M
Macquart (l). Fils dun ouvrier tanneur qui lui a laissé une masure de limpasse Saint-Mittre, dans un faubourg de Plassans. Grand, terriblement barbu, il a une face maigre où lon ne distingue que le luisant des yeux bruns. Contrebandier doublé dun braconnier, il disparaît pendant des semaines, puis revient, les mains dans ses poches, menant alors une existence divrogne, buvant avec un entêtement farouche. On ne parle de lui quen disant : « Ce gueux de Macquart » [49]. En 1788, il devient lamant dAdélaïde Fouque, veuve de Rougon depuis un an, et dont la propriété confine à laire Saint-Mittre. Deux enfants surviennent, Antoine en 1789, Ursule en 1791 ; Macquart continue sa périlleuse existence jusquen 1810, époque où, introduisant en France toute une cargaison de montres de Genève, il est tué à la frontière par le coup de feu dun douanier. On lenterre dans le cimetière dun petit village des montagnes [61]. (La Fortune des Rougon.)
(l) Macquart, déséquilibré et ivrogne, contrebandier, amant dAdélaïde Fouque. (Arbre généalogique des Rougon-Macquart.)
Macquart (Antoine) (2). Fils dAdélaïde Fouque et du contrebandier Macquart. Mari de Joséphine Gavaudan. Père de Lisa, Gervaise et Jean Macquart. Né à Plassans en 1789, il est élevé en toute liberté, dans lenclos Fouque, entre son frère Pierre Rougon et sa sur Ursule, et grandit franchement dans le sens de ses instincts [53]. A seize ans, cest un grand galopin ayant les traits de son père, mais adoucis, devenus fuyants et mobiles; dAdélaïde, il na que les lèvres charnues. Au moral aussi, le père domine, avec son amour du vagabondage, sa tendance à livrognerie, ses emportements de brute, compliqués, sous linfluence nerveuse de la mère, dune sournoiserie pleine, dhypocrisie et de lâcheté. En 1809, Antoine tombe au sort et, dupé par Pierre qui a manuvré pour empêcher son remplacement [59], il devient soldat.
Rentré à Plassans en 1815, après la chute de Napoléon, il rapporte tous ses vices naturels, développés par la vie militaire. Paresseux et ivrogne, devenu le pire des garnements [136], ruiné par Pierre qui sest emparé du patrimoine maternel, il est décidé à ne jamais travailler, se livre à des chantages contre son frère, tire de lui quelques subsides [143], sinstalle dans une chambre du vieux quartier, apprend à fabriquer la vannerie, exerce mollement ce métier en sapprovisionnant la nuit dans les oseraies de la Viorne, ce qui lui vaut quelques jours de prison [145] et se répand en imprécations contre les riches, par haine des Rougon; il commence dès lors à se poser dans la ville en républicain farouche [146].
En 1829 Antoine épouse une vendeuse de la halle, Joséphine Gavaudan, robuste et courageuse commère qui habite un logement rue Civadière et chez qui il sinstalle le soir même de ses noces, sarrangeant aussitôt une existence doisiveté absolue [148], exploitant cyniquement le travail de sa femme, puis celui de ses enfants, Gervaise et Jean. Il vit dans un égoïsme féroce, passe sa vie au café, shabille chez un bon tailleur de Plassans, se vante hautement de ses escapades amoureuses, pille la maison et festoie au dehors quand te buffet est vide [154].
Rongé denvie et de haine, terriblement bavard, étrange théoricien qui voit dans la république un moyen demplir ses poches, il réunit facilement autour de lui tin petit groupe douvriers qui prennent naïvement ses fureurs jalouses peur des indignations honnêtes et convaincues [155]. En 1848, il croit que Plassans va lui appartenir, il rêve de terribles représailles contre les Rougon, rangés du côté de la réaction, animés dailleurs autant que lui dune rage dappétits brutaux [157].
Cherchant un allié dans la famille, il a circonvenu son neveu Silvère Mouret, jeune démocrate idéaliste, la exaspéré contre loncle Pierre en exploitant la tendresse du brave enfant pour son aïeule Adélaïde Fouque [176], nest pas parvenu à lassocier à ses projets de vengeance personnelle, mais la exalté au point de le jeter, tout vibrant, dans une sanglante échauffourée.
Au moment du Deux-Décembre, Macquart est aux abois. La mort de sa femme, le départ de Gervaise et de Jean lont réduit à une profonde misère, sa fureur contre les riches est au paroxysme. Labstention des libéraux honorables a fait de lui un des agents les plus en vue de linsurrection, il se voit tenant les Rougon à la gorge, commence par perquisitionner en vain chez eux [182] et sempare de la mairie où il se laissera bientôt prendre par son frère ennemi; puis, lorsque le coup détat triomphe, il ne songe plus quà sauver sa peau et à vendre les camarades. Lâchement, il maquignonne avec sa belle-sur Félicité un guet-apens [335] où, moyennant salaire, il mènera à la mort les ouvriers républicains qui ont cru en lui. Le crime accompli, Macquart reçoit le prix du sang et quitte la France pour quelque temps avec promesse dun bon emploi [366]. (La Fortune des Rougon.)
Après un court exil dans le Piémont, il est rentré en France, grâce à Pierre Rougon qui, depuis le forfait perpétré ensemble, ne peut rien lui refuser. Il mène alors une existence de bourgeois gras et rente, buvant de bonnes bouteilles, cachant sous son attitude ironique des menaces de chantage qui obligent son frère à lentretenir, comme lentretenaient jadis sa femme et ses enfants. Il a renoncé à la place promise et vit aux Tulettes, à trois lieues de Plassans; les Rougon lui ont acheté un petit domaine [56], à deux pas de lAsile où est enfermée tante Dide, placée ainsi sous sa surveillance.
Toujours ricanant, il suit les manuvres de Pierre et de Félicité, devenus les maîtres de la ville; il garde sournoisement contre eux une haine de loup, multipliant ses exigences quand il sent une nouvelle intrigue à expliquer. Abouché avec labbé Fenil qui rêve une vengeance contre Faujas, irrité dautre part contre Pierre qui fait la sourde oreille à un nouvel appel de fonds [258], il lâche le fou François Mouret contre les conquérants de Plassans. Mais, quand la maison de la rue Balaude est en flammes, Macquart a la rancur dapprendre quen supprimant Faujas, loin de nuire aux Rougon, il a fait leur jeu [401]. (La Conquête de Plassans.)
Il vit longtemps, à laise dans une terrible légende de fainéant et de bandit. Avec les Rougon, il reste correct, dune diplomatie finaude, nayant gardé que son rire goguenard, exécré dailleurs de Félicité, à cause du linge sale dautrefois. A quatre-vingt-quatre ans, loncle Macquart est encore aux Tulettes, en vieil ivrogne, salure de boisson et que lalcool semble conserver. Sa face est comme bouillie et flambée, dun rouge ardent de brasier; il boit de tels coups deau-de-vie quil eu reste plein, la chair baignée, imbibée ainsi quune éponge. Lalcool suinte de sa peau [69], et, un beau jour de juillet, le vieillard, fumant sa pipe, sallume lui-même comme un feu de la Saint-Jean et se perd en fumée, jusquau dernier os [233]. Cette combustion spontanée, à laquelle Félicité assiste silencieuse [228], a tout détruit et ne laisse rien à enterrer; la famille se contente de faire dire des messes pour le repos de lâme du mort [235]. Quand on ouvre le testament, on constate que Macquart a disposé de tout ce quil pouvait distraire de sa petite fortune, pour se faire élever un tombeau superbe, en marbre, avec deux anges monumentaux, les ailes repliées, et qui pleureront [236]. (Le Docteur Pascal.)
(2) Antoine Macquart, né en 1789 ; soldat en 1809 ; se marie, en 1829, avec Joséphine Gavaudan, marchande à la Halle, vigoureuse, travailleuse, mais intempérante; en a trois enfants ; la perd en 1851 ; meurt en 1873, alcoolique, de combustion spontanée. [Mélangé fusion. Prédominance morale et ressemblance physique du père]. Soldat, puis vannier, puis rentier et fainéant. (Arbre généalogique des Rougon-Macquart.)
Macquart (Madame). Voir GAVAUDIN (Joséphine).
Macquart (Gervaise) (l). Seconde Fille dAntoine Macquart et de Joséphine Gavaudan. Sur de Lisa et de Jean. Mère de Claude, Jacques, Etienne Lantier et dAnna Coupeau. Née à Plassans en 1828, conçue dans livresse, Gervaise a la cuisse droite déviée et amaigrie, reproduction héréditaire des brutalités paternelles. Chétive, toute pâle, elle est mise au régime de lanisette par sa mère, qui adore cette liqueur. Devenue grande fille, elle est restée chétive, fluette, avec une délicieuse tête de poupée, une petite face ronde et blême dune exquise délicatesse. Son infirmité est presque une grâce, sa taille fléchit doucement à chaque pas, dans une sorte de balancement cadencé [150]. Des huit ans, elle gagnait dix sous par jour en cassant des amandes chez un négociant voisin; entrée ensuite en apprentissage chez une blanchisseuse, elle reçoit comme ouvrière deux francs par jour ; tout son argent passe dans la poche de son père, qui godaille au dehors. A quatorze ans, Gervaise a de son amant, louvrier tanneur Lantier, un premier fils, Claude, puis deux autres, qui sont recueillis par leur grandmère paternelle, sans que Macquart consente à faire une démarche qui réglerait la situation et le priverait du salaire de sa fille. Celle-ci vit ainsi, exploitée par son père, engrossée par son amant, shabituant à boire avec sa mère des verres de liqueur qui la soûlent à petites doses. Au début de 1851, madame Lantier et Joséphine Macquart étant mortes, Lantier retire Gervaise des mains de son père et lemmène à Paris avec deux des enfants. (La Fortune des Rougon,)
Au bout de deux mois et demi, Lantier a mangé le petit héritage maternel, il abandonne Gervaise et les enfants dans une misérable chambre de lhôtel Boncur, boulevard de la Chapelle. Jetée ainsi sur le pavé de Paris, Gervaise est entrée comme ouvrière chez madame Fauconnier, blanchisseuse, rue Neuve de la Goutte-dOr. A vingt-deux ans, elle est grande, un peu mince, avec des traits fins, déjà tirés par les rudesses de sa vie [9]. Elle ne boit plus de liqueurs comme à Plassans, ayant failli en mourir un jour, ce qui la dégoûtée des alcools. Son seul défaut est dêtre très sensible, daimer tout le monde, de se passionner pour des personnes qui lui font ensuite mille misères. Elle ressemble à sa mère par sa rage de sattacher aux gens.
Son idéal est modeste : travailler, manger du pain, avoir un trou à soi, élever ses enfants, mourir dans son lit [50]. Mais elle na pas de volonté, se laissant aller où on la pousse, par crainte de causer de la peine à quelquun [57]. Cest ainsi que, sept semaines après le départ de Lantier, elle consent à épouser Coupeau, malgré des peurs irraisonnées, de noirs pressentiments, lhostilité évidente des Lorilleux devant qui le zingueur est si petit garçon.
Mariée, Gervaise travaille avec lardent désir de satisfaire son idéal. Elle fait des journées de douze heures chez madame Fauconnier, le ménage se met dans ses meubles et sinstalle rue Neuve de la Goutte-dOr, sur le palier des Goujet. La petite Anna vient au monde dès la première année, Claude est parti au collège, les autres enfants poussent, on a pu économiser six cents francs en quatre années laborieuses, Gervaise va sétablir, lorsque Coupeau se casse une jambe en travaillant et reste étendu, puis en convalescence, pendant quatre mois. Les économies sont mangées, Coupeau a perdu le goût du travail et commence une existence divrogne qui le mènera peu à peu au délire alcoolique.
Gervaise, établie dans une boutique de la maison des Lorilleux, grâce à un prêt de cinq cents francs du forgeron Goujet, qui laime comme une sainte Vierge [194], sest remise bravement à la besogne, éprouvant des joies denfant devant son rêve réalisé; mais elle sattriste de linconduite de Coupeau, ne voulant pourtant pas quon la plaigne, excusant son mari, le déshabillant maternellement lorsquil rentre ivre. Cette existence laveulit, elle cède à tous les petits abandons de son embonpoint naissent [221]; loisiveté et les désordres de lhomme commencent à porter leur fruit, la gêne arrive. Dabord, Gervaise avait rendu vingt francs par mois aux Goujet, elle ne donne plus dargent et même contracte de nouveaux emprunts, elle fait des billets. Lantier a reparu, ramené par la grande Virginie qui, fessée, autrefois en plein lavoir, a gardé contre la blanchisseuse une sourde rancune.
Et cest alors la lente déchéance de Gervaise qui désespère dêtre jamais heureuse, placée entre un mari indigne qui maintenant la dégoûte et un ancien amant qui veut la reprendre. Elle a essayé un instant de se réfugier dans le pur amour de Goujet, mais sans force pour résister à Lantier, elle finit par succomber, presque sous les yeux de la petite Anna. Et le quartier sait lhistoire, grâce aux racontars de maman Coupeau. Gervaise a perdu tout respect delle-même, elle vit tranquillement ou milieu de lindignation publique [352], ses paresses lamollissent, elle passe dans le lit de Lantier chaque fois que Coupeau rentre ivre ou quil ronfle trop fort, elle se désintéresse du travail, les pratiques sen vont une à une, elle doit renvoyer sa dernière ouvrière et ne garder que lapprentie Augustine, la saleté pénètre dans la boutique, les dettes croissent, tout va au Mont-de-Piété de la rue Polonceau. Après une courte révolte, Gervaise finit toujours par trouver sa position naturelle [369], elle na de colère contre personne, sauf peut-être contre madame Lorilleux qui la ridiculisée sous le nom de la Banban et dont elle se venge en lappelant Queue-de-Vache. A bout de ressources, elle se décide à céder sa boutique à la grande Virginie, qui va enfin pouvoir lécraser. Et alors, cest lenfer dans une petite chambre du sixième.
Gervaise sest mise à boire; acceptée comme ouvrière par son ancienne patronne, elle gâte tellement louvrage quon la classe au rang de simple laveuse. Lors de la fuite de Nana, elle reste grise pendant trois jours; devenue énorme, elle lave une fois par semaine le parquet chez Virginie, dont les rapports avec Lantier la laissent indifférente. On ne veut plus delle nulle pari; elle dort sur la paille et en arrive à chercher sa vie dans les tas dordures. Enfin, après la mort de Coupeau à Sainte-Anne, Gervaise succombe à son tour; elle meurt de misère et va être emportée par Bazouge, le vieux croque-mort dont elle avait si peur autrefois. (LAssommoir.)
Sa sur, la charcutière Lisa Quenu, nest jamais venue à son aide ; elle naimait pas les gens malheureux et avait honte de Gervuise unie à un ouvrier [96]. (Le Ventre de Paris.)
Son fils Étienne lui envoyait de temps à autre une pièce de cent sous, lorsquil était machineur à Lille [48]. (Germinal.)
(l) Gervaise Macquart, née en 1828; a trois garçons dun amant, Lantier, dont lascendance compte des paralytiques, qui lemmène à Paris et ly abandonne; épouse, en 1832, un ouvrier, Coupeau, de famille alcoolique, dont elle a une fille; meurt de misère et divrognerie, en 1869. [Élection du père, conçue dans livresse. Boiteuse.] Blanchisseuse. (Arbre généalogique des Rougon-Macquart.)
Macquart (Jean) (l). Troisième enfant dAntoine Macquart et de Joséphine Gavaudan. Frère de Lisa et de Gervaise. Né à Plassans en 1831, cest un fort gaillard, tenant de sa mère, sans avoir sa ressemblance physique. Visage aux traits réguliers, avec la froideur grasse dune nature sérieuse et peu intelligente. Grandit avec la volonté tenace de se faire un jour une position indépendante [150]. Il apprend le métier de menuisier et, dès les premières payes, est dépouille par son père qui le traite en jeune fille et ne lui laisse pas un centime [153]. Quand on sassomme dans le ménage, Jean se lève pour séparer son père et sa mère [155]. Lorsque celte dernière meurt, le jeune homme, las dêtre exploité, quitte la maison [179]. (La Fortune des Rougon.)
Tombé au sort, il a été sept ans soldat et, en 1859, sétant battu à Solferino et nayant gardé de cette journée que le souvenir dune pluie diluvienne tombée pendant laction [71], il est revenu dItalie avec son congé. Un camarade, libéré comme lui, la emmené à Bazoches-le-Doyen; il a dabord repris sou métier, mais les années de service lavaient rouillé, dévoyé, dégoûté de la scie et du rabot, avaient tait de lui un autre homme, avec des habitudes de flânerie et un grand besoin de repos. Installé à la Borderie pour des réparations, il y reste comme valet de ferme, unissant par mordre à la culture, satisfaisant ainsi le tempérament de buf de labour quil tient de sa mère [91].
A vingt-neuf ans, cest un gros garçon châtain, aux cheveux ras, à la face pleine et régulière, annonçant un mâle solide : on lappelle Caporal, en souvenir de son métier de soldat. Il nest pas seulement aux prises avec la terre dure qui fait payer chaque grain de blé dune goutte de sueur, il lutte surtout avec le peuple des campagnes, que lâpre désir, la longue et rude conquête du sol brûle du besoin sans cesse irrité de la possession. Les paysans exècrent Jean, dabord parce quil a été un ouvrier, travaillant le bois au lieu de. cultiver la terre, ensuite parce quil sest mis à la charrue et quil vient manger le pain des autres dans un pays qui nest pas le sien. Il a fait connaissance à Rognes des surs Mouche, Lise et Françoise, il épouse celle-ci malgré les fureurs de Buteau et croit avoir fixé sa vie en ce coin de la Beauce. Mais jusquau bout, Jean reste un étranger, même pour sa femme qui ne laime guère et qui, assassinée par les siens, leur laisse tout, ne voulant pas quune moite de terre sorte de la famille et aille à lintrus.
Lheure de la guerre va sonner. Dégoûté de la vie, nayant plus de courage à travailler la vieille terre de France, Jean saura du moins la défendre ; il se rengage pour aller cogner sur les Prussiens [501]. (La Terre.)
Il a été incorporé au 106e de ligne (colonel de Vineuil) et, sachant tout juste lire et écrire, nambitionnant même pas le grade de sergent, il fera la campagne avec les galons de caporal. Gros garçon sérieux, à la figure pleine et régulière, à la cervelle épaisse et lente, il reste calme et têtu, solide en son, espoir, devant la défaite. Les horreurs de Sedan nébranlent pas son optimisme : on nest pas tous morts, après tout, il en reste, et ceux-là suffiront bien à rebâtir la maison, sils sont de bons bougres, travaillant dur, ne buvant pas ce quils gagnent; lorsquon prend de la peine, on parvient toujours à se tirer daffaire, au milieu des pires malchances; même, il nest pas mauvais, parfois, de recevoir une bonne gifle, ça fait réfléchir et sil y a quelque pari de la pourriture, des membres gâtés, mieux vaut les voir par terre, abattus dun coup de hache, que den crever comme dun choléra [392].
Jean a deviné en Maurice Levasseur une inimitié, une répugnance de classe et déducation, il voudrait échapper à ce mépris hostile [20]. Il gagne Maurice peu à peu, lui donnant dabord une rude leçon de courage moral [33], puis le soutenant de son exemple, le soignant avec une douceur dhomme expérimenté dont les gros doigts savent être délicats à loccasion. Le tutoiement arrive bientôt [100]. Jean sattendrit devant la souffrance physique de Maurice, il se prive démanger pour lui et, plus tard, de même quil lui a sauvé la vie pendant la marche vers Sedan, Maurice le sauvez sur le champ de bataille. Puis, dans la presquîle dIges, où plane la mort, Jean paye sa dette au centuple; cest le don entier de sa personne, loubli total de lui-même pour lamour de lautre [445].
Évadé de la colonne de prisonniers, blessé dans la fuite, encore une fois sauvé par Maurice et réfugié à Remilly, où Henriette Weiss le soigne, Jean rêve un moment une femme comme elle, si tendre, si douée, si active; il se voit confusément remarié en ce pays, propriétaire dun champ qui suffit à nourrir un ménage de braves gens sans ambition [511]. Mais comme il faut aller jusquau bout du désastre, la guerre civile va anéantir ce rêve.
