H

Haffner. — Fameux industriel de Colmar, à large face alsacienne [29], vingt fois millionnaire et devenu homme politique grâce au second Empire [8]. Mari de Suzanne. (La Curée.)

Haffner (Madame Suzanne). — Amie de pension de Renée Saccard et de la marquise d'Espanet. Cette Allemande blonde et langoureuse, qui tient tête aux hommes avec une effronterie provocante [42], est l'inséparable compagne de la marquise, avec qui la chronique lui attribue des mœurs trop tendres [116]. (La Curée.)

Hallegrain (Capitaine Jacques). — Père de Christine. Un Gascon de Montauban. II a dû prendre sa retraite d'officier, à cause d'une paralysie des jambes [22]. Est resté à Clermont, entre sa femme et sa fille, et, un jour qu'elles étaient à l'église, il est mort d'une dernière attaque. Christine se rappelle l'affreuse nuit, le capitaine très gros, très fort, allongé sur un matelas, avec sa mâchoire inférieure qui avançait; si bien que, dans sa mémoire de gamine, elle ne peut le revoir autrement [118]. (L'Œuvre.)

Hallegrain (Madame).— Femme du capitaine. Une Parisienne. A survécu cinq ans à son mari, vivant là-bas, en province, ménageant sa maigre pension, travaillant, peignant des éventails, pour achever d'élever sa fille en demoiselle [22]. Si loin que Christine puisse remonter, elle la trouve devant la même fenêtre, petite, fluette, lavant sans bruit ses aquarelles, avec des yeux doux, tout ce qu'elle tient d'elle aujourd'hui. Pendant cinq ans, madame Hallegrain a pâli et maigri, s'en est allée un peu chaque jour, jusqu'à n'être plus qu'une ombre ; un matin, elle n'a pu se lever, et elle est morte, regardant

Christine, la voix éteinte, les yeux remplis de grosses larmes [119]. (L'Œuvre.)

Hallegrain (Christine) (l).—Fille du capitaine. Femme de Claude Lantier. Mère de Jacques-Louis. Elle est née a Strasbourg, par hasard, entre deux changements de garnison de son père. Ses parents l'ont gâtée, elle a eu des professeurs de tout, mais elle a profité fort peu, n'écoutant pas, toujours à rire, le sang à la tête; des crampes lui tordaient les bras au piano; elle n'avait de goût que pour les soins bas du ménage. Christine a perdu son père à douze ans, à seize ans et demi, elle a été seule au monde; sans un sou, avec l'unique amitié d'une religieuse de Clermont, la supérieure des sœurs de la Visitation, qui lui a trouvé, à ses dix-huit ans, une place de lectrice à Paris, chez madame Vanzade. Le soir de son arrivée, perdue au sortir de la gare, terrifiée par un cocher maraudeur, noyée dans la trombe d'un gros orage, elle a été recueillie par le peintre Claude Lantier, qui lui a cédé son lit sans rien demander en échange ; au matin, dans l'accablante chaleur de juillet, la gorge de la jeune fille s'est découverte et le peintre, abdiquant toute curiosité charnelle, s'est enthousiasmé en artiste pour cette chair dorée, d'une finesse de soie, le printemps de la chair, deux petits seins rigides, gonflés de sève, où pointaient deux roses pâles [12]; l'esquisse qu'il en a faite a été interrompue par le réveil subit de Christine, par sa révolte éperdue devant ce garçon qui la mangeait des yeux; elle a senti un véritable effroi à la vue de la terrible peinture qui emplissait l'atelier, une peinture rugueuse, éclatante, d'une extraordinaire violence de tons.

Chez madame Vanzade, en cette demeure somnolente où Christine meurt d'ennui, elle a éprouvé une véritable obsession au souvenir de Claude, si respectueux, si timide, sons son air brutal, et après six semaines d'hésitation, elle s'est décidée à venir le remercier. Grande et belle, avec ses lourds cheveux noirs, elle a un air de tranquille décision ; le haut du visage est d'une grande bonté, d'une grande douceur, le front limpide, uni comme un clair miroir, le nez petit aux fines ailes nerveuses ; le sourire des yeux illumine toute la face ; le bas du visage gâte ce rayonnement de tendresse, la mâchoire avance, les lèvres trop fortes saignent, montrant des dents solides et blanches ; c'est un coup de passion, la puberté grondante et qui s'ignore, dans ces traits noyés, d'une délicatesse enfantine [14]. Pendant sa visite, elle est glacée comme la première fois par la peinture féroce, les flamboyantes esquisses du Midi, l'anatomie si violemment exacte des études; elle se sent une haine contre cette peinture, la haine instinctive d'une ennemie [114]. Ensuite, ce sont d'autres visites, espacées d'abord, puis à jour fixe, des promenades d'un charme infini autour de l'île Saint-Louis et le long de la Seine jusqu'au pont Royal, dans des couchers de soleil empourprés [130]; une lente initiation se fait, Christine finit par éprouver de l'intérêt pour ces toiles abominables, en voyant quelle place elles tiennent dans l'existence du peintre ; Claude lui semble si bon, elle l'aime tant, qu'après l'avoir excusé de barbouiller de pareilles horreurs, elle en vient à leur trouver des qualités pour les aimer aussi un peu [138]. Cette rage de travail, ce don absolu de tout un être, l'attendrit, elle trouve naturel de se mettre de moitié dans l'effort de l'artiste et, comme à ses yeux d'ardente prière, elle a compris qu'il a besoin d'elle pour son œuvre, elle s'offre, sans un mot, à poser devant lui, nue et vierge [144]. Mais le tableau qui peu à peu les a unis, elle le voit au Salon, bafoué par la foule; il lui semble que c'est sur sa nudité que crachent les gens, elle se sauve, puis ne songe plus qu'à Claude, bouleversée par l'idée du chagrin qu'il doit avoir, grossissant l'amertume de cet échec de tonte sa sensibilité de femme, débardant d'un besoin de charité immense.

Et le soir même, dans le crépuscule qui les enveloppe, sous l'embaumement des lilas, parmi les parcelles dorées envolées du cadre, elle pose aux lèvres de Claude un baiser ardent, irréfléchi; elle se donne la première, dans un emportement de passion [180]. Dès lors, une femme naît de la jeune fille. Elle ne peut rester plus longtemps chez madame Vanzade, qui pourtant la traite avec douceur, semble chaque jour éprouver pour elle une tendresse plus grande, l'appelle même sa fille. Après un nouveau mois de tourment dans cette maison pieuse où elle étouffe, elle quitte brutalement sa maîtresse, emportant sa malle, méprisant tout calcul, toute à son amour. Elle se révèle ce qu'elle doit être, malgré sa longue honnêteté : une chair de passion, une de ces chairs sensuelles, si troublantes quand elles se dégagent de la pudeur où elles dorment. A Bennecourt, où ils ont fui, ce sont des mois de félicité adorable ; toute la tendresse de Claude pour la chair de la femme, cette tendresse dont il épuisait autrefois le désir dans ses œuvres, le brûle maintenant pour le corps de l'amante, ce corps vivant, souple et tiède, qui est son bien. Christine l'engage à travailler, mais comme il résiste, elle est fière de sa puissance, elle croit avoir tué la peinture et, heureuse d'être sans rivale, elle prolonge les noces [191].

Un enfant naît, Jean-Louis, sans que la maternité pousse en elle, elle donnerait vingt fois le fils pour l'époux; mais des soins la réclament, Claude a des heures désœuvrées où il se remet à peindre et dès lors, c'en est fait, l'art est rentré dans leur vie. Lorsque le quatrième été s'achève, Christine sent bien que rien ne retient plus à Bennecourt son grand enfant, son cher homme, avide de reprendre sa vie de production ardente. A Paris, elle partage ses espoirs, très brave, égayant l'atelier de son activité de ménagère, puis elle souffre, elle s'assoit découragée quand elle voit Claude sans force, elle montre une douleur plus vive à chaque tableau refusé, épousant les passions de l'artiste, cédant devant la peinture qui, chaque jour, lui prend son amant davantage. Son cœur s'ouvre alors plus large, il s'attendrit d'une pitié vague et infinie, il accorde de continuels pardons. Au fond d'elle, l'insatiable amour gronde toujours, elle demeure la chair de passion, la sensuelle aux lèvres fortes dans la saillie têtue des mâchoires, et pourtant elle n'a plus de Claude que ces caresses d'habitude, données ainsi qu'une aumône aux femmes dont on se détache ; il a un air d'ennui dans les étreintes ardentes dont elle l'étouffé toujours. Elle doit se résigner, après les chagrins secrets de la nuit, à n'être plus qu'une mère jusqu'au soir, goûtant une dernière et paie jouissance dans sa bonté, dans le bonheur qu'elle lâche de lui faire, au milieu de leur vie gâtée maintenant [276].

