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Jabouille. — Herboriste rue du Cherche-Midi. Un petit homme pâlot, en train de cracher ses poumons [77]. Étant veuf, il s'est remarié avec Mathilde, et son herboristerie, autrefois prospère, grâce à la clientèle pieuse du quartier, s'est mise à péricliter en même temps que lui [83]. Mahoudeau et Chaîne le tuent sans le vouloir : un soir que ce cocu phtisique a une syncope, sa femme les appelle et les deux hommes se mettent à le frictionner si dur, qu'il leur reste dans les mains [213]. (L'Œuvre.)

Jabouille (Mathilde). — Femme de l'herboriste. On la nomme familièrement Mathilde. Elle a trente ans, elle est brune, la figure plate, ravagée de maigreur, avec des yeux de passion, aux paupières violâtres et meurtries. Sou rire montre les trous noirs de sa bouche, où manquent plusieurs dents, et elle est ainsi laide à inquiéter, dévastée déjà, la peau cuite, collée sur les os. Une senteur forte s'exhale d'elle, la senteur des simples dont sa robe se trouve imprégnée et qu'elle apporte dans sa chevelure grasse, défrisée toujours; il semble que son baleine souffle la flamme de la menthe poivrée. Ce sont les prêtres, dit-on, qui l'ont mariée au petit Jabouille. On aperçoit parfois de vagues ombres de soutanes, traversant le mystère de la boutique; il y règne une discrétion de cloître, une onction de sacristie, dans la vente des canules ; et les dévotes chuchotent là comme au confessionnal, glissent des injecteurs au fond de leur sac, puis s'en vont, les yeux baissés. Par malheur, des bruits d'avortement ont couru. Bien que Mathilde ait de la religion, la clientèle pieuse l'abandonne peu à peu, trouvent qu'elle s'affiche trop avec des jeunes gens, maintenant que Jabouille tousse à rendre l'âme, réduit à rien, la chair finie [84].

Cette femme ardente se partage entre Mahoudeau et Chaîne; on la rencontre souvent dans leur atelier, où elle s'offre à tous les hommes. C'est là que Jory la tente pour la première fois, avec sa fraîcheur de poulet gras et son grand nez rose qui promet. Après la mort de Jabouille, elle retombe à la dévotion, ce qui ne l'empêche pas de scandaliser le quartier. L'herboristerie glisse alors à un abandon de ruines; Mathilde ne paye plus personne, elle en arrive à s'économiser les frais d'un ouvrier, en confiant à Chaîne la réparation des injecteurs et des seringues que les dévotes lui rapportent, soigneusement dissimulés dans des journaux. Elle a maigri encore, la face éclaboussée de sang sous la peau, avec ses yeux de flamme, la bouche élargie par la perte de deux autres dents; ses odeurs d'aromates ont ranci. Ce n'est plus seulement Chaîne et Mahoudeau, c'est Jory, Gagnière, toute la bande qui défile chez elle, chacun à son tour, plusieurs même à la fois si l'on trouve ça plus drôle et, derrière le rempart des bandages et des clysopompes, sous les fleurs à tisane qui tombent du plafond. de vrais horreurs se passent, des choses épatantes, renouvelées des Romains [227].

Mathilde s'envoie brusquement, enlevée par Jory, cachée par lui au fond d'un logement discret. Elle le nourrit a crever de petits plats, l'abêtit de caresses amoureuses, le gorge de tout ce qu'il aime et finit parle tenir cloîtré, despotiquement [342]. Réduit à une obéissance peureuse de petit garçon, Jory devenu riche la supplie de se laisser épouser, elle refuse fièrement pendant six mois et condescend enfin à lui donner sa main. Dès lors, une épouse autoritaire, affamée de respect, dévorée d'ambition et de lucre, se dégage de l'ancienne gode impudique; elle ne le trompe même pas, d'une vertu aigre de femme honnête, oublieuse des pratiques d'autrefois, qu'elle a gardées avec lui seul, pour en faire l'instrument conjugal de sa puissance [408]. Et Jory la produit dans le monde.

Elle est devenue très grasse, ronde et blonde, de maigre et brûlée qu'elle était. Sa laideur inquiétante de fille se fond dans une enflure bourgeoise de la face, sa bouche aux trous noirs montre maintenant des dents trop blanches, quand elle veut bien sourire, d'un retroussement dédaigneux des lèvres. Et les amis de jadis ricanent en regardant cette bouche si bien meublée aujourd'hui, et qui jadis ne pouvait pas mordre, heureusement [440]. Mathilde est respectable avec exagération, ses quarante-cinq ans lui donnent du poids, à côté de son mari plus jeune, qui semble être son neveu. La seule chose qu'elle garde est une violence de parfums, elle se noie des essences les plus fortes, comme si elle tentait d'arracher de sa peau les odeurs dont l'herboristerie l'avait imprégnée [438]. Elle affecte une familiarité mondaine avec Henriette Sandoz, salue d'un petit geste sec Christine Lantier dont le passé lui paraît douteux, dîne sans sourciller à côté des anciens habitués de son arrière-boutique, et cette farceuse sur le retour, cette vieille gaupe engraissée, parle musique avec langueur, roucoulant et se chatouillant avec du Beethoven et du Schumann [453]. (L'Œuvre.)

