les deux sœurs. Bateau, qui les a désunies, rêve de les posséder toutes deux, d’être l’amant de sa belle-sœur pour garder tout le -bien. Et c’est une longue lutte entre lui et Françoise, celle-ci résistant à ses attaques brutales, faisant tête avec une sorte de rage, allant jusqu’à se réfugier dans un mariage avec Jean Macquart, qui l’a possédée par surprise et qu’elle n’aime pas, car elle le considère comme un ami très âgé et bonhomme [117].

Devenu son mari, Jean n’est pour elle qu’un étranger, elle se sent bouleversée à chaque rencontre avec Buteau et lorsque enfin, à vingt-trois ans, enceinte de cinq mois, presque consentante au viol, elle subit l’étreinte du mâle si longtemps repoussé, elle est emportée dans un spasme de bonheur aigu, elle serre Buteau à l’étouffer, en poussant un grand cri. La mort vient alors, dans un meurtre lâchement conçu par Lise, et, gisante, le flanc troué, assassinée par les siens, Françoise conserve dans l’agonie son profond sentiment de la famille, plus fort que le besoin de vengeance. Dans son idée puérile et têtue de la justice, elle ne veut pas laisser la terre, la maison, à son mari, à l’homme venu d’ailleurs et qui n’a fait que traverser son existence, en passant [453]. Elle meurt silencieuse, ainsi qu’une bête terrée au fond de son trou [457]. (La Terre.)

(1) Françoise Mouche mariée en 1867 à Jean Macquart. (Arbre généalogique des Rougon-Macquart.)

Mouche (Lise). — Sœur aînée de Françoise. Fille de la Vierge, elle est enceinte des œuvres de son cousin Buteau. Grasse et ronde, la mine gaie, Lise est grande, elle a l’air agréable, malgré ses gros traits et la bouffissure commençante de toute sa personne. Plus âgée de dix ans que Françoise, elle apporte à la besogne un tel cœur, tapant, criant, riant, qu’elle réjouit la vue. Le petit Jules a près de trois ans, lorsque Buteau, longtemps réfractaire au mariage, est séduit par une opération de terrains qui avantage les sœurs Mouche; il se décide à épouser Lise.

De nouveau enceinte, celle-ci accouche le jour de la Saint-Fiacre, en même temps que la Coliche [248], et la femme oublie ses propres douleurs pour s’intéresser au travail de la vache. Depuis qu’un homme est là, avec ses volontés et ses appétits de mâle, une haine lente, inconsciente, s’est levée entre Lise. et Françoise. Plus l’aînée a grossi, plus elle s’est tassée dans sa graisse, satisfaite de vivre, d’une gaieté d’égoïsme rapace, ramenant à elle la joie d’alentour [301]. Comme Bateau devient brutal et qu’il casse tout lorsqu’il est repoussé par Françoise, Lise voudrait voir sa sœur céder ; son unique désir est d’être heureuse, même au prix d’un partage. Puis, rageant de voir son mari s’échauffer inutilement auprès de la jeune fille, elle prend en exécration ce joli corps qui se refuse, elle voudrait que Bateau abîme tout ça [359], et c’est dans ce sentiment qu’elle aide plus tard au viol, espérant aussi que Buteau pourra, par de convenu, détruire l’enfant que la femme de Jean porte en elle. Mais dans le cœur qu’il y mettait, Buteau a tout oublié. Et une jalousie éclate tout à coup en l’âme de Lise, une jalousie qui porte moins sur l’acte que sur tout ce qu’il a fallu partager, dès la naissance, avec cette sœur maudite. Elle hait Françoise d’être plus jeune, plus fraîche, plus désirée, et, dans un paroxysme de colère, elle la culbute de toute la force de ses poignets sur une pointe de faux [447]. Le crime reste impuni, grâce au silence volontaire de la victime. Lise aide ensuite à l’assassinat du père Fouan. (La Terre.)

Moulin. — Sous-chef de gare au Havre, collègue de Roubaud [72]. (La Bête humaine.)

Moulin (Madame). — Femme du sous-chef de gare. Petite personne timide et frêle, qu’on ne voit jamais et qui a un enfant tous les vingt mois [85]. (La Bête humaine.)

Moumou. — Une des bêtes préférées de Désirée Mouret c’est un gros chat noir qui lèche avec douceur le menton de -sa maîtresse [304]. (La Faute de l’abbé Mouret.)

Mounier. — Ténor de l’Opéra. ‘Donne la réplique à une cantatrice mondaine, madame Daigremont [3091. (L’Argent.)

Mouque. — Père de Mouquet et de Mouquette. Court, chauve, ravagé, mais resté gros quand même, ce qui est rare chez un ancien mineur de cinquante ans; a été gardé au Voreux comme palefrenier. La Compagnie l’a logé dans les ruines de Réquillard, pleines de trous perdus où les galants culbutent les filles; le père Mouque achève ainsi de vieillir, au milieu des amour, [139]. Il chique à un tel point que ses gencives saignent dans, sa bouche noire [62]. Chaque soir, il reçoit la visite de son vieux camarade Bonnemort [141]. (Germinal.)

Mouquet. — Moulineur au Voreux. Petit et gros comme son père, le vieux Mouque, il a le nez effronté d’un gaillard qui mange tout, sans nul souci du lendemain [68]. C’est l’inséparable ami de Zacharie Maheu. Venu en curieux, pendant la grève, à la fosse gardée militairement et assaillie par les grévistes, il est tué par une balle qui lui entre dans la bouche [488]. (Germinal.)

Mouquette. — Une hercheuse de dix-huit ans, bonne fille dont la gorge et le derrière énormes crèvent la veste et la culotte. Elle habite avec son père et son frère, dans les ruines de Réquillart. An milieu des blés en été, contre un mur en hiver, elle se donne du plaisir avec son amoureux de la semaine; toute la mine y passe, une vraie tournée de camarades, sans autre conséquence. On ne la fâche qu’en lui attribuant des amours extérieures; elle se respecte trop pour aller avec un autre qu’un charbonnier [29]. Le lundi, lorsqu’elle est lasse des farces du dimanche, elle se donne un violent coup de poing sur le nez, quitte sa taille sous prétexte d’aller chercher de l’eau, et vient se réfugier à l’écurie, dans la litière chaude [62].

