XII
LA CRITIQUE ET LE PUBLIC
J'arrive à
l'attitude de la critique et du public devant Émile Zola.
Parlons une dernière
fois de cette réclame que la malveillance et l'envie l'accusent
de rechercher. Comme je l'ai dit, elle s'est produite d'elle-même,
à la suite de son attitude de porte-drapeau d'un groupe. Ce n'est
jamais lui qui fait le vacarme; ce sont les autres qui, avec leur entêtement,
ne veulent pas comprendre et préfèrent crier au scandale.
Voilà quels sont les vrais bateleurs, tapant de la grosse caisse
devant la baraque de leurs journaux, pour amuser le monde et faire pleuvoir
les gros sous. Quant à lui, dans la retraite profonde où
il vit, il est le premier étonné, chaque fois qu'un de ces
tumultes imbéciles l'oblige brusquement à s'interrompre au
milieu de son labeur, et à prêter l'oreille.
-- Mais qu'ont-ils
donc à crier comme ça? dit-il alors.
Ces journées-là,
parfois, sont amères. Il est pris du dégoût des hommes.
Même sa passion unique, la littérature, lui paraît vide.
Les phrases, dans le cerveau, ne se dévident pas comme à
l'habitude; il se produit à chaque instant des noeuds qui obligent
le cordier à s'arrêter, sous peine de casser net le chanvre
de la pensée. Pourtant, des tentations lui viennent de confondre
les insulteurs. Mais à quoi bon? Ce serait prolonger inutilement
le vacarme. Mieux vaut ne pas céder à ses nerfs. Aujourd'hui
qu'il a quitté la presse, il s'est même juré de ne
jamais répondre. D'ailleurs, quinze années d'éreintement
l'ont bronzé, il est rare qu'un article le touche, et il finit par
se remettre au travail, avec sérénité, après
avoir jeté au grenier les journaux qui le couvrent de boue.
A Médan,
dans un cabinet spécial attenant à la bibliothèque,
sur de grandes planches, il collectionne tout ce qu'on dit de lui. Éloges,
critiques, calomnies, outrages, plaisanteries et bons mots de certains
boulevardiers, âneries, tout se trouve entassé par énormes
paquets ficelés. Cela dort, en attendant que quelqu'un s'amuse au
travail considérable d'un classement définitif. Parfois,
il a l'idée de jouer un bon tour à la critique. Lui que tant
de plumitifs injurient, en l'accusant d'être violent, il n'aurait
qu'à couper des extraits dans leurs articles; et ces échantillons
de l'urbanité de la presse, datés et signés du nom
des auteurs, composeraient un fort volume, intitulé « Leurs
Injures, » le tout précédé d'une préface
calme. Aurait-il de quoi composer un autre volume, avec les jugements de
bonne foi, avec les pages justes, écrites sur lui? J'en doute et
je m'imagine, en tout cas, que cet autre volume serait bien mince. C'est
à se demander si nous possédons, à l'heure qu'il est,
une critique sérieuse.
Quel a donc été,
jusqu'à présent, l'accueil fait à Zola par la critique
contemporaine? Nous avons plusieurs couches de critiques. On peut classer
en quelques groupes principaux, ceux qui sont censés examiner avec
désintéressement les oeuvres et porter sur elles des jugements
motivés. Passons en revue ces différents groupes, en signalant
la façon dont s'est comporté chacun d'eux devant Zola.
Au sommet, se trouve
la critique dite scientifique, élite peu nombreuse, comptant une
ou deux personnalités hors ligne. Mais, le plus remarquable représentant
de cette critique semble s'être désintéressé
de notre temps, pour se consacrer exclusivement à l'étude
du passé. A l'égard de la littérature contemporaine;
de Zola en particulier et de ses théories naturalistes, il ne se
prononce pas, garde un silence prudent. Est-ce de l'indifférence?
N'est-ce que l'attente et la réserve momentanée d'une sage
circonspection? Je l'ignore. Je me contente de constater le fait; et je
suis d'ailleurs convaincu que, si les représentants actuels de la
critique scientifique se taisent pour une raison ou pour une autre, cette
critique sera demain continuée par des intelligences plus hardies,
qui feront la vérité sur notre situation littéraire.