Jacoby. — Agent de change, beau-frère de son collègue Delarocque. C'est un juif de Bordeaux, un grand gaillard de soixante ans, à large figure gaie, dont la voix mugissante est célèbre, et qui, en vieillissant, devient lourd, empâté. Ancien fondé de pouvoir, à qui des commanditaires ont enfin permis d'acheter la charge de son patron, il est d'une pratique et d'une ruse extraordinaires, mais se perd malheureusement par sa passion du jeu, toujours à la veille d'une catastrophe, malgré des gains considérables. Germaine Cœur, qu'il entretient au mois et qu'il remplacera plus tard par une écuyère de l'Hippodrome, ne lui coûte que quelques billets de mille francs. On ne voit jamais sa femme [89]. A la Bourse où une rivalité s'est posée entre lui et Mazaud, il est l'agent des baissiers contre la Banque Universelle [337]. (L'Argent.)

Jalaguier (Madame). — Protégée de madame Correur. Grâce à l'appui de celle-ci auprès du ministre Rougon, la pension de madame Jalaguier est portée à dix-huit cents francs [280]. (Son Excellence Eugène Rougon.)

Jalaguier fils. Madame Correur le protège auprès d'Eugène Rougon et sollicite pour lui une bourse d'études [242]. (Son Excellence Eugène Rougon.)

Jantrou. — Rédacteur en chef de l'Espérance. C'est un ancien professeur, venu de Bordeaux à Paris, obligé de quitter l'Université, à la suite d'une histoire louche. Beau garçon, avec sa large barbe noire et sa calvitie précoce, d'ailleurs intelligent et aimable, il est débarqué à la Bourse vers vingt-huit ans, s'y est traîné et sali pendant dix ans comme remisier, n'y gagnant guère que l'argent nécessaire à ses vices, essuyant les rebuffades des clients, traité à coups de pied par le comte de Ladricourt. Plus tard, tout à fait chauve, se désolant ainsi qu'une fille dont les rides menacent le gagne-pain, attendant toujours l'occasion qui doit le lancer au succès, à la fortune, Jantrou répète qu'il faut être un coquin pour réussir à la Bourse et il met dans celte parole la rancune d'un homme qui n'a pas eu la coquinerie chanceuse [21].

Il porte beau malgré tout, la barbe en éventail, cynique et lettré, lâchant de temps à autre une phrase fleurie d'ancien universitaire [124]. C'est lui qui donne à Saccard l'idée d'acheter l'Espérance, feuille catholique dont les bureaux sont situés rue Saint-Joseph et que Jantrou dirigera pour le compte de la Banque Universelle. Il y écrit des articles politiques d'une forme soignée que ses adversaires eux-mêmes reconnaissent du plus pur atticisme, mais au fond, il ne s'intéresse qu'aux annonces financières. Dans le journal et hors du journal, il organise toute une vaste publicité autour de l'Universelle, il est fécond en idées de réclames, on le rencontre maintenant tout flambant neuf, serré dans une élégante redingote ornée d'une rosette aux couleurs vives, soignant surtout sa coiffure, portant des chapeaux irréprochables et, malgré tout, laissant la vague impression d'une malpropreté persistante en dessous. Il gagne cent mille francs par an et en mange le double, on ne sait à quoi. L'absinthe continue à le dévorer, fauchant ses derniers cheveux, lui plombant le crâne et la face [189].

Après la débâcle de la Banque et du journal, Jantrou est fini, trois années de prospérité l'ont dévoré, dans un monstrueux abus de tout ce qui s'achète, pareil à ces meurt-de-faim qui crèvent d'indigestion le jour où ils s'attablent. Et il entraîne dans sa déchéance la baronne Sandorff tombée jusqu'à lui [389]. (L'Argent.)

Jeanbernat. — Intendant du Paradou, où l'ont installé jadis les héritiers du comte de Corbière, son frère de lait. Depuis vingt années, le vieux Jeanbernat vit loin de tout, fumant tranquillement sa pipe et regardant pousser ses légumes. C'est un solitaire coulure de rides, à la face de brique cuite, aux membres séchés et tordus comme des paquets de cordes; il semble porter ses quatre-vingts ans avec un dédain ironique de la vie [51]. Des milliers de livres sauvés jadis de l'incendie du château, un tas de bouquins sur ta religion, tous les philosophes du dix-huitième siècle lus et médités à loisir, ont fait de lui un matérialiste qui nie tranquillement Dieu, se désintéresse de tout et limite l'univers à ses carrés de salade.

Il a recueilli une jeune nièce, Albine, qui vit, librement lâchée à travers l'immense Paradou, et Jeanbernat laisse agir la nature, disant qu'il ne faut pas empêcher les arbres de pousser à leur gré [58]. Sa haine contre la soutane s'exaspère au contact de frère Archangias, qui poursuit de ses anathèmes furibonds les habitants du Paradou. Le jour même où l'on enterre Albine, Jeanbernat vient exprès au cimetière pour couper une oreille à frère Archangias [426]. (La Faute de l'abbé Mouret).

Jenard. — De la société Cornille et Jenard, qui exploitait au dix-huitième siècle la concession minière de Joiselle [83]. (Germinal.)