Pour la Mouquette, la suprême expression du dédain consiste à montrer son derrière; pendant la marche des grévistes au travers des fosses, elle le présente, énorme et nu, aux bourgeois de Montsou et quand l’émeute gronde autour du Voreux, quand les soldats chargent leurs fusils, elle leur crache d’abord tous ses gros mots, puis, n’ayant plus que cette nouvelle offense à bombarder au nez de la troupe, elle lui montre son cul [483]. Peu sentimentale de nature, la Mouquette s’est éprise pourtant d’Étienne Lantier [2861; c’est une très courte liaison qu’Étienne rompt bientôt, car il est hanté par son amour pour Catherine Maheu. Celle-ci est sauvée le jour de l’émeute par la Mouquette qui, d’un mouvement instinctif, s’est jetée devant elle en lui criant de prendre garde. La bonne fille reçoit deux balles dans le ventre, elle s’étale sur les reins et, mourante, elle hoquète sans cesser de sourire à Catherine et à mienne, comme si elle était heureuse de les voir ensemble, maintenant qu’elle s’en va [488]. (Germinal.)

Mouret (1). — Était ouvrier chapelier dans un faubourg de Plassans lorsqu’il s’est épris d’Ursule Macquart, frêle et blanche comme une demoiselle du quartier Saint-Marc. Il l’épouse en 4810, faisant un mariage d’amour, ne demandant pas un sou de dot et il emmène sa femme à Marseille où il va travailler de son état [60]. Lorsque, cinq ans après, Antoine Macquart vient lui demander son concours contre Pierre Rougon qui s’est approprié le patrimoine maternel, Mouret conserve son attitude désintéressée et se refuse à tout démêlé avec la famille. Il s’est établi rue des Petites-Maries, a trois enfants, Hélène, François et Silvère, perd en 1840 sa femme qu’il adorait et, terrassé par le coup, se traîne encore un an, ne s’occupant plus de ses affaires, perdant l’argent qu’il avait amassé. Un matin, on le trouve pendu dans un cabinet où étaient encore accrochées les robes d’Ursule [160]. (La Fortune des Rougon.)

(1) Mouret, ouvrier chapelier, bien portant et pondéré, marié à Ursule Macquart. (Arbre généalogique des Rougon-Macquart.)

Mouret (Madame Ursule). — Voir MACQUART (Ursule).

Mouret (Désirée) (1). — Troisième enfant de François Mouret et de Marthe Rougon. Sœur d’Octave. et de Serge. Née en 1814 à Plassans [161]. (La Fortune des Rougon.)

A quatorze ans, forte pour son âge, elle a un rire de petite fille de cinq ans. C’est une innocente [16] qui n’aime que les bêtes et ne se porte bien que chez sa nourrice, où elle vit dans la basse-cour [95]. Marthe qui, avant son détraquement religieux, aimait tendrement cette petite, la néglige de plus en plus [185] et finit par la prendre en grippe [235], au point qu’un matin, Mouret ramène l’enfant à Saint-Eutrope, chez si nourrice. (La Conquête de Plassans.)

Orpheline en 1864, Désirée est recueillie par son frère Serge qui, après le séminaire, est devenu curé des Artaud. A vingt-deux ans, l’innocente est une forte fille, aux cheveux noirs noués puissamment derrière la nuque, à l’air enfant, aux pensées puériles, que la Teuse couche tous les soirs en lui racontant des histoires pour l’endormir. Passant ses journées parmi les bêtes dont elle est la fraternelle amie, son grand coq fauve Alexandre qui commande la basse-cour, sa chèvre, ses lapins, son cochon Mathieu, sa vache Lise, adorant les oiseaux, protégeant même les fourmis qui ont envahi l’église, elle vit heureuse, le cerveau vide, sans curiosité dépravée, goûtant dans le pullulement qui l’entoure toutes les joies de la fécondité, devenant une belle bête fraîche, blanche, au sang rose, à la peau fine [68]. L’oncle Pascal, qui étudie les Rougon-Macquart et leurs instincts si difficiles à assouvir, dit que c’est Désirée qui a eu le plus de chance [47]. (La Faute de l’abbé Mouret.)

Elle a suivi son frère à Saint-Eutrope, où il est devenu curé, et elle reste innocente et saine comme une jeune bête heureuse [122]. (Le Docteur Pascal.)

(1) Désirée Mouret née en 1841. [Élection de la mère. Ressemblance physique de la mère. Hérédité d’une névrose se tournant en imbécillité]. Vit encore à Saint-Eutrope, avec son frère. (Arbre généalogique des Rouqon-Macquart.)

Mouret (François) (1). — Fils aîné d’Ursule Macquart, et du chapelier Mouret. Frère d’Hélène et de Silvère. Père d’Octave, Serge et Désirée. Né à Marseille en 1817. Grande ressemblance physique avec sa mère et avec l’aïeule Adélaïde Fouque ; tient de son père un cerveau étroit et juste, aimant d’instinct la vie réglée. C’est un garçon paisible et méticuleux, un peu lourd de sang. Il a reçu une bonne éducation commerciale et, après la mort de son père, en 1840, a quitté Marseille et est entré, à titre de commis, citez son oncle Pierre Rougon, à Plassans. Trois mois après, François épouse sa cousine, Marthe Rougon, avec qui il a une grande ressemblance physique et une grande dissemblance morale. De 1840 à 18144, les deux époux ont trois enfants; quand Pierre Rougon se retire, en. 1845, ils refusent de prendre le fonds et vont s’établir à Marseille, avec quelques économies [161]. (La Fortune des Rougon.)

En quinze ans, François a gagné une fortune dans le commerce des vins, des huiles et des amandes [33]. Il se retire avec sa femme et ses enfants à Plassans, où il a acheté rue Balande une maison avec grand jardin, attenant en haut à la sous-préfecture, en bas à la propriété de M. Rastoil. A quarante-cinq ans, Mouret, sous soit épaisseur de négociant retiré, a conservé un esprit lin et frondeur, il tyrannise son entourage par des goûts d’ordre minutieux ; ses instincts d’hotu nie rangé le portent à l’avarice.