En descendant,
voici la critique normalienne. Ce sont des esprits cultivés, qui
ont de l'acquis. Mais « l'école » leur a laissé
une marque indélébile, comme un pli ineffaçable de
pédanterie et de médiocrité. Seulement, leur médiocrité
a du brillant, et ils se tiennent des coudes. Ceux-ci, par exemple, se
sont énormément occupés de Zola. Ils l'ont tour à
tour découvert, nié, discuté, applaudi avec des restrictions,
se sont convertis à lui quand le succès est venu de l'étranger,
puis ont tenté de le démolir quand ce succès est devenu
énorme en France. Et, tout le temps, aussi bien dans leurs engouements
que dans leurs injustices, dans leurs acceptations timides que dans leurs
restrictions alambiquées, ils ne se sont montrés que des
professeurs, jugeant avec l'étroitesse d'une critique pédagogique.
Pas un ne s'est élevé à une vue d'ensemble, à
quelque chose de précis, de net, de complet, à une synthèse
de haut vol.
Plus bas encore,
nous arrivons aux critiques dogmatiques, républicains pour la plupart.
Après les médiocres brillants, les médiocres ternes.
A la queue des pions sortis de la rhétorique, voici les nullités
qui ont versé dans la politique, les ratés qui ont fait de
la République leur carrière. Ceux-ci, profondément
indifférents aux choses de l'esprit, songeant toujours à
chauffer leurs candidatures, ne mettent le pied dans les lettres que lorsqu'ils
espèrent y récolter quelques voix d'électeurs. Zola
leur a toujours paru encombrant et dangereux. Lors de ses débuts
pourtant, certains le louaient, sans le comprendre. Plus tard, ils se sont
mis à l'éreinter et, à propos de l'Assommoir,
l'ont accusé « de calomnier le peuple. » Malice électorale
cousue de fil blanc!
Au même niveau,
parfois avec plus de talent d'écriture, mais avec aussi peu d'analyse
et d'impartialité, la critique catholico-romantique, a constamment
traîné Zola dans la boue. Elle l'a combattu, naturellement,
avec ses procédés en retard qui sont la négation de
toute critique, remplaçant le raisonnement par des phrases à
panaches, croyant pourfendre l'ennemi moderne avec de vieilles hallebardes
sorties du magasin des accessoires, espérant l'envoûter par
des maléfices de sorcellerie.
Enfin, toujours
plus bas, sans autorité, sans érudition, sans littérature,
certains amuseurs du boulevard, les plaisantins de la chronique légère,
s'en sont donné à coeur joie sur le compte de Zola, faisant
de l'esprit à contretemps sur des choses sérieuses, répondant
à un beau livre par un pied de nez, se dérobant à
une polémique puissante par une pirouette, ressassant éternellement
les mêmes plaisanteries lourdes : calembredaines de l'heure de l'absinthe
qui passent pour de l'esprit français. Ils ont travesti ses intentions
les plus droites, se sont efforcés de le ravaler à leur niveau,
lui ont prêté leurs propres calculs, l'ont accuse de ne chercher
aussi que l'argent et de spéculer sur la dépravation des
moeurs, comme eux spéculent sur celle du sens commun et de l'esprit.
Mais ne tenons
pas compte de la haute voltige de ces célébrités,
qui n'existent que de l'angle de la rue Drouot à la place de l'Opéra.
Si l'on fait le relevé des jugements portés sur l'oeuvre
d'Émile Zola par les divers groupes de notre critique contemporaine,
on constate, en résumé, beaucoup de malveillance, mais peu
d'études consciencieuses. C'est moins contre la sévérité
des conclusions que je m'élève, que contre la légèreté
de l'analyse. Volontairement ou non, par mauvaise foi, par cécité
naturelle ou par paresse, on dirait que ceux qui ont écrit sur lui,
l'ont à peine feuilleté et même ne l'ont jamais lu.