Jésus-Christ. — Fils aîné du père Fouan et de Rose Maliverne. Frère de Buteau et de Fanny Delhomme. Père d'Olympe Fouan, dite la Trouille. Un ancien soldat qui a fait les campagnes d'Afrique et qui, paresseux et ivrogne, s'est mis, dès son retour, à battre les champs, refusant tout travail régulier, vivant de braconnage et de maraude, comme s'il rançonnait encore un peuple tremblant de Bédouins. A quarante ans, c'est un grand gaillard, d'une belle force musculaire, les cheveux bouclés, la barbe en pointe, longue et inculte, avec une face de Christ ravagé, un Christ soûlard, violeur de filles, détrousseur de grandes routes. Au fond de ses beaux yeux noyés d'une perpétuelle ivresse, il y a de la goguenardise pas méchante, le cœur ouvert d'une bonne crapule [16]. Il habite le château, coin rocheux qui appartient à la commune de Rognes et où il s'est réfugié à la suite d'une querelle avec son père [40].

Terrible chenapan à jeun, il s'attendrit davantage à chaque verre de vin, il devient d'une douceur et d'une bonhomie d'apôtre intempérant. Très venteux, répudiant les bruits timides, étouffés entre deux cuirs, il n'a que des détonations franches, d'une solidité et d'une ampleur de coups de canon [314]; il bat au jeu de la chandelle, Sabot, le vigneron de Brinqueville, qui a moins de souffle que lui [332]. En politique, Jésus-Christ est un rouge, il se vante d'avoir à Cloyes, en février, fait danser le rigodon aux bourgeoises ; dans son pêle-mêle baroque d'opinions, idées d'ancien troupier d'Algérie, de rouleur de villes, du politique de marchand de vin, ce qui surnage, c'est l'homme de 48, le communiste humanitaire, resté à genoux devant la formule liberté, égalité, fraternité, qui excite les railleries de son ami Leroi, dit Canon.

Il n'est sévère que sur un point, la morale; il ne veut pas que sa fille le déshonore et il la corrige à coups de fouet [218]. Quant au reste, il n'a aucun préjugé. Lorsque le père Fouan a partagé ses terres, Jésus-Christ n'a brûlé que d'un désir, avoir sa part pour battre monnaie [23], il a bu son bien en l'hypothéquant morceau à morceau [133], il n'a jamais versé un sou de la rente, trouvant même le moyen de carotter des pièces de cent sous à ses parents, jouant le grand jeu, beuglant à rendre son père fou, se traînant par terre, menaçant de se percer le cœur d'un coutelas et, dès qu'il a obtenu de l'argent, courant le boire avec son vieux frère d'armes, le garde champêtre Bécu, dont il possède la femme tout en la traitant de vieille peau [332]. Il a chambré le père Fouan pour s'emparer du magot, il a eu les titres en mains, mais n'a pas osé s'en emparer, car il manque d'envergure, n'ayant ni la froide rapacité de sa sœur Fanny, ni les instincts meurtriers de son frère Buteau. Ce n'est, au fond, qu'un simple jeannot dans sa gueuserie [511]. (La Terre.)

Jeamont (De). — Homme correct, qui n'a d'autre rôle que d'être le mari de sa femme. L'empereur l'a décoré, après une nuit passée avec madame de Jeumont [281]. (L' Argent.)

Jeumont (Madame De). — sa grande réputation mondaine vient de ce que l'empereur lui a payé une nuit cent mille francs, sans compter la Légion d'honneur pour son mari. Elle est encore fort belle à trente-six ans, d'une beauté régulière et grave de Junon. Les deux époux vivent largement, vont partout, dans les ministères, à la cour, alimentés par des marchés rares et choisis ; trois ou quatre nuits par an leur suffisent. On sait dans le monde que ça coûte horriblement cher, aussi est-ce tout ce qu'il y a de plus distingué. Les Jeumont ont d'abord fait la moue devant Aristide Saccard, le trouvant trop mince personnage et d'une immoralité compromettante. Mais l'offre de deux cent mille francs supprime toute difficulté [282]. (L'Argent.)

Jobelin (Colonel). — Porte une redingote bleu foncé, qu'il a adoptée comme uniforme civil, depuis sa retraite [4]. Il appartient à la bande du ministre Rougon, qu'il a connu chez sou cousin Bouchard [51]. Jobelin postule pour la cravate de commandeur et pousse en même temps son fils, sollicitant constamment les faveurs ministérielles, devenant orléaniste lorsqu'elles se font attendre, affectant alors de raconter le combat de la Mouzaïa où il a fait le coup de feu à côté du duc d'Aumale [164]. Comme toute la bande, il travaille à la rentrée de Rougon, tire de lui tout ce qu'il peut et, au jour de la défaite, passe comme les autres à l'ennemi [371], comptant sur Clorinde et Delestang pour de nouveaux avantages. (Son Excellence Eugène Rougon.)

Jobelin (Auguste). — Fils du colonel. Jeune cancre qui s'est fait refuser à tous les examens et qui, au sortir du lycée Louis-le-Grand, obtient par Eugène Rougon un emploi au ministère, quoiqu'il ne soit pas bachelier. Son père assure que, s'il a échoué au baccalauréat, c'est parce qu'il a une intelligence trop vive, allant toujours au delà des questions des professeurs, ce qui mécontente ces messieurs [249]. (Son Excellence Eugène Rougon.)