Fort heureux, maître chez lui, concluant encore des affaires pour le plaisir [28], il s’avise un jour que deux chambres du second étage lui sont inutiles et il les loue à un prêtre, l’abbé Faujas qu bientôt va s’emparer de la maison tout entière, faisant d’elle, entre les deux sociétés qu’elle sépare, le quartier général de ses manœuvres. Dès lors, Mouret a perdu sa belle tranquillité égoïste. Habilement circonvenu par Faujas, il le laisse pénétrer dans son foyer, s’habitue aux parties de piquet avec la mère de l’abbé [92], voit peu à peu Marthe lui échapper sans avoir l’énergie de la reprendre. Il se console en la criblant de plaisanteries, puis s’irrite contre la prêtraille [119] ; mais au fond, il est faible comme un enfant et en arrive à tout supporter [128], s’attachant à ne pas laisser deviner sa détresse, cachant soigneusement ses émotions [146], refusant de livrer les secrets de son ménage perdu [165].

Tout craque autour de lui, Marthe vit enfoncée dans son rêve, l’aîné Octave gâte sa jeunesse à Marseille [181], Serge s’est réfugié au séminaire, Désirée est presque idiote, la vieille servante Rose est devenue grondante et hostile, les Faujas et les Trouche enfin se partagent la maison. Cette lente expropriation écrase Mouret. Il se concentre dans des silences mornes [225], vit oublié à sa propre table [242], s’enferme pendant des heures au premier étage, où il reste les bras ballants, la tète blanche et fixe, le regard perdu [255].

Mais cet homme inoffensif tient encore trop de place, sa seule présence excède Marthe, il gène les Trouche qui rêvent d’être les seuls maîtres, Félicité Rougon voit dans cet opposant aimé des petits bourgeois et des faubourgs un danger pour les élections imminentes. Et tous ces appétits qui soufflent détraquent l’esprit affaibli de Mouret, une légende habilement répandue montre en lui un monomane dangereux ; on l’enferme enfin aux Tulettes, à deux pas de l’aïeule Adélaïde Fouque, et bientôt il devient complètement fou [362].

Lâché un soir par le gardien Alexandre, complice d’Antoine Macquart, il court à Plassans, rentre dans son jardin dévasté, dans sa maison an pillage, découvre les Trouche vautrés sur son lit et appelle en vain Marthe et les enfants disparus. Alors, plein (l’une fureur homicide, il décide de tout détruire; avec une effroyable lucidité, il dresse silencieusement des bûchers et il allume en pleine nuit un terrible incendie où tout flambe, la maison s’abattant sur le fou, sur les Trouche, sur les Faujas, au milieu d’une poussière d’étincelles [385]. (La Conquête de Plassans.)

(1) François Mouret, né en 1817; épouse, en 1810, sa cousine Marthe Rougon, dont il a trois enfants; meurt fou, en 1864, dans un incendie allumé par lui. [Élection du père. Ressemblance physique de la mère. François et Marthe, les deux époux, se ressemblant]. Marchand de vin en gros, puis rentier. (Arbre généalogique des Rougon-Macquart.)

Mouret (Madame François). — Voir ROUGON (Marthe).

Mouret (Hélène) (1). — Deuxième enfant du chapelier Mouret et d’Ursule Macquart. Née à Marseille en 1824, devient orpheline en 1840. Sœur de François et de Silvère. (La Fortune des Rougon.)

Grandjean, son premier mari, plus âgé qu’elle de six ans, s’est pris d’un grand amour pour cette belle jeune fille qui avait alors dix-sept ans et habitait avec son père à Marseille. Les Grandjean, riches bourgeois exaspérés de la pauvreté d’Hélène, ont rompu avec le jeune ménage qui végète longtemps et vivra enfin à J’aise, grâce à dix mille francs de renie, légués par un oncle du mari. Mais Grandjean, venu à Paris avec sa femme et son enfant pour s’y fixer, est enlevé par une brusque maladie. Les seuls amis qu’Hélène ait à Paris, l’abbé Jouve et Rambaud, l’installent avec sa fillette Jeanne, dans le quartier de Passy, sur les hauteurs du Trocadéro, d’où elle contemplera Paris, l’océan humain sans bornes et sans fond.

A vingt-huit ans, grande, magnifique, d’une beauté correcte, Hélène est une Junon châtaine, d’un châtain doré à reflets blonds [13]. Elle, a des yeux gris à transparence bleue, des dents blanches qui lui éclairent toute la face, un menton rond un peu fort. Saine et chaste, avec un air grave et bon, c’est une nature droite, à sang calme. Elle vit dans une paix très douce, cousant des layettes pour les pauvres de l’abbé, le recevant à dîner tous les mardis avec le bon Rambaud, n’ayant d’autre sortie qu’une promenade quotidienne de deux heures au Bois de Boulogne, avec sa fille, enfant délicate et nerveuse qui lui a voué une adoration jalouse.

Hélène a perdu depuis dix-huit mois son mari qui l’adorait, mais pour qui elle n’eut jamais qu’une amitié calme, lorsqu’une crise maladive de Jeanne la met en présence du docteur Deberle. Portée d’abord par un élan de reconnaissance vers celui qui a sauvé son enfant, rapprochée de lui par de communes visites chez une pauvresse, la mère Fêtu, puis entrée dans l’intimité des Deberle, elle se prend pour le docteur d’un profond amour, le premier amour de sa vie, qu’elle rêve d’abord chaste, mais qui, bientôt, la jettera dans les bras de Henri, frémissante, oubliant un instant sa fille, ne soupçonnant pas le terrible mal qui va emporter l’enfant.

La fin tragique de Jeanne, cette mort muette sans une plainte, ce masque sombre et sans pardon de fille jalouse [382], ébranle violemment Hélène et déchire dans sa vie la page d’amour à peine commencée. Fidèle aux conseils de l’abbé Jouve, elle épouse plus tard le fidèle et paternel Rambaud qui l’emmène à Marseille et quand, revenue deux ans après au cimetière de Passy, sur la tombe de Jeanne, elle apprend qu’un autre enfant est né aux Deberle, cette fin mélancolique la laisse sans colère, le cœur muet, les sens pleins de sérénité. (Une Page d’Amour.)