Les curs de Jean et de Maurice sétaient fondus lun dans lautre, pendant quelques semaines dhéroïque vie commune. Aujourdhui, Maurice est plein de la démence qui emporte Paris, un mal venu de loin, des ferments mauvais du dernier règne; Jean, lui, est resté fort de son bon sens et de son ignorance, sain encore davoir poussé à part, dans la terre du travail et de lépargne. Un arrachement sépare brusquement les deux hommes[586]. Et labomination saccomplit. Maurice, le fils détraqué de la bourgeoisie, meurt sur une barricade, des mains de Jean choisi par linexorable destin pour accomplir lholocauste, pour abattre ce membre gâté, dont lamputation est devenue nécessaire. Lheureuse vie que Jean avait entrevue sen va avec le flot de sang qui emporte le frère dHenriette. Désormais, luvre de destruction est achevée, Jean se remet en marche, retournant à la terre qui lattend, à la grande et rade besogne de toute une France à refaire [636]. (La Débâcle.)
Licencié après la semaine sanglante, Jean est venu se fixer près de Plassans, à Valqueyras, où il a eu la chance dépouser une forte fille, Mélanie Vial, unique enfant dun paysan aisé, dont il fait valoir la terre [129]. Calme et raisonnable, toujours à sa charrue, il crée rapidement toute une petite famille, un enfant dabord, puis deux autres en trois années, toute une nichée qui pousse gaillardement au soleil [385]. (Le Docteur Pascal.)
(1) Jean Macquart, né en 1831 ; épouse, en 1867, Françoise
Mouche, quil perd en 1870, sans en avoir eu denfants; se remarie en 1871,
avec Mélanie Vial, paysanne forte et saine, dont il a un garçon
et qui est grosse de nouveau, [Innéité. Combinaison où
se confondent les caractères physiques et moraux des parents, sans
que rien deux semble se retrouver dans le nouvel être]. Paysan,
soldat, puis paysan. Vit encore à Valqueyras. (Arbre généalogique
des Rougon-Macquart,)
Macquart (Madame Jean). Voir MOUCHE (Françoise).
Macquart (Madame Jean). Voir VIAL (Mélanie).
Macquart (Lisa) (l). La fille aînée dAntoine Macquart et de Josépiline Gavaudan. Sur de Gervaise et de Jean. Femme de Quenu. Elle est née à Plassans en 1827, un an après le mariage de ses parents ; cest une grosse et belle enfant, très sanguine, qui ressemble beaucoup à sa mère, sera comme elle vaillante à la besogne, mais naura pas son dévouement de bêle de somme; elle tient de son père un besoin de bien-être très arrêté. A sept ans, Lisa a été prise en amitié par la directrice des postes; celle-ci en fait une petite bonne et, devenue veuve, lemmène à Paris [149]. (La Fortune des Rougon,)
En 1851, cest une belle fille bien portante, dhumeur égale, un peu sérieuse, ce qui donne un grand charme à ses rares sourires. Elle vivait rue Cuvier chez sa protectrice qui la traitait comme sa propre enfant, lorsque cette dame a été emportée par un asthme, laissant une dizaine de mille francs à Lisa. La jeune fille entre comme demoiselle de boutique chez le charcutier Gradelle, rue Pirouette, et fait très vite la conquête de la maison. Lorsque, un an après, Gradelle a été emporté par une attaque soudaine, Lisa trouve tout naturellement un mari dans le neveu Quenu, faible desprit mais acharné travailleur, quelle a dominé du premier coup en sachant découvrir le magot de loncle, enfoui au fond dun saloir [59]. Bientôt ils abandonnent la médiocre boutique pour fonder une magnifique charcuterie où la belle Lisa trône comme une des reines du quartier; avec son mari et sa fille Pauline, elle forme une trinité grasse, suant la santé, luisante et superbe. Lorsque Florent revient, maigre et mourant de faim, Lisa est dans la maturité de la trentaine; cest une belle femme, point trop grosse pourtant, forte de la gorge; ses cheveux lissés, collés et comme vernis lui descendent en petits bandeaux plats sur les tempes. Elle a un grand air dhonnêteté.
Cest une Macquart rangée, raisonnable, logique avec ses besoins de bien-être, ayant compris que la meilleure façon de sendormir dans une tiédeur heureuse est encore de se faire soi-même un lit de béatitude [56]. Elle est dun égoïsme tranquille et béat, écartant, toutes les causes possibles de trouble, laissant couler les journées au milieu de cet air gras, de cette prospérité alourdie [64]. Larrivée de son beau-frère lui a laissé tout son calme; comme les mauvaises pensées la dérangeraient trop, elle parle aussitôt de partager fa succession Gradelle et, pour ramener à renoncer à cet acte désintéressé, il faut toute la résistance de Florent.
Mais celui-ci, installé chez son frère, promenant dans la boutique sa lassitude et sa tristesse, impatiente bientôt la belle madame Quenu, pleine de mépris pour les gens qui se croisent les bras. Habituée à tout régenter, Lisa sait vaincre les répugnances du républicain pour un emploi officiel; elle ne lui a, du reste, aucune reconnaissance de cette faiblesse [113]. Sa froideur de femme grasse et arrivée, son instinctive méfiance pour ce maigre inquiétant, se transforment bientôt en une hostilité active. Lisa ne pardonne pas à Florent son amitié pour la belle Normande, brouillée à mort avec elle; ce doux rêveur sera écrasé par la formidable rivalité des deux femmes. Quand il entraîne son frère chez Lebigre, aux réunions bavard, Lisa, émuepar les racontars de la Saget, commence son uvre de défense; tout en faisant grand étalage de patience et en se gardant dédire du mal de Florent, elle ramèneQuenu aux saines idées politiques et le poussepeu à peu vers le désir due rupture avec ce frère qui trouble la digestion des honnêtes gens. Après un conciliabule avec labbé Roustan[251], révolutionnée par la découverte décharpes rouges préparées pour le grand jour, indignée devant sa propre tranquillité compromise à jamais, elle se décide brusquement à dénoncer. le conspirateur en rupture de ban [318].
Florent arrêté, cest la quiétude qui revient, une réconciliation publique se produit entre Lisa et la belle Normande, les Quenu sembrassent, énormes, débordants, déjà convalescents de ce malaise dune année où leur tranquille bonheur tremblait et coulait comme une graisse mal figée. Et, pendant que son maigre beau-frère retourne à Cayenne, la belle Lisa montre un grand calme repu, une tranquillité énorme que rien ne doit plus venir troubler. (Le Ventre de Paris.)
Elle meurt à Paris, en 1863, dune décomposition du sang [25]. (La Joie de vivre.)
(1) Lisa Macquart, née en 1837; épouse, en 1852, Quenu, sain et pondéré, dont elle a une fille dans lannée ; meurt six mois avant son mari, en 1863, dune décomposition du sang. [Élection de la mère. Ressemblance physique de la mère]. Charcutière, grande boutique aux Halles. (Arbre généalogique des Rougon-Macquart.)
Macquart (Urusule) (l). Fille dAdélaïde Fouque et de Macquart. Mère de François, Hélène et Silvère Mouret. Née à Plassans en 1791, des amours illégitimes dAdélaïde Fouque et de Macquart [50], elle est élevée dans lenclos Fouque avec ses frères Pierre Rougon et Antoine, qui la battent avec une égale rudesse. Cest une pauvre petite créature chétive et pâle, chez qui les ressemblances des parents sont comme fondues, avec une empreinte plus profonde du tempérament de sa mère. Elle est fantasque, montrant par moments des sauvageries, des tristesses, des emportements de paria, puis, le plus souvent, elle rit par éclats nerveux, elle rêve avec mollesse, en femme folle du cur et de la tête. Ses yeux sont dune transparence de cristal [56]. A dix-neuf ans, elle épouse Mouret, heureuse de fuir une maison où son frère aîné lui rend la vie intolérable. Les époux vont se fixer à Marseille [60]; Ursule reste chétive [141], peu à peu consumée par une phtisie lente, résultat des névroses maternelles, et elle meurt en 1840, laissant trois enfants [160]. (La Fortune des Rougon,)
Macqueron. Épicier-cabaretier à Rognes. Conseiller municipal et adjoint au maire. Grosse face moustachue. A gagné des rentes en spéculant sur les petits vins de Montigny et est tombé à la paresse, chassant, pêchant, faisant le bourgeois. Reste très sale, vêtu de loques, pendant que sa fille porte des corsages de velours. Macqueron fermerait volontiers boutique, car il devient vaniteux, avec de sourdes ambitions, mais il laisse sa femme tenir le cabaret pour ennuyer son ennemi, le buraliste Lengaigne, qui vend aussi à boire [55]. Zélé bonapartiste, se mettant en avant pour la réparation de la cure, devenant lagent du candidat officiel Rochefontaine, il parvient à renverser le maire Alexandre Hourdequin et à prendre sa succession [375]. Mais ce triomphe est sans lendemain, grâce à une dénonciation de Lengaigne qui révèle aux rats-de-cave une grosse fraude du nouveau maire et oblige celui-ci à donner sa démission [451]. (La Terre.)
(l) Ursule Macquart, née en 1791 ; épouse en 1810, un ouvrier chapelier, Mouret, bien portant et pondéré; en a trois enfants; meurt phtisique en 1840. [Mélange soudure. Prédominance morale et ressemblance physique de la mère]. (Arbre généalogique def Rougon-Macquart.)
Macqueron (Madame Clina). Femme de lépicier. Sèche, nerveuse et insolente, voix aigre [52]. Elle est dune âpreté féroce au lucre [55]. (La Terre.)
Macqueron (Berthe). Fille des Macqueron. Cest une jolie brune, avec des yeux clairs aux légers cercles bleuâtres. A été élevée en demoiselle à la pension de Cloyes et joue du piano. Très coquette, elle porte des corsages de velours et va aux champs enrobe à volants [128]. Le voisinage laccuse davoir des plaisirs solitaires, appris au pensionnat et les garçons. samusent à lui attribuer une particularité physiologique secrète qui la fait surnommer Nen-a-pas [130]. Berthe tolère les prévenances du maître décole Lequeu, quelle exècre, flattée pourtant de cette cour du seul homme qui ait de linstruction [346]. Elle na de penchant que pour le fils dun charron, que son père lui a défendu de voir, à cause dune haine de famille. Tombée plus tard à une maigreur jaune, déjà ridée, de teint flétri, elle se compromet tellement avec son amoureux quon est obligé de les marier [451]. (La Terre.)
Madeleine. Blonde fillette de dix ans, recueillie à luvre du Travail. Elle a des yeux savants déjà, un air de femme, la chair hâtive et malade des faubourgs parisiens. Vivait avec sa mère, une rouleuse adonnée à la boisson et changeant constamment dhomme; les amants de la mère battaient la fillette quand ils nessayaient pas de la violer [172]. La femme misérable a gardé dans son abjection un ardent amour maternel, cest elle-même qui a supplié quon lui enlevât as fille et elle enseigne à celle-ci une prière pour le bon monsieur Saccard, grâce à qui linnocence a trouvé un refuge. A treize ans, Madeleine devient orpheline, sa mère étant morte un soir de soûlerie dun coup dé pied dans le ventre, quun homme lui a allongé pour ne pas lui donner les six sous dont ils étaient convenus [420]. (LArgent.)
Madeline (Abbé). Nommé à Rognes, lorsque cette commune sest décidée à avoir un curé à elle. Agé de trente ans, tout long, tout mince, avec une figure de Caroline qui nen finit plus, lair bien doux, labbé arrive du Puy-de-Dôme. Ses grands yeux gris clairs de montagnard, habitués aux horizons étroits des gorges de lAuvergne, ont une mélancolie désespérée devant limmensité plate et grise de la Beauce [349]. Les femmes, layant senti faible, en abusent pour le tyranniser dans les choses du culte[3821. Et navré de lindifférence de ses nouveaux paroissiens, bouleversé par lirréligion de ce pays, labbé sétiole, son cur est noyé de tristesse, il sévanouit en disant sa messe. Au bout de deux ans et demi, on s » décide a le remporter, mourant, dans ses montagnes [456]. (La Terre.)
Madinier. Patron dun atelier de cartonnages, rue de la Goutte-dOr, dans la maison des Lorilleux. Ceux-ci prétendent quil mange tout, laissant ses enfants le derrière nu [71]. Au mariage de Coupeau, Madinier est lun des témoins [80]. Il se donne une importance de patron et emmène la noce au musée du Louvre, où il prétend expliquer les tableaux [96]. (LAssommoir.)
Maffre. Juge de paix à Plassans. Tout blanc, face épaisse avec de gros yeux à fleur de tête, très dévot, chanoine honoraire de Saint-Saturnin. Ou laccuse davoir tué sa femme par sa durcie et son avarice [43]. Il traite ses grands fils Ambroise et Alphonse avec brutalité, les enfermant au pain et à leau pour punir la moindre incartade. Maffre fréquente chez Rastoil et se rallie lun des premiers à labbé Faujas, qui se servira de lui pour lancer lidée du Cercle de la Jeunesse [171]. (La Conquête de Plassans.)
Maffre (Alphonse). Second fils du juge de paix de Plassans. Dix-huit ans. Très tenus par leur père, les fils Maffre samusent en cachette avec Guillaume Porquier, leur ami, qui les entraîne dans des maisons suspectes[167]. (La Conquête de Plassans.)
Maffre (Ambroise). Premier fils du juge de paix de Plassans. Vingt ans [167]. (La Conquête de Plassans.)
Maginot. Inspecteur des forêts, à Méziéres [7]. Il a épousé Gilberte de Vineuil, qui aime le plaisir. Cest un mari commode ; sa nullité laisse la jeune femme sans remords. Il meurt après de courtes années de mariage [262]. (La Débâcle.)
Maginot (Madame). Voir VINEUIL (Gilberte de).
Maheu (Alzire). quatrième enfant de Toussaint Maheu et de la Maheude. Elle a neuf ans. Cest une petite bossue toute chétive, aux yeux intelligents, une ménagère précoce qui fait le ménage, entretient le feu, balaye, range la salle, un être de dévouement et de sacrifice, qui ment déjà avec héroïsme pour laisser son pain aux autres. Cest la meilleure aide de sa mère, elle a des ruses tendres pour calmer les rages de sa petite sur Estelle [93].Aizire meurt de froid et de faim, pendant la grève de Montsou [446]. (Germinal.)
Maheu (Catherine). Deuxième enfant de Toussaint Maheu et de la Maheude. Hercheuse au Voreux. Fluette pour ses quinze ans, elle est rousse, elle a un visage blême, déjà gâté par les continuels lavages au savon noir, une bouche un peu grande, avec des dents superbes dans la pâleur chlorotique des gencives, de grosses lèvres dun rosé pâle, de grands yeux dune limpidité verdâtre deau de source [72]. Ses bras délicats sont dune blancheur de lait, et ses pieds, habitués à courir dans la mine, sont bleuis, comme tatoués de charbon. Dans sa culotte de mineur, sa veste de toile et le béguin qui enserre son chignon, elle a lair dun petit homme, rien ne lui reste de son sexe quun dandinement léger des hanches [16]. Les promiscuités de la famille lui ont tout appris de lhomme et de la femme, mais elle est vierge de corps, et vierge enfant, retardée dans la maturité de son sexe par le milieu de mauvais air et de fatigue où elle vit [50]. Ses idées héréditaires de subordination et dobéissance passive lui donnent une allure résignée et douée.
Elle trouve Étienne Lantier joli, avec son visage fin et ses moustaches noires, mais cest Chaval qui la prend, sans quelle ait la volonté de résister; elle subit le mâle avant lâge, avec cette soumission innée qui, dès lenfance, culbute en plein vent les, filles de sa race [145]. Et désormais, elle obéit à Chaval, elle supporte ses coups; maintenant quelle a ce galant, elle aime encore mieux ne pas en changer [207]. Pourtant, cest unie triste vie, Chaval na été bon pour elle quune seule fois, à la fosse Jean-Bart, Je jour où elle allait mourir, asphyxiéepar lair mort du fond de la mine [348]. Hors ce court instant, elle na connu que sa jalousie brutale, ses colères mauvaises, son égoïsme de mâle qui se laisse nourrir par le gain de la femme; mais Chaval est son homme et, au jour de la bagarre, tille le défend, pardonnant les coups, oubliant la vie de misère, soulevée par lidée quelle lui appartient, puisquil la prise et que cest une honte pour elle, quand il subit des violences [381]. Son cur va quand même vers Etienne, elle le sauve îles gendarmes [il4.], elle le sauve aussi du couteau de Chaval [408], et cependant il faut que ce dernier la chasse, la jette grelottante dans la rue, pour quelle se décide à partir, libérée du premier amant. Et cest le lendemain, dans la secousse de labominable collision où son père a trouvé la mort, quelle devient femme; le flot de la puberté crève enfin, elle pourra maintenant faire des enfants que les gendarmes égorgeront [494]. Etienne la possède femme le premier, mais leurs tristes noces saccomplissent au fond de la mine inondée, dans le désespoir de tout, dans la mort et, jusquau bout, la pitoyable Catherine est hantée par laffreuse image de Chaval [573]. (Germinal.)
Maheu (Estelle). Septième enfant de Toussaint Maheu et de la Maheude. Elle a trois mois. Ses interminables rages bouleversent la maison [18]. (Germinal.)
Maheu (Guillaume). Bisaïeul de Toussaint Maheu. Étant un gamin de quinze ans, il a trouvé le charbon gras à Réquillart, la première fosse de la Compagnie de Montsou. La veine découverte par lui a gardé le nom de veine Guillaume. Cet ancêtre a été le grand-père de Bonnemort, qui ne la pas connu. Il était gros, très fort et est mort de vieillesse à soixante ans [10]. (Germinal.)
Maheu (Henri). Sixième enfant de Toussaint Maheu et de la Maheude. Quatre ans. Tête trop grosse et comme soufflée, ébouriffée de cheveux jaunes. On le couche avec sa sur Lénore [14]. (Germinal.)
Maheu (Jeanlin). troisième enfant de Toussaint Maheu et de la Maheude. Onze ans. On lemploie au Voreux comme galibot. il gagne vingt sous par jour. Il est petit, il a les membres grêles, avec des articulations énormes, grossies par les scrofules, un masque de singe blafard et crépu, avec des yeux verts et de grandes oreilles. Dans sa précocité maladive, il semble avoir lintelligence obscure et la vive adresse dun avorton humain qui retourne à lanimalité dorigine [210]. Depuis longtemps, il exploite Bébert Levaque et Lydie Pierron ; avec celle-ci, il essaye, dans les coins noirs, lamour que tous deux entendent et voient chez leurs parents, derrière les cloisons, par les fentes des portes; ils savent tout, mais ils ne peuvent guère, trop jeunes, tâtonnant, jouant pendant des heures à des jeux de petits chiens vicieux; Jeanlin appelle ça « faire papa et maman » [138].
Enseveli sous un éboulement dans la mine, il conserve ses jambes, mais on les recolle si mal quil reste boiteux de la droite et de la gauche, filant dun train de canard, courant aussi ton quautrefois, avec son adresse de bête malfaisante et voleuse [298]. Un besoin croissant de maraude le lance avec Bébert et Lydie sur 1rs chemins, il est le capitaine de ces expéditions, jetant sa troupe sur toutes les proies, ravageant les champs doignons, pillant les vergers, attaquant les étalages; dans le pays, on attribue ces méfaits aux mineurs en grève, on parle, dune vaste bande organisée [301]. Et pendant que les deux autres tremblent sous son autorité, Jeanlin garde tout le butin et le transporte dans une caverne de Réquillard, où il fait bombance tout seul [306]. Cet être malfaisant martyrise pour le plaisir la grosse Pologne, une lapine familière qui vit en liberté chez les Rasseneur [310]. Toute une sourde végétation du crime se développe en son crâne de bête inconsciente: des discours violents entendus dans la forêt, des cris de dévastation et de mort hurlés au travers des fosses, il na retenu quun invincible désir, celui dégorger un soldat, un de ces cochons de soldats qui embêtent les charbonniers chez eux; et il assassine le petit breton Jules, qui était en faction nocturne sur le territoire du Voreux; il lui a sauté sur les épaules, dun bond énorme de chat sauvage, sy est agrippé de ses griffes et lui a enfoncé dans la gorge son couteau grand ouvert [465]. (Germinal.)
Maheu (Lénore). Cinquième enfant de Toussaint Maheu et de la Maheude. Six ans. La même tête que son jeune frère Henri. Ces enfants ne sentendent guère, ils ne se prennent gentiment au cou que lorsquils dorment, Dés son lever, la fille tombe sur le garçon, son cadet de deux années, qui reçoit les gifles sans les rendre [93]. (Germinal.)
Maheu (Nicolas). Grand-père de Toussaint Maheu. On lappelait le Rouge. Cest le fils du Maheu qui a découvert la veine Guillaume à Réquillart. A peine âge du quarante ans, il est resté dans un éboulement du Voreux, que lon fonçait en ce temps-là: un aplatissement complet, le sang bu et les os avalés par les roches [10]. (Germinal.)