Joire (Abbé). — Curé de Montsou. Doux, affectant de ne s'occuper de rien, pour ne fâcher ni les ouvriers ni les patrons, il passe sur les routes en retroussant sa soutane, avec des délicatesses de gros chat bien nourri, qui craint de souiller sa robe [99]. Pendant la grève, l'abbé fait ses courses à la nuit, pour ne pas se compromettre au milieu des mineurs [295]. Il obtient de l'avancement et est remplacé par l'abbé Ranvier. (Germinal.)

Joncquier. — Un monsieur sérieux. Etant avec Rose Mignon, des Variétés, il a eu un béguin pour la grande Laure. Le mari de Rosé a procuré Laure à Joncquier, qu'il a ensuite ramené bras dessus bras dessous chez Rosé, comme un époux auquel on vient de permettre une fredaine [117]. (Nana.)

Joncquoy (Madame Du). — Une vieille amie des Muffat. A dû être très bien autrefois. En musique, elle n'aime que Weber [84]. Un de ses frères est diplomate en Orient. II y a longtemps, elle a déjeuné avec lui chez le comte de Bismarck, dont elle ne comprend guère les derniers succès; il a l'air brutal et mal élevé. Elle le trouve stupide [71]. (Nana.)

Jordan (Paul). — Journaliste et homme de lettres. Mari de Marcelle Maugendre. Fils d'un banquier de Marseille qui s'est autrefois suicidé à la suite d'opérations désastreuses, il a battu dix ans le pavé de Paris, enragé de littérature, dans une lutte brave contre la misère noire. Il s'est marié avec une petite amie d'enfance, dont la famille, riche pourtant, a coupé tout subside pour ne pas aider un sans-le-sou; leur petit ménage est installé à au cinquième de l'avenue de Clichy, ils s'adorent. Jordan a un projet de roman, ne trouve pas le temps de l'écrire et est entré forcément dans le journalisme, où il bâcle tout ce qui concerne son état, depuis des chroniques jusqu'à des comptes rendus de tribunaux et même des faits divers [19].

Recommandé à Saccard par un cousin installé à Plassans, il devient rédacteur de l'Espérance, feuille catholique et financière où tout le monde, du directeur au garçon de bureau, le personnel entier, excepté Jordan, spécule à la Bourse, il reste dans une gêne atroce, ses appointements sont frappés d'arrêts à cause d'anciennes dettes, l'usurier Busch le persécute pour des billets souscrits à un tailleur, aux jours de misère ; c'est une lutte noire où Jordan, incapable de lutter contre les huissiers, est soutenu par la vaillance de sa jeune femme. Après la débâcle de la Banque Universelle, la chance tourne pour l'écrivain. Son premier roman, publié d'abord dans un journal, lancé ensuite par un éditeur, prend brusquement l'allure d'un gros succès, il se trouve riche de quelques milliers de francs, toutes les portes ouvertes devant lui désormais, et il brûle de se remettre au travail, certain de la fortune et de la gloire [387].

Il donne à Marcelle la joie de secourir ses parents, tombés dans la misère grâce aux folles opérations de Saccard, ce Saccard que le jeune ménage persiste à aimer, pour t'aide apportée aux jours mauvais [390]. (L'Argent.)

Jordan (Madame). — Voir MAUGENDRE (Marcelle.)

Jory (Edouard). — Critique d'art. C'est un beau garçon blond, avec un grand nez rose et de gros yeux bleus de myope. Fils d'un magistrat de Plassans, qu'il désespérait par ses aventures de beau mâle, il a comblé la mesure de ses débordements, en se sauvant avec une chanteuse de café-concert, sous le prétexte d'aller à Paris faire de la littérature. Pendant six mois, ils ont campé ensemble dans un hôtel borgne du quartier Latin, cette fille l'écorchant vif, chaque fois qu'il la trahissait pour le premier jupon crotté, suivi sur un trottoir. Il a retrouvé la bande de Plassans, Claude Lantier, Sandoz, Dubuclie, Mahoudeau, et il s'est fait critique d'art, donnant pour vivre des articles à vingt francs, dans un petit journal tapageur, le Tambour. Du premier coup, il a soulevé un scandale énorme, en sacrifiant à Claude les peintres « aimés du public » et en le posant comme chef d'une école nouvelle, l'école du plein air. Au fond, très pratique, il se moque de tout ce qui n'est pas sa jouissance, il répète simplement les théories entendues dans le groupe.

Jory montre une hérédité d'avarice, dont on s'amuse fort; il ne paye pas les femmes, il arrive à mener sa vie désordonnée, sans argent et sans dettes; et cette science innée de jouir pour rien s'allie en lui à une duplicité continuelle, à une habitude de mensonge qu'il a contractée dans le milieu dévot de sa famille, où le souci de cacher ses vices le faisait mentir sur tout, à toute heure, môme inutilement [83]. Après sa rupture avec la chanteuse qui lui dépouillait la face à coups d'ongle, c'est un furieux galop de femmes traversant son existence, les femmes les plus extravagantes, les plus inattendues: la cuisinière d'une maison bourgeoise où il dîne; l'épouse légitime d'un sergent de ville dont il doit guetter les heures de faction; la jeune employée d'un dentiste, qui gagne soixante francs par mois à se laisser endormir, puis réveiller, devant chaque client, pour donner confiance ; d'autres, toutes celles qui veulent bien, les jolies, les laides, les jeunes, les vieilles, sans choix, uniquement pour la satisfaction de ses gros appétits de mâle, sacrifiant la qualité à la quantité.