Des années de misère se succèdent, un court instant de joie est venu pour Christine, lorsque Claude a décidé de l'épouser, mais la froide cérémonie n'a fait qu'accentuer leur séparation, cette formalité semble avoir tué l'amour [305]. Et c'est maintenant la marche envahissante du mal. Dans l'atelier de la rue Tourlaque, où Claude s'acharne à une œuvre décisive, Christine se fait sa servante, heureuse de se rabaisser à des travaux de manœuvre, pour le reprendre à cet art cruel qui le lui a pris ; elle l'admire maintenant, cette peinture qui la choquait autrefois, elle la voit puissante et la traite en rivale dont on ne peut plus rire ; c'est une lutte sourde et humiliante ; elle en arrive à accepter le métier de modèle, elle veut vivre nue sous les regards de Claude, et le reconquérir ainsi, et l'emporter lorsqu'il tombera dans ses bras ; mais une certitude se fait, ce corps couvert partout des baisers de l'amant, il ne le regarde plus, il ne l'adore plus qu'en artiste ; il n'aime plus en elle que son art, la nature, la vie; elle est vaincue [325].

D'autres amertumes surviennent ; Claude passe une nuit chez Irma Bécot, et cette escapade, Christine la pardonne aisément, car elle exècre la peinture au point de le jeter plutôt à une autre femme; elle espère qu'il lui reviendra, puisqu'il est allé chez une autre [337]. Maintenant, il a l'inconsciente cruauté de la comparer à elle-même, de l'accabler avec sa jeunesse, fixée sur le tableau d'autrefois, et à jamais perdue; puis, c'est le suprême outrage, Claude lui dit que, lorsqu'on veut poser, il ne faut pas avoir d'enfant. Et elle pardonne encore, elle excuse le père, sentant une colère sourde contre son fils, contre le pauvre être pour qui sa maternité ne s'est jamais éveillée, ce Jacques-Louis à la tête informe, qui va bientôt mourir.

La vie de Christine s'écoule dans un affaissement de femme délaissée, les gestes las, la parole lente, une insouciance de tout, hors la passion dont elle brûle. Elle a le sentiment de la fin prochaine de Claude, elle vit dans l'effroi d'un malheur dont elle ne parle pas. Puis, une suprême révolte contre la peinture assassine qui a empoisonné sa vie, une dernière bataille de sa passion, lui livre Claude éperdu, bégayant; elle le croit guéri, mais au réveil d'une nuit d'amour où ils ont éprouvé les anciennes ivresses, elle le retrouve mort, pendu à la grande échelle, devant son œuvre manquée. Et elle-même tombe à terre, comme morte, pareille à une loque blanche, misérable et finie, écrasée sous la souveraineté farouche de l'art [476]. (L'Œuvre.)

(l) Christine Hallegrain, dont le père était paraplégique, épouse en1865 Claude Lantier, dont elle est la maîtresse depuis six ans. (Arbre généalogique des Rougon-Macquart.)
 
 

Hamelin (Georges). — Fils d'un médecin de Montpellier, savant remarquable, catholique pratiquant, et qui n'a pas laissé de fortune. Entrait à l'Ecole polytechnique lorsque son père est mort; il a pu y rester, grâce à sa sœur Caroline qui l'a entretenu d'argent de poche, pendant les deux années de cours. Sorti dans un mauvais rang, il a longtemps attendu une situation, est parti enfin pour l'Egypte avec la commission chargée des premières éludes du canal de Suez, est allé de là en Syrie, a vu Beyrout et les gorges du Liban, exploré le Carmel, traversé le Taurus. Partout, il était accompagné de sa sœur, animée d'un fraternel dévouement pour ce jeune savant, si plein d'ardeur et de simplicité. Plus âgé d'un an, il ressemble beaucoup physiquement à Caroline, en plus pâle. Hamelin est revenu d'Asie Mineure avec tout un monde d'idées, mais, trop modeste, peu bavard, il n'a pu communiquer sa foi à personne et, pendant quinze mois, la vie a été dure dans le petit appartement de l'hôtel d'Orviedo où le frère et Ici. sœur se sont installés. Hamelin a des facultés de travail rares, niais il s'absorbe dans ses études. Cet ancien piocheur de Polytechnique, aux conceptions savantes, d'un zèle si vif pour tout ce qu'il entreprend, montre parfois une telle naïveté qu'on le jugerait un peu sot.

Élevé dans le catholicisme le plus étroit, il a gardé sa religion d'enfant, il pratique, très convaincu [57]. Ce qui le passionne le plus dans les hardies conceptions rapportées d'Orient, c'est le triomphe qu'elles préparent à la chrétienté, tout un programme secret, la Palestine sauvée du joug des Turcs, Jérusalem libre avec Jaffa comme port de mer, les Lieux Saints rendus à la foi, le pape échappant aux révoltantes humiliations qui se préparent à Rome et venant restaurer le trône du Christ sur la terre même où le Christ a parlé. En attendant ce couronnement de l'édifice, le projet de formation d'une Compagnie générale des Paquebots réunis, destinée à s'assurer la royauté de la Méditerranée, les études sur les mines d'argent du Carmel et les chemins de fer d'Asie Mineure, tout ce travail soumis à Aristide Saccard va provoquer chez cet extraordinaire brasseur d'affaires l'idée de créer la Banque Universelle.

Hamelin accepte à son corps défendant la présidence du conseil d'administration, poste honorifique où il partagera, malgré son éclatante probité et son désintéressement d'apôtre, les terribles responsabilités financières de Saccard. Sa besogne est en Orient, il y vivra désormais, ne faisant que de courtes apparitions à Paris, où il est suppléé par le vice-président Robin-Chagot; il reviendra chaque fois de là-bas avec un nouvel enthousiasme, l'affaire des Paquebots en pleine réussite, la Palestine s'éveillant à la vie en une sorte de résurrection, toutes les grandes choses futures semées désormais, germant, prêtes à faire un monde nouveau. Et pendant ce temps, la Banque Universelle se développe, en une prospérité sans exemple; Saccard, lui aussi, fait des merveilles, ses spéculations vont féconder et rendre vivantes les grandes entreprises d'Hamelin. Mais, tandis que le savant étudie froidement la mise en œuvre de ses conceptions, le financier, lui, se grise de la poésie des résultats, il surchauffe la machine, il accumule les irrégularités, fait la folie de lancer l'affaire comme un bélier contre les murailles de la haute banque juive et détermine une catastrophe qui va semer partout le déshonneur et la ruine.

Hamelin est resté pur de tout trafic, tout s'est fait malgré lui, il s'est strictement tenu dans son rôle d'homme de science qui amène l'eau au moulin [271]; il aurait pu, à l'heure de la débâcle, rester à l'étranger, et pourtant il est revenu en hâte, il s'est dépouillé, en faveur de l'actif, de tout ce qu'il possédait, mais le sort de Saccard sera le sien. Il subit la honte de la prison. Et il trouve la résignation et la tranquillité d'âme dans sa foi un peu simple de catholique fervent, il n'a de tristesse que devant l'arrêt désastreux de ses grands travaux [422]; pardonnant à Saccard, il a même la tendresse pitoyable d'envoyer vers lui madame Caroline [424]. Condamné à cinq ans de prison et à trois mille francs d'amende, il passe à l'étranger [434] et va recommencer son existence à Rome [445]. (L'Argent.)

Hamelin (Caroline). — Voir CAROLINE (Madame.)