Certes, il faut du travail! Ce n'est pas une petite affaire que de prendre
connaissance dans son entier d'un écrivain qui a entassé
volumes sur volumes; que de suivre pas à pas les développements
de sa pensée : que de noter au passage s'il a toujours été
conséquent avec lui-même ; que de savoir d'où il vient
et où il va, quels sont ses ancêtres intellectuels; enfin
que de ne pas le prendre isolé, mais baigné en quoique sorte
dans l'air ambiant d'une époque, de façon à pouvoir
le comparer aux contemporains et à délimiter avec quelque
justice la place qu'il occupe. Voilà ce que j'attends d'une critique
vraiment digne de ce nom. Je crois avoir lu tout ce qui a été
écrit en France sur l'auteur des Rougon-Macquart, et je serais
fort embarrassé pour signaler une seule étude de quelque
importance, aux conclusions sévères, soit ! mais conçue
au moins dans cet esprit d'enquête sérieuse. Pourtant, quels
flots d'encre déjà répandus! Informations superficielles
du reportage! Lourdes pasquinades et ineptes calomnies de la chronique
légère! Puis, toutes les pauvretés essoufflées
de la critique courante : coups de goupillon et coups de hallebarde des
catholico-romantiques, accusations intéressées des politiciens,
brillante médiocrité des normaliens! Enfin, au sommet, le
silence obstiné de la haute critique scientifique et son désintéressement
de la littérature contemporaine! C'est pourquoi je conclus que nous
n'avons pas actuellement de critique en France.
Tout ce qui précède
est pour la France. Passons la frontière. Quelle est l'attitude
de la critique étrangère envers cet écrivain français,
si malmené par ses compatriotes? Le juge-t-elle avec plus de partialité
et de rigueur? Au contraire. De grandes études patientes, approfondies,
lui ont été consacrées un peu partout : en Italie,
en Russie, en Allemagne. En Russie, notamment, une de ces études
a pris la proportion d'un gros volume. En Italie, je connais plus de quinze
brochures ou volumes qui lui sont consacrés. Des journaux s'occupent
continuellement du lui. Les discussions sur « il verismo »
ont presque créé une littérature italienne nouvelle.
Outre M. de Amicis, dont les remarquables études nous sont revenues
traduites en français, un homme politique considérable, M.
de Sanctis, qui a été ministre de l'instruction publique,
a écrit de grandes études et même fait des conférences
à Naples sur l'auteur des Rougon-Macquart. Voyez-vous, en
France, M. Jules Simon ou M. Jules Ferry en faire autant? Ce serait des
gorges chaudes. En Italie, personne n'a manifesté le moindre étonnement.
L'Espagne, d'abord en retard, se met à suivre l'Italie. L'Angleterre,
il est vrai, par des raisons de puritanisme, goûte peu Zola jusqu'ici,
ne le lit guère et ne paraît pas en avoir une idée
nette, bien qu'une adaptation de l'Assommoir, sous le titre de Drink,
ait été jouée cinq cents fois à Londres, autant
dans les provinces : total mille représentations. En Amérique,
je suis mal renseigné; j'ignore les appréciations de la presse,
mais je sais, qu'un éditeur de Philadelphie a vendu cent mille exemplaires
de Nana traduite, vente sur laquelle l'auteur n'a pas d'ailleurs
touché un sou de droits. A la Haye, M. Jan Ten Brink, professeur
a l'Université, a publié un compact in-octavo sur Zola et
le naturalisme. La docte Allemagne n'est pas restée en arrière,
et a produit également de longues études. Tout cela plus
juste, mieux équilibré, autrement sérieux qu'en France,
même lorsqu'on y combat le romancier. De sorte que, si nous comparons
l'attitude de notre critique à celle des critiques voisines, il
faut bien reconnaître que nous ne brillons pas. Et, d'ailleurs, cela
s'explique: l'éloignement dans lequel la critique étrangère
porte ses jugements, ne supplée-t-il pas jusqu'à un certain
point au recul des années, qui permet à la postérité
de mieux voir l'en-semble des hommes et des oeuvres. Racine dit dans la
seconde préface de Bajazet : « L'éloignement
des pays répare en quelque sorte la trop grande proximité
des temps : car le peuple ne met guère de différence entre
ce qui est, si j'ose parler ainsi, à mille ans de lui, et ce qui
en est à mille lieues. » Ce que Racine disait de l'opinion
du peuple sur les personnages de tragédie, peut s'appliquer avec
non moins de vérité aux opinions de la. critique sur les
auteurs eux-mêmes. Oui, en critique aussi, l'éloignement des
pays répare la proximité des temps; de sorte que les jugements
de l'étranger, bien entendu en prenant l'ensemble et en tenant compte
du tempérament particulier de chaque nation, contiennent une sorte
d'avant-goût des jugements de la postérité,
Je viens de citer
Racine. Lui-même, le doux, le tendre Racine, comme tous les écrivains
originaux, hardis et vraiment forts, eut à se plaindre de la critique
de son temps. Il faut relire les préfaces de ses pièces.