Il est enchanté de la vie. Il a fini par faire son trou comme chroniqueur et comme critique d'art, il collabore à des journaux très lus, gagne sept ou huit mille francs par an et, travaillé de sa ladrerie héréditaire, place déjà de l'argent chaque mois; les matins de grande largesse, il ne paye qu'une tasse de chocolat aux femmes dont il est très content [230]. Tout en restant au fond le jouisseur sceptique, l'adorateur du succès quand même, il prend une importance bourgeoise et commence à rendre des arrêts. Sa prétention est d'avoir fait Fagerolles par ses articles, comme il prétendait jadis avoir fait Claude [256]. D'ailleurs, il n'écrit rien sur ses anciens amis, les révolutionnaires de l'art, qui se font exécrer, il se plaint de n'avoir pas à lui un journal où il pourrait les défendre [259]; mais devenu directeur d'une grande revue d'art, gagnant trente mille francs, sans compter tout un obscur trafic dans les ventes de collections, il garde le même silence, sous le prétexte de ne pas perdre ses abonnés; il pousse même le lâchage jusqu'à faire passer sournoisement un éreintement de Sandoz [439]. Jory est maintenant un terrible monsieur saignant à blanc les artistes et les amateurs qui lui tombent sous la main.

Mais ce journaliste qui traite les autres de ratés, ce bâcleur d'articles, tombé dans l'exploitation de la bêtise publique, sera mangé à son tour par Mathilde Jabouille. Quand il l'a rencontrée chez Mahoudeau, il a affirmé qu'elle était affreuse, qu'elle pourrait être leur mère à tous, que sa gueule de vieille chienne n'avait plus de crocs, qu'elle empoisonnait la pharmacie [86]. Plus tard, pris par son vice, il l'a déclarée ensorcelante, une de ces femmes qu'on affecte de ne pas ramasser avec des pincettes et pour qui on fait des bêtises à en crever [228]. Ensuite, rompant avec toutes ses habitudes de prudence et d'avarice, souffrant du partage de Mathilde avec ses amis, il l'a enlevée de l'herboristerie, il a glissé au ménage avec celte goule [301], et lui qui, pour ne pas payer, vivait autrefois des raccrocs de la rue, il s'est ravalé à une domesticité de chien fidèle, donnant les clefs de son argent, n'ayant en poche de quoi acheter un cigare que les jours seulement où elle consentait à lui laisser vingt sous ; elle le jette même dans la religion ; elle lui parle de la mort, dont il a une peur atroce [343]. Plein de sérénité, il finit par se marier légitimement avec elle [407]. (L'Œuvre.)

Jory (Madame). — Voir JABOUILLE (Mathilde).

Joseph. — Maître d'hôtel de Nana, à la Mignotte. A servi l'évêque d'Orléans [205]. (Nana.)

Joseph. — Garçon de magasin au Bonheur des Dames. Appartient à la dynastie des Lhomme, car il est le frère de lait d'Albert et doit sa place à madame Aurélie. Il porte une barbiche qui allonge son visage couturé d'ancien soldat [52]. Joseph s'est, épris peu à peu d'une employée a l'échantillonnage, mademoiselle de Fontenailles ; à la rencontrer l'air triste, vêtue pauvrement, son cœur de tempérament tendre a fini par être louché [337]. Il se marie avec elle, au grand scandale de madame Desforges, qui accuse Octave Mouret d'unir ses hommes de peine avec des filles nobles, uniquement pour écraser les gens du monde [477]. (Au Bonheur des Dames.)

Joseph (Madame). — Concierge de Claude Lantier, au quai Bourbon [5]. Fait le ménage du peintre, sans que celui-ci lui permette de balayer, de peur que la poussière ne couvre ses toiles fraîches [123]. (L'Œuvre.)

Josse (Mademoiselle). — tient une petite pension de jeunes enfants rue Polonceau. Anna Coupeau est son élève et se rend si intolérable que, deux fois, mademoiselle Josse la met à la porte, puis la reprend pour ne pas perdre les six francs mensuels [195]. (L'Assommoir.)

Nana, devenue femme galante, échange ses souvenirs sur la mère Josse avec Satin, ancienne élève comme elle du pensionnat de la rue Polonceau [364]. (Nana.)

Josserand père. — Grand-père de Léon, Saturnin, Hortense et Berthe Josserand. A été avoué à Clermont. Après avoir vendu son étude, il s'est laissé ruiner par une bonne. Courait encore la gueuse à soixante-dix ans passés [36]. Une de ses filles, fixée maintenant, aux Andelys, s'est sauvée jadis avec un officier qui, plus tard, l'a épousée [37]. (Pot-Bouille.)