Hamelin (Françoise). — Femme d'un cultivateur de la commune de Soulanges, arrondissement de Nevers. Cousine de Louis Franchomme. Elle a reçu, le 25 janvier 1851, de l'Assistance publique, une enfant trouvée, Angélique Marie, fille non déclarée de Sidonie Rougon. L'enfant l'appelle maman Nini [14]. Plus tard, Angélique sera confiée aux Franchomme, pour apprendre un état. (Le Rêve.)

Hardy. — Percepteur de Cloyes. Habite rue Beaudonnière une petite maison gaie, entre cour et jardin. Gros homme coloré et jovial, à la barbe noire bien peignée, redouté des paysans qui réclament en vain contre les contributions et qui l'accusent de les étourdir avec des histoires [329]. (La Terre.)

Hartmann (Baron). — Directeur du Crédit Immobilier.. Un vieil ami de madame Henriette Desforges, dont il était déjà l'amant du vivant du mari. II a soixante ans. C'est un homme sceptique et fin, dont la passion est devenue une simple affection paternelle et qui tolère aujourd'hui les amants de la jeune femme [71]. Petit et vigoureux, if a une grosse tête alsacienne, une face épaisse qui s'éclaire d'une flamme d'intelligence, au moindre pli de la bouche, au plus léger clignement des paupières. Devant Octave Mouret, le troisième ami que lui présente madame Desforges, il a le rire discret d'un protecteur riche qui, s'il veut bien se montrer charmant, ne consent pas à être dupe [83]. Mais la chaude éloquence de Mouret, sa conception galante du commerce, son invention d'une mécanique à manger les femmes, ont vile fait d'amuser et de convaincre le baron; il apporte un appui décisif aux développements du Bonheur des Dames. Pins tard, dans la personne de Bouthemont, il commandite le quatrième garçon de génie découvert par Henriette. En fondant les Quatre-Saisons, il n'est pas fâché de faire naître une rivalité aux magasins de Mouret; il a déjà inventé, en matière de banque, de se créer ainsi des concurrences, pour en dégoûter les autres [393]. (Au Bonheur des Dames.)

Hasard. — Cheval de l'écurie Méchain. Court dans le Grand Prix de Paris. C'est le plus défectueux de tous les chevaux engagés, personne n'en veut [388]. (Nana.)

Hanchecorne. — Premier commis au Vieil Elbeuf, chez Aristide Finet, rue de la Michodière. A épousé la fille du patron, Désirée, et a succédé à son beau-père. Hauchecorne est originaire de Rambouillet [15]. Il cède plus tard le fonds à son gendre Baudu. (Au Bonheur des Dames.)

Hauchecorne (Madame). — Voir FINET (Désirée.)

Hauchecorne (Elisabeth). — Petite-fille d'Aristide Finet. Fille unique des Hauchecorne. Son père l'a mariée au premier commis Baudu, qui, en même temps, reprenait la maison. Elisabeth est née, a grandi et vécu au Vieil Elbeuf, qui existe depuis plus de soixante ans et qui n'a pas bougé, alors qu'en face, de l'autre côté de la rue, le Bonheur des Dames, d'abord insignifiante boutique, s'agrandissait peu à peu et en arrivait à envahir le quartier. C'est une petite femme mangée d'anémie, toute blanche, les cheveux blancs, les yeux blancs, les lèvres blanches [10]. Elle aime jusqu'aux pierres humides de son magasin, elle ne vit que pour lui et par lui. Mais, autrefois glorieuse de cette maison, la plus forte, la plus richement achalandée du quartier et peu à peu écrasée par les grands magasins, elle se meurt de l'humiliation du Vieil Elbeuf; si elle vit encore, ainsi que lui, par la force de l'impulsion, elle sent bien que l'agonie de la boutique sera la sienne et qu'elle n'aura qu'à s'éteindre le jour où la maison fermera [30]. Après la mort de sa fille Geneviève, première victime du colosse, elle vit dans une stupeur blême; le Bonheur des Dames lui a tout pris, sa maison, sa fille. Elle meurt deux mois après Geneviève, s'en allant avec le Vieil Elbeuf clos désormais; elle a perdu de sa vie à mesure qu'il perdait de sa clientèle [462]. (Au Bonheur des Dames.)

Hautecœur (Les). —Vieille famille noble, dont l'origine remonte au onzième siècle. Le chef de celte maison a été Norbert l", cadet de Normandie. Il a reçu en fief une forteresse jadis élevée par un successeur de saint Remy, l'archevêque Séverin, pour défendre le pays contre les Normands; c'était la forteresse de Hautecœur, à deux lieues en aval de Beaumont, sur le Ligneul, affluent de l'Oise. La descendance de Norbert 1er emplit l'histoire. Hervé IV, excommunié deux fois pour ses vols de biens ecclésiastiques, bandit de grandes roules qui a égorgé de sa main plus de trente bourgeois d'un coup, a sa tour rasée par Louis le Gros, auquel il a osé faire la guerre. Raoul 1er, qui s'est croisé avec Philippe-Auguste, périt devant Saint-Jean-d'Acre, d'un coup de lance au cœur. Jean V le Grand, en 1225, rebâtit la forteresse-, il élève en moins de cinq années ce redoutable château de Hautecœur, à l'abri duquel il rêvera un moment le trône de France; c'est lui qui donne les fonds nécessaires pour l'achèvement de l'église de Beaumont, où une chapelle consacrée à saint Georges se nommera désormais la chapelle Hautecœur et recevra les restes de Jean V et de ses descendants [64]; ce seigneur, devenu beau-frère du roi d'Ecosse, meurt dans son lit après avoir échappé aux massacres de vingt batailles. Félicien III, prévenu qu'une maladie empêche Philippe le Bel de se rendre en Palestine, y va pour lui, pieds nus, un cierge au poing, ce qui lui fait octroyer un quartier des armes de Jérusalem [88]. Hervé VII revendique ses droits au trône d'Ecosse. Jean IX, sous Mazarin, a la douleur d'assister au démantèlement du château [62].

Les marquis de Hautecœur et le clergé de Beaumont ont rempli les siècles de leurs démêlés, le château a mis en continuel péril les franchises de Beaumont; sans cesse des hostilités ont éclaté sur des questions de tribut et de préséance. Et le démantèlement du château a été le triomphe de l'église. Plus tard, la branche aînée éteinte, un Hautecœur de la branche cadette, Jean XII, revient comme évêque à Beaumont, et va commander à ce clergé, toujours debout, qui, après quatre cents ans de lutte, a vaincu ses ancêtres [61]. II préside chaque année la procession du Miracle, qui date de son grand aïeul Jean V. La légende assure qu'une peste affreuse ayant ravagé la ville, Jean V de Hautecœur aurait combattu Je fléau et guéri les malades en les baisant sur la bouche et en disant : « Si Dieu veut, je veux » ; formule qui est restée la devise des Hautecœur : si dieu volt ie vueil, inscrite sur leur blason [68].

On prétend aussi que, dans la famille, les femmes meurent jeunes, en plein bonheur; deux, trois générations sont épargnées, puis la mort réparait, souriante, avec des mains douées, et emporta la femme ou la Fille d'un Hautecœur, les plus vieilles à vingt ans, au moment de quelque grande félicité d'amour. La légende les appelle les Mortes heureuses. Laurette, fille de Raoul ler, le soir de ses fiançailles avec son cousin Richard, croit marcher dans un rayon de lune et se brise au pied des tours. Balbine, femme de Henri VII, meurt de joie en voyant revenir son mari, qu'elle a, pendant six mois, cru tué à la guerre. Ysabeau, Gudule, Yvonne, Austreberthe ont été enlevées dans le ravissement de leur premier bonheur. On lit encore, sur de vieilles pierres tombales, encastrées dans les murs de la chapelle, les noms de Laurette et de Balbine. Et toutes ces Mortes heureuses reviennent, dit-on, la nuit, peuplant les ruines du château, ainsi qu'un vol de colombes [89]. (Le Rêve.)