Elle vit de longues années, très heureuse, très à l’écart, idolâtrée de Rambaud, dans la petite propriété qu’ils possèdent, près de Marseille, au bord de la mer [129]. (Le Docteur Pascal.)

(1) Hélène Mouret, née en 1824; épouse en 1841, Grandjean, chétif et prédisposé à la phtisie ; en a une fille en 1843 ; perd son mari d’une bronchite en 1853; se remarie, en 1857, avec M. Rambaud dont elle n’a pas d’enfants. [Innéité. Combinaison où se confondent les caractères physiques et moraux des parents, sans que rien d’eux semble se retrouver dans le nouvel être]. Vit encore à Marseille avec son second mari. (Arbre généalogique des Rougon-Macquart.)

Mouret (Octave) (1). — Fils aîné de François Mouret et de Marthe Rougon. Frère de Serge et de Désirée. Né en 1840 à Plassans [161]. (La Fortune des Rougon.)

A dix-neuf ans, il s’est fait refuser trois fois au baccalauréat. C’est un garçon gai, bien portant, toujours le nez en l’air, souriant sous les reproches [15]. Comme il flâne dans la ville de Plassans, où ses parents se sont retirés, on l’envoie à Marseille pour apprendre le commerce [145]. Il mène là-bas joyeuse vie, criblé de dettes, cachant des maîtresses dans ses armoires[184]. (La Conquête de Plassans.)

Après la mort tragique de ses parents, Serge, qui va entrer dans les ordres, renonce en faveur d’Octave à sa part de la fortune paternelle [251. (La Faute de l’abbé Mouret.)

Il est membre du conseil de famille de sa cousine Pauline Quenu [26] et consent à l’émancipation [l 17]. (La Joie de vivre.)

Octave est venu à Paris, très décidé à y faire fortune. Il est grand, brun, beau garçon, il a les moustaches et la barbe soignées, une belle main aux on-les taillés correctement. Avec ses yeux couleur de vieil or, d’une douceur de velours, et malgré ses larges épaules, il est femme, il a un sens des femmes qui tout de suite le met dans leur cœur. C’est une possession lente, par des paroles dorées et des regards adulateurs [14], et, sous son air d’adoration amoureuse, c’est aussi un fond de brutalité, un dédain féroce [24]. Les stériles années de Marseille l’ont révélé à lui-même, le commerce de luxe de la femme le passionne, ses facultés vont s’élargir au contact de Paris, il concevra vite l’idée de grands comptoirs modernes écrasant l’ancien commerce, se développant sous des coups d’audace. Mais avant tout, il est bien décidé à parvenir par les femmes. Ses premières tentatives sont médiocres; plusieurs mois de patientes manœuvres, dans l’immeuble Vabre où il habite, rue de Choiseul, n’ont fait de lui que l’amant de l’insignifiante Marie Pichon; puis il a possédé Berthe Vabre, la femme de son patron, bourgeoise en qui sa gloriole de provincial voyait une jolie créature de luxe et de grâce et qui n’a. été qu’une maîtresse vénale, trop chère à sa bourse de méridional avare. Enfin, la chance le favorise et, en 1865, il épouse madame Caroline Bédouin, la fille des fondateurs du Bonheur des Daines, une commerçante avisée qu’il a séduite par ses seules facultés marchandes et grâce à qui il va enfin conquérir Paris [492]. (Pot-Bouille.)

Bientôt veuf, seul héritier de la belle fortune de sa femme, il continue les agrandissements commencés par madame Bédouin. Le Bonheur des Dames menace maintenant d’envahir tout le quartier. Mouret s’est jeté dans la spéculation avec un tel faste, un besoin tel du colossal que tout semble devoir craquer sous lui ; au milieu de l’effarement général, il a développé dangereusement ses magasins, avant de pouvoir compter sur une augmentation suffisante de clientèle; chaque mise en vente est un coup de carte, où il met tout l’argent de la caisse; il emplit les comptoirs d’un entassement de marchandises, sans garder un sou de réserve; toujours il s’agit de vaincre ou de mourir. Et dans cette lutte qui fait frémir les timorés comme Bourdoncle, Mouret garde une gaieté triomphante, une certitude des millions, en homme adoré des femmes et qui ne peut être trahi [411. Quand il a des accès de brusque franchise, il se déclare au fond plus juif que tous les juifs ; il tient de son père, un gaillard qui connaissait le prix des sous et auquel il ressemble physiquement et moralement; et sa fantaisie nerveuse lui vient de sa mère, il y voit le plus clair de la chance qui le pousse, la force invincible de sa grâce à tout oser.

Sa conception du nouveau commerce des nouveautés est basée sur le renouvellement continu et rapide du capital [88], sur la puissance décuplée de l’entassement [89], le prestige de la marque en chiffres connus, qui rassure les gens et étale la concurrence sous les yeux mêmes du publie [90], l’annonce retentissante de ventes à perte, qui fouette l’âpreté de la cliente et double sa jouissance d’acheteuse, car elle croit voler le marchand [97]. Tout le système aboutit à une féroce exploitation de la femme, séduite et détraquée, payant d’une goutte de sang chacun de ses caprices [92].

Entre ses commis, Mouret a créé une lutte pour l’existence, dont il bénéficie ; cette lutte est sa formule favorite, le principe d’organisation qu’il applique constamment; avec sa guelte, il lâche les passions, met les forces en présence, laisse les gros manger les petits, et s’engraisse de cette bataille des intérêts. Il a créé une dualité entre les chefs de rayon qui, touchant leur tant pour cent sur le chiffre d’affaires, poussent âprement à la vente, et les intéressés qui, eux, touchent sur le bénéfice total et empêchent l’avilissement des prix [46].

