La prose n'est
point sotte, et, disons-le tout bas,
Le plus souvent
les vers sont de la sotte prose,
De lourds empâtements
de vert tendre et de rosé,
Des suites d'adjectifs,
des oh ciel! des hélas!
Un orgueilleux
jargon où le pauvre poète
Vous dit tout,
excepté ce qu'il a dans la tête.
C'est absurde, c'est
plat. Et pourtant, jeune fou,
Voici que je rimaille,
allant je ne sais où,
Suant longtemps
parfois pour trouver une rime,
Prenant à
chaque vers une pose sublime,
Et, pourquoi
le cacher? croyant de bonne foi
Qu'il n'est pas
de poète aussi tendre que moi.
C'est que je crois
encore à mille niaiseries,
Aux femmes, à
l'amour, aux bleuets des prairies,
Et que je ne sais
pas que, lorsque vient la faim,
Mon beau rêve
doré ne donne pas du pain.
Allez, allez, mes
vers! bons ou mauvais, qu'importe!
Si du monde idéal
vous m'entr'ouvrez la porte,
Si vos grelots
d'argent me rappellent parfois
Le bal mystérieux
des sylphides des bois.
Allez et divaguez.
Mes fleurettes mignonnes,
Je veux faire de
vous de riantes couronnes,
Des bouquets parfumés,
des guirlandes de fleurs.
Hélas! ils
n'iront point parer de tendres coeurs;
Ils n'iront point,
cachés sous la fine dentelle,
Effleurer le beau
sein de quelque demoiselle,
Brûler sa
blanche gorge et palpiter, pressés
Sous les bonds
de son cur, comme sous des baisers.
Je ne suis qu'un
poète, et ma maîtresse blonde
Est fille de la
flamme ou bien fille de l'onde.
Je ne la vois jamais
que dans l'âtre brûlant,
Salamandre joyeuse
au voile étincelant,
Ou dans l'eau du
torrent qui tombe des collines,
Riante sur l'écume
au milieu des ondines.
Mon pied n'a pas
heurté des sophas de boudoir;
Et, comme on passe
auprès d'un mendiant, le soir,
Redoutant que la
main qui demande, ne prenne,
Les femmes ont
passé, s'enfuyant dans la plaine.
Calme et serein,
voyant leurs yeux se détourner,
J'aime un bel idéal
qui ne se peut faner.
Mais si mes faibles
mains, ô couronne embaumée,
N'ont pas tressé
vos fleurs pour une bien-aimée,
Si je n'ai pas
mêlé mes vers capricieux
Pour faire un seul
instant sourire deux beaux yeux,
0 mon humble bouquet,
c'est qu'il est par le monde
Un cur que je
préfère au doux cur d'une blonde,
Un tendre et noble
cur sur lequel aujourd'hui
Je vous mets, pour
distraire un instant son ennui.
Allez vers mon
ami, car sa mâle poitrine
Est préférable
aux seins d'une gorge enfantine,
Et vous brillerez
mieux sur son noir vêtement
Que parmi les bijoux
d'un corsage charmant.
Mais où suis-je,
bon Dieu! Je viens de me relire,
Et ces vers, commencés
par un éclat de rire,
Se terminent, fleuris,
par un plaintif accord,
Comme un flot apaisé
qui vient baiser le bord.
Insensé!
je voulais railler la poésie,
Et je reprends
bientôt ma chère rêverie;
Moi qui voulais,
ce soir, être sage et prudent,
Voici que je me
perds dans la nue en montant.
Pardon, mon vieil
ami, si ma cervelle folle
S'égare
et prend toujours le chemin de l'école;
Pardon, si je n'ai
pu te distraire un moment,
Me faire mieux
comprendre et parler sagement.
Lycée Saint-Louis, 1858.
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