Hautecœur (Monseigneur de). —Jean XII de Hautecœur, mari de Paule de Valençay, père de Félicien VII. Il a été capitaine à vingt et un ans, sous Charles X. En 1830, à vingt-quatre ans, il donne sa démission et, jusqu'à la quarantaine, il mena une vie dissipée, des voyages, des aventures, des duels. Puis, un soir, chez des amis, il rencontre la fille du comte de Valençay, Paule, qui a dix-neuf ans, vingt-deux de moins que lui; il l'aime a en être fou, elle l'adore, on doit hâter le mariage. Jean XII rachète alors les ruines de Hautecœur, dans l'intention de réparer le château où il rêve de s'installer avec sa femme. Pendant neuf mois, ils ont vécu cachés au fond d'une vieille propriété de l'Anjou, refusant de voir personne, trouvant les heures trop courtes. Paule lui donne un fils, Félicien, et. meurt en couches. Huit jours après, Jean XII entre dans les ordres; plus tard, il devient évêque de Beaumont.

A soixante ans, il a la taille haute, mince et noble, d'une jeunesse superbe. Ses yeux d'aigle luisent, son nez un peu fort accentue l'autorité souveraine de sa face, atténuée par sa chevelure blanche, en boucles épaisses [178]. Inconsolé, il a longtemps refusé de voir Félicien, l'enfant qui en naissant a coûté la vie à sa mère; il l'a confié à un oncle de celle-ci, s'obstinant à n'en pas recevoir de nouvelles, tâchant d'oublier son existence. Le jeune homme a vingt ans quand son père, soucieux de la fougue qu'il montre et craignant des sottises de cœur, se décide enfin à l'appeler à lui, après avoir réglé à l'avance un mariage avec Claire de Voincourt. Mais, depuis que Félicien est là, revenue vit dans le trouble. Cet enfant est le vivant portrait de celle qu'il pleure; il a son âge, ta grâce blonde de sa beauté. Vingt ans de prières n'ont pas tué l'homme ancien et il suffit que ce fils de sa chair, cette chair de la femme, adorée, se dresse, avec le rire de ses yeux bleus, pour que son cœur batte à se rompre, en croyant que la morte ressuscite. Il passe des nuits de combat, ce sont des larmes, des plaintes, dont la violence, étouffée par les tentures, effraye l'Évêché. La torture a recommencé, saignante comme au lendemain de la mort de la femme à jamais pleurée. Aussi, lorsque Félicien lui avoue l'ardent amour qui l'emporte vers la petite brodeuse Angélique, le père crucifié sent-il en lui l'absolue volonté, le devoir rude de soustraire ce fils au mal dont lui-même souffre tant. Il veut, tuer la passion dans son fils comme il veut la tuer en lui-même et, à l'ardente prière de l'amant, il répond d'un seul mot : Jamais ! [210].

Angélique, éloquente et pure, n'obtient, elle aussi, qu'une réponse inexorable [230], mais sans qu'il veuille l'admettre, celte jeune fille l'a louché, une nouvelle lutte le déchire et, la grâce entrant en lui comme un remords, il se rappelle, devant Angélique agonisante, les miracles qui ont illustré les siens, ce pouvoir que le ciel leur a donné de guérir. Pareil à son ancêtre Jean V, allant prier au chevet des pestiférés ut leur donnant un baiser qui les ressuscite, il prie le ciel, baise la mourante sur la bouche et, dit : « Si Dieu veut, je veux » [290]. Et devant le prodige accompli, monseigneur permet enfin la réalisation du rêve d'Angélique, ce merveilleux mariage qui va donner à l'illustre famille de Hautecœur une Morte heureuse de plus. (Le Rêve.)

Hautecœur (Marquise Jean XII de). Voir VALENÇAY (Paule de.)

Hautecœur (Angélique de). — Voir ANGELIQUE MARIE.

Hautecœur (Félicien VII de) (l). — Fils de Jean XII de Hautecœur, depuis évêque de Beaumont, et de Paule de Valençay. il a perdu sa mère en naissant. Un oncle de celle-ci, un vieil abbé, l'a recueilli, son père ne voulant pas le voir, faisant tout pour oublier son existence. On l'a élevé dans l'ignorance de sa famille, durement, comme s'il avait été un enfant pauvre. Plus tard, le père a décidé d'en faire un prêtre, mais le vieil abbé n'a pas voulu, le petit manquant tout à fait de vocation. Et le fils de Paule de Valençay n'a su la vérité que très tard, à dix-huit ans. Il a connu alors son ascendance illustre, ce long cortège de seigneurs dont les noms emplissent l'histoire et dont il est le dernier rejeton; l'obscur neveu du vieil abbé est brusquement devenu Félicien VII de Hautecœur, et ce jeune homme qui, épris d'un art manuel, devait gagner sa vie dans les vitraux d'église, a vu toute une fortune s'écrouler sur lui ; les cinq millions laissés par sa mère ont' été décuplés par des placements en achats de terrains à Paris, ils représentent aujourd'hui cinquante millions [66]. Un des grands chagrins de l'évêque est la fougue du jeune homme, sur laquelle l'oncle lui fournit des rapports inquiétants, ce ne sera jamais qu'un passionné, un artiste. Et, craignant les sottises du cœur, il l'a fait venir près de lui, à Beaumont, réglant à l'avance un mariage pour prévenir tout danger [207].

A cette époque, Félicien Vil a vingt ans. Blond, grand et mince, il ressemble au saint Georges de la cathédrale, à un Jésus superbe, avec ses cheveux bouclés, sa barbe légère, son nez droit, un peu fort, ses yeux noirs d'une douceur hautaine. Et malgré ces yeux de bataille, il est timide; à la moindre émotion, colère ou tendresse, le sang de ses veines lui monte à la face [106]. Le fils de Jean XII de Hautecœur habite un pavillon dans le parc de l'évêché, séparé par le clos Marie de la fraîche maison des Hubert où vit Angélique. Il aime la petite brodeuse depuis un soir qu'il l'a aperçue à sa fenêtre; elle n'était alors qu'une blancheur vague ; il distinguait à peine son visage et pourtant, il la voyait, il la devinait telle qu'elle était. El comme il avait très peur, il a rôdé pendant des nuits sans trouver le courage de la rencontrer en plein jour. Plus lard, il a su qui était cette jeune fille ; c'est alors que la fièvre a commencé, grandissant à chaque rencontre ; il s'est senti très gauche la première fois, ensuite il a continué à être très maladroit en poursuivant Angélique jusque chez ses pauvres ; il a cessé d'être le maître de sa volonté, faisant des choses avec l'étonnement et la crainte de les faire, et lorsqu'il s'est présenté chez les Hubert pour la commande d'une mitre, c'est une force qui l'a poussé [159]. Longtemps il a cru qu'on ne l'aimait pas, il a erré en rase campagne, il a marché la nuit, le tourment galopant aussi vite que lui et le dévorant. Mais lorsqu'il reçoit l'aveu d'Angélique, sa jeunesse vibre dans la pensée d'aimer et d'être aimé.

Il est la passion même, la passion dont sa mère est morte, la passion qui l'a jeté à ce premier amour, éclos du mystère [197]. Angélique connaît maintenant son grand nom, il est le fier seigneur dont les Saintes lui ont annoncé la venue, mais la sage Hubertine, inaccessible aux mirages du rêve, a exigé de Félicien le serment de ne plus reparaître, tant qu'il n'aura pas l'assentiment de monseigneur [215]. Le soir même, il s'est confessé à son père, qui, le cœur déchiré par sa passion ancienne, a formellement condamné en son fils cette passion nouvelle, grosse de peines; la parole de l'évêque est d'ailleurs engagée aux Voincourt, jamais il ne la reprendra. Et Félicien s'en est allé, se sentant envahir d'une rage, dans la crainte du flot de sang dont ses joues s'empourprent, le flot de sang des Hautecœur, qui le jetterait au sacrilège d'une révolte ouverte [219].

Il s'enfièvre, il écrit à Angélique des lettres que les parents interceptent, il voudrait partir avec elle, conquérir le bonheur qu'on leur refuse, mais la pure enfant est défendue par les vierges de la Légende [269]. Celte fois, Félicien se révolte contre l'impitoyable évêque, perdant tout ménagement, parlant de sa mère ressuscitée en lui pour réclamer les droits de la passion. Enfin, devant Angélique mourante, l'évêque a fléchi; il accomplit le miracle de la faire revivre, elle deviendra sa fille, Félicien Vil de Hautecœur sera uni, en une cérémonie pompeuse, à l'humble créature qui, pour tous parchemins, possède un livret d'enfant assisté [296].