Josserand. — Mari d'Eléonore Bachelard. Père de Léon, Saturnin, Hortense et Berthe. Gros yeux bleus aux regards éteints, boucles de cheveux grisonnants, voix lente et fatiguée, visage comme trempé et effacé par trente-cinq ans de bureau. Josserand est un vieil honnête homme qui s'impose une vie de martyre pour satisfaire aux exigences dépensières de sa femme. Caissier des frères Bernheim, à la cristallerie Saint-Joseph, avec appointements de huit mille francs par an, il passe les nuits à faire des bandes à trois francs le mille, pendant que sa femme et ses filles battent les salons avec des fleurs dans les cheveux [31]. Eléonore le domine, il subit le chapitre intarissable de ses espoirs brisés, consent par faiblesse à des capitulations de conscience qui l'emplissent d'angoisse, marie sa fille Berthe sous la promesse illusoire d'une dot inexistante et subit ensuite le déchirement de voir le ménage de la jeune femme gâché comme le sien. Une décomposition du sang l'emporte bientôt, il agonise devant les âpres querelles de sa femme et de ses filles, étranglé par la tranquille inconscience des seules créatures qu'il ait aimées [452]. (Pot-Bouille.)

Josserand (Madame). — Voir BACHELARD (Eléonore).

Josserand (Berthe). — La dernière fille des Josserand. Elle garde à vingt et un ans toute une grâce d'enfance, avec les mêmes traits que sa sœur, mais plus fins, éclatants de blancheur. Mine chiffonnée, cheveux châtains dorés de reflets blonds, menacée seulement vers la cinquantaine du masque épais de sa mère ; elle a une grâce hardie et un charme facile de Parisienne, avec quelques talents de musicienne et de peintre qui constituent toute sa dot. Pour la marier, c'est pendant trois hivers une véritable chasse à l'homme, des garçons de tous poils aux bras de qui on la jette, une offre continue de son corps sur les trottoirs autorisés des salons bourgeois; puis, ce que les mères enseignent aux filles sans fortune, tout un cours de prostitution décente et permise, les attouchements de la danse, les mains abandonnées derrière une porte, les impudeurs spéculant sur les appétits des niais ; enfin, le mari levé un beau soir, comme un homme est fait par une gueuse, le mari raccroché sous un rideau, excité et tombant au piège, dans la fièvre de son désir [429].

Stylée ainsi, Berthe a trouvé un époux dans la personne du chétif Auguste Vabre, qu'elle a su habilement compromettre. Et dès le mariage, cette jeune fille poussée dans la serre chaude du faux luxe parisien, corrompue par une éducation de poupée, s'affirme en enfant égoïste et gâcheur qui saccagera l'existence pour en mieux jouir. Se désintéressant du commerce entrepris par son mari, elle vit dans un perpétuel besoin de mouvement, avec le goût des riches toilettes cl le dédain du linge qu'on ne voit pas ; elle a vite conquis la carrure de sa mère, dont elle répète les phrases, recommençant pour son compte les querelles qui ont bercé sa jeunesse ; elle éprouve un désir grandissant de liberté et de plaisir, un amour de l'argent, toute celte religion de l'argent dont elle a appris le culte dans la famille [311]. Et, entravée par l'avarice de Vabre, elle fait des dettes, accepte les dons d'Octave Mouret et glisse, sans même y penser, à un adultère sans plaisir, dont elle sera bientôt lasse, car c'est une nature froide, d'un égoïsme rebelle aux tracas de la passion. Elle a subi Octave sans bonheur, le trouvant trop exigeant pour ce qu'il donne et arrivant très vite à faire à son amant l'éternelle querelle d'argent dont elle poursuit son mari. Chassée par celui-ci, puis reprise, restée inconsciente de sa faute, elle a rompu avec Octave, mais elle est au mieux avec le nouvel associé de Vabre, un petit blond très coquet qui la comble de cadeaux [489]. (Pot-Bouille.)

La concurrence du Bonheur des Dames a fini par tuer le magasin de Vabre. Les dépenses de Berthe ont précipité cette débâcle [20]. (Au Bonheur des Dames.)

Josserand (Hortense). — De deux ans plus âgée que Berthe, elle a vingt-trois ans, mais en paraît vingt-huit. Hortense a le teint jaune, son visage est gâté par le nez de sa mère, qui lui donne un air d'obstination dédaigneuse [29].

Pourvue du brevet de capacité, elle se montre fille de tête, prétendant se marier sans le concours de ses parents, faisant ses affaires toute seule, ayant jeté son dévolu sur Verdier, un avocat de quarante ans qui vit avec une vieille maîtresse et dont la liaison s'éternise. Hortense, bien tranquille pour son compte, a aidé sa sœur à conquérir Auguste Vabre, elle attend que Verdier soit libre et vit, indépendante, sans plier devant sa mère qui la craint. Et lorsque Berthe, chassée pour adultère, revient à la maison, Hortense la pousse presque aussitôt à implorer le pardon de son mari, ayant assez d'elle déjà et craignant de lui donner asile trop longtemps [424]. (Pot-Bouille.)