Plein de la passion de son époque, il raille Paul de Vallagnosc et, avec lui, les désespérés, les dégoûtés, les pessimistes, tous ces malades de nos sciences commençantes, qui prennent des airs pleureurs de poètes ou des mines pincées de sceptiques, au milieu de l’immense chantier contemporain [80]. Chaque matin, même après les nuits de fête, Mouret est là, solide, l’œil vif, la peau fraîche, tout à la besogne, comme s’il avait passé dix heures dans son lit. Il gouverne tout, avec le concours de ses intéressés, des commis qu’il a, au début, décidés à mettre de l’argent dans la maison, qui forment quelque chose comme un conseil des ministres sous un roi absolu et veillent chacun sur une province. Devant la femme, il affecte des extases, reste ravi et câlin, emporté continuellement dans de nouvelles amours, et ses coups de cœur sont comme une réclame à sa vente, on dirait qu’il enveloppe tout le sexe de la même caresse, pour mieux l’étourdir et le garder à sa merci. D’ailleurs, il garde son ancien fond de brutalité; quand les femmes l’auront aidé à faire sa fortune, il compte bien les jeter toutes par terre, comme des sacs vides [40]. Sans vains scrupules, il a demandé à sa maîtresse, Henriette Desforges, de le présenter au baron Hartmann, il a séduit le grand financier et obtenu par lui le concours du Crédit Immobilier.

L’affaire devient alors formidable; elle englobe tout le pâté de maisons, l’îlot compris entre les rues de la Michodière, Saint-Augustin, Monsigny et la foute rue du Dix-Décembre, sur laquelle s’ouvrira pins tard une façade majestueuse. Le Bonheur des Dames emplit le quartier de ruines, détruisant tout le petit commerce, dépouillant les entêtés comme Bourras, tuant les Baudu et les Robineau; il est une terrible force qui exerce au loin ses ravages, pousse au vol la comtesse de Boves, accule au cabanon le professeur Marty, dénoue les liens de famille comme dans le ménage Lhomme et réduit en poussière les fabriques mai outillées, comme celle de Gaujean.

Pour mieux trafiquer des désirs de la femme, pour exploiter plus sûrement sa fièvre, Mouret la grise d’attentions galantes; ce sont maintenant des ascenseurs capitonnés, des distributions de bouquets de violettes, un buffet où se plaisent les gourmandes, un salon de lecture qui facilite les rendez-vous d’amour; à l’énorme publicité en catalogues, annonces et affiches, il ajoute les primes aux bébés, des images, des ballons surtout, qui, tenus au bout d’un fil, voyageant en l’air, promènent par les rues une réclame vivante [283]. Enfin, il a imaginé les « rendus », un chef-d’œuvre de séduction jésuitique, donnant une dernière excuse à la femme qui résiste, lui laissant la possibilité de revenir sur une folie, mettant sa conscience en règle et la livrant désarmée aux tentations [284]. Au jour d’une grande vente, la recette dépasse aujourd’hui un million.

Mais en face de Paris dévoré et de la femme conquise, le triomphateur éprouve une faiblesse soudaine, une défaillance de sa volonté, qui le renverse à son tour, sous une force supérieure. Cette défaite du grand capitaine, cette revanche de la femme va être assurée par la petite vendeuse Denise Baudu. Mouret l’a vue arriver au Bonheur des Dames, il y a sept ans, avec ses gros souliers, sa mince robe noire, son air sauvage; elle bégayait, tous se moquaient d’elle, lui-même l’avait trouvée laide d’abord. Longtemps, elle est restée la dernière de la maison, rebutée, plaisantée, traitée par lui en bête curieuse. Pendant des mois, il a voulu voir comment une fille poussait, il s’est amusé à cette expérience, sans comprendre qu’il y jouait son cœur. Elle, peu à peu, grandissait, devenait redoutable. Peut-être l’a-t-il aimée depuis la première minute, même à l’époque où il ne croyait avoir que de la pitié. C’est en vain qu’il a voulu se dégager de cette possession, Denise apportait tout ce qu’on trouve de bon chez la femme, le courage, la gaieté, la simplicité; et de sa douceur montait un charme, d’une subtilité pénétrante de parfum [401]. Elle s’est obstinément refusée à lui, montrant à son scepticisme que la sagesse d’une femme n’est pas toujours une chose relative. Il trouve en elle une résurrection de madame Hédouin, c’est le Bon sens, le juste équilibre de celle qu’il a perdue, jusqu’à la voix douce, avare de paroles inutiles [424].

Et ce vainqueur plie devant elle, tremblant de la voir refuser sa main et repousser la royale fortune qu’il lui offre. Mais Denise ne résiste plus, elle l’aimait et il va l’épouser. La revanche de la femme aura seulement apporté dans le mécanisme trop rude de la maison, un peu de justice et de bonté. Grâce à Denise, les commis n’ont plus le sort, précaire d’autrefois; aux coupes sombres, on a substitué un système de congés; il y a un corps de musique, une salle de jeux, des cour, du soir, des consultations gratuites. Le Bonheur des Dames se suffit, plaisirs et besoins, au milieu du grand Paris, occupé de ce tintamarre, de cette cité de travail qui pousse si largement dans le fumier des vieilles rues, ouvertes enfin au plein soleil. On va créer une caisse de secours mutuels, qui mettra les employés àl’abri des chômages forcés, et leur assurera une retraite. C’est l’embryon des vastes sociétés du vingtième siècle. Et ce progrès, Denise l’a obtenu en plaidant la cause des rouages de la machine, non par des raisons sentimentales, mais par des arguments tirés de l’intérêt même des patrons [428]. (Au Bonheur, des Dames.)

Octave assiste à l’enterrement de son petit-cousin, le peintre Claude Lantier. Très riche, bon prince dans son élégance, il a voulu prouver son goût élevé des arts. Il mène le deuil avec une correction charmante et fière [477]. (L’Œuvre.)

Octave Mouret, dont la fortune colossale grandit toujours, a, vers la fin de l’hiver 1872, un deuxième enfant de sa femme Denise Baudu, qu’il adore, bien qu’il recommence à se déranger un peu [129]. La petite fille demeure chétive, inquiétante, tandis que le petit garçon, qui tient de sa mère, est magnifique [131]. (Le Docteur Pascal.)

(1) Octave Mouret, né en 1840; épouse, en 1865, madame Hédouin, qu’il perd la même année; se remarie, en 1869, avec Denise Baudu, saine et équilibrée, dont il a deux enfants, une fille et un garçon, trop jeunes encore pour être classés. [Élection du père. Ressemblance physique de son oncle, Eugène Rougon, hérédité indirecte]. Fondateur et directeur des grands magasins : Au Bonheur des Dames. Vit encore à Paris. (Arbre généalogique des Rougon-Macquart.)