Et Félicien achète derrière l'Evêché, rue Magloire, un ancien hôtel, qu'on installe somptueusement. Ce sont de grandes pièces, ornées d'admirables tentures, emplies des meubles les plus précieux, un salon en vieilles tapisseries, un boudoir bleu, d'une douceur de ciel matinal, une chambre à coucher surtout, un nid de soie blanche et de dentelle blanche, rien que du blanc, léger, envolé, le frisson même de la lumière [298]. Mais Angélique ne connaîtra pas cet hôtel princier, plein de bijoux et de toilettes de reine. Au sortir de la cathédrale, parmi l'encens et le chant des orgues, elle s'éteint dans un baiser et Félicien ne tient plus qu'un rien très doux ^t très tendre, cette robe de mariée, toute de dentelles et de perles, la poignée de plumes légères, tièdes encore, d'un oiseau [310]. (Le Rêve.)

(l) Félicien de Hautecœur, marié en 1869 a Angélique Rougon. (Arbre généalogique des Rougon-Macquart.)

Hédouin (Charles). — Ancien commis du Bonheur des Dames, devenu associé, à la suite de son mariage avec Caroline Deleuze, fille d'un des patrons. Est sans cesse aux quatre coins de la France pour ses achats [113]. Atteint d'une maladie d'estomac, il va faire une saison aux eaux de Vichy [211]. Hédouin meurt, laissant le Bonheur des Dames dans une situation prospère [346]. (Pot-Bouille.)

Hédouin (Madame). — Voir DELEUZE (Caroline).

Hélène (Duchesse). — Principal personnage de la Petite Duchesse, pièce de Fauchery jouée aux Variétés. Trompée par son mari pour la blonde Géraldine, une étoile d'opérette, elle vient un soir de bal masqué chez l'actrice pour apprendre par quel magique pouvoir ces dames conquièrent et retiennent les maris [312]. Ce rôle, d'abord distribué à Rosé Mignon, est joué par Nana, qui s'y montre atrocement mauvaise [338]. (Nana).

Héloïse. — Petite actrice des Folies. Bête comme une oie, mais très drôle [39]. (Au Bonheur des Dames.)

Hennebeau. — Directeur général de la Compagnie des mines de Montsou, comprenant dix-neuf fosses, dont treize pour l'exploitation, le Voreux, la Victoire, Crévecœur, Mirou, Saint-Thomas, Madeleine, Feutry-Cantel, d'autres encore, et six pour l'épuisement, et l'aérage, comme Réquillart, dix mille ouvriers, des concessions qui s'étendent sur soixante-sept communes, une extraction de cinq mille tonnes par jour, un chemin de fer reliant toutes les fosses [11]. Le tout appartient a des actionnaires, des gens que les mineurs n'ont jamais vus. Né dans les Ardennes, M. Hennebeau a eu les commencements difficiles d'un garçon pauvre, jeté orphelin sur le pavé de Paris. Après avoir suivi péniblement les cours de l'Ecole des mines, il est à vingt-quatre ans parti pour la Grand'Combe, comme ingénieur du puits Sainte-Barbe; trois ans plus tard, il devient ingénieur divisionnaire dans le Pas-de-Calais, aux fosses de Maries, et c'est là qu'il se marie. Le ménage habite la même petite ville de province pendant quinze ans; un désaccord physique et moral a grandi entre les époux, Hennebeau adore sa femme qui le dédaigne. Après avoir ignoré le premier amant, il obtient un poste à Paris, croyant reconquérir ainsi l'épouse, mais Paris achève la séparation ; les dix ans que madame Hennebeau y passe, dans la luxueuse folie de l'époque, sont emplis par une grande passion devant laquelle le mari se résigne, désarmé par la tranquille inconscience de cette femme qui prend son bonheur où elle le trouve. Puis, quand l'amant disparaît, laissant sa maîtresse malade de chagrin, Hennebeau accepte la direction des mines de Montsou; il espère encore la corriger là-bas, dans ce désert des pays noirs [224].

Très brun de peau, le visage autoritaire et correct, le directeur inspire une crainte hiérarchique à ses dix mille ouvriers; il n'admet pas que ceux-ci se plaignent, il leur reproche d'avoir été gâtés par les années heureuses, de ne pas savoir revenir à leur frugalité ancienne, maintenant que leur salaire de six francs est réduit de moitié [231]. D'ailleurs, mal renseigné, il est convaincu que la grève durera une semaine, une quinzaine au plus, que les mineurs vont rouler les cabarets et retourneront aux fosses, quand ils auront trop faim. Dans ses longues promenades à cheval, à travers le pays en grève, il ne rencontre que des hommes silencieux, lents à saluer; il tombe le plus souvent sur des amoureux qui se moquent de la politique et se bourrent de plaisir dans les coins; alors, son cœur, toujours plein de la femme qui ne veut pas de lui, se gonfle d'un besoin inassouvi, à travers cette goinfrerie des amours libres [299]. Volontiers, il crèverait de faim comme ses ouvriers, s'il pouvait recommencer l'existence avec une amoureuse qui se donnerait à lui sur des cailloux, de tous ses reins et de tout son cœur [314]. A l'heure de la révolte qui va ensanglanter Montsou, il découvre un nouvel adultère, c'est maintenant son neveu, presque son fils, le petit ingénieur Négrel, qui est l'amant de madame Hennebeau, et pendant qu'une amertume affreuse lui empoisonne la bouche, pendant qu'il est hanté par l'éternelle douleur de l'existence, par la honte de lui-même qui désire toujours cette femme, il entend les grévistes l'injurier à propos de ses quarante mille francs d'appointements, le traiter de fainéant et de ventru, de sale cochon qui se foui des indigestions de bonnes choses, quand l'ouvrier crève de faim [397]. Devant ce nouveau désastre de son existence, il se réfugie dans la stricte exécution des ordres reçus, il fait de la discipline militaire où il vit sa part réduite de bonheur [411].

La confiance des régisseurs de Montsou semblait ébranlée; il a regagné leurs bonnes grâces en laissant gâter les choses, en n'évitant pas la bagarre qui doit provoquer une répression énergique et mettre les révoltés à la raison. Et il rentre définitivement en faveur par son habileté à dépouiller Deneulin, à livrer à la Compagnie de Montsou la belle proie de Vandame, guettée si longtemps [504]. Après la grève, il reçoit la rosette d'officier de la Légion d'honneur, il continue sa vie ravagée, acceptant la honte du ménage à trois avec Négrel pour éviter une honte plus grande, préférant garder son neveu, dans la crainte de son cocher [554]. (Germinal.)

Hennebeau (Madame). — Femme du directeur des mines de Montsou. C'est ta fille d'un riche filateur d'Arras. Elevée dans le respect de l'argent, elle méprise ce mari qui, dans les premières années, gagnait des appointements médiocres et dont elle n'a tiré aucune des satisfactions vaniteuses, rêvées en pension. D'une sensualité de blonde gourmande, mais froide avec son mari, elle a eu des amants ; les dix ans qu'elle a passés à Paris ont été emplis par une grande passion, une liaison publique avec un homme, dont l'abandon a failli la tuer [224]. A Montsou, elle tombe en une langueur d'ennui et se fait consoler par le neveu de son mari, l'ingénieur Paul Négrel, à qui elle se livre et qu'elle s'amuse à vouloir marier ; dans ses rapports avec lui, elle ne voit qu'un joujou de récréation, elle y met ses tendresses dernières de femme oisive et finie [226].

Madame Hennebeau est une grande personne blonde, un peu alourdie dans la maturité superbe de la quarantaine. Elle s'étonne toujours en entendant parler de la misère des mineurs; est-ce qu'ils ne sont pas très heureux, des gens logés, chauffés, soignés aux frais de la Compagnie. Dans son indifférence pour ce troupeau, elle ne sait de lui que la leçon apprise, dont elle émerveille les Parisiens en visite dans les corons, et elle a fini par y croire [234]. Pendant l'émeute de Montsou qui gêne l'arrivée de victuailles attendues, elle s'exaspère contre ces sales ouvriers qui, pour se révolter, choisissent un jour où elle a du monde [394]. (Germinal.)

