Est-ce une enfant blonde, est-ce un rêve,
Un fantôme, une fleur d'amour,
Que je vis un soir sur la grève,
Comme un blanc parfum qui s'élève,
Flotter sous les baisers du jour?
Est-ce une rêveuse indolente,
Une amoureuse d'ici-bas,
Qui, sur la vague murmurante,
Suivait la forme souriante
D'un amant lui tendant les bras?
Est-ce, souriant à l'aurore,
Le bouton espérant demain?
Est-ce la fleur qui vient d'éclore,
Parfumée et brillante encore,
Déjà gisant sur le chemin?
Est-ce notre humaine misère,
Nos vains rêves, nos vains regrets,
Et notre éternelle chimère,
Qui se dessèche et tombe à terre
Comme la feuille des forêts?
Des amoureux est-ce une fée,
Qui les protège nuit et jour,
Et qui, de romarin coiffée,
Mêlait à la brise étouffée
Son haleine, philtre d'amour?
Est-ce une ondine blanche et frêle,
Aimant un enfant de la nuit,
Et souhaitant, pauvre immortelle,
S'il n'était immortel comme elle,
D'être mortelle comme lui?
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . .
Je ne sais. A terre, muette,
Elle inclinait le front,
Effeuillant une pâquerette,
Cueillie au bas du
vallon.
Sa main cruelle et virginale
Laissait tomber chaque pétale
A l'abîme sans
fond.
Sanglotant et courbant la tête
Vers les flots destructeurs,
Elle voulait à la tempête
Alors reprendre ses
fleurs;
Puis, retournait dans la prairie
Cueillir une gerbe fleurie,
Pour apaiser ses pleurs.
Et bientôt, avec un sourire,
Au vent elle jetait,
Dans son insoucieux délire,
Feuille à feuille
son bouquet;
Et, lorsque sa main était vide,
De nouveau sur le sable humide
Penchée, elle
pleurait.
Si tu n'es qu'une enfant mortelle,
Belle Ève aux
blonds cheveux,
Prends-moi comme une branche frêle,
Pour t'égayer
en tes jeux;
Et, brisé dans ta main rieuse,
Jette-moi, bientôt dédaigneuse,
Dans les flots orageux.
Pour toi, je consens à la boue,
Au bonheur passager,
Légère paille dont se joue
Un vent volage et léger.
Pour toi, je veux être l'étoile,
A ton gré pure, ou qui se voile,
S'il te plaît
de changer.
Et pour ma liberté perdue,
Comme la pâle
fleur,
Je veux, à tes cils suspendue,
Une larme de douleur.
Quand je tomberai dans l'abîme,
Je veux pour ta triste victime
Un regret dans ton
cur.
Mais si tu voles immortelle,
Déesse aux blonds
cheveux,
Oh! par pitié, que sur ton aile
Tu m'emportes dans
les cieux!
Je serai ton jouet encore,
Et tu pourras à chaque aurore
Me briser si tu veux.
Je serai l'atome de fange
Qui voltige au soleil,
Et qui, sous le souffle de l'ange,
Monte et redescend
vermeil.
Je serai la blanche couronne,
Que, fraîche, à ton front de madone,
Tu mets à ton
réveil.
Et, si tu penses que les roses
Ont perdu leur fraîcheur,
Qu'elles pâlissent trop écloses,
Sans parfum et sans
couleur,
Bien loin de toi, dans un coin sombre,
Jette alors ces filles de l'ombre,
Belles de ta splendeur.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . .
Est-ce une enfant blonde, est-ce un rêve,
Un fantôme, une fleur d'amour,
Que je vis un soir sur la grève,
Comme un blanc parfum qui s'élève,
Flotter sous les baisers du jour.
1859.
|