Comme on le sent souffrir, à chaque ligne, de l'animosité
de ses détracteurs! Écoutez-le, par exemple, vidant son coeur
dans la préface de Bérénice, où il prend
à partie le libelle -- lisez « la chronique » -- d'un
certain abbé de Villars, disent les commentateurs, qui avait éreinté
sa pièce : -- « Et que répondrai-je à un homme
qui ne pense rien et qui ne sait même pas construire ce qu'il pense?...
Je lui pardonne de ne pas savoir les règles du théâtre,
puisque, heureusement pour le public, il ne s'applique pas à ce
genre d'écrit. Ce que je ne lui pardonne pas, c'est de savoir si
peu les règles de la bonne plaisanterie, lui qui ne veut pas dire
un mot sans plaisanter. Croit-il beaucoup réjouir les honnêtes
gens par ces « hélas de poche, » ces « mesdemoiselles
mes régies » et quantité d'autres basses affectations
qu'il trouvera condamnées dans tous les bons auteurs, s'il se mêle
jamais de les lire?... Toutes ces critiques sont le partage de quatre ou
cinq petits auteurs infortunés, qui n'ont jamais pu par eux-mêmes
exciter la curiosité du public. Ils attendent toujours l'occasion
de quelque ouvrage qui réussisse, pour l'attaquer, non par jalousie,
car sur quel fondement seraient-ils jaloux? mais dans l'espérance
qu'on se donnera la peine de leur répondre, et qu'on les tirera
de l'obscurité où leurs propres ouvrages les auraient laissés
toute leur vie. »
Aujourd'hui, grâce
au journalisme, les « abbés de Villars » de notre époque
ne sont plus si obscurs. Ils font même un vacarme de tous les diables
et tiennent toute la largeur du macadam, entre le Vaudeville et le faubourg
Montmartre. Mais, tout comme au temps de Racine, « ils ne veulent
pas dire un mot sans plaisanter, » et leurs « basses affections
» -- aujourd'hui leurs mots -- sentent plus l'estaminet que
la bonne compagnie. Enfin, dans deux cents ans d'ici, si des fureteurs
déterrent leur nom oublié, on ne saura pas davantage le titre
de leurs livres, qu'on ne connaît aujourd'hui un certain «
Comte de Gabalis, » laissé par l'éreinteur de
Racine.
Heureusement que
le public, le grand public, qui achète, lit et juge en dernier ressort,
se trouve derrière la critique, légère ou solennelle.
C'est lui qui dédommage tôt ou tard les créateurs de
l'aveuglement et de la mauvaise foi. C'est lui qui finit toujours par aller
aux audacieux, aux novateurs, aux originaux. Seulement, trompé par
la critique courante, égaré par les médiocres qui
se donnent la mission de le guider, le public a besoin parfois d'un temps
très long pour casser les arrêts injustes et mettre définitivement
chaque chose en sa place. Les malveillances tombent d'elles-mêmes
un jour ; mais ce jour peut arriver si tard, que. les victimes en soient
découragées ou mortes.
De la part du public
du livre surtout, cette justice est parfois très lente à
venir. Voici comment les choses se passent presque toujours. Un écrivain
original, apportant une note à lui, naît et débute.