Héquet (Caroline). — Une demoiselle très lancée. Elle est née à Bordeaux, d'un petit employé mort de honte; moins sensible aux préjugés, sa mère lient la maison. Caroline a vingt-cinq ans, elle est très froide et passe pour une des plus belles femmes qu'on puisse avoir, à un prix qui ne varie pas [111]. Elle achète à un prix ridicule la Mignotte, mise en vente après la fugue de Nana [262]. Pendant la guerre, Caroline Héquet va s'installer à Londres [518]. (Nana.)

Héquet (Madame). — Mère de Caroline. Très digne, l'air empaillé [8]. C'est une femme de tête qui, après avoir maudit sa fille tombée dans 1'inconduite, s'est remise avec elle, au bout d'un an de réflexion, voulant au moins lui sauver une fortune [111]. Pleine d'ordre, madame Héquet tient les livres de Caroline, une comptabilité sévère dès recettes et des dépenses; elle habite à deux étages au-dessus de sa fille, un étroit logement où elle a installé un atelier de couturières, pour les robes et le linge. (Nana.)

Herbelin. — Illustre chimiste dont les découvertes révolutionnent la science. Lazare Chanteau est préparateur dans son laboratoire [70] et s'inspire des découvertes du savant pour concevoir une exploitation en grand des algues marines Lorsque l'usine fonctionne, Herbelin a l'obligeance de se détourner d'un voyage pour visiter les appareils: il constate l'échec [101]. (La Joie de vivre.)

Hermeline. — Elève de rhétorique au collège de Plassans. Amoureux de sœur Angèle, il se fait sur les mains des entailles au canif, pour monter a l'infirmerie, où la religieuse lui pose des bandes de taffetas d'Angleterre. L'élève et la sœur finissent par s'enfuir ensemble [36]. (L'Œuvre.)

Hippolyte. — Valet de chambre des Duveyrier. Gaillard osseux, à la ligure plaie, aux mains humides, grand, fort, la mine fleurie. Il est l'amant de Clémence, qu'il ne peut épouser étant marié ailleurs [460]. Cette liaison connue et acceptée des maîtres n'empêche pas Hippolyte de coucher avec la bonne de madame Juzeur, une enfant de quinze ans nommée Louise [337]. (Pot-Bouille.)

Hippolyte. — Valet de chambre des Hennebeau. Tremble devant l'émeute [402]. (Germinal.)

Homme noir (L'). — Une légende qui fait frémir les hercheuses. L'homme noir est un vieux mineur qui revient dans la fosse et qui tord le cou aux vilaines filles [51]. (Germinal.)

Honorine. — Femme de chambre des Grégoire. Fille d'une vingtaine d'années, qui a été recueillie enfant et élevée à la maison [80]. (Germinal.)

Honorine. — Bonne des Badeuil. Chétive, maigrichonne, l'air pauvre et honteux. Surprise aux bras d'un homme et chassée par M. Charles, elle se révolte et devient insolente [182]. (La Terre.)

Horn (Léa de). — Une jolie fille, poussée sur le pavé parisien [111]. Elle a un salon politique, où d'anciens ministres de Louis-Philippe se livrent à de fines épigrammes. Sous l'influence du milieu, Léa trouve que la guerre de Prusse est une faute, une folie sanglante [520]. (Nana.)

Horteur (Abbé). — curé de Bonneville. Homme trapu, à grosse encolure, cheveux roux, nuque brûlée du soleil, gros souliers. Payé à peine, sans casuel dans cette petite paroisse perdue, il mourrait de faim s'il ne faisait pousser quelques légumes [254]. Il possède, devant l'église, sur le terrain du cimetière, un potager qu'il cultive lui-même, vêtu d'une blouse grise, chaussé de sabots et fumant une grosse pipe. L'abbé Horteur dîne tous les samedis chez Chanteau et se livre avec lui à d'interminables parties de dames.

Intelligence bornée, fils de paysans au crâne dur [59], il parle rarement de Dieu, l'ayant réservé pour son salut personnel [256] et se souciant fort peu du salut des autres. Ses ouailles lui inspirent un profond mépris. Il les a menacées de l'abandon de Dieu et les malheurs qui accablent le village le laissent insensible, car il n'y voit que l'accomplissement de ses prédictions. Pratiquant lourdement sa religion, il éloigne Pauline du confessionnal par des questions et des commentaires déplacés [87]. Dérangé un soir chez les Chanteau, il va administrer un malade, le trouve mort et revient tranquillement achever son petit verre [259]. (La Joie de Vivre.)

Hoton. — Sucrerie à Montsou, atteinte dans sa prospérité parla grève des mineurs [125]. (Germinal.)

Hourdequin (Alexandre).  — Fils unique d'Isidore. Né en 1804. Commence d'exécrables études au collège de Chateaudun. La terre le passionne. A la mort de son père, il a vingt-sept ans et devient maître de la Borderie. Alexandre est pour les méthodes nouvelles, qui exigent des capitaux. Aussi, en se mariant, cherche-t-il de l'argent et non du bien. Il épouse une sœur du notaire Baillehache, qui lui apporte cinquante mille francs. Carré des épaules, large face haute en couleur, n'ayant gardé que des mains petites de son affinement de bourgeois, il aime la terre d'une passion où n'entre pas seulement l'âpre avarice du paysan ; c'est une passion sentimentale, intellectuelle presque, car cette terre, il la sent la mère commune, qui lui a donné sa vie, sa substance, et où il retournera [99]. Il lui apporte son argent, son existence entière, ainsi qu'à une femme bonne et fertile et c'est pour la mieux féconder qu'il se lance dans les innovations, les machines que ses serviteurs détraquent, les engrais chimiques que fraude le commerce.

De grands mécomptes intimes l'ont assailli, il a vu son fils Léon s'engager, il a perdu sa femme et sa fille et s'est trouvé brusquement seul, l'avenir fermé, sans l'encouragement désormais de travailler pour sa race. Mais il reste debout, violent et autoritaire, il s'obstine devant les paysans qui ricanent de ses inventions et souhaitent la ruine de ce bourgeois assez audacieux pour tâter de leur métier. Il mène une vie large de gros homme sanguin, décidé à ne jamais rester sur ses appétits ; de tout temps, il a été un mâle despotique pour ses servantes, et l'une d'elles, Jacqueline Cognet, a fini par se l'attacher, le prenant dans sa chair, lui inspirant un besoin physique irrésistible. Mais, au-dessus de cet amour où il s'acoquine, dont il souffrira et dont il mourra, Alexandre Hourdequin garde toujours la passion de la terre, il lutte contre le libre-échange qui ruinerait les campagnes, rêve toujours d'engrais supérieurs, adopte de nouvelles machines, toute sa fortune y passe, bientôt la Borderie ne lui donnera plus de quoi manger, tant l'agriculture souffre. Maire de Rognes, ii ne rencontre qu'hostilité chez les petits agriculteurs, il doit abandonner son écharpe, et il pressent la catastrophe qui terminera l'antagonisme séculaire de la petite propriété et de la grande, en les tuant toutes les deux [473]. il meurt dans un accident provoqué par Tron, un de ses valets. amant de Jacqueline [481]. (La Terre.)

Hourdequin (Madame). — Voir BAILLEHACHE (Mademoiselle).

Hourdequin (Isidore). — Bourgeois de Châteaudun, né en 1767. Il descend d'une ancienne famille de paysans de Cloyes, affinée et montée à la bourgeoisie, au seizième siècle. Employé aux gabelles, orphelin de bonne heure, possédant une soixantaine de mille francs, il a été privé de sa place parla Révolution et a su faire fortune dans les biens nationaux. Il a payé trente mille francs, le cinquième de leur valeur, les cent cinquante hectares de la Borderie, ancien domaine des Rognes-Bouqueval, pas un paysan n'ayant osé risquer ses écus. Isidore avait seulement rêvé une spéculation, mais la dépréciation de la terre ne cessant pas, il a gardé le bien et s'est marié avec la fille d'un fermier voisin, qui lui apportait cinquante hectares ; il est définitivement revenu à ta culture, abandonnée depuis trois siècles par sa famille; mais il s'est consacré à la grande culture, l'aristocratie du sol, qui remplace l'ancienne toute-puissance féodale [87]. Il meurt en 1831. (La Terre.)