Maheu (Toussaint). Fils du vieux Bonnemort. Mari de la Maheude. Père de Zacharie, Catherine, Jeanlin, Alzire, Lénore, Henri et Estelle. Il est haveur à la fosse du Voreux et habite le coron des Deux cent quarante, au numéro 16 du deuxième corps. Tous les enfants logent dans la même chambre, séparée par une porte vitrée du palier où couchent les parents. Petit comme son père, Maheu lui ressemble en gras, la tête forte, la face plate et livide, sous ses cheveux jaunes coupés très courts [18]. A quarante-deux ans, il a la peau blanche, dune blancheur de fille anémique, ou les éraflures, les entailles du charbon, laissent des tatouages, des « greffes » ; il sen montre fier, il étale ses gros bras, sa poitrine large, dun luisant de marbre veiné de bleu [129]. Les salaires sont tellement bas quon doit vivre à dix avec neuf francs par jour, et ce maigre gain est disputé rudement dans létouffement des ténèbres, dans les crampes des attitudes forcées, dans leau qui ruisselle, dans lair quempoisonnent la fumée des lampes, la pestilence des baleines, lasphyxie du grisou [53], et avec cela, il faut subir lobsession des mouchards, il faut mesurer ses paroles, comme si la houille des actionnaires, encore dans la veine, avait des oreilles [55].
Maheu est un bon ouvrier, il ne boit pas, il adore ses petits et fait gentiment la dînette avec eux [162]. Cest le meilleur travailleur de la fosse, le plus aimé, le plus respecté, celui quon cite pour son bon sens. Aussi a-t-il été désigné pour présenter à la direction les réclamations de ses camarades; elles prendront, dans sa bouche, un poids décisif [240]. Depuis longtemps, Etienne Lantier la endoctriné; Maheu commence à se demander pourquoi lon vit parqués, les uns contre les autres, comme des bêtes, si entassés quon ne peut changer de chemise sans montrer son derrière au voisin, pourquoi on est condamné à un travail qui était la punition des galériens autrefois, un travail de vraies brutes, qui ne vous donne même pas de viande à manger [185] ; cest en sa cervelle une lente germination, laspiration vers une société plus humaine, et ce sentiment lui donne le courage de parler au directeur Hennebeau. Il dit les choses amassées au fond de sa poitrine, leur misère à tous, le travail dur, la femme et les petits criant la faim à la maison, il cite les dernières payes désastreuses, les quinzaines dérisoires mangées par les amendes et les chômages, rapportées aux familles en larmes. Mais Hennebeau nest quun simple agent dexécution, derrière lui il y a une Régie sourde et muette, les mineurs sont acculés à la grève. Crever pour crever, ils préfèrent crever à ne rien faire; ce sera la fatigue de moins [244]. Et cest alors la triste grève de Montsou, qui, après de longues semaines de famine, de froid, de sourdes révoltes, va être noyée dans le sang. Maheu sest vu rendre son livret [421], la Compagnie ne veut plus de lui, elle a fait venir des Borains pour remplacer les grévistes [443] et comme ceux-ci senragent devant les fosses occupées militairement, des briques sont jetées aux soldats et ceux-ci répondent par une décharge qui étend devant le Voreux triomphant vingt-cinq blessés et quatorze morts, dont deux enfants et trois femmes. Toussaint Maheu est frappé en plein cur [488]. (Germinal.)
Maheu (Vincent). Voir BONNEMORT.
Maheu (Zacharie). Fils aîné de Toussaint et de la Maheude. Vingt et un ans. Maigre, dégingandé, il a la ligure longue, salie de quelques rares poils de barbe, avec les cheveux jaunes et la pâleur anémique de toute la famille [16]. Il est haveur et travaille à la même taille que son père, mais il se moque de la besogne, aime le plaisir et fréquente avec son ami Mouquet le café-concert du Volcan [136]. Zacharie a fait deux enfants à Philomène Levaque, on finit par le marier avec elle [181]. La grève ne lintéresse guère, il fait de longues parties de crosse avec Mouquet. [310]. Mais soudain, lorsque sa sur Catherine est ensevelie dans le Voreux, une violente révolution sopère en lui, il est au premier rang de léquipe des recherches; avant tous les autres, il entend le rappel des mineurs, battu au loin parles emmurés ; il sacharne à labatage, volant le tour de ses camarades, refusant de lâcher la rivelaine; cest une hâte fébrile, un besoin farouche, un enragement victorieux devant la houille qui résiste. Le neuvième jour, dans sa précipitation, il commet limprudence douvrir sa lampe et une soudaine explosion de grisou le réduit en un charbon noir, calciné, méconnaissable [546]. (Germinal.)
Maheude (La). Femme de Toussaint Maheu. Déjà déformée à trente-neuf ans, elle a une figure longue, aux grands traits, dune beauté lourde [19]. Elle est descendue aux mines jusquà vingt ans, le médecin a dit quelle y resterait, lorsquelle a accouché la seconde fois, parce que ça lui dérangeait quelque chose dans les os [102]. Cest à ce moment quelle sest mariée et dès lors elle est restée au coron; cinq autres enfants sont venus. Dans ce milieu, la misère héréditaire fait de chaque petit un gagne-pain pour plus tard, un fils ne doit se marier que lorsquil a rendu à ses parents largent quil leur a coûté. Aussi la Maheude consent-elle avec peine au mariage de son aîné Zacharie [176]; de même Catherine devenue la maîtresse de Chaval la désole, car cest encore une brèche aux maigres ressources de la maison. Elle a un grand bon sens dans les questions de travail, elle calme son homme exaspéré par les exigences des chefs, elle déclare quon na rien à gagner à se buter contre la Compagnie [130].
Pourtant léternelle misère la révolte et, si elle a dabord refusé dentendre Etienne Lantier et son rêve dune humanité meilleure, le charme agit lentement sur son esprit, elle entre dans le inonde merveilleux de lespoir, lidée de justice la passionne [189]. Son esprit de bonne ménagère la dinstinct rendue hostile A la grève, mais le malheur sacharne trop, les aînés sont partis, Jeanlin a été estropié dans un éboulement, le vieux Bonnemort est perclus de rhumatismes, il faut vivre à sept sur les trois francs du père ; raisonnablement, lheure semble venue dobtenir justice [256]. Plus tard, lexcès du malheur fera delle la plus acharnée à ne pas se rendre, elle. ne voudra pas avoir pour rien crevé pendant, deux mois, vendu son ménage, vu Alzire mourir de faim et ses autres enfants mendier sur les routes. Longtemps elle est restée modérée, à présent cest elle qui excite Maheu à jeter des briques aux soldats et, même lorsquelle le voit tué par une halle, même brisée dans cette terrible chute du haut de lidéal, elle sexaspère encore contre ceux qui parlent de retourner à la fosse [498].
Il faut dautres malheurs, Zacharie calciné par le grisou, Catherine ensevelie dans le Voreux, pour que la mère tragique retrouve son ancien calme de femme raisonnable. On lui fait alors lexception charitable de ladmettre à quarante ans aux travaux de la mine, on lui donne trente sous par jour pour tourner une roue pendant dix heures, sous lenfer du Tartaret, au fond dun boyau ardent. Et comme il faut nourrir les petits, elle vit là, les reins cassés, la chair cuite par quarante degrés de chaleur, uniquement soutenue par le sourd travail qui sest fait en elle, la certitude que linjustice ne peut durer davantage, et que sil ny a plus de bon Dieu, il en repoussera un autre, pour venger les misérables [585]. (Germinal.)
Mahoudeau. Un sculpteur ami de Claude Lantier et de Sandoz. Fils, dun tailleur de pierres de Plassans, il a remporté là-bas de grands succès aux concours du Musée; puis, il est venu à Paris comme lauréat de la ville, avec une pension annuelle de huit cents francs pour quatre années. A Paris, il a vécu dépaysé, sans défense, ratant lEcole des Beaux-Arts, mangeant sa pension à ne rien faire ; si bien que, les quatre ans finis, il sest vu forcé, pour vivre, de se mettre aux gages dun marchand do bons dieux, où il a gratté dix heures par jour des Saint-Joseph, des Saint-Roch, des Madeleine, tout le calendrier des paroisses.
Il est petit, maigre, la figure osseuse, déjà creusée de rides à vingt-sept ans; ses cheveux de crin noir sembroussaillent sur un front très bas; et dans ce masque jaune, dune laideur féroce, souvrent des yeux denfant, clairs et vides, qui sourient avec une puérilité charmante. Lambition la repris, lorsquil a retrouvé les camarades de Provence, connus autrefois chez tata Giraud, des gaillards dont il était laîné et qui sont aujourdhui de farouches révolutionnaires. Dans cette fréquentation dartistes passionnés, qui lui troublent la cervelle avec lemportement de leurs théories, son ambition tourne au gigantesque [79]. En sculpture, il pose pour la force, il signore et méprise la grâce invincible qui repousse quand même de ses gros doigts douvrier sans éducation. La lutte entre ses tendances naturelles et linfluence de Claude produit une uvre débordante et colossale, Bacchante dabord, puis Vendangeuse, avec une surabondance de cuisses et de gorge, et dès attaches de membres fines et jolies.
Mahoudeau a installé son atelier rue du Cherche-Midi, à quelques pas du boulevard Montparnasse, dans la boutique dune fruitière tombée en faillite; il couche là, en compagnie de son camarade Chaîne, partageant avec lui les lionnes grâces de lherboriste voisine, Mathilde Jabouille. Ce sont des années de dure misère, les bons dieux traversent une crise, lherboristerie périclite, Mahoudeau en est réduit à faire des bustes de bourgeois, notamment celui dun avocat, à la figure longue, allongée encore par des favoris, monstrueuse de prétention et dinfinie bêtise. On na pas toujours du pain, les deux artistes se brouillent un soir que Mahoudeau, le ventre vide, a surpris Chaîne mangeant un pot de confitures avec Mathilde ; la rancune persiste, sans une détente, sans une explication; ils réduisent les rapports strictement nécessaires à de courtes phrases, charbonnées le long des murs, et Mahoudeau se loue de cette combinaison, il trouve que, quand on crève de faim, ce nest pas désagréable de ne jamais sadresser la parole, on sabrutit dans le silence, cest un empâtement qui calme un peu les maux destomac [223].
Après la rupture définitive avec Chaîne et lenvolement de Mathilde, le sculpteur, expulsé de sa boutique, sinstalle dans un petit atelier de la rue des Tilleuls ; il vit seul, dans un redoublement de misère, mangeant lorsquil a des ornements de façade à gratter ou quelque figure dun confrère plus heureux à mettre au point ; la Vendangeuse, exposée jadis au Salon, trop grande pour latelier, se pourrit dehors, pareille à un tas de gravats déchargés dun tombereau, rongée, lamentable [293].
Et Mahoudeau limite peu à peu son rêve. Depuis longtemps, il a lidée dune Baigneuse debout, tâtant leau de son pied ; la maquette contenait déjà des concessions, un épanouissement du joli sous lexagération persistante des formes, une envie naturelle de plaire, sans trop lâcher encore le parti-pris du colossal [222] ; lorsquil réalise luvre, cest une Baigneuse toute de charme, à la gorge enfantine, aux cuisses allongées; la nature vraie du sculpteur perce sous le dégonflement de lambition. Puis un malheur survient : faute dargent, Mahoudeau a fait une armature avec des manches à balai ; sous laction du dégel, la terre rompt le bois trop faible, et la statue sécroule comme une femme qui se jette, écrasant presque lartiste, qui sanglote devant ce cadavre mutilé [298]. Plus tard, gagnant quelque argent, grâce à un fabricant de bronzes dart qui lui fait retoucher ses modèles, il finit par exposer sa Baigneuse, mais rapetissée encore, à peine grande comme une fillette de dix ans, et dune élégance charmante, les cuisses fines, la gorge toute petite, une hésitation exquise de bouton naissant [410]. Et la vie devient meilleure, son fabricant lance de lui des statuettes charmantes, que lon commence à voir sur les cheminées et les consoles bourgeoises [440]. Mais la longue misère de Mahoudeau la aigri, il donne avec Gagnière des coups de dent aux amis dautrefois et accuse formellement Claude de lavoir paralysé et exploité [449], comme si lui seul navait pas gâté son propre talent, en prétendant le hausser à un idéal supérieur. (Luvre.)
Maigrat. Le principal débitant de Montsou. Ancien surveillant du Voreux, il avait débuté par une étroite cantine; puis, grâce à la protection des chefs, son commerce sest élargi, tuant peu à peu le détail. Il centralise les marchandises, la clientèle considérable des corons lui permet de vendre moins cher et de faire des crédits plus grands. Dailleurs, il est resté dans la main de la Compagnie, qui lui a bâti sa petite maison et son magasin, séparés par un simple mur de lhôtel du directeur Hennebeau. Maigrat possède là un entrepôt, un long bâtiment qui souvre sur la route, en une boutique sans devanture ; il y tient de tout, de lépicerie, de la charcuterie, de la fruiterie, y vend du pain, de la bière, des casseroles.
Gros, froid et poli, autoritaire et rapace, il accorde difficilement une prolongation de crédit, mais comme il a du goût pour les hercheuses, un mineur qui veut lattendrir na quà lui envoyer sa femme ou sa fille, laides ou belles, pourvu quelles soient complaisantes [98]. Pendant la grève, il a mis les femmes en fureur par sa grossièreté et son entêtement à refuser toute fourniture sans argent comptant; sil affame louvrier, cest pour répondre au désir des chefs, pressés den finir, mais il a ainsi attiré sur sa maison bondée de vivres la colère des ventres creux et cest là, devant la porte close, que sacharnent les grévistes en criant : « Du pain ! II y a du pain là-dedans! Foutons la baraque à Maigrat par terre!» Lassiégé pourrait fuir, il revient, au contraire, car en lui lavarice est plus forte que la lâcheté ; il veut défendre son bien et va gagner son magasin par le toit, lorsque, tremblant de peur, il glisse le long des tuiles et vient sécraser le crâne à langle dune borne.
Alors, les femmes, prises de livresse du sang, entourent le cadavre encore chaud, elles linsultent avec des rires, hurlait à la face du mort la longue rancune de leur vie sans pain ; la Maheude lui emplit la bouche de deux poignées de terre, il ne mangera plus autre chose maintenant ; lu Brûlé le coupe comme un matou, vengeant toutes celles qui ont souffert de sa bestialité. Et labominable trophée, le paquet de chair velue et sanglante, est planté au bout dun bâton et promené dans Montsou, ainsi quun drapeau [415]. (Germinal.)
Maigrat (Madame). Femme du débitant. Créature chétive, battue, trahie à chaque heure et qui passe les journées sur un registre, sans même oser lever la tête [90]. Le jour de lémeute, debout derrière sa fenêtre, elle a vu toute la scène, les grévistes envahissant Montsou, se ruant sur sa maison, Maigrat tombant du toit et mutilé par les femmes. Elle ne bouge pas, mais les défauts brouillés des vitres déforment sa face blanche, qui semble rire [415]. (Germinal.)
Malgras (Le Père). Marchand de tableaux. Un gros homme, envelonpé dans une vieille redingote verte, très sale, qui lui donne lair dun cocher de fiacre mal tenu, avec ses cheveux blancs coupés en brosse et sa face rouge, plaquée de violet ; carrément planté sur ses fortes jambes, il examine les tableaux, de ses veux tachés de sang. Le père Malgras, sous lépaisse couche de sa crasse, est un bonhomme très fin, qui a le goût et le flair de la bonne peinture; Claude Lantier reçoit souvent sa visite; jamais il ne ségare chez les barbouilleurs médiocres, il va droit, par instinct, aux artistes personnels, encore contestés, dont son nez flamboyant divrogne sent de loin le grand avenir. Avec cela, il a le marchandage féroce, il se montre dune ruse de sauvage pour acheter à bas prix la toile quil convoite. Ensuite, il se contente dun bénéfice de brave homme, vingt pour cent, trente pour cent au plus, ayant basé son affaire sur le renouvellement rapide de son petit capital, nachetant jamais le malin sans savoir auquel de ses amateurs il vendra le soir, mentant dailleurs superbement [61].
Plein de ressources, il commande aux peintres besogneux des natures mortes et fournit le modèle, gigot, barbue ou homard, quil leur laisse pour lu peine [63]; il prête une cousine de sa femme, quand on veut bien lui en faire une académie [107]. Les millions peu solides de Naudet, le marchand à la mode, lui inspirent le plus profond dédain cl il se retire, en homme prudent, avec une très modeste fortune, une rente dune dizaine de mille francs, quil sest décidé à manger dans une petite maison du Bois-Colombes [278]. (Luvre.)
Malignon. Ami des Deberle. Grand jeune homme mis très correctement, fort riche, au courant de tout. On lappelle le beau Malignon. Cest un connaisseur qui trouve de loin eu loin une page bien écrite dans Balzac et estime que le réalisme dégrade lart [24]. Jugeant amusant de devenir amoureux de Juliette Deberle, il esquisse avec elle une aventure dans loisiveté estivale de Trouville et, revenu à Paris, obtient de cette jeune écervelée un rendez-vous dans un petit appartement quil a meublé dune façon ridicule. Ladultère naboutit point, grâce à lintervention inattendue dHélène Grannjean. Malignon, resté ami des Deberle, trouve un mari pour Pauline Letellier, sur de Juliette. (Une Page dAmour.)
Maliverne (Rose). Femme du père Fouan. Elle a travaillé plus quun homme, levée avant les autres, faisant la soupe, balayant, récurant, les reins cassés par mille soins, les vaches, la cochon, le pétrin, toujours couchée la dernière, et sa seule récompense est davoir vécu [79]. Stupide, réduite à un rôle de bête docile et laborieuse, elle a toujours tremblé devant lautorité despotique de son mari. Elle a élevé ses enfants sans tendresse, dans une froideur de ménagère qui reproche aux petits de trop manger de ce quelle épargne; sa préférence a été pour laîné, Jésus-Christ ; ce chenapan na rien delle ni de son mari et pourtant il sera jusquau bout le chéri de son cur [133]. Devenue vieille, Rosé semble être restée grasse, le ventre gros dun commencement dhydropisie, le visage couleur davoine, troué dyeux ronds, dune bouche ronde, quune infinité de rides serrent ainsi que des bourses davare [17]. Elle survivra peu à la démission de biens du père Fouan. Ses faiblesses pour Jésus-Christ excitent la fureur de son autre fils, Buteau, qui la traite de vieille coquine, la jette violemment à terre et casse cette pauvre tête grise, usée et lasse. La mère Fouan meurt après trente-six heures dagonie [213]. (La Terre.)
Malivoire. Loueur de voitures à Arromanches. Il a lentreprise de lomnibus dArromanches à Bayeux [2]. (La Joie de vivre.)
Maloir (Madame). Dame âgée, lair respectable, ayant des manières. Elle sert de vieille amie et de secrétaire à Nana, lui tient société, laccompagne et écrit pour elle des lettres pleines de cur. Madame Maloir reçoit les secrets des autres sans jamais rien lâcher sur elle-même. On dit quelle vit dune pension mystérieuse, dans une chambre où personne ne pénètre ; le certain est quelle na jamais sur elle que les six sous dun omnibus [53]. Sa manie est de refaire tous ses chapeaux; seule, elle sait ce qui lui va, et elle transforme en casquette la plus élégante coiffure [46]. (Nana.)
Manguelin (Madame). Protégée de madame Deberle. Allure discrète et effacée. Vient en visite pour remercier madame Deberle dun service [21]. (Une Page dAmour.)
Manoury. Facteur aux Halles. Patron du crieur Logre et de la tablettière Clémence [139]. (Le Ventre de Paris.)
Marcel. Marchand de fruits en gros aux Halles [16]. (Le Ventre de Paris.)
Mardienne frères. Fabricants dornements déglise, rue Saint-Sulpice. Mademoiselle Menu a travaillé dans leurs ateliers [163]. (Pot-Bouille.)
Maréchal. Bookmaker véreux, ancien cocher du comte de Vandeuvres. Enorme, les épaules dun buf, la face haute en couleur. Il a tenté la fortune aux courses avec des fonds dorigine louche et le comte le charge de ses paris secrets, le traitant toujours en domestique dont on ne se cache pas [403]. Par suite dune fausse manuvre. Maréchal est nettoyé de cent mille francs sur la pouliche Nana; ruiné, sentant tout crouler sous ses pas, il fait publiquement une scène affreuse, racontant lhistoire avec des mots atroces, entraînant par ce scandale la disqualification du comte de Vandeuvres [419]. (Nana.)