Mouret (Madame Octave), née BAUDU. — Voir BAUDU (Denise).

Mouret (Madame Octave), née DELEUZE. — Voir DELEUZE (Caroline).

Mouret (Serge) (l). — Deuxième enfant de François Mouret et de Marthe Rougon. Frère d’Octave et de Désirée. Né en 1841 à Plassans [161]. (La Fortune des Rougon.)

Il fait ses études au collège de Plassans et, à dix-sept ans, il est bachelier. C’est le savant de la famille, un esprit très tendre et très grave, un tempérament nerveux qui, sous l’influence de l’abbé Faujas, s’exaltera vite dans le sens de la mysticité. Un refroidissement contracté à la veille de son départ pour Paris, où il devait finir ses études, le met aux portes de la mort, l’abbé devient son grand ami, et à peine convalescent, plein d’une extase religieuse, il demande à entrer an séminaire [183]. C’est là qu’on ira le chercher pour venir au lit de sa mère mourante [402]. (La Conquête de Plassans.)

Au séminaire de Plassans, ancien couvent tout plein d’une odeur séculaire de dévotion [l17], Serge a vécu cinq années heureuses. Indifférent aux faiblesses de ses camarades, il s’est replié sur lui-même, se donnant à Dieu, l’approchant chaque année de plus près, emporté dans un rêve d’amour et de foi. Devenu curé des Artaud, coin de Provence aride et perdu, il a laissé toute la fortune paternelle à son frère Octave et ne tient pins au monde que par sa sœur l’innocente Désirée, dont il s’est chargé. Il vit dans un désir d’anéantissement, dans une ardeur mystique, dans une adoration éperdue de la Vierge, fermé aux joies terrestres, sourd aux voix qui montent de cette terre ardente où grouille une incessante fécondation, mortifiant sa chair, s’abîmant en de profondes extases qui, à vingt-cinq ans, l’entraîneront au délire, terrassé par une fièvre qui le mettra à deux doigts de la folie et de la mort.

Mené au Paradou par son oncle, le docteur Pascal, qui l’a sauvé et qui rêve une cure merveilleuse en ce Paradis terrestre où le malade, redevenu enfant, doit vivre une existence nouvelle, Serge se trouve en présence d’Albine, la délicieuse fille qui est comme l’âme vivante et un peu sauvage de l’admirable forêt vierge. Et c’est, entre le jeune prêtre qui a tout oublié de sa vie passée, et la pure enfant qui s’ignore, une douée amitié qui naît, puis un amour candide, puis une adoration grandissante, c’est le lent apprentissage de leur tendresse, une Genèse nouvelle où la nature splendide et complice leur enseigne le bonheur. Mais, à l’heure même de la possession, quand Serge et Albine sont encore dans la stupeur de leur félicité, l’irruption de frère Archangias, dans cet Éden nouveau, replace brusquement l’abbé Mouret en présence de son passé [278]. Invinciblement entraîné vers ce clocher des Artaud où sonne l’angélus, il quitte le Paradou sans détourner la tête, rentre en sa cure et vit de longs jours en une agonie muette, s’écrasant le cœur, luttant pour la mort de son sexe, cherchant en vain l’oubli, n’osant plus adorer 1’Immaculée-Conception, dont la grâce féminine était un piège. Il se réfugie en une dévotion extraordinaire pour la Croix [323], trouve enfin la grâce et redevient la .chose de Dieu, au point de résister victorieusement aux appels poignants d’Albine et de revenir an Paradou, de revoir ces fleurs, ces arbres, ces rochers, ces sources, toute celte nature imprégnée de passion, sans un frisson de sa chair anéantie. Et il achève sa lutte victorieuse contre la vie, en jetant sur le corps d’Albine morte, la poignée de terre de l’officiant [423]. (La Faute de l’abbé Mouret.)

Envoyé plus lard à Saint-Eutrope, au fond d’une gorge marécageuse, il s’est cloîtré li avec sa sœur Désirée, dans une grande humilité, refusant tout avancement de son évêque, attendant la mort eu saint homme qui repousse les remèdes, bien qu’il souffre d’une phtisie commençante [129]. (Le Docteur Pascal.)

(l) Serge Mouret, né en 1841. [Mélange dissémination. Ressemblance morale et physique de la mère. Cerveau du porc troublé par l’influence morbide de la mure. Hérédité d’une névrose se tournant en mysticisme]. Prêtre. Vit encore, curé de Saint-Eutrope. (Arbre généalogique des Rougon-Macquart.)

Mouret (Silvère) (l). — Troisième enfant d’Ursule Macquart et du chapelier Mouret. Frère de Francois et d’Hélène. Né à Marseille, en 1834, orphelin à six ans, il vient à Plassans avec François. Accueilli de mauvaise grâce par l’oncle Pierre Rougon, Silvère grandit dans les larmes, comme un malheureux abandonné, jusqu’au jour où sa grand’mère Adélaïde Fouque, ayant pitié de lui, l’emmène en son louis de l’impasse Saint-Mittre. C’est alors une heureuse vie pour l’enfant, en qui la vieille femme, pleine de tendresse contenue, trouve une lointaine ressemblance avec le grand-père Macquart. Silvère la cajole, il invente pour elle le nom caressant de tante Dide; d’abord effrayé des crises nerveuses qui la secouent périodiquement, il s’habitue à ces fureurs incompréhensibles, il est pris de pitié devant la douloureuse aïeule victime de maux inconnus, il la soigne doucement et l’aime d’une affection silencieuse et attendrie [165].

A douze ans, avant seulement quelques notions d’orthographe et d’arithmétique, il entre comme apprenti chez Vian, un charron voisin, et devient en peu de temps un excellent ouvrier. Plein du désir de s’instruire, il fréquente l’école de dessin, puis il s’enfonce dans l’étude sans guide, acquérant des bribes de science, s’appliquant à lire tous les volumes dépareillés, science, histoire, philosophie, qui lui tombent sous la main, se faisant une idée sainte de tant de grandes choses qu’il entrevoit. Cette vie sérieuse lui donne une âme exaltée, où s’amassent tous les enthousiasmes [167].