Hourdequin (Léon). —Fils d'Alexandre Hourdequin. S'est engagé par haine de la terre et a été fait capitaine, après Solferino [87]. Ne se montre même pas une fois par an. Ayant surpris le manège de Jacqueline Cognet, qui fait du maître la risée de la ferme, il veut tenter le jeu classique de se laisser surprendre avec la fille pour obtenir qu'elle soit chassée. Mais cette fine mouche sait lui résister et elle brouille irrémédiablement le père elle fils [438]. (La Terre.)

Hourdequin (Mademoiselle). —Deuxième enfant d'Alexandre Hourdequin. Jeune fille délicate et charmante, tendrement aimée de son père. Elle sera héritière de la Borderie, puisque l'aîné a voulu courir les aventures. Mais elle meurt jeune, peu de temps après sa mère [87]. (La Terre.)

Houtelard (Famille). — Pêcheurs de Bonneville. Famille aisée, possédant la plus grande barque du pays [126]. Avarice épouvantable, dans une saleté sans nom. Houtelard, après avoir tué sa femme de coups, a épousé sa bonne, une affreuse fille plus dure que lui [127]. Le gamin, battu par eux, va chez Pauline Quenu mendier chaque semaine des secours et des médicaments. Au lendemain de l'enterrement de madame Chanteau, une tempête détruit la maison des Houtelard [249], qui s'installent alors dans une vieille grange vingt mètres en arrière [269] et vivent dans un cloaque en se vengeant sur le petit [271]. Houtelard, parti en mer un soir de gros temps, est englouti avec sa barque et son matelot. Le fils, maintenant âge de vingt ans, d'allure triste et peureuse tournée à de la sournoiserie, vit ouvertement avec sa belle-mère [423]. (La Joie de vivre.)

Hubert. — A recueilli Angélique Marie, fille non déclarée de Sidonie Rougon. Il possède à Beaumont une étroite maison à un seul étage, très ancienne, bâtie vers la fin du XVe siècle, et qui touche au transept nord de la cathédrale. La lignée des Hubert habite cette maison depuis quatre cents ans. L'Hubert actuel y brode des chasubles, comme tous ceux de sa race. A la vingtième année, il s'est épris d'une jeune fille de seize ans, Hubertine, et l'a aimée d'une telle passion que, sur le refus de la mère, il l'a enlevée, puis épousée. Mais ce mariage furtif a été frappé de stérilité, comme en punition de la faute originelle. Depuis, le grand amour des Hubert semble s'être élargi dans un incurable remords. Lui passe les jours à tâcher d'effacer de sa mémoire, à elle, l'injure qu'il lui a faite en la prenant sans le consentement maternel, et l'unique désir d'Hubert est d'obtenir un fils, l'enfant du pardon. Il vit aux pieds de sa femme dans un culte, une de ces passions conjugales, ardentes et chastes comme de continuelles fiançailles [27].

C'est là, dans cette fraîche maison, toute pleine de tendresse et d'amour, frileusement enclavée entre deux contreforts de l'église colossale, que sera élevée Angélique, trouvée un matin sous la neige, derrière le pilier de sainte Agnès. Agé de quarante-cinq ans, Hubert a un visage tourmenté, le nez eu bec d'aigle, le front bossu couronné de cheveux épais et blancs déjà; il a une grande bouche tendre. C'est, au fond, un passionné ; il écoute Angélique lire les légendes, il frémit avec elle, une fièvre de l'au-delà l'emporte aisément, lui aussi, au moindre souffle [231]. Mais la saine raison d'Hubertine le -ramène toujours sur la terre; comme sa femme, il se soumet à l'implacable destin et, comme elle, récompensé, il connaîtra l'immense bonheur de la rédemption [301]. (Le Rêve.)

Hubertine. — Femme de Hubert. A seize ans, d'une beauté merveilleuse, elle a été aimée de lui et, comme sa mère veuve d'un magistrat, refusait de la donner, elle s'est laissé enlever. Huit mois plus tard, mariée et enceinte, elle est venue au lit de mort de sa mère, celle-ci l'a déshéritée et maudite, si bien que l'enfant, né avant terme le même soir, est mort. Et depuis, au cimetière, l'entêtée bourgeoise n'a pas pardonné, car le ménage n'a plus eu d'enfant, malgré son ardent désir. Après vingt-quatre années, les Hubert pleurent encore le fils qu'ils ont perdu, ils désespèrent maintenant de jamais fléchir la morte [7].

Hubertine, à quarante ans, est toujours très belle, c'est une brune forte, au calme visage. D'un tendre accord avec son mari, elle a recueilli Angélique âgée de neuf ans. Pour éviter les mauvaises fréquentations de l'école, elle se charge de compléter l'éducation de l'enfant, pratiquant d'ailleurs cette opinion ancienne qu'une femme en sait assez long quand elle met l'orthographe et qu'elle connaît les quatre règles [24]. Peu à peu, elle prend de l'autorité sur Angélique, âme fantasque pleine de sursauts brusques, d'orgueilleuses colères suivies de repentirs exaltés. Hubertine est faite pour cette éducation, avec la bonhomie de son âme, son grand air fort et doux, son esprit droit, d'un parfait équilibre [25]. A chaque révolte de l'enfant, en qui bouillonne l'ardeur héréditaire, elle lui apprend l'humilité. Raisonnable, elle condamne l'exagération, même dans les bonnes choses [39]. Inquiète des vagues songeries d'Angélique, qui voudrait épouser un prince [69], elle s'est émue de la voir aimer le fils de monseigneur, elle lui montre l'irréalisable de sa chimère [204] et lui conte, d'un souffle tremblant, la triste histoire de sa propre union, montrant qu'il ne faut rien mettre dans son existence dont ou puisse souffrir plus tard [206]. Et pour enterrer le mariage impossible, elle sépare Angélique et Félicien par des mensonges ; devant cette vierge qui agonise, elle est pleine de douleur et, cependant, ne regrette rien, préférant l'enfant morte à l'enfant révoltée [274].

Mais un double miracle va s'accomplir. Lorsque monseigneur a rendu la vie à Angélique, quand s'est réalisée l'impossible chimère, Hubertine, dans une suprême visite à la tombe maternelle, après avoir longtemps supplié, sent en elle un choc soudain. Du fond de la terre, après trente ans, la morte obstinée pardonne; elle envoie aux Hubert l'enfant du pardon, si ardemment désiré et attendu. Et c'est la récompense de la charité, de cette pauvre créature de misère, recueillie, un jour de neige, à la porte de la cathédrale, aujourd'hui mariée à un prince, dans toute la pompe des grandes cérémonies [301]. (Le Rêve.)

Hue. — Un amateur de peinture, ancien chef de bureau, un de ces bourgeois détestés qui ont des âmes d'artistes, dans les habitudes maniaques où ils s'enferment. Pas assez riche pour acheter toujours, il ne peut que se lamenter sur l'aveuglement du public, qui, dans la personne de Claude Lantier, laisse une fois de plus le génie mourir de faim. Convaincu, frappé dès le premier coup d'œil, il a choisi les œuvres les plus rudes de l'artiste et les a pendues à côté de ses Delacroix, en leur prophétisant une fortune égale [278]. (L'Œuvre.)

Hugon (Madame). —Mère de Philippe et de Georges Hugon. Elle est veuve d'un notaire, vit retirée aux Fondettes, une ancienne propriété de sa famille, près d'Orléans, et a conservé un pied-à-terre à Paris, dans une maison qu'elle possède rue de Richelieu. Autrefois grande amie de la marquise de Chouard, elle a vu naître la comtesse Sabine et elle la tutoie. Madame Hugon a une figure maternelle, éclairée d'un bon sourire, entre ses larges bandeaux de cheveux blancs [79]. Ame irréprochable et pieuse, esprit tolérant, elle estime qu'on doit pardonner beaucoup aux autres lorsqu'on veut soi-même être digne de pardon [444], et ce beau sentiment d'honnête femme fait contraste avec le rigorisme affecté du vieux marquis de Chouard, perdu de vices honteux. Pourtant, madame Hugon s'exaspère devant les excentricités de Nana, sa voisine de campagne; elle sont vaguement le malheur que va lui apporter cette fille, acculant Philippe au déshonneur [460] et Georges au suicide [470]. (Nana.)