Marescot. Propriétaire de la maison de la rue de la Goutte-dOr, où habitent les Lorilleux et les Coupeau. Cest un grand coutelier de la rue de la Paix, un homme de cinquante-cinq ans, fort, osseux, décoré, étalant ses mains immenses dancien ouvrier. Il a jadis tourné la meule, le long des trottoirs, et maintenant on le dit riche à plusieurs millions. Un de ses bonheurs, lorsquil visite ses locataires, est demporter les couteaux et les ciseaux, pour les aiguiser lui-même, par plaisir [161]. Mais, quand on lui demande des réparations, il a des crampes davare [163], réclame ses termes avec insolence [384] et, dès quon est retard, a immédiatement le mot dexpulsion à la bouche [415]. (LAssommoir.)
Mareuil (de). Père de Louise. Cest un ancien raffineur du Havre, dont le nom réel est Bonnet, et qui a pris le nom de sa femme [143]. Grand bel homme, sérieux, à cervelle incroyablement vide. Au physique, une ressemblance frappante avec le valet de chambre Baptiste [23]. Très riche et plein dambition, M. de Mareuil aspire au Corps législatif; longtemps candidat malheureux [29], il dépense trois cent mille francs pour se faire élire et voit son élection cassée, à cause de scandales par trop vifs [243]. Tout à lidée fixe dêtre un personnage politique, il maquignonne le mariage de sa fille et de Maxime Saccard, dont il apprécie vivement létroite parenté avec le ministre de lintérieur Eugène Rougon [244]. Resté candidat officiel, il a le bonheur dêtre définitivement élu député [344]. (La Curée.)
Mareuil (Madame Hélène de). De famille noble, fort riche, elle a voulu épouser un imbécile de grande mine et sest mariée avec lancien raffineur Bonnet, qui a pu devenir ainsi M. de Mareuil. Cette femme, grande et forte, de murs extrêmement libertines, a mis au monde une enfant rabougrie, Louise, a vécu dans les débordements les plus honteux et est morte rongée par les plaisirs comme par un ulcère [144]. (La Curée.)
Mareuil (Louise de) (l). Cest une enfant de dix-sept ans, chétive, légèrement bossue, dune grâce maladive [4]. Fille dun colosse sain et dune mère bien bâtie, sa difformité, ses allures de bohémienne millionnaire, sa laideur effrontée et charmante sexpliquent par la nymphomanie maternelle [144]. Avec sa poitrine plate, sa petite tête laide et futée de gamin, elle ressemble à un garçon déguisé en fille, elle a des plaisanteries de pensionnaire émancipée [197], un sourire vague de sphinx vicieux [324], des instincts mauvais. Cest dun air tranquillement amical quelle a surpris linceste de Maxime Saccard et de Renée. Déjà très malade à la veille de son mariage avec Maxime, elle meurt pendant le voyage de noces et est enterrée dans une petite ville de Lombardie [337]. (La Curée )
(1) Louise de Mareuil, mariée, en 1863, à Maxime Rougon, dit Saccard ; meurt la même année sans enfant. (Arbre généalogique des Rougon-Macquart.)
Mareuil (Comtesse de). Prenait dans son château la petite Clara Prunaire pour les raccommodages [62]. (Au Bonheur des Dames.)
Margaillan. Un gros entrepreneur de maçonnerie, plusieurs fois millionnaire, et qui fait sa fortune dans les grands travaux de Paris, bâtissant à lui seul des boulevards entiers. Gras et court, il a la face cuite dun sang trop chaud. Lui, sa femme et sa fille ont sur la face, au dire de Claude Lantier, tous les crimes de la bourgeoisie ; ils suent la scrofule et la bêtise [157]. Margaillan possède, au-dessus de Bennecourt, en remontant du côté de La Roche-Guyon, une vaste propriété, la Richaudière, quil a payée quinze cent mille francs et où il a fait des embellissements pour plus dun million, par une vanité dancien gâcheur de plâtre. Cest un fier homme dans sa partie, il a une activité du diable, un sens étonnant de la bonne administration, un flair merveilleux des rues à construire et des matériaux à acheter [204].
Pendant trente ans, il a acquis des terrains, bâti, revendu, en établissant dun coup dil les devis des maisons de rapport; mais, comme tous les parvenus, il a rêvé de trouver un gendre qui lui apportât, dans sa partie, des diplômes authentiques et délégantes redingotes. Enthousiasmé par la médaille de Dubuche, par ce jeune élève de lEcole des Beaux-Arts, dont les noies sont excellentes, si appliqué, si recommandé par ses maîtres, il lui donne sa fille, il prend cet associé qui décuplera les millions en caisse, puisquil sait ce quil est nécessaire de savoir pour bâtir [215]. Mais Dubuche montre une incapacité déplorable, il a des inventions coûteuses, se trompe sur la chaux, la brique, la meulière, met du chêne où le sapin doit suffire, et nu se résigne pas à couper un étage, comme un pain bénit, en autant de petits carrés quil le faut. Margaillan, dont les millions périclitent, finit par se révolter contre lart et il jette son gendre à la porte de ses bureaux, eu lui défendant dy remettre les pieds [422]. (Luvre.)
Margaillan (Madame). Femme de lentrepreneur. Celui-ci a eu lambition dépouser une fille de bourgeois et, comme il avait le sang gâté par des générations divrognes, comme elle était épuisée, la chair mangée de tous les vices des races finissantes, ils ont mis au monde Régine, un malheureux petit chat écorché [215]. Madame Margaillan, très maigre, couleur de cire, mangée danémie, finit par mourir phtisique [422]. (Luvre.)
Margaillan (Régine). Fille de lentrepreneur. Si chétive à dix-huit ans quelle a encore la pauvreté grêle de la première enfance [157]. Toujours triste, dune santé chancelante, elle épouse Dubuche, un mari bien portant, et lui donne deux enfants, Gaston et Alice, des ftus à peine viables. Cest à ces avortons, produits dune dégénérescence dernière, quiront les millions du père Margaillan. Régine souffre de la phtisie maternelle, elle tousse depuis son mariage et fait des cures au Mont-Doré, pendant que ses enfants, trop débiles pour supporter un air si vif, sont soignés à la Richaudière. La famille ne saccroîtra plus : Régine a failli mourir à ses secondes couches, elle sévanouit au moindre contact trop vif; Dubuche considère comme un devoir de cesser tous rapports conjugaux avec elle [423]. (Luvre.)
Maria. Figurante des Variétés. Est traitée de chameau par Bordenave [146]. (Nana.)
Marjolin. Orphelin, a été trouvé sous les légumes au marché des Innocents, vers lâge de trois ans, blond, gras, très heureux de vivre, mais si peu précoce quil bredouillait à peine quelques mots. Devient lenfant des Halles, accroché aux jupes de lune et de lautre. Une belle fille rousse, qui vend des plantes officinales, la baptisé Marjolin. Lorsque la mère Chantemesse adopte Cadine, Marjolin se fait accepter aussi et les deux enfants grandissent ensemble. Il a deux ans de plus que la fillette, mais reste enfant très tard, nayant pas plus didée quun chou, ne sachant même pas faire une commission. Lindustrieuse Cadine ne peut rien tirer du petit bonhomme, qui nest bon quà crier: « Mouron pour les ptits oiseaux». Il porte un grand gilet rouge qui lui descend jusquaux genoux, le gilet du défunt père Chantemesse, ancien cocher de fiacre [202].
Cadine et Marjolin sépanouissent dans les Halles, grandissent et saiment librement comme de jeunes bêtes livrées à linstinct. Après avoir tenté tous les menus métiers des Halles, Marjolin est recueilli par Gavard [75]. Cest maintenant un grand garçon dune épaisseur et dune douceur flamandes, fort comme un cheval, dintelligence nulle, vivant par les sens. Il voue à Lisa Quenu une adoration silencieuse, arrive à la désirer follement et tente un jour de la violenter. Rudement repoussé, il tombe sur la tête et cette fracture du crâne fait de lui une brute complète. On loccupe désormais à gaver et à tuer les pigeons dans le sous-sol du pavillon de la volaille, il est toujours chéri de sa fidèle Cadine qui le mange de petites caresses. (Le Ventre de Paris.)
Marsoullier. Tenancier de lhôtel Boncur, où Gervaise Macquart et Lantier sont descendus [3]. (LAssommoir.)
Martin. Ancien matelot opéré autrefois par le chirurgien de marine Cazenove et resté ensuite à son service. Un vieil homme à jambe de bois [8]. (La Joie de vivre.)
Martine. Vieille servante de Pascal Rougon, devenue la vraie maîtresse de la maison, depuis près de trente ans quelle est au service du docteur. A soixante ans passés, elle garde un air jeune, elle est active et silencieuse, dans son éternelle robe noire et sa coiffe blanche qui la font ressembler à une religieuse, avec sa petite figure blême et reposée, où semblent sêtre éteints ses yeux couleur de cendre [6] Cest elle qui a élevé Clotilde Rougon, dont la tendre affection pour le docteur excitera plus tard sa jalousie. Brûlée dune flamme dévote, Martine, qui adore son maître, voudrait le forcer à faire sa paix avec Dieu, mais Clotilde, dabord sa complice, a échappé aux influences religieuses pour se donner entièrement à Pascal, et Martine, béante devant ce quelle voit, na plus que la ressource de prier, pour tenter darracher le maître à lenfer. Son avarice est sordide; pourtant, lorsque Clotilde a quitté la maison et que Martine reste seule en présence du docteur Pascal ruiné, la vieille servante trouve, dans son amour de chien docile, lhéroïsme extraordinaire de sortir son propre argent, heureuse de nourrir le savant sans quil se doute que sa vie vient delle [310]. Naimant que lui pour le bonheur de laimer, dêtre avec lui et de le servir [330], Martine est affolée par sa mort soudaine et, pour le sauver de la damnation, pour lui gagner le paradis, elle aide madame Félicité à anéantir luvre diabolique. Puis, comme rien ne la retient plus à la maison, comme elle ne veut servir personne après monsieur, pas même lenfant que lon attend et qui vient de lui, elle va vivre à Sainte-Marthe, dans un trou perdu, reprise de sa fureur davarice [371]. (Le Docteur Pascal.)
Martineau. Frère de madame Mélanie Correur. Notaire à Coulonges, dans les Deux-Sèvres, où les Martineau sont notaires de père en fils, depuis sept générations [58]. Cest un grand vieillard de soixante-trois ans, à la figure froide, à lair grave, aux yeux énergiques. Sa sur Mélanie, qui sétait enfuie jadis avec un garçon boucher et quil na pas consenti à revoir, imagine, pour hériter plus vite, de le dénoncer au ministre Rougon comme républicain dangereux [307]. On larrête en vertu de la loi, de Sûreté générale, Gilquin est chargé de lopération et laccomplit avec une telle brutalité que Martineau, déjà frappé dune attaque de paralysie, agonise en route, est refusé par le directeur de la prison et va mourir le soir même dans un hôtel de Niort, en face des fenêtres de la préfecture, où la bande Rougon donne une soirée magnifique [337]. (Son Excellence Eugène Rougon.)
Martineau (Madame). Femme du notaire de Coulonges. Petite et grasse, face calme. Elle reçoit avec une parfaite dignité les gendarmes chargés darrêter son mari. Cest une femme forte qui ne compte pas sur ses larmes [330]. Elle suit le cortège qui emporte le paralytique et, quand on se décide à le lui rendre, elle le fait transporter à lhôtel de Paris, où elle défend les dernières minutes du moribond contre laffreuse madame Correur [336]. (Son Excellence Eugène Rougon.)
Marsy (de). Président du Corps législatif. A vingt-huit ans, il était colonel ; plus tard, on le trouve à la tête dune grande usine ; puis, il sest occupé successivement dagriculture, de finance, de commerce ; enfin, il a fait des portraits et écrit des romans [84]. Un mystère plane sur sa naissance; on assure quil est né sur les marches dun trône. De gros potins circulent sur lui : avant lempire, il était entretenu par sa maîtresse, une baronne dont il a mangé les diamants en trois mois ; pas une affaire véreuse ne se traite sans lui sur la place de Paris. Sa tête pâle est fine et méchante, il a une haute mine daventurier élégant [44]. Comme homme politique, il a de la poigne, une main de fer, hardie, résolue, très déliée pourtant [84], une fine main gantée qui étrangle et que lempereur fait alterner avec le poing de Rougon, un poing velu qui assomme [433]. Marié avec une princesse valaque, il renoue six mois après avec madame de Llorentz, une ancienne maîtresse qui possède une arme contre lui. Son antagoniste Rougon parvient à le remplacer au ministère de lintérieur [263] et il devient alors président de la Chambre, apportant le sang-froid le plus parfait à la direction des débats, tenant tête aux Cinq avec une autorité mordante [452]. (Son Excellence Eugène Rougon.)
Marty. Professeur de cinquième an lycée Bonaparte. Profil pauvre, redingote étriquée et propre, visage blêmi par le professorat [93]. Il gagne six mille francs par an et doit doubler ses appointements en courant le cachet, pour suffire au budget sans cesse croissant du ménage [74]. Devant les achats désordonnés de sa femme, il a langoisse résignée dun pauvre homme, qui assiste à la débâcle de son argent, si chèrement gagné. Chaque nouveau bout de ruban est pour lui un désastre, damères journées denseignement englouties, des courses au cachet dévorées, leffort continu de sa vie aboutissant à une gêne secrète, à lenfer dun ménage nécessiteux [99]. A la suite de violentes scènes dintérieur, il est frappé du délire des grandeurs et enfermé dans une maison de fous [477]. (Au Bonheur des Dames.)
Marty (Madame). Femme du professeur. Maigre, laide, ravagée de petite vérole, mise avec une élégance compliquée, elle est sans âge ; ses trente-cinq ans en valent quarante ou trente, selon la fièvre qui lanime [74]. Fille dun petit employé, elle ruine son mari par des achats désordonnés dans les grands magasins. On la connaît pour sa rage de dépense, sans force devant la tentation, dune honnêteté stricte, incapable de céder à un amant, mais tout de suite lâche et la chair vaincue, devant le moindre bout de chiffon [74]. Elle prend tout au Bonheur des Dames, sans choix, au hasard des étalages. La névrose des grands bazars la complètement détraquée [322]. Quand son mari devient fou, elle continue sa course à travers les comptoirs, mangeant un vieux bonhomme doncle qui, après son veuvage, sest retiré chez elle [477]. (au Bonheur des Dames.)
Marty (Valentine). Fille de Marty. Une grande demoiselle de quatorze ans, maigre et hardie, une des coquetteries les plus chères de sa mère, qui lhabille comme elle, de toutes les nouveautés de la mode [74]. Valentine jette déjà sur les marchandises des regards coupables de femme [124]. (Au Bonheur des Dames.)
Mascart (Le Père). aveugle paralytique. Habite rue Basse, à Beaumont. Angélique Marie lui fait manger elle-même lassiettée de soupe quelle lui apporte [119]. (Le Rêve.)
Massacre. Lun des chiens du berger Soûlas. Partage lexécration de son maître pour la Cognette [100]. (La Terre.)
Massias. Remisier. Fils dun magistrat de Lyon, frappé dindignité. Est devenu employé à la Bourse, nayant pas voulu continuer ses études de droit, après la disparition de son père. Cest un gros garçon rougeaud, aux jambes courtes, aux yeux bleus dune limpidité enfantine. Longtemps malchanceux, avec son air inquiet de bon chien battu [94], il a pris une importance énorme depuis quil est au service de la Banque Universelle, il réalise des gains superbes et ne dit plus, comme autrefois, quil faut être juif pour réussir. Mais sil a violé la chance, sur les talons de Saccard, il sort de son rêve les reins cassés. Au jour de la catastrophe, il doit soixante-dix mille francs et, alors quil pourrait, comme tant dautres, invoquer lexception de jeu, il fait celte bêtise sublime et inutile de payer, il emprunte à des amis, sengageant pour la vie entière, sans que personne lui en sache gré, car on hausse même un peu les épaules derrière lui [394]. (LArgent.)
Massicot. Bourgeois de Plassans, enrôlé et armé par Pierre Rougon pour délivrer la mairie occupée par les républicains [272]; est pris démotion et tire en lair, dans la mairie, sans savoir [289]. (La Fortune des Rougon.)
Masson (Colonel). Adirigé avec le préfet des Bouches-du-Rhône, en 1851, la terrible répression des troubles qui suivirent le coup dÉtat. Au retour, il sarrête à Plassans, ayant soin de faire passer hors de la ville ses soldats, las et muets, encore saignants de la tuerie de Saint-Roure [360]. (La Fortune des Rougon.)
Mathias. Vieux bossu travaillant à la ferme de la Borderie. Il a possédé la Cognette lorsquelle avait quatorze ans [288]. (La Terre.)
Mathieu. Une des bêtes préférées de Désirée Mouret. Un cochon quelle engraisse amoureusement et quelle a baptisé du nom de Mathieu, parce quil ressemble au gros homme qui apporte les lettres [294]. (La Faute de labbé Mouret.)
Mathieu. Gros chien de montagne, croisé de terre-neuve, appartenant aux Chanteau [8]. Robe blanche aux longs poils frisés, une seule tache noire à lil gauche [18]. Cette bête affectueuse, au regard presque humain, remplit la maison, se faufilant partout, partageant les joies et les peines de tous. Dès le premier jour, il a deviné en Pauline une amie des bêtes et des gens. Mathieu a quatorze ans à la mort de sa maîtresse, madame Chanteau. Encore très vif, il passe des nuits à chasser les souris [229]. Vieillesse pénible ; son arrière-train se paralyse, des hémorragies continuelles lépuisent peu à peu. Il meurt doucement dans les bras de son maître Lazare [286]. (La Joie de vivre.)
Mathilde. Actrice des Variétés. Un petit torchon dingénue [172]. (Nana.)
Matignon. Drapier me Croix-des-Petits-Champs, concurrent de Baudu. Il lui enlève un excellent courtier [265]. (Au Bonheur des Dames.)
Mauduit (Abbé). Vicaire à Saint-Roch. Visage gras et fin, caractère affable dhomme du monde. Labbé confesse ces dames et ces demoiselles de la bourgeoisie, les connaît toutes dans leur chair et, pénétré de son impuissance à les moraliser, finit par ne plus veiller quaux apparences, en maître des cérémonies jetant sur cette société gâtée le manteau de la religion [122]. Il fréquente chez ses pénitentes, offrant les conseils de son expérience pour mettre fin aux scandales des familles, se heurtant parfois à des impossibilités, subissant des avanies, sanctionnant quand il le faut certains désordres et se consolant dune aussi lamentable besogne par lédification à Saint-Roch dun magnifique calvaire, où il va réaliser de beaux effets de théâtre. (Pot-Bouille.)
Maugendre. Beau-père de Jordan. Avait à la Villette une manufacture de bâches où il a gagné quinze mille francs de rente. Gros homme calme et chauve, à favoris blancs. Sest retiré avec sa femme en un petit hôtel, avec un beau jardin, rue Legendre. Les deux époux vivent trop grassement, sennuyant à ne plus rien faire. Cest à contre-cur quils ont vu leur fille Marcelle épouser Jordan, jeune écrivain dont le père est mort ruiné. Ils se méfient dun poète, croient avoir beaucoup fait en consentant au mariage et nont rien donné, sous le prétexte que Marcelle, après eux, aura leur fortune intacte, engraissée déconomies [19].
Dans sa vie désuvrée, lancien fabricant, qui tonnait autrefois contre les agioteurs, sest intéressé à la cote de la Bourse, lue chaque soir dans le journal. Une somme importante lui rentre un jour, il a lidée de lemployer en reports, un simple placement, pas encore de la spéculation ; puis la fièvre commence à le brûler, devant la danse des millions, dans cet air empoisonné du jeu. Un gain de six mille francs achève de le détraquer, il se met à opérer, dabord au comptant, puis à ternie, petitement pour commencer, senhardissant chaque fois davantage, malgré les premières résistances de sa femme et le blâme formel de son beau-frère Chave [202]. Le coup de Sadowa lui a fait perdre cinquante mille francs [215]. Il croit réparer le mal en achetant cinquante actions de lUniverselle au cours de douze cents francs; il les voit progressivement monter et en achète encore; on dépasse le cours de trois mille francs; une première baisse laisse intacte la foi de Maugendre dans le génie de Saccard ; pour se rattraper, il joue à découvert, achetant toujours, et à lheure définitive de leffondrement, cest un désastre irréparable, dénormes différences à payer, plus de deux cent mille francs, qui achèveront demporter la fortune gagnée si rudement par trente années de travail [386]. (LArgent.)