Les idées républicaines le passionnent ; prédisposé à l’utopie par certaines influences héréditaires [226], il veut le bonheur universel, un gouvernement idéal d’entière justice et d’entière liberté. Ces belles aspirations, que l’oncle Antoine Macquart essaye vainement d’exploiter au profit d’une vengeance personnelle [179], ces rêveries sans fin surexcitent le généreux enfant dont le docteur Pascal va dire un peu plu, tard : La famille est complète, elle aura un héros [257]; mais ce n’est pas seulement la déesse Liberté qui exalte Silvère, il éprouve une tendresse infinie pour Miette, la fille du forçat Chantegreil, innocente enfant persécutée de tous et dont il a voulu être l’ami, la sauvant du désespoir, lui apportant la rédemption. Leurs pures amours au fond de Faire Saint-Mittre durent deux belles années pleines de douceurs infinies et s’achèvent dans un ardent baiser [206], que le coup d’État noie dans le sang. Deux jours après la mort de Miette, tuée à Saint-Roure par les troupes de l’ordre [263], Silvère qui avait accidentellement éborgné le gendarme Rengade [189] est assassiné par celui-ci, dans le coin même ‘e l’aire Saint-Mittre où avait fleuri la fraîche idylle [382]. (La Fortune des Rougon.)

(1) Silvère Mouret, né en 1834; meurt, en 1851, la tête cassée d’un coup de pistolet, par un gendarme. [Élection de la mère. Innéité de la ressemblance physique]. (Arbre généalogique des Rougon-Macquart. )

Mousseau (Abbé). — Prêtre du clergé de Plassans. A prêché au pèlerinage de Saint-Janvier [236]. (La Conquête de Plassans.)

Mourgue. — Paysan de Poujols, cinquante ans, voûté, mains raidies, face plate. Parti, armé d’une fourche, avec tout son village qui s’insurgeait contre le coup d’État, il a été arrêté à Saint-Roure ; puis, ramené dans un complet ahurissement avec les autres prisonniers accouplés deux à deux, attaché par un bras au jeune Silvère Mouret, Mourgue est assassiné en même temps que ce dernier par le gendarme Rengade [383]. (La Fortune des Rougon.)

Mouton. — Chat des Quenu, aimé de la petite Pauline [101]. Sa peau pète de graisse. C’est un gros chat jaune, avec un double menton, plein de quiétude dans ce milieu d’abondante nourriture. Troublé par l’intrusion du triste Florent, Mouton ne digère plus en paix ; il participe à l’hostilité générale et ne retrouvera son bel appétit qu’après le départ de ce maigre inquiétant [349]. (Le Ventre de Paris.)

Muche. — Fils de Louise Méhudin, la belle Normande, qui l’a mis au monde sept mois après la mort d’un fiancé, employé à la Halle. A grandi librement au milieu de la poissonnerie, exprimant ses admirations par un éternel « C’est rien muche ! » qui lui vaut son surnom. Est, à sept ans, un petit bonhomme joli comme un ange et grossier comme un roulier. Cheveux châtains crépus, beaux yeux tendres, bouche pure, il dit des mots gras à écorcher un gosier de gendarme. Son grand succès est de faire la maman Méhudin quand elle est en colère [149]. Attiré par la chaleur du poêle vers le bureau de l’inspection, il a intéressé Florent qui, dans son rêve secret de dévouement, veut l’instruire, retrouvant en lui son jeune frère Quenu au bon temps de la rue Royer-Collard. Muche, docile et aimant, s’attache à Florent et devient le trait d’union entre sa mère et son professeur ; les leçons continuent rue Pirouette, Muche étudie gravement, il apprend l’écriture sur des cahiers où Florent a tracé des modèles subversifs, formules lapidaires qui seront une lourde charge contre lui dans l’affaire du complot des Halles [335]. (Le Ventre de Paris.)

Muffat (Maman). — Femme du général Muffat de Beuville, créé comte par Napoléon Ier. Une vieille insupportable, toujours dans les curés; d’ailleurs, un grand air, un geste d’autorité qui pliait tout devant elle [74]. Tant que la maman Muffat a vécu, l’hôtel de la famille, rue de Miromesnil au coin de la rue de Penthièvre, a gardé une mélancolie de couvent; on entrait là dans une dignité froide, dans des mœurs anciennes, un âge disparu exhalant une odeur de dévotion [68]. (Nana.)

Muffat de Beuville (Comte). — Fils du général. Mari de Sabine de Chouard. Père d’Estelle. La maman Muffat lui a donné une éducation sévère : tous les jours à confesse, pas d’escapades, pas de jeunesse d’aucune sorte [74]. Sa chambre d’enfant était toute froide; plus tard, à seize ans, lorsqu’il embrassait sa mère, chaque soir, il emportait jusque dans son sommeil la glace de ce baiser. Un jour, en passant, il a aperçu par une porte entre-bâillée, une servante qui se débarbouillait, et c’est l’unique souvenir qui l’ait troublé, de la puberté au mariage. Entré vierge dans la chambre nuptiale, il a trouvé chez sa femme une stricte obéissance aux devoirs conjugaux ; lui-même éprouvait une sorte de répugnance dévote. Il a grandi, il a vieilli, ignorant de la chair, plié à de rigides pratiques religieuses, ayant réglé sa vie sur des préceptes et des lois [161], avec des crises de foi d’une violence sanguine, pareilles à des accès de fièvre chaude. Grâce au souvenir de son père, il s’est naturellement trouvé en faveur après le Deux-Décembre. Il est maintenant chambellan de l’impératrice.

Carré et solide, avec sa chevelure fortement plantée [59], son visage encadré de favoris, sans moustaches [74], il sent brusquement sa jeunesse qui s’éveille devant Nana, devant la soudaine révélation de la femme; c’est une puberté goulue d’adolescent, brûlant tout à coup dans sa froideur de catholique et dans sa dignité d’homme mûr [179]. La savante tactique de Nana, qui se refuse obstinément, détermine en lui de terribles ravages, il mord la nuit son traversin et sanglote, exaspéré, évoquant toujours la même image sensuelle. Malgré Venot, malgré tout un passé de vertu rigoriste, il se donne éperdumeut à cette fille, qui va corrompre sa vie ; en trois mois, il se sent gâté jusqu’aux mœlles par des ordures qu’il n’avait pas soupçonnées. Tout pourrit en lui. Il a commencé par souffrir des mensonges de Nana, il s’est senti lâche devant, elle ; pour contenter ses curiosités, il l’a renseignée sur la comtesse, lui a même donné des détails sur sa nuit de noces [211]. Une courte révolte a paru le sauver, lorsque, surprise par lui aux bras du hideux Fontan, cette fille l’a traité de cocu et, furieuse de s’entendre appeler putain, lui a répondu cyniquement : Et ta femme ! Mais l’affront a été vite oublié.