Josserand (Léon). — Fils aîné des Josserand. A fait son droit et a quitté jeune la maison paternelle, s'effaçant devant ses sœurs, ne comptant que sur lui-même [38]. Pendant deux ans, il a promené sur les trottoirs du quartier latin une démagogie féroce ; il est devenu secrétaire d'un avocat célèbre, député de la gauche, puis très décidé à parvenir, il s'est poussé auprès de la vieille madame Dambreville, bien placée pour l'aider. Elle est sa maîtresse. Léon Josserand est un jeune homme correct, à l'air sérieux. Ses opinions se sont calmées, il a tourné au républicain doctrinaire, gardant seulement dans les discussions une voix rogue de jeune démocrate. Ses convictions se refroidissent à mesure que madame Dambreville le répand davantage, il devient auditeur au Conseil d'Etat, puis maître des requêtes et se rallie définitivement à l'Empire. Entre temps, il a su tirer parti de la passion de la vieille daine en se faisant marier avec une riche et jolie créole, nièce de Dambreville, ce qui ne l'empêchera pas de revenir aux bras de la tante, dont il a encore besoin [478]. La jeune madame Josserand garde la maison, Léon continue à aller dans le monde avec madame Dambreville et l'accompagne même chaque dimanche à la messe de neuf heures [481]. (Pot-Bouille.)

Josserand (Saturnin). — Second fils des Josserand. Grand garçon de vingt-cinq ans, dégingandé, aux yeux étranges, resté enfant à la suite d'une fièvre cérébrale. Sans être fou, il terrifie la maison par des crises de violence aveugle, lorsqu'on le contrarie. Seule, Berthe le dompte, il s'est pris pour elle d'une adoration où il entre de tous les amours [46] ; sa sœur est une idole qu'il entoure d'un culte jaloux. Desfureurs l'agitent lorsqu'il comprend qu'on veut la marier, on doit par prudence le mettre à l'Asile des Moulineaux où il accepte de partir, tenant la main de Berthe et croyant faire une partie do campagne. Avec la même docilité, il s'est laissé dépouiller d'une somme de trois mille francs, léguée par une tante et qui sert aux frais de la noce. Renvoyé de l'Asile un peu plus tard parce que sa folie n'est pas assez caractérisée, il a été recueilli par Berthe, dont il devient le garde du corps, poursuivant le mari d'une haine féroce d'amant contrarié [305], s'éprenant d'Octave Mouret par hostilité pour Vabre, se fâchant contre Octave qui semble tourner autour d'autres femmes, ne rêvant toujours que le bonheur de Berthe et semblant goûter l'amour dans cette chair de femme qu'il sent sienne, sous la poussée de l'instinct [303]. (Pot-Bouille.)

Jouve (Abbé). — Vicaire à Notre-Dame-de-Grâce à Passy. Petit homme sec avec une grosse tête, les yeux pleins d'une belle lumière de tendresse ; il est d'une allure sans grâce, habillé à la diable, très sobre. Sa charité fait de lui le prêtre le plus aimé et le plus écouté du quartier. Avec Rambaud, son frère d'un second lit, l'abbé Jouve est la seule relation parisienne des Grandjean, qu'il a connus à Marseille. Les deux frères ont installé Hélène à Passy et dînent chez elle une fois par semaine. Plein de tolérance, l'abbé ne parle jamais de religion, il intéresse seulement madame Grandjean à ses pauvres. Il prévoit la crise passionnelle dont elle est menacée, voudrait la marier à Rambaud, se montre plein de tendresse et de pardon devant la chute et, quand la mort de Jeanne laisse la malheureuse mère abandonnée, écrasée de désespoir, il met simplement, sans parler, la main d'Hélène dans celle de Rambaud. L'abbé Jouve meurt quelques mois avant le mariage qu'il a préparé [404-]. (Une Page d'Amour.)

Jouve. — Inspecteur au Bonheur des Dames. Un ancien capitaine, décoré à Constantine, encore bel homme avec son grand nez sensuel, ses grandes moustaches grises et sa calvitie majestueuse. Aux jours solennels d'exposition, il se tient à l'une des portes, en redingote et en cravate blanche, avec sa décoration, comme une enseigne de vieille probité [104]. Certains vendeurs je traitent de « vieux ramolli » et sont d'ailleurs congédiés immédiatement [65]. Quant aux vendeuses timides, elles doivent acheter sa bienveillance ; au magasin, il se contente de petites privautés, claquant doucement de ses doigts effilés les jolies des demoiselles complaisantes, leur prenant les mains, puis les gardant, comme s'il les oubliait dans les siennes; cela reste paternel. Ses appétits de taureau ne se déchaînent que dehors, lorsqu'on veut bien accepter des tartines débourre, chez lui, rue des Moineaux [208]. Denise Baudu, qui a repoussé ses répugnantes avances, est congédiée sur un faux rapport et plus tard, quand elle rentre dans la maison, rappelée par Mouret, Jouve, embarrassé, plie l'échiné devant elle [287]. (Au Bonheur des Dames.)

Juillerat.—Vieux médecin de quartier, homme médiocre, mais devenu à la longue bon praticien. Est maigre et nerveux. S'occupe spécialement des maladies de femmes, ce qui le fait, le soir, rechercher des maris en quête d'une consultation gratuite, dans un coin de salon [64]. Lié aux Vabre, aux Duveyrier, aux Josserand, il a accouché toutes ces dames et soigné toutes ces demoiselles. L'expérience lui a fourni des vues très justes sur les dessous bourgeois et il en parle quelquefois, mêlant à ses observations des tendances humanitaires et républicaines que sa clientèle tolère, parce qu'il s'est fait très heureusement une réputation d'originalité. (Pot-Bouille.)