Maugendre (Madame). originaire de Marseille, sur du capitaine Chave. Sèche, active, elle a travaillé comme son mari et gagné sa part de la fortune. Elle voit avec inquiétude Maugendre se lancer dans les spéculations de Bourse, car elle a toujours professé contre le jeu une haine de bonne ménagère. Mais, si des angoisses lagitent, elle a les yeux enflammés au moindre gain [203]. Un jour, elle devient plus enfiévrée, plus âpre que son mari, cest elle qui le gourmande de sa timidité; acharnée aux grands coups de hasard, elle sexalte sur les renseignements de la Cote financière, une vieille feuille honnête qui inspire confiance à tous les rentiers, mais qui a été achetée par Saccard [301]. Et madame Maugendre, si prudente autrefois, si économe, la terreur de ses bonnes, toujours sur leurs talons, à éplucher leurs comptes, ne parle plus que par centaines de mille francs [386]. Après la ruine, elle et son mari sont secourus par le gendre quils avaient méprisé, et qui les installe à Clichy, dans un rez-de-chaussée, avec jardin pas cher [388]. (LArgent.)
Maugendre (Marcelle). Amie denfance de Paul Jordan et fiancée à lui au temps où il était riche, elle sest entêtée à vouloir quand même lépouser lorsquil est devenu pauvre [18]. Marcelle est une petite personne grasse et brune, elle a un clair visage aux yeux rieurs, à la bouche saine, et qui exprime le bonheur, même aux heures difficiles [191]. Elle a une bravoure souriante, lair décidé, très pratique dans son désir de rendre heureux son cher mari, son poète, qui travaille tant. Le rêve de sa vie est de le rendre riche un jour, dêtre, comme en un conte de fées, la bonne magicienne qui met des trésors aux pieds du prince ruiné, pour laider à conquérir le monde. En attendant, cest la grande gêne ; les quatre meubles dacajou dont Marcelle est fière, dans ses deux étroites pièces, si ensoleillées, de lavenue de Clichy, sont menacés par lusurier Busch [299], et ce nest pas Jordan qui sauvera la situation, car ces questions dargent le paralysent. Alors, pleine de vaillance, la jeune femme va essuyer les rebuffades de ses parents, ces Maugendre qui, autrefois, auraient tout dépensé pour lui faire des cadeaux et, aujourdhui, ne se soucient plus de rien, hors des opérations de Bourse. Energique et adroite, elle lutte bravement avec les huissiers, elle sait se tirer daffaire, elle ose, devant son mari, intéresser le grand patron Saccard aux malheurs du jeune ménage, et tout est sauvé [310]. Mais le conte de fées ne se réalisera pas. Le trésor des Maugendre a été englouti dans le gouffre de lUniverselle et il semble à Marcelle quelle ne sera plus, avec sa famille, quun obstacle pour son Paul. Elle lui a apporté sa jeunesse, sa tendresse, sa belle humeur, pas une princesse au monde ne pourrait donner davantage, un enfant viendra bientôt, et, gentiment, elle croit que son mari ne lui doit rien [388]. (LArgent.)
Mauriac (Baron De). Starter aux courses deLongchamp [409]. (Nana.)
Maurin. Maître chapelier à Plassans, bonhomme très aimé des ouvriers. Il est le candidat des républicains aux élections législatives [310] et, grâce aux manuvres de labbé Faujas, nobtient que les quinze cents voix irréconciliables du faubourg [324]. (La Conquête de Plassans.)
Maurin. Notaire des Tulettes et maire de la commune. Veuf depuis une dizaine dannées, il vit en compagnie de sa fille, également veuve et sans enfants. Cest lui qui dresse lacte do décès dAntoine Macquart, mort de combustion spontanée [235]. (Le Docteur Pascal.)
Mazaud. Un des plus jeunes agents de change, comblé par le sort, ayant eu la chance de la mort de son oncle, qui la rendu titulaire dune des plus fortes charges de Paris à trente-deux ans, à un âge où lon apprend encore les affaires. De petite taille, il est de ligure agréable, avec de minces moustaches brunes, des yeux noirs perçants. Il a fait un mariage damour qui lui apportait plus dun million [86], deux enfants sont venus, et, après quatre ans de mariage, on ne lui prête quune courte curiosité pour une chanteuse de lOpéra-Comique. Il vit dans une bonne odeur de chance, de félicité sans nuage, Mazaud montre une grande activité, lintelligence très alerte elle aussi, beaucoup de flair, une intuition remarquable. Il a une voix aiguë qui, autour de la corbeille, fait contraste avec la voix mugissante de son collègue Jacoby; à lopposé de celui-ci, il a la réputation de ne pas encore trop jouer pour son compte. La Banque Universelle va lui être funeste.Très engagé avec Saccard, quil reporte pour des sommes considérables, il a cru à lappui décisif du syndicat Daigremont, il sest laissé conquérir au point daccepter encore, le matin même de la débâcle, dos ordres dachat sans couverture pour plusieurs millions [360]. Et il est ruiné par la catastrophe; il se suicide chez lui dun coup de revolver et son sang tombe goutte à goutte, dans le luxe et le parfum des rosés, éclaboussant sa femme et ses petits [401]. (LArgent.)
Mazaud. (Madame). Épousée par amour, elle a apporté à son mari une dot de douze cent mille francs. Cest une jeune femme charmante, qui devient mère de deux enfants, une fillette et un garçon. Comme eux, elle est blonde, dune blancheur de lait, elle a lair aussi délicat et ingénu que ces petits êtres [87]. Devant Mazaud étendu, la tête fracassée, elle forme avec eux un groupe lamentable, hurlant de douleur [400]. (LArgent.)
Mazel. Un maître de lÉcole, un peintre fameux, le dernier représentant de la convention élégante et beurrée. Fagerolles raconte quun jour, comme il dessinait daprès la petite Flore Beauchamp, Mazel sest approché et lui a dit: « Les deux cuisses ne sont pas daplomb » ; et comme il répondait : « Voyez, monsieur, elle les a comme ça », Mazel sest écrié, furieux: « Si elle les a comme ça, elle a tort. » La première année où le jury du Salon est élu par les artistes, cest Mazel quon nomme président. Il a de fâcheuses distractions, faisant refuser étourdiment un hors concours, ou se laissant aller à dire: « Quel est donc le cochon...? » au moment même où il va reconnaître la signature dun ami, rempart comme lui de la saine doctrine [372]. (Luvre.)
Méchain. Propriétaire dune écurie de courses. Hasard, un de ses chevaux, court dans le Grand Prix de Paris [388]. (Nana.)
Méchain (Madame). Petite-cousine de Rosalie Chavaille, dont elle a recueilli le fils, Victor Saccard. Une femme énorme, bien connue des habitués de la Bourse. Son visage de pleine lune, bouffi et rouge, aux minces yeux bleus, au petit nez perdu, à la petite bouche doù sort une voix flûtée denfant, semble déborder dun vieux chapeau mauve, noué de travers par des brides grenat. La gorge géante et le ventre hydropique crèvent la robe de popeline verte, mangée de boue, tournée au jaune. Se dit veuve, mais personne na connu son mari. Elle vient on ne sait doù et paraît avoir eu toujours cinquante ans.
La Méchain est une de ces enragées et misérables joueuses, dont les mains grasses tripotent dans toutes sortes de louches besognes. Elle ne quitte jamais un antique sac de cuir, immense, aussi profond quune valise, où vont tomber les titres déclassés, les actions des sociétés mises en faillite, marchandise scélérate quon cède avec bénéfice aux banqueroutiers désireux de gonfler leur actif. Dans les batailles meurtrières de la finance, cest le corbeau qui suit les armées en marche [16]. Elle possède, derrière la butte Montmartre, toute une cité, la cité de Naples, un vaste terrain planté de huttes branlantes, dont elle touche les loyers avec âpreté, jetant les familles à la rue dès quon ne lui donne pas à lavance ses deux francs, faisant elle-même sa police, si redoutée que les mendiants sans asile noseraient dormir pour rien contre un de ses murs [159]. Affiliée à Busch, elle organise avec lui un chantage contre Aristide Saccard et parvient à soutirer deux mille francs de madame Caroline, navrée devant la déchéance du petit Victor [163]. Mal rassasiée par ce maigre résultat, la Méchain aura plus tard la satisfaction dengloutir dans son sac les actions de la Banque Universelle [436]. (LArgent.)
Mégot (Justine) (l). Jeune femme de chambre de Renée Saccard. Séduite par Maxime et devenue enceinte, elle accouche en 1857 dun fils, Charles Rougon, obtient une petite rente de douze cents francs et est renvoyée dans son pays avec lenfant [119]. (La Curée.)
A lépoque de la séduction, cétait une fillette blonde de dix-sept ans, docile et douée. Originaire des environs de Plassans et installée dans cette ville, elle a épousé, trois ans plus tard, un bourrelier du faubourg, Anselme Thomas. Devenue dune conduite exemplaire, engraissée, guérie dune toux qui avait fait craindre une hérédité fâcheuse, due à toute une ascendance alcoolique, Justine a deux nouveaux enfants qui grandissent admirablement, tandis que le fils de Maxime Saccard, le petit Charles, est atteint de dégénérescence [62]. (Le Docteur Pascal.)
(l) Justine Mégot, tenante chlorotique, fille dalcooliques, maîtresse de Maxime Rougon, dit Saccard. (Arbre généalogique des Rougon-Macquart.)
Méhudin (La Mère). Vieille poissonnière aux Halles. Tassée, avachie, énorme de vie sédentaire, la taille débordante, elle a conservé la robe à ramages, le fichu jaune, la marmotte des harengères classiques. Pratique dune voix enrouée lengueulade du catéchisme poissard. Doit avoir amassé une belle fortune, révélée seulement par les bijoux en or massif dont elle se charge dans les grands jours. Originaire de Rouen, arrivée à Paris avec des anguilles dans un panier, elle na plus quitté la poissonnerie et a épousé un employé de loctroi, qui est mort en lui laissant deux enfants, Louise et Claire [136]. Elle a cédé plus tard son banc à laînée. Habite rue Pirouette en compagnie de ses filles. La mère Méhudin hait le maigre Florent et voudrait le jeter à la porte [164]. Elle pousse Louise vers Lebigre et, comme la résistance de sa fille la rendue furibonde, elle dénonce Florent par une lettre à la préfecture, quatre pages presque indéchiffrables, dun style ordurier [319]. (Le Ventre de Paris.)
Méhudin (Claire). Marchande à la poissonnerie deau douce. Seconde fille de la mère Méhudin, sur de la belle Normande. Blonde paresseuse. Est à vingt-deux ans un Murillo, suivant le mot de Claude Lantier, un Murillo décoiffé souvent, avec de gros souliers, des robes taillées à coups de hache qui lhabillent comme une planche [21]. Pas coquette, pleine de mépris pour les élégances de sa sur, Claire est une créature fantasque, très douce et en continuelle querelle, dune droiture absolue un jour, dune injustice révoltante le lendemain. A déclaré quelle ne serait jamais la bonne de sa sur, habite avec elle rue Pirouette, mais vexée de voir que Louise sest attribué la plus belle chambre, refuse la pièce voisine et adopte, de lautre côté du palier, un galetas quelle ne fait même pas blanchir à la chaux. A légard de Florent, son caprice est aussitôt de contrecarrer sa sur. Quand Louise ameutait le pavillon contre lui, elle était seule à le défendre [142]. Mais, dès que la belle Normande change de tactique, Claire se fâche avec Florent, senfermant dans un mutisme jaloux, parlant daller le dénoncer et de se jeter ensuite à leau ; elle sexalte au point de faire brûler des cierges à léglise [253] et, quand Florent va être arrêté, elle veut le sauver et se bat avec sa sur quelle accuse de lavoir vendu; affolée, échevelée, elle arrive trop tard, derrière le fiacre qui emporte le conspirateur au dépôt [336]. Après cette crise, Claire revient plus molle, plus paresseuse que jamais, à ses poissons deau douée. (Le Ventre de Paris.)
Méhudin (Louise). Surnommée la belle Normande. Poissonnière superbe, dune beauté hardie, très blanche et délicate de peau, dil effronté et de poitrine vivante [88]. Fille aînée de la mère Méhudin, deviendra plus tard madame Lebigre. Les Méhudin habitent rue Pirouette, dans lancienne maison des Quenu, an second. Elles sont une puissance à la poissonnerie, où elles dirigent les cabales et font trembler le personnel. La belle Normande a dû se marier avec un employé de la Halle au blé, mais celui-ci sest cassé les reins dans une chute. Sept mois plus tard, elle a accouché dun garçon, le gros Muche, et, dans lentourage, on la considère comme veuve [138].
Très coquette, toujours parée, étalant des nuds de rubans, une chaîne dor qui sonne sur son tablier, ses cheveux nus peignés à la mode, elle est une des reines des Halles et, ancienne voisine de la belle Lisa Quenu, reste son amie intime, avec une pointe de rivalité. Elles ont affecté de saimer beaucoup, jusquau jour où une banale querelle en a fait deux ennemies acharnées. Cest alors un gros conflit dont les Halles vont être spectatrices, une formidable guerre entre grasses marchandes, où le maigre Florent recevra tous les coups. Louise Méhudin la dabord persécuté dans ses nouvelles fonctions dinspecteur de la marée, puis, gagnée par laffection de Florent pour le petit Muche quil cherche à instruire [151], elle sapplique à le détacher de Lisa dont elle le croit lamant. Elle manuvre pour le séduire, refuse à son profit les avances de Lebigre, se compromet à tous les yeux, et soutient de terribles altercations avec sa sur et sa mère. Mais Florent, plein de son idée fixe, reste insensible; et lorsque la découverte du complot provoque une perquisition chez la belle Normande, celle-ci, humiliée dans son orgueil, tourne sa rage contre le grand innocent qui na satisfait ni ses vanités ni ses rancunes; elle livre aux policiers les cahiers de Muche contenant des modèles décriture subversifs [334], se réconcilie publiquement avec la charcutière et achève de se relever aux yeux du quartier en épousent Lebigre, dont elle tiendra superbement le comptoir [357]. (Le Ventre de Paris.)
Meinhold (Madame de). Mondaine du second Empire, belle femme à double menton, faisant payer son luxe par ses amants et allant beaucoup chez madame de Lauwerens [239]. Amie des Saccard. (La Curée.)
Mélanie. Cuisinière des Grégoire. Vieille femme maigre, qui les sert depuis trente ans [80]. Folle de peur devant un carreau cassé à la Piolaine par les grévistes, elle transforme lunique pierre lancée par Jeanlin Maheu en une canonnade en règle, dont les murs restent fendus [[410].] (Germinal.)
Mélanie. La bonne du juge dinstruction Denizet. Ce dernier voudrait de lavancement pour quelle soit mieux nourrie et moins acariâtre [150]. (La Bête humaine.)
Mélie. Nièce des Faucheur. Une fille du village de Bennecourt, qui est entrée au service de Claude Lantier et de Christine. Sa stupidité les enchante. Après la mort des Faucheur, lauberge, tombée à ses mains, devient répugnante de saleté et de grossièreté [4.28]. (Luvre.)
Menu (Mademoiselle). Tante de Fanny. Originaire de Villeneuve, près de Lille. A été pendant trente ans brodeuse chez Mardienne frères. Ayant hérité dune maison au pays, elle a eu la chance de la louer en viager, mille francs par an, à des gens qui croyaient lenterrer le lendemain. A soixante-quinze ans, elle habite avec sa nièce, rue Saint-Marc, au troisième étage, et reste en une inaction dancienne ouvrière qui a juré de ne plus toucher une aiguille [163]. Mademoiselle Menu a vécu dans un célibat et une chasteté qui ne lui ont rien coûté ; elle a des dents de jeune fille, un visage blanc et reposé de sur tourière. Pour assurer lavenir de Fanny, elle lui a cherché un vieil entreteneur et elle vit entre sa nièce et Narcisse Bachelard, dans une heureuse bonhomie. (Pot-Bouille.)
Menu (Fanny), dite FIFI. Fille du capitaine Menu, mort sans lui laisser un sou. Elle est tombée sur les bras de sa tante, qui la retirée de la pension, en a fait une brodeuse et lui a trouvé un bienfaiteur dans la personne du vieux Bachelard. Cest une grande jeune fille blonde, jolie, à lair simple. Bachelard lappelle Fifi, la baise au front et lui donne des pièces de quatre sous quelle doit conserver comme des .médailles. Mais linnocente Fifi sest laissé surprendre au lit avec Gueulin, tout en gardant, à travers tout, ses yeux ingénus, son odeur de chasteté, la naïveté dune petite fille incapable encore de distinguer un monsieur dune dame [387] ; loncle Bachelard marie les deux amants en leur donnant les cinquante mille francs de dot quil a obstinément refusés à sa nièce Berthe. (Pot-Bouille.)
Merle. Protégé de madame Correur. Homme superbe qui .a servi dans la cavalerie. Rougon, président du Conseil dÉtat, la accepté comme huissier [29]. Renvoyé pour inconduite après la chute du grand homme [260], il suit la fortune de son protecteur et redevient huissier lorsque Rougon redevient ministre [265]. (Son Excellence Eugène Rougon.)
Mes-Bottes. Camarade de Coupeau, toujours chez le marchand de vin ou à lassommoir, célèbre pour son formidable appétit. On la invité comme boute-en-train au mariage de Coupeau et de Gervaise, il fait la profonde admiration de toute la noce, dévorant comme un ogre et buvant comme un trou [105]. Mes-Bottes se range en épousant une femme galante de la rue des Martyrs, très décatie, mais à son aise, et il vit en souteneur bourgeois, les mains dans ses poches, bien vêtu, bien nourri [523]. (LAssommoir.)
Meyer. Patron de la boulangerie viennoise du faubourg Poissonnière. Les Coupeau prennent le pain chez lui pour faire plaisir à Lantier [316]. (LAssommoir.)
Michelin. Chef du bureau de la voirie à la préfecture de la Seine, sons le second Empire [29]. La tête la plus nulle et lapins vide quon puisse imaginer [95]. Il a toute une jolie collection de sourires qui le dispensent presque toujours de se servir de la parole [33]. Magistralement poussé par sa femme, il a su faire le jeu dAristide Saccard dans ses opérations immobilières [94] et, mari plein de complaisance, il se laisse pousser aux honneurs, à la décoration [277] et à la fortune, toujours nul et toujours souriant. (La Curée.)
Michelin (Madame). Femme du chef de bureau, jolie brune toute potelée [29]. De murs aimables, elle a su agir pour lavancement de son mari, visitant ses chefs et obtenant chaque fois un avantage pour Michelin, dont elle a consolidé la fortune en le poussant vers Aristide Saccard [95]. Elle va tranquillement dans la vie, utilisant Sidonie Rougon pour trouver des amants généreux, se faisant donner dix mille francs par M. de Maffré [192], une propriété à Louveciennes par le vieux baron Gouraud [284], un coupé par M. Hupel de La Noue et espérant obtenir bientôt une voiture découverte [344]. (La Curée.)
Miette. Marie Chantegreil, dite Miette, née en 1838, fille du braconnier Chantegreil, nièce dEulalie Rébufat, la femme du méger du Jas Meffren. A perdu sa mère dès le berceau et vit entre son père et son grand-père à Chavanoz, village des bords de la Seille. Quand elle a neuf ans, son père est envoyé au bagne pour avoir tué un gendarme, son grand-père meurt de chagrin, elle est recueillie parles Rébufat, rudoyée par le mari, soutenue en cachette par la femme, persécutée par le fils, son cousin Justin, honnie de tout le faubourg qui accable doutrages cette innocente, dont le père est forçat. Elle a onze ans quand sa tante meurt et cest alors pour Miette une vie de pénible travail, de durs affronts qui laigriraient à jamais et la rendraient mauvaise si, dans son idylle avec Silvère Mouret, elle ne retrouvait les tendresses de sa nature aimante [212]. A treize ans, elle est nubile, la femme sépanouit rapidement en elle ; avec un front très bas, des yeux à fleur de tête, un liez court et des lèvres trop rouges, qui examinés à part seraient autant de laideurs, son visage, couronné de superbes cheveux noirs, est dune étrange et ravissante beauté [16]. Depuis deux ans, Miette et Silvère saiment en enfants innocents, se retrouvant chaque soir au fond de laire Saint-Mittre, goûtant des bonheurs innocents et profonds. Cet amour sauve Miette de ses désespoirs, elle adore ce doux et pensif Silvère qui la libère de son existence de paria et qui, plein didées hautes, chasse en elle les mauvais instincts, la rend meilleure. Aussi, lorsquau coup dEtat, Silvère senrôle parmi les insurgea, veut-elle le suivre et partager ses périls. Lenthousiasme communicatif de Silvère, le pressentiment dune mort prochaine, les suprêmes injures du haineux Justin, jettent Miette dans une exaltation qui la fait défiler à la tête de la troupe insurrectionnelle, échevelée, mante au vent, brandissant le drapeau rouge. Cest pendant un repos de cette longue marche qui les mène à la mort que Miette et Silvère échangent leur premier baiser damour, encore plein dignorance [206]. Miette meurt quatre jours après, tuée dans la fusillade de Saint-Roure [263]. (La Fortune des Rougon.)