Nana disparue, remplacée un instant par Rose Mignon, reconquiert lentement Maffit par les souvenirs, par les lâchetés de la chair. Il a une passion jalouse de cette femme, un besoin d’elle seule, de ses cheveux, de son corps. Pour être de nouveau accepté, il obtient de Bordenave, contre argent, un rôle de femme honnête qu’elle convoite dans la Petite Duchesse, il s’abaisse même à solliciter l’auteur, ce Fauchery qu’il soupçonne d’être l’amant de la comtesse ; il installe luxueusement Nana dans un hôtel de l’avenue de Villiers ne demandant, en échange de ses ruineuses folies, qu’une promesse de fidélité. Bientôt, d’ailleurs, il se résignera à n’être plus l’amant exclusif. Le chien Bijou est le premier petit homme dont il soit jaloux [355] ; puis, il tolère Satin [360] ; il surprend Nana aux bras de Georges Hugon [1452] ; ensuite, c’est Foucarmont [ 452], d’autres encore ; il en arrive plus tard à accepter les inconnus, tout un troupeau d’hommes galopant au travers de l’alcôve [482].

Il a eu des crises de remords ; cet homme, qui fait sa prière tous les soirs avant de monter dans le lit de Nana, a voulu se réfugier dans la religion, ses crises de foi ont repris une violence de coups de sang, le laissant comme assommé; dans sa détresse, il a répété continuellement : « Mon Dieu... mon Dieu... mon Dieu.» C’était le cri de son impuissance, le cri de son péché, contre lequel il est resté sans force, malgré la certitude de sa damnation [425]. L’influence de la dangereuse fille demeure entière ; il accepte pour gendre Daguenet, un ancien amant de cœur de Nana [382]. Eclairé sur l’adultère de sa femme, il a passé une nuit atroce, rèvant de vengeance, voulant souffleter l’amant, plaider en séparation ; mais dans l’élan de sa colère, quelque chose d’appauvri et de honteux est venu l’amollir ; sa maîtresse l’a convaincu qu’il devait pardonner et se remettre avec sa femme. Et il a consenti à cette bassesse, parce qu’il est à court d’argent et qu’une signature de Sabine lui est nécessaire pour trouver des fonds. Sa virilité, enragée par l’injure, s’en est allée à la chaleur du lit de Nana [435].

Toute la dignité de Muffat s’est écroulée. Rue de Miromesnil, il donne la main à l’amant de la comtesse [448] ; avenue de Villiers, il met son dernier amour-propre à rester monsieur pour les domestiques et les familiers de la maison ; il subit le pouvoir tyrannique de la fille, marche à quatre pattes, fait le cheval ou le chien ; il apporte son costume de chambellan, un costume plein d’apparat, évoquant la majesté de la cour impériale, et Nana, dans une rancune inconsciente de famille, léguée avec le sang, l’oblige à cracher dessus, à le piétiner, à écraser les aigles et les décorations [492]. Puis, c’est une dernière honte. Dans un lit magnifique don t il vient de faire don à cette femme, un lit d’or et d’argent où elle pourra étendre la royauté de ses membres nus, un autel d’une richesse byzantine, digne de la toute-puissance de son sexe, Muffat, le petit Mufe comme elle l’appelle, surprend son beau-père, le vieux marquis de Chouard, épave comique et lamentable, loque humaine tombée au gâtisme et qui met un coin de charnier dans la gloire des chairs éclatantes de la monstrueuse idole [494].

C’est alors un dernier élan vers Dieu. La vie de Muffat est foudroyée ; les pudeurs révoltées des Tuileries l’ont obligé à donner sa démission de chambellan ; Estelle, sa fille, lui intente un procès, pour une somme de soixante mille francs, l’héritage d’une tante qu’elle aurait dû toucher à son mariage ruiné, il vit étroitement avec les débris de sa grande fortune après des aventures, la comtesse est rentrée; il la reprend, dans la résignation du pardon chrétien ; elle l’accompagne partout comme sa honte vivante. Et définitivement reconquis par Venot, il oublie au fond des églises les voluptés de Nana ; les genoux glacés par les dalles, il retrouve ses jouissances d’autrefois, les spasmes de ses muscles et les ébranlements délicieux de son intelligence, dans une même satisfaction des obscurs besoins de son être [497]. (Nana.)

Muffat de Beuville (Comtesse). — Voir CHOUARD (Sabine de).

Muffat de Beuville (Estelle). — Fille du comte. Mariée à Daguenet. A seize ans, c’est une jeune personne mince et insignifiante [69], nulle et guindée [76]. Une jolie planche, dit-on, à mettre dans un lit [83]. Après le mariage, chez cette fille plate, une femme d’une volonté de fer apparaît tout à coup; elle domine complètement son mari [476] (Nana.)

Müller (Blanche). — Actrice en vogue. Joue la Belle Hélène aux Variétés. Très lancée, elle donne un bal aux princesses de la rampe et aux reines du demi-monde [154], trompe son attaché d’ambassade avec son coiffeur [135] et remplace Laure d’Aurigny comme maîtresse du due de Rozan, à qui elle mange un second demi-million [313]. (La Curée.)

Mussy (de). — Jeune diplomate de vingt-six ans qui fait son chemin en conduisant le cotillon avec des grâces particulières. C’est l’être le plus insignifiant du monde [130]. Quatrième amant de Renée Saccard et lâché par elle, il intéresse en vain à sa cause Maxime, un ancien ami de collège [39]. Attaché à l’ambassade d’Angleterre, où le ministre lui a dit qu’une tenue sévère est de rigueur, il se guinde, affecte de vieillir [286], et ne redevient galant que lorsqu’il est nommé à l’ambassade d’Italie [343]. (La Curée.)