Hugon (Georges). — Fils cadet de madame Hugon. Un jeune homme de dix-sept ans, aux beaux yeux de chérubin. Il est joli, sans un poil de barbe. La vue de Nana presque nue, dans son rôle de la Blonde Vénus, l'a enflammé; il se présente chez elle, l'amusé par sa figure gamine et son ardeur précoce et _se met à vivre dans l'ombre de ta jolie fille. Elle l'appelle Zizi. Un jour qu'il est venu la rejoindre à la Mignotte et que, trempé jusqu'aux os, il a dû revêtir une chemise, un pantalon et un peignoir de l'actrice [192], leur jeu ressemble à celui de deux amies qui se taquinent et, sans presque s'en apercevoir, Nana devient sa maîtresse. Le hasard malheureux d'une rencontre a appris à madame Hugon l'inconduite de son fils, elle l'a enfermé aux Fondettes, mais quelques mois de réclusion ne font qu'exaspérer les sens de Georges; il se soulage chaque semaine dans des pages brûlantes, auxquelles Nana répond par la plume de Fontan [282].

Le vice de Zizi se trempe d'une tendresse infinie, d'une adoration sensuelle ou tout son être se donne. Si la présence des amants sérieux, Steiner, Muffat, Vandeuvres laisse indifférent ce garçon qui n'a même pas un sou pour acheter des bouquets, il s'enrage de jalousie contre son frère Philippe. Celui-ci a proposé à Nana de l'épouser; affolé, Georges fait la même offre et, comme la courtisane se refuse jusqu'au bout à le prendre au sérieux, comme elle le traite en gamin négligeable, il s'enfonce résolument des ciseaux dans la poitrine. Emporté par sa mère, il a laissé sur le tapis une tache de sang qui, au dire de Nana, s'en ira sous les pieds [473]. Et peu de mois après, Zizi meurt; les uns parlent d'une blessure rouverte, les autres racontent un suicide, un plongeon du petit dans un bassin des Fondettes 1501]. (Nana.)

Hugon (Philippe). — L'aîné de madame Hugon. Un grand gaillard qui, après s'être engagé par un coup de tête, est arrivé très vite au grade de lieutenant [78j. Il est très grand, très fort, gai, un peu brutal [348]. D'abord en garnison à Bourges, puis à Vincennes, il a été imprudemment chargé par sa mère d'aller reprendre son jeune frère Georges, englué chez Nana. Celle-ci séduit immédiatement Philippe, qui en arrive bientôt aux pires folies. Tout en étant pour lui une maîtresse désintéressée, ne demandant jamais de fonds, elle lui vide les poches à chaque visite, car la maison est constamment à court d'argent. Ce sont de petits prêts qui s'accumulent, et comme madame Hugon, pour obliger ses fils à la vertu, lient sa bourse fermée, comme Philippe est devenu capitaine-trésorier, il puise dans la caisse du régiment. Dès ce moment, il maigrit, il est distrait, il a une ombre de tristesse sur la face, mais un regard de Nana suffit à le transfigurer, dans une sorte d'extase sensuelle [457]. Longtemps, ses fraudes ont réussi grâce aux négligences du conseil d'administration; il finit cependant par être arrêté, après avoir volé douze mille francs à l'Etat [461]. Quelques mois après, à jamais déshonoré, il sort de prison et retrouve sa mère au lit de mort du pauvre Georges, autre victime de l'insouciante Mouche d'Or. (Nana.)

Huguenin. — Occupait une sinécure de six mille francs au ministère de l'intérieur. Lorsqu'il meurt [270], le ministre Rougon donne son emploi d'inspecteur à Léon Béjuin. (Son Excellence Eugène Bougon.)

Hupel de La Noue. — Préfet du second Empire, très mondain, passant huit mois de l'année à Paris [29]. Il conte les histoires scabreuses d'une façon très piquante [36], se mêle de littérature aimable et a composé un poème en trois tableaux, les Amours du beau Narcisse et de la nymphe Écho, qu'on représente chez Saccard et que l'auteur a mis en tableaux vivants pour ne pas alourdir par des vers un sujet si noble [274] Ce préfet aimé des dames a déployé dans son département une telle vigueur pour l'élection de Mareuil que les autres candidats n'ont pu même afficher leur profession de foi ni distribuer leurs bulletins [243]. (La Curée.)

Huret. — Député au Corps législatif. C'est un Normand à figure épaisse et large de paysan rusé, qui joue l'homme simple. Créature d'Eugène Rougon, à qui il doit sa candidature officielle, son élection, sa situation de domestique bon à tout faire, vivant des miettes de la faveur du maître, il arrondit à ce métier ses vastes terres du Calvados, avec la pensée d'y retourner et d'y trôner après la débâcle du régime [103]. Il est l'ami d'Eugène Rougon et d'Aristide Saccard, l'intermédiaire entre les deux frères, et, tirant de là sa fortune, il ne voudrait se fâcher avec aucun d'eux. Chargé d'agir sur Rougon pour la création de la Banque Universelle, il lui prête des mois favorables et, sommé plus tard d'obtenir des confidences utiles aux coups de Bourse, il fouille tranquillement dans les papiers diplomatiques secrets [209]. D'ailleurs, aux jours difficiles, Huret saura lâcher Saccard et rentrer en grâce auprès de Rougon. II aura royalement rempli ses poches d'entremetteur. (L'Argent.)

Hutin. — Employée la soierie, au Bonheur des Dames. Petit, aimable et gras, il joue la bonhomie. C'est le fils d'un cafetier d'Yvetot ; il a su en dix-huit mois devenir un des premiers vendeurs, par une souplesse de nature, une continuelle caresse de flatterie qui cache un appétit furieux, mangeant tout, dévorant le monde, même sans faim, pour le plaisir [56]. Dans .la bataille de la vente, il se promène devant les comptoirs, les dénis longues, voulant sa part, jalousant le voisin. Bon étalagiste, hâté de parvenir, il rêve de supplanter le second, Robineau; opérant de son air aimable, il le mine sourdement et parvient à ameuter contre lui le rayon entier; il le. chasse ainsi à force de mauvais vouloirs et de vexations. Plus tard le bilieux Favier, qu'il a beaucoup mis en avant pour cette besogne, le mangera à son tour.

Hutin canote et entretient des chanteuses de café-concert. Entre lui et le gantier Mignot, il y a une rivalité de jolis hommes qui se vantent de bonnes fortunes dans la clientèle; mais le soyeux n'a conquis véritablement qu'une passementière, lasse de traîner dans les hôtels louches du quartier [120]. Il affecte de mépriser les vendeuses ; sans un mot maladroit d'Henri Deloche, il aurait toujours ignoré l'amitié naïve que lui a vouée jadis Denise Baudu. Devenu second, Hutin se révèle terrible, d'une sévérité hargneuse : le rayon se ligue maintenant pour pousser Favier contre lui, tandis que lui-même dévore sourdement Bouthemont, dans le but obstiné de prendre sa place [343]. Il a quitté l'hôtel de Smyrne, rue Sainte-Anne, pour prendre un appartement de trois pièces; il a lâché les chanteuses et affiche maintenant des institutrices [344]. Premier au départ de Bouthemont, sentant que Favier, plus fort que lui, l'éliminera vite, il a le talent de se faire enlever au Bonheur des Dames par madame Desforges, qui va le placer aux Quatre-Saisons [500]. (Au Bonheur des Dames.)

Hutin (Madame). — Habite le quartier des Halles, où pas une femme n'échappe à l'œil pénétrant de mademoiselle Saget. Au dire de celle-ci, madame Hutin est une pauvre petite femme que son mari néglige [311]. (Le Ventre de Paris.)