Miette. Une belle fille du village des Artaud, mariée par labbé Caffin [288]. (La Faute de labbé Mouret.)
Mignon. Gros entrepreneur, associé de Charrier [126]. (La Curée.)
Mignon. Mari de lactrice des Variétés. Gaillard très grand, très large, avec une tête carrée dhercule de foire. Il porte un gros diamant au doigt [7]. Quand Rose la épousé, Mignon était chef dorchestre dans le café-concert où elle chantait. Aujourdhui, ils restent bons amis. Cest réglé entre eux : elle travaille le plus quelle peut de tout son talent et de toute sa beauté, lui a lâché son violon pour mieux veiller sur ses succès dartiste et de femme. On ne trouverait pas un ménage plus bourgeois, plus uni. Quand Mignon parle de ses enfants, il sourit complaisamment, il a les yeux humides de tendresse paternelle; il adore les petits; une seule préoccupation le tient, grossir leur fortune en administrant avec une rigidité dintendant fidèle largent que gagne Rose au théâtre ou ailleurs [109].
Mignon est toujours linséparable de lamant de Rose; au besoin, il laide à la tromper; puis, la fantaisie passée, il le ramène, repentant et fidèle. Complaisant aux banquiers comme Steiner, il a vu dun mauvais il Rose perdre son temps avec le journaliste Fauchery qui napporte au ménage quune publicité discutable. Il a imaginé de se venger de Fauchery en le comblant de marques damitié et en le bourrant de coups, comme emporté par un excès de tendresse. Dailleurs, tout sarrange entre eux par laccoutumance. Le principe de Mignon est quil ne faut se fâcher avec personne [146]. Expérimenté et supérieur, il nentre pas dans les querelles de femmes ; les ressentiments de Rose ne lempêchent pas dadmirer Nana. Il éprouve, devant lénormité du travail de cette fille, devant lentassement de ses richesses, cette sensation de respect éprouvée par lui un soir de fête, dans le château quun raffineur sétait fait construire, un palais dont une matière unique, le sucre, avait payé la splendeur royale. Elle, cest avec autre chose, une petite bêtise dont on rit, un peu de sa nudité délicate, cest avec ce rien honteux et si puissant, dont la force soulève le monde, que toute seule, sans ouvriers, sans machines inventées par des ingénieurs, elle a su ébranler Paris et bâtir une fortune où dorment des cadavres. Et dans son ravissement, avec un retour de gratitude personnelle, il laisse échapper ce mot : « Ah! nom de Dieu! quel outil! » [500]. (Nana.)
Mignon (Charles). Fils cadet des Mignon [214]. (Nana.)
Mignon (Henri). Fils aîné des Mignon; À neuf ans, cest un gaillard. On lélève avec son frère dans un pensionnat [214]. (Nana)
Mignon (Rose). Étoile des Variétés, fine comédienne et adorable chanteuse [6]. Maigre et noire, elle est dune laideur charmante de gamin parisien [15]. Largent quelle gagne au théâtre et à la ville est sévèrement administré par son mari, esprit pondéré qui sait calmer, au besoin, ses ressentiments de femme et dactrice. Un peu aigrie par la rivalité de Nana, une actrice de trottoir qui lui enlève ses rôles et ses amants, elle a, en un jour de colère, dénoncé au comte Muffat les amours de la comtesse avec Fauchery [439]. Mais au fond, Rose nest pas méchante; cest elle qui, prise de pitié devant Nana atteinte de la petite vérole, prend linitiative de la faire transporter au Grand Hôtel; elle ly soigne avec dévouement [507]. (Nana).
Mignot. Commis du rayon de ganterie, au Bonheur des Dames. Un des rares Parisiens de la maison, le joli Mignot, comme on lappelle. Bâtard dune maîtresse de harpe [54]. Il affecte de coqueter avec les clientes et vit sur la légende dune femme de commissaire de police, tombée amoureuse de lui [120]. Cest un ami dAlbert Lhomme ; il avantage les maîtresses que celui-ci lui adresse, des filles en cheveux qui fouillent pendant des heures dans les cartons [166]. Quant à lui, il joue aux courses, toujours serré dargent, empruntant aux camarades [335]. Mignot finit par se faire chasser pour une série de vols de marchandises, accomplis avec le concours dAlbert Lhomme [416]. Plus tard, devenu courtier, il reparaît effrontément au magasin [496]. (Au Bonheur des Dames.)
Mimi-la-Mort. Un élève du collège de Plassans, quon nomme aussi le Squelette-Externe. Cest un maigre garçon qui apporte en contrebande le tabac à priser de toute la classe. On fait un jour la bonne blague de brûler ses souliers dans le poêle [37]. (Luvre.)
Minouche. Petite chatte blanche, appartenant aux Chanteau [8]. Dune propreté minutieuse, froidement égoïste, elle traverse les événements avec le continuel souci de ne pas se salir. Cest la parfaite indifférence, opposée aux débordantes démonstrations du chien Mathieu. Quatre fois par an, elle tire des bordées terribles, disparaissant des deux et trois jours. Elle rentre abominable, si sale quelle se lèche pendant une semaine; puis elle reprend son air dégoûté de princesse. Ses portées sont jetées à leau sans quelle sen inquiète, pensant que la maternité finit là [68]. A seize ans, elle perd un peu la vue [431]. (La Joie de vivre.)
Misard. Stationnaire de la Compagnie de lOuest, à la Croix-de-Maufras, entre Malaunay et Barentin. Un petit homme malingre, les cheveux et la barbe rares, décolorés, la figure creusée et pauvre. Sa femme, une cousine de Jacques Lantier qui lappelle tante Phasie, garde la barrière du passage à niveau. Misard est un ancien poseur de la voie, il gagne maintenant douze cents francs à une besogne toujours la même pendant douze heures : sonner de la trompe à chaque tintement électrique annonçant un train, puis le train passé, la voie fermée, pousser un bouton pour le signaler au poste suivant et un autre bouton pour rendre la voie libre au poste précédent ; il vit là, mange là, sans lire trois lignes dun journal, sans paraître même avoir une pensée, sous son crâne oblique.
Silencieux, effacé, sans colère, dune politesse obséquieuse devant les chefs, cet humble, ce chétif, qui tousse dune petite toux mauvaise, empoisonne lentement sa femme, mêlant dabord une poudre au sel quelle absorbe, puis lorsquelle sen est aperçue, jetant de la mort-aux-rats dans ses lavements. Ce crime patient et sournois, commis dans la continuelle trépidation des trains, en un désert où nul ne sarrête, a pour cause la convoitise dune somme de mille francs qui a été léguée à tante Phasie par son père et quelle a refusé de remettre à Misard. Durant des mois et des mois, celui-ci ne songe quà largent, fouillant partout, supposant en vain mille cachettes.
Pour semparer du trésor, il a fini par tuer sa femme, une grande et belle femme, une gaillarde, peu à peu mangée par lui comme le chêne est mangé par linsecte. Elle est maintenant sur le dos, réduite à rien, et lui dure encore [309]. Mais tante Phasie triomphe quand même, Misard reste battu, retournant la maison, creusant le jardin, cherchant éperdument le jour et la nuit, sous laffolement de lidée fixe, et ne trouvant décidément rien. Une vieille femme du voisinage, la Ducloux, quil a prise pour tenir la barrière, exploite sa manie, elle se fait épouser [408] et, désormais, tous deux cherchent avec la même fièvre, tous deux chercheront éternellement, sans que lassassinée consente à livrer son secret. (La Bête humaine.)
Misard (Madame). Voir PHASIE (Tante).
Morange (Charlot). Fils de Silvine Morange et de Goliath Steinberg. Rose et blond, très fort, il a une tignasse pâle frisée et de gros yeux bleus, il ressemble extraordinairement à son père, il est bien de race germanique, dans sa belle santé denfance, souriante et fraîche. Cest le Prussien, comme les farceurs de Remilly le nomment [168]. Il a trois ans au moment de loccupation allemande. Ou lui a appris une injure : « Cochons, les Prussiens ! » quil répète avec obstination [518]. Caché derrière Silvine, sans quelle sen doute, lenfant assiste à la mort de son père, égorgé comme un porc par les francs-tireurs des bois de Dieulet. A présent, on ne dira plus que Charlot est un Prussien, il sera élevé dans lexécration de sa famille paternelle et ira peut-être un jour exterminer les siens [540]. (La Débâcle.)
Morange (Silvine). Servante de ferme à Remilly. Elle a perdu toute jeune sa mère, ouvrière séduite, qui travaillait dans une usine de Raucourt. Son parrain doccasion, le docteur Dalichamp, la placée comme petite servante chez le père Fouchard. A seize ans, elle a été aimée du fils du maître et devant lopposition du vieux, le jeune homme sest engagé. Alors, dans une minute dinconscience, malade de chagrin, affaiblie encore par les larmes de la séparation, la malheureuse fille sest donnée à un valet de ferme, Goliath Steinberg, elle est devenue enceinte, puis lhomme a disparu, le petit Charlot est né. Mais elle na jamais cessé daimer Honoré Fouchard, elle ose le lui écrire trois ans après, à lheure de la guerre ; elle ne veut pas quil meure sans savoir quelle na jamais aimé que lui ; cest un adieu plein dune infinie tendresse.
Très brune, Silvine a dépais cheveux noirs et de grands beaux yeux qui suffisent à sa beauté, dans son visage ovale, dune tranquillité forte de soumission [165]. Elle est toute saignante de linvasion ; à Raucourt, elle a vu les Bavarois ivres de fureur ; près de Villers, elle a rencontré une femme de Beaumont, qui fuyait devant eux et qui, sur la grande route du village, a assisté au terrible passage de lartillerie ennemie, menée dun train denfer, se hâtant dans la diabolique poursuite des troupes françaises [170]. Silvine adore son enfant, elle étreint sur son cur le fils du Steinberg qui, à cette heure même, guide les colonnes prussiennes à travers les bois. Une félicité survient : Honoré a pardonné sa faute, il est de non-veau à elle, lui quelle avait perdu; maintenant, elle mourra plutôt que de se le laisser reprendre [173]. Et quand, le lendemain de Sedan, elle apprend quil a été tué, cest un écroulement, un besoin fou de le revoir.
Avec Prosper Sambac, elle va chercher Je corps au calvaire dIlly; elle traverse la Meuse où des cadavres passent au fil de leau ; elle parcourt Bazeilles effondré [416] ; devant Montivilliers, elle rencontre des tombereaux débordants de morts [118] ; elle voit à lErmitage les petits soldats français, tués la veille et rangés par les Prussiens dans des poses ridicules, en dérision de la vieille gaieté française [419] ; elle traverse le bois de la Garenne, la forêt bombardée, où tarit dhommes sont tombés fraternellement avec les arbres [421] ; et elle aboutit enfin au vrai champ de bataille, au plateau dEly, plein dhorreur, où dimmondes rôdeurs détroussent les morts, où des chevaux errants, libres et affamés, les naseaux couverts décume, se livrent à des charges furieuses, au travers de la campagne vide et muette [424]. Elle retrouve le cher mort, cet homme si bon qui lui a pardonné et qui, entre ses doigts crispés, tient encore la lettre où elle lui disait son amour [430]. Elle ramène le corps à Remilly, en passant par Sedan, la ville devenue immonde, le cloaque où, depuis trois jours, sentassent les déjections et les excréments de cent mille hommes [432].
Et Silvine, très belle dans sa pâleur, avec les grands yeux superbes qui éclairent tout son visage, pleure le seul homme quelle ait aimé; ses lourds cheveux noirs la coiffent comme dun casque de deuil éternel [526]. Aussi repousse-t-elle farouchement les avances de Goliath, revenu avec les armées allemandes; les menaces du Prussien laffolent, elle le livre aux francs-tireurs [531], et, la face rigide, absente delle-même, en proie à lidée fixe qui la pousse, elle assiste à laffreuse mort de lespion [537]. Après cette scène tragique, elle redevient la fille courageuse et soumise de jadis, dirigeant la ferme en labsence du maître, pendant que Charlot saute et rit autour delle [542]. (La Débâcle.)
Morizot. Amateur courant les salons, où il fait des tours de physique. Il est amené par Malignon au bal denfants des Deberle [130]. (Une Page dAmour.)
Moser. Un habitué de la Bourse. Taille courte, le teint jaune, ravagé par une maladie de foie. Se lamente sans cesse, en proie à de continuelles craintes de cataclysme, quil exprime de sa voix aigre et très aiguë [7]. Même quand les liquidations sont bonnes, il empoche ses gains dun air navré [91]. (LArgent.)
Mouche (Le Père). De son vrai nom Michel Fouan. Cest le troisième enfant de Joseph-Casimir. Frère de la Grande, du père Fouan et de Laure Badeuil. Père de Lise et de Françoise Mouche. Possédant sept arpents de terre, il sest embarrassé dune amoureuse qui ne devait avoir en héritage que deux arpents de vigne. Dans le partage des biens paternels, on a attribué à Michel lantique maison patriarcale, bâtie par un ancêtre, il y a trois siècles, et que la famille honore dune sorte de culte. Veuf jeune, le père Mouche vit dans une aigreur de malchanceux, encore humilié de son mariage pauvre, accusant son frère et la Grande, après quarante ans, de lavoir volé lors du tirage des lots; et, à la vérité, il est devenu si raisonneur et si mou au travail que sa part, entre ses mains, a perdu de moitié [33]. A soixante ans, gros, court, il meurt dune attaque dapoplexie, pendant une tempête de grêle dévastatrice qui affole les paysans et les jette en pleine nuit dans leurs champs, avec des lanternes, pour constater le désastre [109]. (La Terre.)
Mouche (Françoise) (1). Fille cadette de Michel Fouan, dit Mouche. Orpheline à quinze ans. Elle a une petite gorge dure quise foime, une face allongée aux yeux noirs très profonds, aux lèvres épaisses, dune chair fraîche et rose de fruit mûrissant. La peau est très brune, hâlée et dorée du soleil [5]. Le grand air et les durs travaux nont pas eu le temps de lenlaidir. Françoise a le renom dune fameuse tête, linjustice lexaspère; quand elle a dit : ça cest à moi, ça cest à toi, elle nen démordrait pas sous le couteau. Raisonnable, très sage, sans vilaines pensées, seulement tourmentée par nu sang hâtif, elle a été élevée par Lise, leur mère étant morte, et cest une adoration entre les deux surs, on les rencontre toujours ensemble.
Lorsque Buteau a abandonné Lise, dont il était lamant, Françoise a éprouvé une grande antipathie pour lui, elle a été soulevée par une de ses révoltes dhonnêteté, comme si elle avait à venger un dommage personnel [118]. Puis, lorsque Buteau a réparé sa faute par un mariage, il a semblé à Françoise quon lui prenait sa sur ; puisque celle-ci est maintenant à un autre, elle la lui laisse. Au fond, elle désire Buteau sans le savoir; sa colère nest que de la jalousie inconsciente ; mais uniquement préoccupée du tien et du mien, elle mourrait plutôt que de partager. Le désaccord sest accentué entre les deux surs. Bateau, qui les a désunies, rêve de les posséder toutes deux, dêtre lamant de sa belle-sur pour garder tout le -bien. Et cest une longue lutte entre lui et Françoise, celle-ci résistant à ses attaques brutales, faisant tête avec une sorte de rage, allant jusquà se réfugier dans un mariage avec Jean Macquart, qui la possédée par surprise et quelle naime pas, car elle le considère comme un ami très âgé et bonhomme [117].
Devenu son mari, Jean nest pour elle quun étranger, elle se sent bouleversée à chaque rencontre avec Buteau et lorsque enfin, à vingt-trois ans, enceinte de cinq mois, presque consentante au viol, elle subit létreinte du mâle si longtemps repoussé, elle est emportée dans un spasme de bonheur aigu, elle serre Buteau à létouffer, en poussant un grand cri. La mort vient alors, dans un meurtre lâchement conçu par Lise, et, gisante, le flanc troué, assassinée par les siens, Françoise conserve dans lagonie son profond sentiment de la famille, plus fort que le besoin de vengeance. Dans son idée puérile et têtue de la justice, elle ne veut pas laisser la terre, la maison, à son mari, à lhomme venu dailleurs et qui na fait que traverser son existence, en passant [453]. Elle meurt silencieuse, ainsi quune bête terrée au fond de son trou [457]. (La Terre.)
(1) Françoise Mouche mariée en 1867 à Jean Macquart. (Arbre généalogique des Rougon-Macquart.)
Mouche (Lise). Sur aînée de Françoise. Fille de la Vierge, elle est enceinte des uvres de son cousin Buteau. Grasse et ronde, la mine gaie, Lise est grande, elle a lair agréable, malgré ses gros traits et la bouffissure commençante de toute sa personne. Plus âgée de dix ans que Françoise, elle apporte à la besogne un tel cur, tapant, criant, riant, quelle réjouit la vue. Le petit Jules a près de trois ans, lorsque Buteau, longtemps réfractaire au mariage, est séduit par une opération de terrains qui avantage les surs Mouche; il se décide à épouser Lise.
De nouveau enceinte, celle-ci accouche le jour de la Saint-Fiacre, en même temps que la Coliche [248], et la femme oublie ses propres douleurs pour sintéresser au travail de la vache. Depuis quun homme est là, avec ses volontés et ses appétits de mâle, une haine lente, inconsciente, sest levée entre Lise. et Françoise. Plus laînée a grossi, plus elle sest tassée dans sa graisse, satisfaite de vivre, dune gaieté dégoïsme rapace, ramenant à elle la joie dalentour [301]. Comme Bateau devient brutal et quil casse tout lorsquil est repoussé par Françoise, Lise voudrait voir sa sur céder ; son unique désir est dêtre heureuse, même au prix dun partage. Puis, rageant de voir son mari séchauffer inutilement auprès de la jeune fille, elle prend en exécration ce joli corps qui se refuse, elle voudrait que Bateau abîme tout ça [359], et cest dans ce sentiment quelle aide plus tard au viol, espérant aussi que Buteau pourra, par de convenu, détruire lenfant que la femme de Jean porte en elle. Mais dans le cur quil y mettait, Buteau a tout oublié. Et une jalousie éclate tout à coup en lâme de Lise, une jalousie qui porte moins sur lacte que sur tout ce quil a fallu partager, dès la naissance, avec cette sur maudite. Elle hait Françoise dêtre plus jeune, plus fraîche, plus désirée, et, dans un paroxysme de colère, elle la culbute de toute la force de ses poignets sur une pointe de faux [447]. Le crime reste impuni, grâce au silence volontaire de la victime. Lise aide ensuite à lassassinat du père Fouan. (La Terre.)
Moulin. Sous-chef de gare au Havre, collègue de Roubaud [72]. (La Bête humaine.)
Moulin (Madame). Femme du sous-chef de gare. Petite personne timide et frêle, quon ne voit jamais et qui a un enfant tous les vingt mois [85]. (La Bête humaine.)
Moumou. Une des bêtes préférées de Désirée Mouret cest un gros chat noir qui lèche avec douceur le menton de -sa maîtresse [304]. (La Faute de labbé Mouret.)
Mounier. Ténor de lOpéra. Donne la réplique à une cantatrice mondaine, madame Daigremont [3091. (LArgent.)
Mouque. Père de Mouquet et de Mouquette. Court, chauve, ravagé, mais resté gros quand même, ce qui est rare chez un ancien mineur de cinquante ans; a été gardé au Voreux comme palefrenier. La Compagnie la logé dans les ruines de Réquillard, pleines de trous perdus où les galants culbutent les filles; le père Mouque achève ainsi de vieillir, au milieu des amour, [139]. Il chique à un tel point que ses gencives saignent dans, sa bouche noire [62]. Chaque soir, il reçoit la visite de son vieux camarade Bonnemort [141]. (Germinal.)
Mouquet. Moulineur au Voreux. Petit et gros comme son père, le vieux Mouque, il a le nez effronté dun gaillard qui mange tout, sans nul souci du lendemain [68]. Cest linséparable ami de Zacharie Maheu. Venu en curieux, pendant la grève, à la fosse gardée militairement et assaillie par les grévistes, il est tué par une balle qui lui entre dans la bouche [488]. (Germinal.)
Mouquette. Une hercheuse de dix-huit ans, bonne fille dont la gorge et le derrière énormes crèvent la veste et la culotte. Elle habite avec son père et son frère, dans les ruines de Réquillart. An milieu des blés en été, contre un mur en hiver, elle se donne du plaisir avec son amoureux de la semaine; toute la mine y passe, une vraie tournée de camarades, sans autre conséquence. On ne la fâche quen lui attribuant des amours extérieures; elle se respecte trop pour aller avec un autre quun charbonnier [29]. Le lundi, lorsquelle est lasse des farces du dimanche, elle se donne un violent coup de poing sur le nez, quitte sa taille sous prétexte daller chercher de leau, et vient se réfugier à lécurie, dans la litière chaude [62].