Jules. — Porteur aux Halles, né à Ménilmontant [76]. Devenu l'amant de la Sarriette et vivant avec elle rue Vauvilliers, au troisième étage d'une grande maison, il se soigne les mains, ne porte plus que des blouses propres et une casquette de velours ; pendant que la Sarriette travaille, il fait la grasse matinée et finit bientôt par tourner au souteneur, avec, à la naissance des favoris, deux mèches collées contre les joues en accroche-cœur. Il règne sur une bande de porteurs, de messieurs à blouse blanche, auxquels il donne le ton. Jules aime l'Empire et voudrait flanquer dans la Seine tous ceux qui en disent du mal. Son idéal est Morny, comme il le nomme tout court [303]. Dans le dossier de police de Florent, on trouve une dénonciation écrite sur papier glacé orné d'une pensée jaune et couvert du griffonnage de la Sarriette et de monsieur Jules [318]. (Le Ventre de. Paris.)

Jules. — Un des soldats envoyés à Montsou pendant la grève. Étienne Lantier tente en vain d'endoctriner ce jeune fantassin qui a encore, dans sa capote, l'embarras d'une recrue. Petit, très blond, avec une douée figure pâle, criblée de taches de rousseur, Jules est de Plogoff, en Bretagne, il n'en sait pas davantage. Il a sa mère et sa sœur qui l'attendent. Quand il est parti, elles l'ont accompagné jusqu'à Pont-1'Abbé on avait pris le cheval aux Lepalmec, il a failli se casser les jambes en bas de la descente d'Audierne. Le cousin Charles les attendait avec des saucisses, mais les femmes pleuraient trop, ça leur restait dans la gorge. La lande déserte de Plogoff, cette sauvage pointe du Raz battue des tempêtes, lui apparaît dans un éblouissement de soleil, à la saison rose des bruyères. S'il n'a pas de punition, on lui donnera peut-être une permission d'un mois dans deux ans [431]. Il est assassiné par Jeanlin Maheu, une nuit de faction ; Jeanlin et Etienne Lantier transportent son corps dans une galerie de mine, sous une roche ébouleuse qui l'écrase [469]. (Germinal.)

Jules (Madame). — L'habilleuse de Nana, aux Variétés. Avec ses yeux vides et clairs, sou visage parcheminé, ses traits immobiles de vieille fille que personne n'a connue jeune, elle n'a plus d'âge. Elle s'est desséchée dans l'air embrasé des loges, au milieu des cuisses et des gorges les plus célèbres de Paris. Madame Jules porte une éternelle robe noire déteinte et, sur son corsage plat et sans sexe, une forêt d'épingles sont piquées à la place du cœur [154]. (Nana.)

Julie. — Cuisinière des Duveyrier. Grande Bourguignonne de quarante ans, an large visage troué de petite vérole, mais qui, au dire de Trublot, a un corps de femme superbe [130]. Devient la maîtresse du jeune Gustave Duveyrier [336] et, tombée malade, se laisse congédier sans récriminer, son genre n'étant pas de se quereller avec les maîtres [487]. (Pot-Bouille.)

Julien. — Maître d'hôtel de Nana, lorsqu'elle s'est installée avenue de Villiers. Un petit homme tout frisé, l'air souriant [343]. Il quitte la maison avec une grosse somme, le comte Muffat ayant voulu se débarrasser de lui par jalousie [479]. (Nana.)

Jusselin (Pierre-François). — Créature de M. de Marsy. Rougon refuse de le nommer officier de la Légion d'honneur et donne à Béjuin la rosette qui lui était destinée [272]. (Son Excellence Eugène Rougon.)

Juzeur (Madame). — Locataire de l'immeuble Vabre, rue de Choiseul. Habite un appartement au troisième sur la cour. C'est une veuve de trente-deux ans, une dévote aux yeux clairs, toute pleine de réticences et de sous-entendus; elle sourit avec quittée après dix jours de mariage et, dans son infortune, elle a la passion de travailler à la félicité des autres femmes, s'occupant de toutes les histoires tendres de la maison, rôdant autour des intrigues amoureuses en petite femme discrète confessant les amants et se frôlant à eux. Madame Juzeur, qui respecte les prescriptions de l'église, se refuse toujours au seul acte défendu, mais elle permet les caresses les plus vives et les plus secrètes, mettant l'honneur et l'estime de soi-même en un seul point, ayant la coquetterie de tenir toujours les hommes et ne les satisfaisant jamais, éprouvant une savante jouissance personnelle à se faire manger de baisers partout, sans le coup de bâton de l'assouvissement final [274]. Et le moment venu, elle sait se dégager d'un brusque mouvement de vigueur nerveuse, trouvant ça meilleur, s'y entêtant, prétendant ainsi rester honnête, puisque pas un homme ne peut se flatter de l'avoir eue, depuis le lâche abandon de son mari. C'est madame Tout-ce-que-vous-voudrez-mais-pas-ça [273]. (Pot-Bouille.)