Son premier, son second, son troisième effort, restent presque sans
résultats. La critique courante, occupée ailleurs, ne se
doute pas de son existence. Le public l'ignore. Puis, arrive le moment
psychologique, où, tout à coup, la bande des médiocres,
avertie par sa haine instinctive de tout ce qui sort de l'ordinaire, se
met a haïr le nouveau venu et à crier sa haine par-dessus les
toits. C'est un déchaînement. Le novateur, éclaboussé,
se trouve du jour au lendemain un objet de risée et de scandale
publics. Mais, au moins, le voilà sorti de l'ombre. A leur insu,
ses ennemis lui ont rendu ce service. Les éditions succèdent
aux éditions. Alors, un travail sourd, lent mais continu, commence
à s'opérer dans les couches profondes du grand public. Chaque
lecteur, croyant à la légende, avait pris le livre en s'attendant
à des monstruosités.-- « Tiens ! mais ce fameux X...,
que mon journal accuse de ne pouvoir écrire deux lignes sans mettre
un mot sale, il écrit proprement, il ne manque pas de raison, il
a même beaucoup de talent. » -- Et, à la même
heure, en mille endroits, dans les classes les plus différentes,
chaque nouveau lecteur est comme un juge qui révise. à sa
façon l'inepte arrêt de la critique. A la longue, toutes ces
sympathies, d'abord isolées, en rencontrent d'autres, finissent
par établir un courant de réaction, dont la violence est
en raison directe de la violence de l'attaque. Ainsi, avec les années
et l'entassement des oeuvres, voilà le public complètement
retourné: alors, la bande des détracteurs, impuissante, sans
conviction au fond et gagnée elle-même, s'aplatit devant l'écrivain
original qui triomphe. N'ayant pu l'étouffer quelque vingt ans auparavant,
les mêmes hommes le comblent maintenant d'une admiration banale et
se servent de son nom consacré, pour tenter a nouveau d'écraser
quelque débutant de grand avenir.
Telle est la fonction
négative et l'utilité involontaire de la basse critique.
Eh bien ! Émile Zola se trouve justement arrivé à
l'heure où, ses adversaires lui ayant rendu le service de répandre
son nom, le public est à se demander qui a raison de ces hommes
ou de lui. Mille indices sont là qui ne trompent pas, Il est commencé,
ce travail sourd, lent mais continu, dont j'ai parlé. Pour s'en
convaincre, il n'y a qu'à parcourir toutes ces lettres d'inconnus
qui lui arrivent quotidiennement. Ces lettres lui sont envoyées
du monde entier. Il y en a dans toutes les langues. J'ai quelquefois passé
un après-midi curieux à les feuilleter, avec une sensation
particulière de cosmopolitisme, ne sachant même pas la provenance
de certaines, déchiffrant à peine quelques noms propres dans
les Russes, les Anglaises, les Suédoises, les Américaines,
les Allemandes. les Espagnoles, et traduisant tant bien que mal les Italiennes,
toutes pleines, celles-là, de l'emphase du midi.
Quant aux lettres
de Français, elles sont de beaucoup les plus nombreuses. Voici de
tous jeunes gens, fortement remués, qui, dans leur petite ville,
doivent rêver de Paris et de littérature; le bout d'un manuscrit
qu'ils n'osent envoyer, sort de leurs phrases respectueuses. Voici de jeunes
femmes rêveuses, sentimentales, qui ne se doutent pas que leurs effusions
plisseront sous les yeux de madame Émile Zola, Voici des prêtres,
connaissant le monde, accoutumés par la confession à pénétrer
au fond du coeur humain, et venant en grand secret se confesser eux-mêmes
au romancier, qu'ils traitent comme une sorte de frère en sacerdoce.
Voici des professeurs de l'Université, qui lui donnent des bons
points, qui lui cherchent aussi des querelles de pédant. Il y a
même des illettrés qui divaguent, des originaux qui font de
l'esprit, des sots qui l'injurient. Les lettres de fous et de folles ne
sont pas rares non plus. Mais, ce qui se dégage malgré tout
de l'ensemble de cette correspondance universelle, diverse comme la foule,
c'est une sympathie désintéressée et, aussi, l'indignation
parfois éloquente de gens, qui, ayant lu ses livres sans prévention,
sont outrés des injustices et de la légèreté
de la critique contemporaine.
Rien n'est éternel
après tout, pas même les légendes. Ce qu'il est possible
de faire pour étouffer un écrivain, une certaine critique
l'a fait à l'égard de Zola. Heureusement, le public, gagné
par les oeuvres, s'aperçoit peu à peu des calomnies, flaire
l'injustice. Il n'y a plus qu'à s'en remettre à lui. Le temps
fera le reste. Quant à moi, j'ai simplement voulu donner dans cette
étude des notes sincères, qui pourront servir un jour de
documents à quelque critique scientifique de talent et de conscience,
s'il doit s'en produire un dans notre littérature.
FIN.
-- Vers
inédits d'Émile Zola
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