Pour la Mouquette, la suprême expression du dédain consiste à montrer son derrière; pendant la marche des grévistes au travers des fosses, elle le présente, énorme et nu, aux bourgeois de Montsou et quand lémeute gronde autour du Voreux, quand les soldats chargent leurs fusils, elle leur crache dabord tous ses gros mots, puis, nayant plus que cette nouvelle offense à bombarder au nez de la troupe, elle lui montre son cul [483]. Peu sentimentale de nature, la Mouquette sest éprise pourtant dÉtienne Lantier [2861; cest une très courte liaison quÉtienne rompt bientôt, car il est hanté par son amour pour Catherine Maheu. Celle-ci est sauvée le jour de lémeute par la Mouquette qui, dun mouvement instinctif, sest jetée devant elle en lui criant de prendre garde. La bonne fille reçoit deux balles dans le ventre, elle sétale sur les reins et, mourante, elle hoquète sans cesser de sourire à Catherine et à mienne, comme si elle était heureuse de les voir ensemble, maintenant quelle sen va [488]. (Germinal.)
Mouret (1). Était ouvrier chapelier dans un faubourg de Plassans lorsquil sest épris dUrsule Macquart, frêle et blanche comme une demoiselle du quartier Saint-Marc. Il lépouse en 4810, faisant un mariage damour, ne demandant pas un sou de dot et il emmène sa femme à Marseille où il va travailler de son état [60]. Lorsque, cinq ans après, Antoine Macquart vient lui demander son concours contre Pierre Rougon qui sest approprié le patrimoine maternel, Mouret conserve son attitude désintéressée et se refuse à tout démêlé avec la famille. Il sest établi rue des Petites-Maries, a trois enfants, Hélène, François et Silvère, perd en 1840 sa femme quil adorait et, terrassé par le coup, se traîne encore un an, ne soccupant plus de ses affaires, perdant largent quil avait amassé. Un matin, on le trouve pendu dans un cabinet où étaient encore accrochées les robes dUrsule [160]. (La Fortune des Rougon.)
(1) Mouret, ouvrier chapelier, bien portant et pondéré, marié à Ursule Macquart. (Arbre généalogique des Rougon-Macquart.)
Mouret (Madame Ursule). Voir MACQUART (Ursule).
Mouret (Désirée) (1). Troisième enfant de François Mouret et de Marthe Rougon. Sur dOctave. et de Serge. Née en 1814 à Plassans [161]. (La Fortune des Rougon.)
A quatorze ans, forte pour son âge, elle a un rire de petite fille de cinq ans. Cest une innocente [16] qui naime que les bêtes et ne se porte bien que chez sa nourrice, où elle vit dans la basse-cour [95]. Marthe qui, avant son détraquement religieux, aimait tendrement cette petite, la néglige de plus en plus [185] et finit par la prendre en grippe [235], au point quun matin, Mouret ramène lenfant à Saint-Eutrope, chez si nourrice. (La Conquête de Plassans.)
Orpheline en 1864, Désirée est recueillie par son frère Serge qui, après le séminaire, est devenu curé des Artaud. A vingt-deux ans, linnocente est une forte fille, aux cheveux noirs noués puissamment derrière la nuque, à lair enfant, aux pensées puériles, que la Teuse couche tous les soirs en lui racontant des histoires pour lendormir. Passant ses journées parmi les bêtes dont elle est la fraternelle amie, son grand coq fauve Alexandre qui commande la basse-cour, sa chèvre, ses lapins, son cochon Mathieu, sa vache Lise, adorant les oiseaux, protégeant même les fourmis qui ont envahi léglise, elle vit heureuse, le cerveau vide, sans curiosité dépravée, goûtant dans le pullulement qui lentoure toutes les joies de la fécondité, devenant une belle bête fraîche, blanche, au sang rose, à la peau fine [68]. Loncle Pascal, qui étudie les Rougon-Macquart et leurs instincts si difficiles à assouvir, dit que cest Désirée qui a eu le plus de chance [47]. (La Faute de labbé Mouret.)
Elle a suivi son frère à Saint-Eutrope, où il est devenu curé, et elle reste innocente et saine comme une jeune bête heureuse [122]. (Le Docteur Pascal.)
(1) Désirée Mouret née en 1841. [Élection de la mère. Ressemblance physique de la mère. Hérédité dune névrose se tournant en imbécillité]. Vit encore à Saint-Eutrope, avec son frère. (Arbre généalogique des Rouqon-Macquart.)
Mouret (François) (1). Fils aîné dUrsule Macquart, et du chapelier Mouret. Frère dHélène et de Silvère. Père dOctave, Serge et Désirée. Né à Marseille en 1817. Grande ressemblance physique avec sa mère et avec laïeule Adélaïde Fouque ; tient de son père un cerveau étroit et juste, aimant dinstinct la vie réglée. Cest un garçon paisible et méticuleux, un peu lourd de sang. Il a reçu une bonne éducation commerciale et, après la mort de son père, en 1840, a quitté Marseille et est entré, à titre de commis, citez son oncle Pierre Rougon, à Plassans. Trois mois après, François épouse sa cousine, Marthe Rougon, avec qui il a une grande ressemblance physique et une grande dissemblance morale. De 1840 à 18144, les deux époux ont trois enfants; quand Pierre Rougon se retire, en. 1845, ils refusent de prendre le fonds et vont sétablir à Marseille, avec quelques économies [161]. (La Fortune des Rougon.)
En quinze ans, François a gagné une fortune dans le commerce des vins, des huiles et des amandes [33]. Il se retire avec sa femme et ses enfants à Plassans, où il a acheté rue Balande une maison avec grand jardin, attenant en haut à la sous-préfecture, en bas à la propriété de M. Rastoil. A quarante-cinq ans, Mouret, sous soit épaisseur de négociant retiré, a conservé un esprit lin et frondeur, il tyrannise son entourage par des goûts dordre minutieux ; ses instincts dhotu nie rangé le portent à lavarice.
Fort heureux, maître chez lui, concluant encore des affaires pour le plaisir [28], il savise un jour que deux chambres du second étage lui sont inutiles et il les loue à un prêtre, labbé Faujas qu bientôt va semparer de la maison tout entière, faisant delle, entre les deux sociétés quelle sépare, le quartier général de ses manuvres. Dès lors, Mouret a perdu sa belle tranquillité égoïste. Habilement circonvenu par Faujas, il le laisse pénétrer dans son foyer, shabitue aux parties de piquet avec la mère de labbé [92], voit peu à peu Marthe lui échapper sans avoir lénergie de la reprendre. Il se console en la criblant de plaisanteries, puis sirrite contre la prêtraille [119] ; mais au fond, il est faible comme un enfant et en arrive à tout supporter [128], sattachant à ne pas laisser deviner sa détresse, cachant soigneusement ses émotions [146], refusant de livrer les secrets de son ménage perdu [165].
Tout craque autour de lui, Marthe vit enfoncée dans son rêve, laîné Octave gâte sa jeunesse à Marseille [181], Serge sest réfugié au séminaire, Désirée est presque idiote, la vieille servante Rose est devenue grondante et hostile, les Faujas et les Trouche enfin se partagent la maison. Cette lente expropriation écrase Mouret. Il se concentre dans des silences mornes [225], vit oublié à sa propre table [242], senferme pendant des heures au premier étage, où il reste les bras ballants, la tète blanche et fixe, le regard perdu [255].
Mais cet homme inoffensif tient encore trop de place, sa seule présence excède Marthe, il gène les Trouche qui rêvent dêtre les seuls maîtres, Félicité Rougon voit dans cet opposant aimé des petits bourgeois et des faubourgs un danger pour les élections imminentes. Et tous ces appétits qui soufflent détraquent lesprit affaibli de Mouret, une légende habilement répandue montre en lui un monomane dangereux ; on lenferme enfin aux Tulettes, à deux pas de laïeule Adélaïde Fouque, et bientôt il devient complètement fou [362].
Lâché un soir par le gardien Alexandre, complice dAntoine Macquart, il court à Plassans, rentre dans son jardin dévasté, dans sa maison an pillage, découvre les Trouche vautrés sur son lit et appelle en vain Marthe et les enfants disparus. Alors, plein (lune fureur homicide, il décide de tout détruire; avec une effroyable lucidité, il dresse silencieusement des bûchers et il allume en pleine nuit un terrible incendie où tout flambe, la maison sabattant sur le fou, sur les Trouche, sur les Faujas, au milieu dune poussière détincelles [385]. (La Conquête de Plassans.)
(1) François Mouret, né en 1817; épouse, en 1810, sa cousine Marthe Rougon, dont il a trois enfants; meurt fou, en 1864, dans un incendie allumé par lui. [Élection du père. Ressemblance physique de la mère. François et Marthe, les deux époux, se ressemblant]. Marchand de vin en gros, puis rentier. (Arbre généalogique des Rougon-Macquart.)
Mouret (Madame François). Voir ROUGON (Marthe).
Mouret (Hélène) (1). Deuxième enfant du chapelier Mouret et dUrsule Macquart. Née à Marseille en 1824, devient orpheline en 1840. Sur de François et de Silvère. (La Fortune des Rougon.)
Grandjean, son premier mari, plus âgé quelle de six ans, sest pris dun grand amour pour cette belle jeune fille qui avait alors dix-sept ans et habitait avec son père à Marseille. Les Grandjean, riches bourgeois exaspérés de la pauvreté dHélène, ont rompu avec le jeune ménage qui végète longtemps et vivra enfin à Jaise, grâce à dix mille francs de renie, légués par un oncle du mari. Mais Grandjean, venu à Paris avec sa femme et son enfant pour sy fixer, est enlevé par une brusque maladie. Les seuls amis quHélène ait à Paris, labbé Jouve et Rambaud, linstallent avec sa fillette Jeanne, dans le quartier de Passy, sur les hauteurs du Trocadéro, doù elle contemplera Paris, locéan humain sans bornes et sans fond.
A vingt-huit ans, grande, magnifique, dune beauté correcte, Hélène est une Junon châtaine, dun châtain doré à reflets blonds [13]. Elle, a des yeux gris à transparence bleue, des dents blanches qui lui éclairent toute la face, un menton rond un peu fort. Saine et chaste, avec un air grave et bon, cest une nature droite, à sang calme. Elle vit dans une paix très douce, cousant des layettes pour les pauvres de labbé, le recevant à dîner tous les mardis avec le bon Rambaud, nayant dautre sortie quune promenade quotidienne de deux heures au Bois de Boulogne, avec sa fille, enfant délicate et nerveuse qui lui a voué une adoration jalouse.
Hélène a perdu depuis dix-huit mois son mari qui ladorait, mais pour qui elle neut jamais quune amitié calme, lorsquune crise maladive de Jeanne la met en présence du docteur Deberle. Portée dabord par un élan de reconnaissance vers celui qui a sauvé son enfant, rapprochée de lui par de communes visites chez une pauvresse, la mère Fêtu, puis entrée dans lintimité des Deberle, elle se prend pour le docteur dun profond amour, le premier amour de sa vie, quelle rêve dabord chaste, mais qui, bientôt, la jettera dans les bras de Henri, frémissante, oubliant un instant sa fille, ne soupçonnant pas le terrible mal qui va emporter lenfant.
La fin tragique de Jeanne, cette mort muette sans une plainte, ce masque sombre et sans pardon de fille jalouse [382], ébranle violemment Hélène et déchire dans sa vie la page damour à peine commencée. Fidèle aux conseils de labbé Jouve, elle épouse plus tard le fidèle et paternel Rambaud qui lemmène à Marseille et quand, revenue deux ans après au cimetière de Passy, sur la tombe de Jeanne, elle apprend quun autre enfant est né aux Deberle, cette fin mélancolique la laisse sans colère, le cur muet, les sens pleins de sérénité. (Une Page dAmour.)
Elle vit de longues années, très heureuse, très à lécart, idolâtrée de Rambaud, dans la petite propriété quils possèdent, près de Marseille, au bord de la mer [129]. (Le Docteur Pascal.)
(1) Hélène Mouret, née en 1824; épouse en 1841, Grandjean, chétif et prédisposé à la phtisie ; en a une fille en 1843 ; perd son mari dune bronchite en 1853; se remarie, en 1857, avec M. Rambaud dont elle na pas denfants. [Innéité. Combinaison où se confondent les caractères physiques et moraux des parents, sans que rien deux semble se retrouver dans le nouvel être]. Vit encore à Marseille avec son second mari. (Arbre généalogique des Rougon-Macquart.)
Mouret (Octave) (1). Fils aîné de François Mouret et de Marthe Rougon. Frère de Serge et de Désirée. Né en 1840 à Plassans [161]. (La Fortune des Rougon.)
A dix-neuf ans, il sest fait refuser trois fois au baccalauréat. Cest un garçon gai, bien portant, toujours le nez en lair, souriant sous les reproches [15]. Comme il flâne dans la ville de Plassans, où ses parents se sont retirés, on lenvoie à Marseille pour apprendre le commerce [145]. Il mène là-bas joyeuse vie, criblé de dettes, cachant des maîtresses dans ses armoires[184]. (La Conquête de Plassans.)
Après la mort tragique de ses parents, Serge, qui va entrer dans les ordres, renonce en faveur dOctave à sa part de la fortune paternelle [251. (La Faute de labbé Mouret.)
Il est membre du conseil de famille de sa cousine Pauline Quenu [26] et consent à lémancipation [l 17]. (La Joie de vivre.)
Octave est venu à Paris, très décidé à y faire fortune. Il est grand, brun, beau garçon, il a les moustaches et la barbe soignées, une belle main aux on-les taillés correctement. Avec ses yeux couleur de vieil or, dune douceur de velours, et malgré ses larges épaules, il est femme, il a un sens des femmes qui tout de suite le met dans leur cur. Cest une possession lente, par des paroles dorées et des regards adulateurs [14], et, sous son air dadoration amoureuse, cest aussi un fond de brutalité, un dédain féroce [24]. Les stériles années de Marseille lont révélé à lui-même, le commerce de luxe de la femme le passionne, ses facultés vont sélargir au contact de Paris, il concevra vite lidée de grands comptoirs modernes écrasant lancien commerce, se développant sous des coups daudace. Mais avant tout, il est bien décidé à parvenir par les femmes. Ses premières tentatives sont médiocres; plusieurs mois de patientes manuvres, dans limmeuble Vabre où il habite, rue de Choiseul, nont fait de lui que lamant de linsignifiante Marie Pichon; puis il a possédé Berthe Vabre, la femme de son patron, bourgeoise en qui sa gloriole de provincial voyait une jolie créature de luxe et de grâce et qui na. été quune maîtresse vénale, trop chère à sa bourse de méridional avare. Enfin, la chance le favorise et, en 1865, il épouse madame Caroline Bédouin, la fille des fondateurs du Bonheur des Daines, une commerçante avisée quil a séduite par ses seules facultés marchandes et grâce à qui il va enfin conquérir Paris [492]. (Pot-Bouille.)
Bientôt veuf, seul héritier de la belle fortune de sa femme, il continue les agrandissements commencés par madame Bédouin. Le Bonheur des Dames menace maintenant denvahir tout le quartier. Mouret sest jeté dans la spéculation avec un tel faste, un besoin tel du colossal que tout semble devoir craquer sous lui ; au milieu de leffarement général, il a développé dangereusement ses magasins, avant de pouvoir compter sur une augmentation suffisante de clientèle; chaque mise en vente est un coup de carte, où il met tout largent de la caisse; il emplit les comptoirs dun entassement de marchandises, sans garder un sou de réserve; toujours il sagit de vaincre ou de mourir. Et dans cette lutte qui fait frémir les timorés comme Bourdoncle, Mouret garde une gaieté triomphante, une certitude des millions, en homme adoré des femmes et qui ne peut être trahi [411. Quand il a des accès de brusque franchise, il se déclare au fond plus juif que tous les juifs ; il tient de son père, un gaillard qui connaissait le prix des sous et auquel il ressemble physiquement et moralement; et sa fantaisie nerveuse lui vient de sa mère, il y voit le plus clair de la chance qui le pousse, la force invincible de sa grâce à tout oser.
Sa conception du nouveau commerce des nouveautés est basée sur le renouvellement continu et rapide du capital [88], sur la puissance décuplée de lentassement [89], le prestige de la marque en chiffres connus, qui rassure les gens et étale la concurrence sous les yeux mêmes du publie [90], lannonce retentissante de ventes à perte, qui fouette lâpreté de la cliente et double sa jouissance dacheteuse, car elle croit voler le marchand [97]. Tout le système aboutit à une féroce exploitation de la femme, séduite et détraquée, payant dune goutte de sang chacun de ses caprices [92].
Entre ses commis, Mouret a créé une lutte pour lexistence, dont il bénéficie ; cette lutte est sa formule favorite, le principe dorganisation quil applique constamment; avec sa guelte, il lâche les passions, met les forces en présence, laisse les gros manger les petits, et sengraisse de cette bataille des intérêts. Il a créé une dualité entre les chefs de rayon qui, touchant leur tant pour cent sur le chiffre daffaires, poussent âprement à la vente, et les intéressés qui, eux, touchent sur le bénéfice total et empêchent lavilissement des prix [46].
Plein de la passion de son époque, il raille Paul de Vallagnosc et, avec lui, les désespérés, les dégoûtés, les pessimistes, tous ces malades de nos sciences commençantes, qui prennent des airs pleureurs de poètes ou des mines pincées de sceptiques, au milieu de limmense chantier contemporain [80]. Chaque matin, même après les nuits de fête, Mouret est là, solide, lil vif, la peau fraîche, tout à la besogne, comme sil avait passé dix heures dans son lit. Il gouverne tout, avec le concours de ses intéressés, des commis quil a, au début, décidés à mettre de largent dans la maison, qui forment quelque chose comme un conseil des ministres sous un roi absolu et veillent chacun sur une province. Devant la femme, il affecte des extases, reste ravi et câlin, emporté continuellement dans de nouvelles amours, et ses coups de cur sont comme une réclame à sa vente, on dirait quil enveloppe tout le sexe de la même caresse, pour mieux létourdir et le garder à sa merci. Dailleurs, il garde son ancien fond de brutalité; quand les femmes lauront aidé à faire sa fortune, il compte bien les jeter toutes par terre, comme des sacs vides [40]. Sans vains scrupules, il a demandé à sa maîtresse, Henriette Desforges, de le présenter au baron Hartmann, il a séduit le grand financier et obtenu par lui le concours du Crédit Immobilier.
Laffaire devient alors formidable; elle englobe tout le pâté de maisons, lîlot compris entre les rues de la Michodière, Saint-Augustin, Monsigny et la foute rue du Dix-Décembre, sur laquelle souvrira pins tard une façade majestueuse. Le Bonheur des Dames emplit le quartier de ruines, détruisant tout le petit commerce, dépouillant les entêtés comme Bourras, tuant les Baudu et les Robineau; il est une terrible force qui exerce au loin ses ravages, pousse au vol la comtesse de Boves, accule au cabanon le professeur Marty, dénoue les liens de famille comme dans le ménage Lhomme et réduit en poussière les fabriques mai outillées, comme celle de Gaujean.
Pour mieux trafiquer des désirs de la femme, pour exploiter plus sûrement sa fièvre, Mouret la grise dattentions galantes; ce sont maintenant des ascenseurs capitonnés, des distributions de bouquets de violettes, un buffet où se plaisent les gourmandes, un salon de lecture qui facilite les rendez-vous damour; à lénorme publicité en catalogues, annonces et affiches, il ajoute les primes aux bébés, des images, des ballons surtout, qui, tenus au bout dun fil, voyageant en lair, promènent par les rues une réclame vivante [283]. Enfin, il a imaginé les « rendus », un chef-duvre de séduction jésuitique, donnant une dernière excuse à la femme qui résiste, lui laissant la possibilité de revenir sur une folie, mettant sa conscience en règle et la livrant désarmée aux tentations [284]. Au jour dune grande vente, la recette dépasse aujourdhui un million.
Mais en face de Paris dévoré et de la femme conquise, le triomphateur éprouve une faiblesse soudaine, une défaillance de sa volonté, qui le renverse à son tour, sous une force supérieure. Cette défaite du grand capitaine, cette revanche de la femme va être assurée par la petite vendeuse Denise Baudu. Mouret la vue arriver au Bonheur des Dames, il y a sept ans, avec ses gros souliers, sa mince robe noire, son air sauvage; elle bégayait, tous se moquaient delle, lui-même lavait trouvée laide dabord. Longtemps, elle est restée la dernière de la maison, rebutée, plaisantée, traitée par lui en bête curieuse. Pendant des mois, il a voulu voir comment une fille poussait, il sest amusé à cette expérience, sans comprendre quil y jouait son cur. Elle, peu à peu, grandissait, devenait redoutable. Peut-être la-t-il aimée depuis la première minute, même à lépoque où il ne croyait avoir que de la pitié. Cest en vain quil a voulu se dégager de cette possession, Denise apportait tout ce quon trouve de bon chez la femme, le courage, la gaieté, la simplicité; et de sa douceur montait un charme, dune subtilité pénétrante de parfum [401]. Elle sest obstinément refusée à lui, montrant à son scepticisme que la sagesse dune femme nest pas toujours une chose relative. Il trouve en elle une résurrection de madame Hédouin, cest le Bon sens, le juste équilibre de celle quil a perdue, jusquà la voix douce, avare de paroles inutiles [424].
Et ce vainqueur plie devant elle, tremblant de la voir refuser sa main et repousser la royale fortune quil lui offre. Mais Denise ne résiste plus, elle laimait et il va lépouser. La revanche de la femme aura seulement apporté dans le mécanisme trop rude de la maison, un peu de justice et de bonté. Grâce à Denise, les commis nont plus le sort, précaire dautrefois; aux coupes sombres, on a substitué un système de congés; il y a un corps de musique, une salle de jeux, des cour, du soir, des consultations gratuites. Le Bonheur des Dames se suffit, plaisirs et besoins, au milieu du grand Paris, occupé de ce tintamarre, de cette cité de travail qui pousse si largement dans le fumier des vieilles rues, ouvertes enfin au plein soleil. On va créer une caisse de secours mutuels, qui mettra les employés àlabri des chômages forcés, et leur assurera une retraite. Cest lembryon des vastes sociétés du vingtième siècle. Et ce progrès, Denise la obtenu en plaidant la cause des rouages de la machine, non par des raisons sentimentales, mais par des arguments tirés de lintérêt même des patrons [428]. (Au Bonheur, des Dames.)
Octave assiste à lenterrement de son petit-cousin, le peintre Claude Lantier. Très riche, bon prince dans son élégance, il a voulu prouver son goût élevé des arts. Il mène le deuil avec une correction charmante et fière [477]. (Luvre.)
Octave Mouret, dont la fortune colossale grandit toujours, a, vers la fin de lhiver 1872, un deuxième enfant de sa femme Denise Baudu, quil adore, bien quil recommence à se déranger un peu [129]. La petite fille demeure chétive, inquiétante, tandis que le petit garçon, qui tient de sa mère, est magnifique [131]. (Le Docteur Pascal.)
(1) Octave Mouret, né en 1840; épouse, en 1865, madame Hédouin, quil perd la même année; se remarie, en 1869, avec Denise Baudu, saine et équilibrée, dont il a deux enfants, une fille et un garçon, trop jeunes encore pour être classés. [Élection du père. Ressemblance physique de son oncle, Eugène Rougon, hérédité indirecte]. Fondateur et directeur des grands magasins : Au Bonheur des Dames. Vit encore à Paris. (Arbre généalogique des Rougon-Macquart.)
Mouret (Madame Octave), née BAUDU. Voir BAUDU (Denise).
Mouret (Madame Octave), née DELEUZE. Voir DELEUZE (Caroline).
Mouret (Serge) (l). Deuxième enfant de François Mouret et de Marthe Rougon. Frère dOctave et de Désirée. Né en 1841 à Plassans [161]. (La Fortune des Rougon.)
Il fait ses études au collège de Plassans et, à dix-sept ans, il est bachelier. Cest le savant de la famille, un esprit très tendre et très grave, un tempérament nerveux qui, sous linfluence de labbé Faujas, sexaltera vite dans le sens de la mysticité. Un refroidissement contracté à la veille de son départ pour Paris, où il devait finir ses études, le met aux portes de la mort, labbé devient son grand ami, et à peine convalescent, plein dune extase religieuse, il demande à entrer an séminaire [183]. Cest là quon ira le chercher pour venir au lit de sa mère mourante [402]. (La Conquête de Plassans.)
Au séminaire de Plassans, ancien couvent tout plein dune odeur séculaire de dévotion [l17], Serge a vécu cinq années heureuses. Indifférent aux faiblesses de ses camarades, il sest replié sur lui-même, se donnant à Dieu, lapprochant chaque année de plus près, emporté dans un rêve damour et de foi. Devenu curé des Artaud, coin de Provence aride et perdu, il a laissé toute la fortune paternelle à son frère Octave et ne tient pins au monde que par sa sur linnocente Désirée, dont il sest chargé. Il vit dans un désir danéantissement, dans une ardeur mystique, dans une adoration éperdue de la Vierge, fermé aux joies terrestres, sourd aux voix qui montent de cette terre ardente où grouille une incessante fécondation, mortifiant sa chair, sabîmant en de profondes extases qui, à vingt-cinq ans, lentraîneront au délire, terrassé par une fièvre qui le mettra à deux doigts de la folie et de la mort.
Mené au Paradou par son oncle, le docteur Pascal, qui la sauvé et qui rêve une cure merveilleuse en ce Paradis terrestre où le malade, redevenu enfant, doit vivre une existence nouvelle, Serge se trouve en présence dAlbine, la délicieuse fille qui est comme lâme vivante et un peu sauvage de ladmirable forêt vierge. Et cest, entre le jeune prêtre qui a tout oublié de sa vie passée, et la pure enfant qui signore, une douée amitié qui naît, puis un amour candide, puis une adoration grandissante, cest le lent apprentissage de leur tendresse, une Genèse nouvelle où la nature splendide et complice leur enseigne le bonheur. Mais, à lheure même de la possession, quand Serge et Albine sont encore dans la stupeur de leur félicité, lirruption de frère Archangias, dans cet Éden nouveau, replace brusquement labbé Mouret en présence de son passé [278]. Invinciblement entraîné vers ce clocher des Artaud où sonne langélus, il quitte le Paradou sans détourner la tête, rentre en sa cure et vit de longs jours en une agonie muette, sécrasant le cur, luttant pour la mort de son sexe, cherchant en vain loubli, nosant plus adorer 1Immaculée-Conception, dont la grâce féminine était un piège. Il se réfugie en une dévotion extraordinaire pour la Croix [323], trouve enfin la grâce et redevient la .chose de Dieu, au point de résister victorieusement aux appels poignants dAlbine et de revenir an Paradou, de revoir ces fleurs, ces arbres, ces rochers, ces sources, toute celte nature imprégnée de passion, sans un frisson de sa chair anéantie. Et il achève sa lutte victorieuse contre la vie, en jetant sur le corps dAlbine morte, la poignée de terre de lofficiant [423]. (La Faute de labbé Mouret.)
Envoyé plus lard à Saint-Eutrope, au fond dune gorge marécageuse, il sest cloîtré li avec sa sur Désirée, dans une grande humilité, refusant tout avancement de son évêque, attendant la mort eu saint homme qui repousse les remèdes, bien quil souffre dune phtisie commençante [129]. (Le Docteur Pascal.)
(l) Serge Mouret, né en 1841. [Mélange dissémination. Ressemblance morale et physique de la mère. Cerveau du porc troublé par linfluence morbide de la mure. Hérédité dune névrose se tournant en mysticisme]. Prêtre. Vit encore, curé de Saint-Eutrope. (Arbre généalogique des Rougon-Macquart.)
Mouret (Silvère) (l). Troisième enfant dUrsule Macquart et du chapelier Mouret. Frère de Francois et dHélène. Né à Marseille, en 1834, orphelin à six ans, il vient à Plassans avec François. Accueilli de mauvaise grâce par loncle Pierre Rougon, Silvère grandit dans les larmes, comme un malheureux abandonné, jusquau jour où sa grandmère Adélaïde Fouque, ayant pitié de lui, lemmène en son louis de limpasse Saint-Mittre. Cest alors une heureuse vie pour lenfant, en qui la vieille femme, pleine de tendresse contenue, trouve une lointaine ressemblance avec le grand-père Macquart. Silvère la cajole, il invente pour elle le nom caressant de tante Dide; dabord effrayé des crises nerveuses qui la secouent périodiquement, il shabitue à ces fureurs incompréhensibles, il est pris de pitié devant la douloureuse aïeule victime de maux inconnus, il la soigne doucement et laime dune affection silencieuse et attendrie [165].
A douze ans, avant seulement quelques notions dorthographe et darithmétique, il entre comme apprenti chez Vian, un charron voisin, et devient en peu de temps un excellent ouvrier. Plein du désir de sinstruire, il fréquente lécole de dessin, puis il senfonce dans létude sans guide, acquérant des bribes de science, sappliquant à lire tous les volumes dépareillés, science, histoire, philosophie, qui lui tombent sous la main, se faisant une idée sainte de tant de grandes choses quil entrevoit. Cette vie sérieuse lui donne une âme exaltée, où samassent tous les enthousiasmes [167].
Les idées républicaines le passionnent ; prédisposé à lutopie par certaines influences héréditaires [226], il veut le bonheur universel, un gouvernement idéal dentière justice et dentière liberté. Ces belles aspirations, que loncle Antoine Macquart essaye vainement dexploiter au profit dune vengeance personnelle [179], ces rêveries sans fin surexcitent le généreux enfant dont le docteur Pascal va dire un peu plu, tard : La famille est complète, elle aura un héros [257]; mais ce nest pas seulement la déesse Liberté qui exalte Silvère, il éprouve une tendresse infinie pour Miette, la fille du forçat Chantegreil, innocente enfant persécutée de tous et dont il a voulu être lami, la sauvant du désespoir, lui apportant la rédemption. Leurs pures amours au fond de Faire Saint-Mittre durent deux belles années pleines de douceurs infinies et sachèvent dans un ardent baiser [206], que le coup dÉtat noie dans le sang. Deux jours après la mort de Miette, tuée à Saint-Roure par les troupes de lordre [263], Silvère qui avait accidentellement éborgné le gendarme Rengade [189] est assassiné par celui-ci, dans le coin même e laire Saint-Mittre où avait fleuri la fraîche idylle [382]. (La Fortune des Rougon.)
(1) Silvère Mouret, né en 1834; meurt, en 1851, la tête cassée dun coup de pistolet, par un gendarme. [Élection de la mère. Innéité de la ressemblance physique]. (Arbre généalogique des Rougon-Macquart. )
Mousseau (Abbé). Prêtre du clergé de Plassans. A prêché au pèlerinage de Saint-Janvier [236]. (La Conquête de Plassans.)
Mourgue. Paysan de Poujols, cinquante ans, voûté, mains raidies, face plate. Parti, armé dune fourche, avec tout son village qui sinsurgeait contre le coup dÉtat, il a été arrêté à Saint-Roure ; puis, ramené dans un complet ahurissement avec les autres prisonniers accouplés deux à deux, attaché par un bras au jeune Silvère Mouret, Mourgue est assassiné en même temps que ce dernier par le gendarme Rengade [383]. (La Fortune des Rougon.)
Mouton. Chat des Quenu, aimé de la petite Pauline [101]. Sa peau pète de graisse. Cest un gros chat jaune, avec un double menton, plein de quiétude dans ce milieu dabondante nourriture. Troublé par lintrusion du triste Florent, Mouton ne digère plus en paix ; il participe à lhostilité générale et ne retrouvera son bel appétit quaprès le départ de ce maigre inquiétant [349]. (Le Ventre de Paris.)
Muche. Fils de Louise Méhudin, la belle Normande, qui la mis au monde sept mois après la mort dun fiancé, employé à la Halle. A grandi librement au milieu de la poissonnerie, exprimant ses admirations par un éternel « Cest rien muche ! » qui lui vaut son surnom. Est, à sept ans, un petit bonhomme joli comme un ange et grossier comme un roulier. Cheveux châtains crépus, beaux yeux tendres, bouche pure, il dit des mots gras à écorcher un gosier de gendarme. Son grand succès est de faire la maman Méhudin quand elle est en colère [149]. Attiré par la chaleur du poêle vers le bureau de linspection, il a intéressé Florent qui, dans son rêve secret de dévouement, veut linstruire, retrouvant en lui son jeune frère Quenu au bon temps de la rue Royer-Collard. Muche, docile et aimant, sattache à Florent et devient le trait dunion entre sa mère et son professeur ; les leçons continuent rue Pirouette, Muche étudie gravement, il apprend lécriture sur des cahiers où Florent a tracé des modèles subversifs, formules lapidaires qui seront une lourde charge contre lui dans laffaire du complot des Halles [335]. (Le Ventre de Paris.)
Muffat (Maman). Femme du général Muffat de Beuville, créé comte par Napoléon Ier. Une vieille insupportable, toujours dans les curés; dailleurs, un grand air, un geste dautorité qui pliait tout devant elle [74]. Tant que la maman Muffat a vécu, lhôtel de la famille, rue de Miromesnil au coin de la rue de Penthièvre, a gardé une mélancolie de couvent; on entrait là dans une dignité froide, dans des murs anciennes, un âge disparu exhalant une odeur de dévotion [68]. (Nana.)
Muffat de Beuville (Comte). Fils du général. Mari de Sabine de Chouard. Père dEstelle. La maman Muffat lui a donné une éducation sévère : tous les jours à confesse, pas descapades, pas de jeunesse daucune sorte [74]. Sa chambre denfant était toute froide; plus tard, à seize ans, lorsquil embrassait sa mère, chaque soir, il emportait jusque dans son sommeil la glace de ce baiser. Un jour, en passant, il a aperçu par une porte entre-bâillée, une servante qui se débarbouillait, et cest lunique souvenir qui lait troublé, de la puberté au mariage. Entré vierge dans la chambre nuptiale, il a trouvé chez sa femme une stricte obéissance aux devoirs conjugaux ; lui-même éprouvait une sorte de répugnance dévote. Il a grandi, il a vieilli, ignorant de la chair, plié à de rigides pratiques religieuses, ayant réglé sa vie sur des préceptes et des lois [161], avec des crises de foi dune violence sanguine, pareilles à des accès de fièvre chaude. Grâce au souvenir de son père, il sest naturellement trouvé en faveur après le Deux-Décembre. Il est maintenant chambellan de limpératrice.
Carré et solide, avec sa chevelure fortement plantée [59], son visage encadré de favoris, sans moustaches [74], il sent brusquement sa jeunesse qui séveille devant Nana, devant la soudaine révélation de la femme; cest une puberté goulue dadolescent, brûlant tout à coup dans sa froideur de catholique et dans sa dignité dhomme mûr [179]. La savante tactique de Nana, qui se refuse obstinément, détermine en lui de terribles ravages, il mord la nuit son traversin et sanglote, exaspéré, évoquant toujours la même image sensuelle. Malgré Venot, malgré tout un passé de vertu rigoriste, il se donne éperdumeut à cette fille, qui va corrompre sa vie ; en trois mois, il se sent gâté jusquaux mlles par des ordures quil navait pas soupçonnées. Tout pourrit en lui. Il a commencé par souffrir des mensonges de Nana, il sest senti lâche devant, elle ; pour contenter ses curiosités, il la renseignée sur la comtesse, lui a même donné des détails sur sa nuit de noces [211]. Une courte révolte a paru le sauver, lorsque, surprise par lui aux bras du hideux Fontan, cette fille la traité de cocu et, furieuse de sentendre appeler putain, lui a répondu cyniquement : Et ta femme ! Mais laffront a été vite oublié.
Nana disparue, remplacée un instant par Rose Mignon, reconquiert lentement Maffit par les souvenirs, par les lâchetés de la chair. Il a une passion jalouse de cette femme, un besoin delle seule, de ses cheveux, de son corps. Pour être de nouveau accepté, il obtient de Bordenave, contre argent, un rôle de femme honnête quelle convoite dans la Petite Duchesse, il sabaisse même à solliciter lauteur, ce Fauchery quil soupçonne dêtre lamant de la comtesse ; il installe luxueusement Nana dans un hôtel de lavenue de Villiers ne demandant, en échange de ses ruineuses folies, quune promesse de fidélité. Bientôt, dailleurs, il se résignera à nêtre plus lamant exclusif. Le chien Bijou est le premier petit homme dont il soit jaloux [355] ; puis, il tolère Satin [360] ; il surprend Nana aux bras de Georges Hugon [1452] ; ensuite, cest Foucarmont [ 452], dautres encore ; il en arrive plus tard à accepter les inconnus, tout un troupeau dhommes galopant au travers de lalcôve [482].
Il a eu des crises de remords ; cet homme, qui fait sa prière tous les soirs avant de monter dans le lit de Nana, a voulu se réfugier dans la religion, ses crises de foi ont repris une violence de coups de sang, le laissant comme assommé; dans sa détresse, il a répété continuellement : « Mon Dieu... mon Dieu... mon Dieu.» Cétait le cri de son impuissance, le cri de son péché, contre lequel il est resté sans force, malgré la certitude de sa damnation [425]. Linfluence de la dangereuse fille demeure entière ; il accepte pour gendre Daguenet, un ancien amant de cur de Nana [382]. Eclairé sur ladultère de sa femme, il a passé une nuit atroce, rèvant de vengeance, voulant souffleter lamant, plaider en séparation ; mais dans lélan de sa colère, quelque chose dappauvri et de honteux est venu lamollir ; sa maîtresse la convaincu quil devait pardonner et se remettre avec sa femme. Et il a consenti à cette bassesse, parce quil est à court dargent et quune signature de Sabine lui est nécessaire pour trouver des fonds. Sa virilité, enragée par linjure, sen est allée à la chaleur du lit de Nana [435].
Toute la dignité de Muffat sest écroulée. Rue de Miromesnil, il donne la main à lamant de la comtesse [448] ; avenue de Villiers, il met son dernier amour-propre à rester monsieur pour les domestiques et les familiers de la maison ; il subit le pouvoir tyrannique de la fille, marche à quatre pattes, fait le cheval ou le chien ; il apporte son costume de chambellan, un costume plein dapparat, évoquant la majesté de la cour impériale, et Nana, dans une rancune inconsciente de famille, léguée avec le sang, loblige à cracher dessus, à le piétiner, à écraser les aigles et les décorations [492]. Puis, cest une dernière honte. Dans un lit magnifique don t il vient de faire don à cette femme, un lit dor et dargent où elle pourra étendre la royauté de ses membres nus, un autel dune richesse byzantine, digne de la toute-puissance de son sexe, Muffat, le petit Mufe comme elle lappelle, surprend son beau-père, le vieux marquis de Chouard, épave comique et lamentable, loque humaine tombée au gâtisme et qui met un coin de charnier dans la gloire des chairs éclatantes de la monstrueuse idole [494].
Cest alors un dernier élan vers Dieu. La vie de Muffat est foudroyée ; les pudeurs révoltées des Tuileries lont obligé à donner sa démission de chambellan ; Estelle, sa fille, lui intente un procès, pour une somme de soixante mille francs, lhéritage dune tante quelle aurait dû toucher à son mariage ruiné, il vit étroitement avec les débris de sa grande fortune après des aventures, la comtesse est rentrée; il la reprend, dans la résignation du pardon chrétien ; elle laccompagne partout comme sa honte vivante. Et définitivement reconquis par Venot, il oublie au fond des églises les voluptés de Nana ; les genoux glacés par les dalles, il retrouve ses jouissances dautrefois, les spasmes de ses muscles et les ébranlements délicieux de son intelligence, dans une même satisfaction des obscurs besoins de son être [497]. (Nana.)
Muffat de Beuville (Comtesse). Voir CHOUARD (Sabine de).
Muffat de Beuville (Estelle). Fille du comte. Mariée à Daguenet. A seize ans, cest une jeune personne mince et insignifiante [69], nulle et guindée [76]. Une jolie planche, dit-on, à mettre dans un lit [83]. Après le mariage, chez cette fille plate, une femme dune volonté de fer apparaît tout à coup; elle domine complètement son mari [476] (Nana.)
Müller (Blanche). Actrice en vogue. Joue la Belle Hélène aux Variétés. Très lancée, elle donne un bal aux princesses de la rampe et aux reines du demi-monde [154], trompe son attaché dambassade avec son coiffeur [135] et remplace Laure dAurigny comme maîtresse du due de Rozan, à qui elle mange un second demi-million [313]. (La Curée.)
Mussy (de). Jeune diplomate de vingt-six ans qui fait son chemin en conduisant le cotillon avec des grâces particulières. Cest lêtre le plus insignifiant du monde [130]. Quatrième amant de Renée Saccard et lâché par elle, il intéresse en vain à sa cause Maxime, un ancien ami de collège [39]. Attaché à lambassade dAngleterre, où le ministre lui a dit quune tenue sévère est de rigueur, il se guinde, affecte de vieillir [286], et ne redevient galant que lorsquil est nommé à lambassade dItalie [343]. (La Curée.)